Déclaration de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, sur la situation en Afghanistan, l'engagement de la France dans la lutte contre le terrorisme et "la préparation d'une nouvelle paix", à l'Assemblée nationale le 21 novembre 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat sur la situation en Afghanistan à l'Assemblée nationale le 21 novembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Président, Chers Collègues
Merci de ce nouveau rendez-vous, Monsieur le Premier Ministre, devant l'Assemblée Nationale.
Nous voici devant un tout autre contexte que celui du 3 octobre. Aujourd'hui, Kaboul est libérée, les Talibans ont été chassés. Une musique de joie emplit les rues. Les enfants Afghans retrouvent le sourire, les hommes leur identité, les femmes leur visage, et peu à peu, leur dignité.
Comme vous l'avez dit, Monsieur le Premier Ministre " le régime qui soutenait les terroristes a été défait ". Je suis le premier à m'en réjouir. Car c'est vrai longtemps, très longtemps j'avais le sentiment que nous étions bien peu à dénoncer cet aveuglement de la France et des démocraties face à l'oppression du peuple afghan sous le régime criminel des Talibans, face à la cruauté du sort réservé aux femmes, face aux risques de contagion intégriste de toute une région,, face à l'installation des camps du terrorisme international sur un territoire transformé en place forte du trafic de drogue.
En 1980, j'étais aux cotés de la résistance afghane lorsque celle-ci s'organisait contre l'occupation soviétique. En 1999, j'étais aux côtés du commandant Massoud dans la vallée du Panshir pour soutenir sa lutte contre le régime des Talibans. J'ai tenté de toutes mes forces de relayer en France et en Europe ses appels à l'aide et de me faire l'écho de ses mises en garde face au danger qui nous menaçaient tous.
Pas plus qu'à une autre époque nous n'avons voulu voir en face le Cambodge des khmers rouges, nous n'avons voulu regarder en face l'Afghanistan des Talibans.
Mais les images terribles du 11 septembre sont venues bousculer cette indifférence
Oui j'aurais préféré que la France au lieu d'accompagner d'obscures livraisons d'armes à l'Angola pour conduire toute une région à la guerre civile apporte depuis longtemps son soutien au commandant Massoud. Et je m'interroge, mais peut-être Monsieur le premier ministre vous nous apporterez une réponse, sur l'origine des missiles français milan trouvez dans les arsenaux désertés des Talibans à Kaboul.
Mais j'ai apprécié notre Ministre des Affaires Etrangères lorsqu'il a reçu le commandant Massoud en France, même si j'ai regretté que le communiqué du Quai d'Orsay publié à l'issue de cette rencontre en minimise l'importance, rappelle que l'on avait précédemment reçu les représentants des Talibans au Ministère des Affaires Etrangères et qu'il fallait voir là, avant tout, le signe que la France discutait avec tout le monde.
J'aurais aimé Monsieur le Premier Ministre que vous receviez vous aussi le commandant Massoud comme j'aurais aimé que les portes de l'Elysée ne restent pas closes pour accueillir comme il fallait dans notre pays l'homme qui nous avait mis en garde, l'homme qui s'était battu pour la liberté de son peuple, pour notre liberté aussi. Et qui l'a payé de sa vie.
Dès le 11 septembre, la France a été solidaire du peuple américain, solidaire de sa riposte. C'était l'honneur de notre pays.
Mais si nous avons été solidaires sans hésitation et c'est à l'honneur de la France, nous avons, vous avez longtemps hésité à fixer clairement nos objectifs en Afghanistan. Nous aurions dû être les premiers à dire que nous poursuivions trois objectifs : éradiquer les bases du terrorisme, punir Ben Laden et mettre à bas le régime des Talibans.
J'ai relu attentivement les débats du 3 octobre. Un débat qui sans doute, à l'époque, comme celui d'aujourd'hui, aurait mérité d'être accompagné d'un vote de la représentation nationale. Beaucoup d'entre nous le pense, beaucoup d'entre nous l'ont demandé, mais vous avez préféré esquiver parce que vous mesurez sans doute mieux que quiconque que votre alliance plurielle n'y aurait pas résisté.
Dire cela c'est sans doute expliquer partiellement les ambiguïtés de la positon de la France.
Car en relisant de près les débats du 3 octobre, à aucun moment, monsieur le Premier ministre, vous nous avez parlé de débarrasser l'Afghanistan du régime des Talibans.
