Déclaration de M. Claude Goasguen, vice-président et porte-parole de Démocratie libérale, sur le budget de l'enseignement scolaire pour 2002 et sur la politique scolaire du gouvernement, à l'Assemblée nationale le 8 novembre 2001.

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Monsieur le ministre, l'an dernier, à la même époque, nous étions un certain nombre à nous dire que consacrer trois heures à un budget de 332 milliards de francs était le meilleur rapport qualité- prix d'un débat parlementaire. Je ne savais pas que cette année, la somme serait encore dépassée puisque le budget atteint 346 milliards de francs. Vous êtes en progrès ! Le rapport qualité-prix augmente : nous discutons toujours trois heures alors que les montants augmentent !
Bien entendu, il serait difficile de critiquer votre budget sur un plan quantitatif. C'est un budget consumériste.
Il y a quelques jours, monsieur le ministre, j'ai eu le mauvais goût de mettre en parallèle le budget de l'intérieur et le vôtre. Sans vous flatter, je me dois de reconnaître qu'à l'évidence, le ministre de l'intérieur n'a pas votre talent dans les arbitrages budgétaires. On aurait pourtant pu accorder la priorité à la sécurité et à la justice. Mais je rattraperai ce mauvais esprit dont j'ai pu faire preuve en rappelant le mot de Victor Hugo, pour qui construire une école, c'était faire disparaître une prison. Je rattacherai ainsi le progrès de votre budget à cette politique de sécurité puisque la politique éducative, quand elle est bien menée, est bien entendu la plus sûre des préventions dans une société qui est désormais parcourue par une violence inexplicable et, il faut bien le dire, assez inexpliquée.
Donc, d'un point de vue quantitatif, votre budget n'est pas contestable. Il est en augmentation, il est " quantitativement correct ", comme diraient vos camarades en parlant de globalité. Mais correspond-il pour autant à ce que la nation demande à son budget de l'éducation nationale ? Sur ce point, j'émettrai quelques réserves. Car je crois que le budget que nous discutons aujourd'hui sera probablement le dernier du genre. Non pas parce qu'il y a des élections l'année prochaine - je ne présume pas de ce que seront les résultats mais parce que nous sommes arrivés, me semble-t-il, aux limites du quantitatif. Une autre approche du système s'impose, plus diversifiée, plus qualitative.
Notre système scolaire consomme beaucoup. Les chiffres sont à cet égard sans équivoque : plus de 94 % du budget de l'éducation nationale est consacré à la rémunération des personnels ; les dépenses de fonctionnement représentent 2,25 % du total, et les interventions diverses 3,25 %. C'est dire qu'il s'agit d'un budget quantitatif. D'ailleurs, les créations d'emplois - d'emplois nouveaux, diversifiés - dépassent même les perspectives même s'il faut les apprécier en tenant compte des quelques petites ficelles classiques utilisée par Bercy et par le rue de Grenelle, que je n'aurai pas le mauvais goût de décrire en détail. Je ferai seulement remarquer qu'il y a un peu de tout dans ces créations, et notamment des emplois précaires. Mais enfin, dans la plupart des cas, il s'agit d'emplois d'enseignants, et ils sont sans doute nécessaires.
Permettez-moi néanmoins de faire deux remarques. La première, c'est que même sur le plan quantitatif, nous avons désormais besoin d'une diversification des personnels qui travaillent au sein des écoles, des collèges et des lycées.