Taliban ! un mot que vous n'avez même pas voulu prononcer
Il est vrai qu'il fut alors peu prononcé dans cette assemblée. À l'exception de l'intervention talentueuse de mon ami Jean-François Mattei qui nous a invité à nous livrer à un examen de conscience sur notre attitude vis a vis du régime des Talibans et regretté que " les démocraties aient applaudi la défaite soviétique en Afghanistan mais qu'elles aient laissé le Commandant Massoud se battre seul contre les Talibans ". Un mot aussi prononcé, il faut le dire, par le président du groupe socialiste " le régime des Talibans est complice et comptable de cette tragédie "
C'était effectivement l'époque où le langage officiel de la France, ou de son Ministre des Affaires Etrangères usait de la périphrase pour ne pas mettre en cause le régime des Taliban et expliquait que la riposte était - je le cite - dirigée " contre le réseau Ben Laden et les infrastructures des Talibans dont ils se servent ". Les infrastructures !
C'était pourtant une évidence. L'efficacité de la riposte et l'exigence morale de notre intervention en Afghanistan exigeait la chute du régime Taliban dans le démantèlement des réseaux Ben Laden .
Et j'ai toujours pensé, toujours dit que cette intervention en Afghanistan ne nécessitait pas l'envoi massif de troupes américaines ou européennes au sol, qu'elle ne comportait pas le risque si souvent brandi d'un nouveau Vietnam, que ce serait une affaire beaucoup plus courte, une affaire de quelques jours dès lors qu'appuyés par quelques commandos et quelques bombardements les forces de la résistance recevraient les moyens et le matériel nécessaire pour libérer eux-mêmes leur pays. Je crois que vous avez peut-être, pour expliquer l'aveuglement du passé, sur estimé les forces des Talibans, 40.000 hommes qui opprimaient un peuple de 17 millions d'afghans, et sous estimé l'énergie et la force de résistance d'un peuple libre, celle de la résistance afghane.
Enfin, l'essentiel est là. Kaboul est libéré. Nous avons été solidaires de la riposte et aujourd'hui tout le monde se réjouit de la chute du régime des Talibans
Néanmoins, dans cette réjouissance d'aujourd'hui, il y a comme un léger malaise. Tout se passe comme si cette victoire vous ne l'aviez pas prévue, vous ne l'aviez pas voulue en tout cas pas sous cette forme là.
Et ce vous, M le Premier ministre, est un " vous " de cohabitation.
C'est vrai qu'à la question posée au Président de la République le 13 novembre dernier à Abu Dabi - je cite- " Monsieur le Président, les dernières nouvelles d'Afghanistan ne sont pas très bonnes ; Kaboul vient de tomber. Les forces de l'Alliance du nord viennent de rentrer dans la ville ". Là où j'espérais une expression de joie de la part du Président de la République, celui-ci a répondu - je le cite - Il était probablement difficile d'empêcher les forces de l'Alliance du nord d'entrer à Kaboul. Comme s'il ressentait cette victoire comme une pas très bonne nouvelle
Il est vrai que c'était là contrarier les plans de la France. Le plan d'action présenté par la France dès le 1er octobre. Un plan dont j'ai déjà dit qu'il n'était pas à l'honneur de la France. Un plan qui appelait la réunion des diverses composantes de l'Afghanistan pour reconstruire le pays - ce qui est en soi une bonne chose. Mais un plan aussi qui, s'il mentionnait l'ex-roi, les membres du conseil de sécurité, les pays voisins, les autres pays intéressés, les nations unies, l 'union européenne, oubliait - excusez du peu - toute référence aux forces unies qui résistaient depuis si longtemps au régime Taliban dans l'indifférence de la communauté internationale ; ces forces qui finalement allaient libérer leur pays nous dispensant d'une coûteuse intervention au sol des forces américaines et européennes.
Un plan français à l'exemple de ce plan qui au lendemain de la seconde guerre mondiale entendait reconstruire la France sans parler du général de Gaulle, de la Résistance, des Forces Français Libres.
C'est Bernard Kouchner qui, il y a quelques jours sur RTL, déplorait que la France n'ait pas joué un rôle plus important dans un pays où plus de mille volontaires s'étaient rendus pendant la guerre et ou la réputation de la France n'est plus à faire.
Oui, il y a je le répète comme un léger malaise et on a le sentiment qu'en envoyant des soldats sur le terrain la France vole au secours de la victoire.
Certes nous avons et nous avions depuis le début un rôle à jouer au travers de nos forces d'élite mondialement estimées, pour mener des opérations de commandos ou traquer Ben Laden.
Certes nous pouvons aussi contribuer à sécuriser l'action humanitaire. Mais il nous faut prendre garde d'entreprendre des actions qui pourraient entraîner la confusion du militaire et de l'humanitaire au risque, vous le savez, de compliquer l'action de ces organisations humanitaires en Afghanistan et partout dans le monde.
Nous devons prendre garde aussi à ce que notre présence aux cotes des forces afghanes qui ont fait tomber le régime Taliban, celles qui, je le rappelle, ont épargné aux forces américaines, anglaises et françaises une lourde et coûteuse opération au sol , il nous faut prendre garde à ce que cette présence soit utile, souhaitée, acceptée.
Une présence autant que nécessaire mais pas plus que nécessaire.
Ne donnons pas le sentiment qu'en volant au secours de la victoire du Front uni, nous venions leur voler une part de leur victoire. Car c'est aux Afghans, aux Afghans seuls, aux Afghans tous ensemble qu'il appartient de construire leur avenir.
Je me réjouis de la rencontre de toutes les parties de l'Afghanistan qui se déroulera lundi à Berlin.. Mais après Berlin, ce sera à Kaboul que devra se mettre en place l'autorité de transition représentative du peuple afghan et c'est bien que la France envoie dès maintenant son représentant à Kaboul.
Permettez-moi de le citer le témoignage du Commandant Massoud qui a toujours souhaité la libération de son peuple mais en même temps que le gouvernement qui succéderait à cette libération soit à l'image de l'Afghanistan :
" Nous voulons que notre pays appartienne à ses citoyens. Nous pensons que l'Islam, en tant que religion, doit servir à parfaire l'Etat et non pas à conserver l'ordre ancien au nom d'une tradition ancestrale. Nous voulons une république islamique tolérante qui respecte les droits et les libertés de l'homme, qui prône les règles de la démocratie ; parce que c'est une absurdité de dire que l'Islam est en contradiction avec la démocratie "
Pour le monde tout entier et pour le monde musulman, il était un exemple, il reste un héros.
Aux cotés de l'action politique, il y l'action humanitaire d'urgence, d'extrême urgence. Monsieur le Ministre des Affaires Etrangère l'a dit ; elle doit être massive, elle doit être sans condition. Comme cela a été dit et je m'en réjouis.
Mais il nous faut aussi poursuivre la lutte contre le terrorisme, C'est là, nous le savons, une tache longue et difficile. Mais, au-delà, c'est toute notre politique étrangère qu'il nous faut repenser.. Ce que nous aurions du faire depuis la chute du mur de Berlin, ce que nous devrons faire pour tirer la leçon du 11 septembre et de la crise afghane.
Nous avons à faire face à une nouvelle guerre, une nouvelle forme de totalitarisme.
Il nous faut maintenant préparer une nouvelle paix.
A la très large coalition internationale contre le terrorisme qui s'est constituée, il va nous falloir ajouter la coalition forte de toutes les démocraties désireuses de mener le combat ensemble pour la paix et la préservation des valeurs humaines universelles qu'elles portent avec fierté.
Quelle serait la légitimité de notre action en AFG aujourd'hui, de notre riposte à la tragédie du 11 septembre, si nous devions oublier demain les valeurs qui légitiment cette action et cette riposte pour d'autres peuples ou d'autres victimes.
Car ce qui vient de se passer est très important et marque une rupture. Nous venons nous les Français, nous les européens, nous la Communauté internationale de légitimer, j'allais dire enfin, la chute d'un régime dont nous n'acceptons plus et la tyrannie et le sort réservé aux femmes.
Comment imaginer que, demain, nous pourrions fermer les yeux sur des régimes qui n'ont rien à envier à celui des Talibans en matière de tyrannie et de mépris des droits de la femme.
Je pense au Soudan, le pays des enfants esclaves, autre dictature islamiste, autrefois pays d'accueil de Ben Laden, fabricant d'armes chimiques, zone de désastre pour les droits de l'homme, d'extermination et de famine organisées, terre du génocide de plus de deux millions de victimesEt tout cela dans l'indifférence et la cécité internationale Loin des télés, loin du cur.
Voilà pourquoi cette nouvelle alliance que nous avons à construire c'est une alliance de la paix et de la démocratie est nécessaire pour aider le développement, la paix, combattre la misère. Car Aider le développement, c'est aider les hommes et les femmes à se libérer.
Le combat pour la paix, le combat pour les droits humains fondamentaux, le combat pour la libération de l'homme et de la femme, le combat contre la misère et contre l'oppression, ces combats forment un tout
C'est cela pour moi la voix de la France que nous devons faire entendre dans le monde. Il m'arrive souvent de penser au Général de Gaulle lorsqu'il parlait de ce pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté dans le monde.
(source http://www.alainmadelin.com, le 22 novembre 2001)