Hélas, il y a quelques années, alors que ce gouvernement entrait en fonction, il a créé des emplois-jeunes. Je ne nie pas que ces aides-éducateurs correspondaient à un vrai besoin de notre système éducatif, mais l'idée qui prévalait à l'époque était surtout la nécessité de faire baisser les courbes du chômage. Du coup, le recrutement a souvent été aléatoire. On a fait des efforts plus ou moins méritoires - plus à l'éducation nationale qu'ailleurs, du reste - pour les reconvertir. Mais on a sans doute sacrifié sur l'autel des chiffres - ou plutôt de l'impératif de "faire du chiffre" - la nécessité de répondre à un besoin très important, je veux parler des nouveaux métiers qui apparaissent désormais à côté de la fonction enseignante. Ils correspondent à un changement de la société qu'on peut regretter, et que certains de mes collègues regrettent amèrement. Mais il reste que la vocation de l'école n'est plus seulement une vocation de transmission de savoir, mais une vocation sociétale, qui tient en grande partie à la crise de la famille. Encore une fois, on peut le regretter, et je suis de ceux qui sont tout à fait prêts à soutenir une politique de la famille, mais il faudra sans doute plusieurs années pour reconstruire un tissu social. En attendant, il faut bien que l'école s'acquitte de cette nouvelle tâche que lui assigne l'opinion, et en particulier les familles, souvent absentes, et qui consiste à exercer des fonctions de société. Or, la mission d'aide-éducateur, dans sa plus grande diversité, aussi bien culturelle que sportive ou de surveillance, n'a pas été suffisamment prise en compte, à mes yeux, dans ce budget. Il est clair que de ce point de vue, en 1997, nous sommes sans doute passés à côté d'un choix politique. Il faudra essayer de rectifier le tir, peut-être en affinant un peu plus encore la reconversion des emplois-jeunes. Mais je suis intimement convaincu qu'à côté de l'aspect massivement quantitatif qui concerne le corps enseignant, nous devrons aller vers une augmentation quantitative des aides-éducateurs. J'ajoute que malgré une démographie en baisse, vous avez prévu une hausse des effectifs enseignants, ce qui est exceptionnel : dans ces conditions, vous auriez pu, monsieur le ministre, prendre davantage en considération ceux qui sont désormais, à côté des enseignants, des pièces maîtresses du rôle social de l'école.
Ma deuxième remarque, c'est que s'il est bon de créer des postes, savoir à quoi ils servent est encore mieux. De ce point de vue les questions que nous posons inlassablement, comme une litanie - et aussi bien à gauche qu'à droite, d'ailleurs, puisque nous pouvons être tour à tour dans l'opposition - n'ont toujours pas reçu de réponse. Je ne vous en impute pas la responsabilité, connaissant, comme mes collègues, la complexité de l'administration de la rue de Grenelle. Il reste que les problèmes exposés par le rapport du sénateur Gouteyron il y a quelques années n'ont toujours pas été résolus. En lisant la loi de finances, qui n'est pas un morceau littéraire extrêmement agréable, je constate qu'on jongle avec les postes, les emplois, les heures supplémentaires et je mets au défi quiconque dans cette assemblée - y compris vous, peut- être, monsieur le ministre - de s'y retrouver. Encore une fois, personne ne vous en voudra, car il n'y a pas un ministre de l'éducation nationale qui ait véritablement réussi à maîtriser ce flux des emplois, des postes et des heures supplémentaires. Mais quand on fait du quantitatif, il faut savoir le rendre transparent. C'est une nécessité démocratique, à laquelle il n'est pas satisfait. Vous vous étiez engagé l'an dernier, monsieur le ministre, en commission des affaires sociales - voyez comme j'ai de la mémoire, et des notes bien faites -, à ce qu'il n'y ait plus de " surnombre ", c'est le mot que vous avez employé. Moi, j'ai quand même le sentiment, pour connaître quelques académies, que vous n'avez pas complètement respecté cet engagement, et qu'un gros travail d'information et de transparence reste à faire.
J'insisterai sur deux autres points, mais en étant plus rapide, parce que je poserai des questions tout à l'heure. Il me semble que vous avez négligé deux aspects fondamentaux de notre système scolaire, qui se rejoignent, à vrai dire. Je souhaite qu'ils soient abordés dans le grand débat national que nous appelons tous de nos vux pour l'année qui vient, car la question décisive de l'éducation ne doit être ni occultée ni traitée comme une chose secondaire. Au fond les solutions sont toujours les mêmes. Notre système éducatif doit désormais sauter un pas qualitatif, qui tourne autour des notions d'ouverture et de diversification. Là encore, ce ne sont pas des notions de droite ou de gauche. Il faudra voir comment les faire entrer dans les faits, car elles paraissent incontournables si nous voulons vraiment moderniser notre système éducatif. Je veux mettre le doigt, donc, sur deux points sensibles.
Le premier est bien entendu le problème de la violence. Je n'aurai pas le mauvais goût de dire combien il y a eu de plans sur la violence. Je crois que nous en sommes au septième ou au huitième. Comme les plans soviétiques à la mauvaise époque, cela donne beaucoup de papier et finalement assez peu de résultats, même si les intentions sont louables. Je ne critiquerai pas particulièrement le dernier d'entre eux, qui, je crois, n'a pas eu plus de succès que les autres. Mais je crois qu'aujourd'hui, nous devons aller au-delà.
Les chiffres ont été mis en évidence dans un rapport récent par mon collègue Bourg-Broc, ici présent, qui est l'inventeur de cette formule de " l'école du respect ", laquelle semble avoir fait école, c'est le cas de le dire, non seulement sur les bancs de la droite mais aussi sur ceux de la gauche. Ces chiffres sont terribles, car même s'il y a une baisse, 225 000 incidents par semestre, c'est trop. L'augmentation de la proportion des incidents graves, de 2,6 à 2,8 % en un an, c'est trop. Les violences verbales, les coups et blessures, le racket, la détention d'armes multipliée par deux, c'est trop. Les élèves sont les auteurs des faits signalés dans 86 % des cas, c'est beaucoup trop. Les victimes sont des élèves dans 78 % des cas, c'est inacceptable.
La violence scolaire, par conséquent, ne diminue pas. Et ce n'est pas le fait de l'école, je tiens à le dire, car elle n'a fait, hélas, que s'ouvrir au débordement sociétal. Mais une fois qu'on a dit cela, encore faut-il résoudre le problème dans l'école. Car les conséquences de la violence sont beaucoup plus graves pour elle que pour le reste de la société. La sécurité des enseignants et des élèves doit être assurée à tout prix, quelles que soient les mesures à prendre. J'appelle véritablement à l'adoption d'un plan qui soit, lui, un plan d'urgence. Récemment, le ministre de l'intérieur a été courageux, allant même contre ses propres amis, en prenant - quoi qu'assez tardivement - la mesure de la gravité de la situation de la violence dans les villes. Je vous demande, monsieur le ministre, d'avoir vous aussi ce courage contre les beaux esprits qui écrivent beaucoup mais qui connaissent assez peu la situation, et de décider un véritable plan d'urgence, qui entre, dans les faits.
Face à cette violence scolaire, les ébauches de solutions que vous avez proposées ne sont pas mauvaises, sur le fond. Je pense en particulier à l'internat, en faveur duquel quelques moyens ont été mis en place. Vos déclarations vont tout à fait dans le bon sens, notamment celles que vous avez faites le 19 décembre dernier, lorsque vous avez promis une véritable politique de l'internat. Je dis oui, sans hésiter, à ces internats scolaires qui correspondent à la crise sociétale de la famille dont je parlais tout à l'heure, et qu'il faut prendre en considération, fût-ce à titre provisoire. Mais il fallait y consacrer beaucoup plus de moyens. J'ai regardé de près la loi de finances : sur 105 emplois créés de conseiller principal d'éducation, quatre-vingt le sont au titre de la lutte contre la violence, et 120 postes de personnels IATOS sont créés dans les internats que j'évoquais à l'instant. Vu les chiffres que j'ai cités sur la violence scolaire, c'est très peu. Peut-être faudrait-il davantage inciter les collectivités territoriales à pousser dans ce sens. En tout cas, je souhaite, monsieur le ministre, que cette question devienne prioritaire dans les quelques mois de débat qui nous restent.
Je souhaite aussi qu'on ne prenne pas l'internat en considération uniquement en termes de temps. L'internat, c'est en réalité une nouvelle pédagogie de l'élève. Il faut inventer une pédagogie pour ces internats, qui sont des lieux de vie. Pour cela, je vous invite à vous inspirer d'études pédagogiques qui n'émanent pas forcément de l'inspection générale - quel que soit le bien qu'on peut penser de cette honorable corporation - mais d'établissements privés, tels que les Orphelins d'Auteuil qui ont su développer une pédagogie, extrêmement coûteuse certes, mais totalement positive en matière de pré-délinquance. C'est en tout cas un sujet prioritaire.
A côté du quantitatif, il me paraît indispensable de mettre en uvre un plan d'urgence et d'instaurer une nouvelle pédagogie.
C'est aussi la vocation de notre école qui est mise en cause - et c'est l'inspecteur général que je suis qui vous le dit - par la rupture de l'égalité des chances, cette égalité qui est le seul vecteur de notre école républicaine. Les chiffres à cet égard sont terribles. La défense de l'école républicaine passe par le retour à une véritable politique d'égalité des chances. Or, actuellement - et, là encore, ce n'est pas tenir un discours partisan que de le faire remarquer -, l'ascenseur social est bloqué. J'ai eu l'occasion de le dire lors de l'examen des crédits de l'enseignement supérieur, mais je le répète aujourd'hui car c'est encore plus grave quand un tel phénomène touche l'enseignement scolaire : les courbes statistiques relatives à l'égalité des chances montrent que celle-ci n'est plus respectée tant en CE2 qu'en sixième et que ce sont les mêmes qui, d'année en année, perdent un peu plus de terrain.
En effet, mon cher collègue. On s'aperçoit que le système en vigueur est linéaire et qu'il dirige non pas vers le " plus ", qui est pourtant la vocation de notre école républicaine, mais vers le " moins ". Dès lors, il faut s'interroger et se demander pourquoi un système unitaire, qui avait montré son efficacité à la fin du XIXéme siècle, fonctionne aujourd'hui en sens inverse.
Si Jules Ferry, dont la formation était plutôt libérale que socialiste - c'est pourquoi il ne faut pas employer le terme libéral à tort et à travers -, était là aujourd'hui, il ne pourrait que constater que la réussite de notre école ne passe plus par l'uniformité, qu'il a mise en place avec succès, mais probablement par l'apprentissage de la diversité. Il faut conserver l'égalité des chances, l'égalité des objectifs, mais nous ne pourrons le faire qu'en diversifiant les moyens.
S'agissant de la politique des ZEP, qui a été mise en place il y a vingt ans et qui, à l'origine, était une bonne idée, elle n'a pas été menée avec suffisamment de vigueur. Aujourd'hui, le système des ZEP est toujours marginal. Or c'est sans doute à partir de ce système qu'il faut inventer la diversification scolaire, mais en ayant un véritable objectif politique et non un objectif administratif.
En conclusion, je dirai que ce qui aujourd'hui manque à notre école, c'est le souffle de la nation. Notre système éducatif est devenu un système administratif. Même les ZEP qui, à l'origine, traduisaient une idée politique forte, sont en train de sombrer dans les indices administratifs du Bulletin officiel de l'éducation nationale. Ce n'est pas satisfaisant. On ne peut contester, sur le plan qualitatif, le travail que vous avez accompli et on peut apprécier, sur le plan quantitatif, les mesures qui ont été lancées. Sans doute, elles sont insuffisantes, mais elles ont le mérite d'exister et il faudra les faire fructifier. Toutefois, je regrette que ce travail n'ait pas reçu, de la part du Gouvernement, la pleine consécration que l'éducation méritait.
Monsieur le ministre, vous avez peut-être réconcilié une partie du personnel enseignant, qui était en ébullition, avec vos formations politiques. Mais j'aurais préféré que, avec le talent que nous vous connaissons pour les affaires budgétaires, vous réconciliez l'éducation nationale avec la nation. J'espère que cette réconciliation se fera. Je la souhaite, je l'appelle de tous mes vux. Elle sera au cur des débats qui se dérouleront dans six mois.
Bref, ce budget me paraît incomplet et manquer du souffle national nécessaire. C'est pourquoi mon groupe ne s'abstiendra pas, mais émettra un vote négatif à la veille des élections décisives qui auront lieu dans six mois.
(source http://www.claude-goasguen.org, le 26 novembre 2001)