Déclaration de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, sur la sécurité alimentaire, notamment dans la production laitière, l'indemnisation des pertes suite à l'effondrement du marché laitier, l'ESB et la gestion des quotas de production laitière, Laval le 4 juillet 2001.

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Circonstance : Assemblée générale de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) à Laval le 4 juillet 2001

Texte intégral

Au moment de conclure nos travaux, je suis particulièrement sensible au paradoxe de ce congrès. Il aurait pu, il aurait du être un congrès serein entièrement tourné vers l'avenir. La situation des marchés des produits laitiers connaît une embellie d'une durée peu commune. Et pourtant, ce qui domine est une profonde morosité, une sorte de "blues des éleveurs" pour reprendre le titre d'une des contributions régionales.
Il y a un an, Monsieur le Ministre, en évoquant les dégâts provoqués par les crises de sécurité alimentaire, je vous disais : "il ne s'agit pas seulement des dommages financiers. Il y a des dégâts moraux infiniment plus difficiles à réparer." Malheureusement depuis une année, la situation a plutôt empiré et au lieu de m'étendre sur des dossiers à long terme qui conditionnent l'avenir de notre métier, je suis bien obligé de commencer par les dossiers conjoncturels qui pèsent lourd dans le malaise actuel de l'élevage : la fièvre aphteuse et l'ESB.
Nous avons voulu que notre Assemblée générale se tienne en Mayenne, comme nous l'avions prévu de longue date et malgré - ou plutôt en raison - de son report. Nous tenions en effet à témoigner notre reconnaissance et notre solidarité aux éleveurs mayennais durement touchés par la fièvre aphteuse.
Pendant cette crise, le pire a certainement été évité. Je veux ici saluer le civisme, l'efficacité et le sens des responsabilités de tous : producteurs, opérateurs et pouvoirs publics. Le bouclier que vous avez évoqué à l'époque, Monsieur le Ministre, a été efficace et exemplaire car il reposait sur un pacte clair. Je vous cite : "Prenons des mesures drastiques dans les deux zones dites "bouclier", pour protéger le pays et son image à l'étranger et soyons solidaires au moment de l'indemnisation"
Malheureusement sur ce deuxième point, le bilan est entaché d'incompréhensibles atermoiements. Attention à ne pas bafouer le pacte initial sinon, lors de la prochaine crise, nous ne serons pas à l'abri de réactions du genre "sauvons les meubles , quitte à mettre les autres en danger, car nous savons ce que valent les promesses de solidarité".
Il aurait ainsi été évoqué - s'agissant des entreprises ou des producteurs fermiers - de retenir la santé financière comme critère d'indemnisation : seuls ceux faisant état de graves difficultés financières seraient éligibles à l'indemnisation. Cette condition est inacceptable car elle ouvre la porte à l'arbitraire et encourage l'irresponsabilité.
Aujourd'hui le dossier concernant les producteurs est en voie de règlement et le crédit de 5 millions de francs dégagés par l'ONILAIT semble approprié. Nous savons que les difficultés et retards de mise en uvre ne proviennent pas de vos services dont je salue le travail.
En ce qui concerne les pertes subies par les entreprises, j'espère que vous avez quelques nouvelles à nous annoncer. 17 entreprises ont été directement touchées en Mayenne , Orne et Seine et Marne. Leurs pertes sont estimées à plus de 30 millions de francs, sans compter les frais à engager pour la relance des marques et la reconquête des marchés, notamment à l'étranger.
Venons- en à l'ESB. Je pourrais consacrer tout mon discours à ce dossier tant cette maladie a causé de dégâts dans nos rangs. Faute de temps, je n'évoquerais que trois points : la gestion du marché ; l'indemnisation des éleveurs ; les règles d'abattage.
Je ne puis évidemment pas passer sous silence la mauvaise gestion du marché qui a suivi l'annonce calamiteuse de la société Carrefour au mois d'octobre. Pourquoi en avoir confié l'exécution exclusive à des opérateurs qui avaient tout avantage à ce que le retrait ne fonctionne pas et que les prix de marché ne se redressent pas? Les blocages mis en avant par les équarrisseurs étaient-ils vraiment insolubles ? Pourquoi les délais de paiement aux entreprises ont-ils été si longs ? Au final, le retrait n'a pas fonctionné conformément à ce qui était attendu et nous sommes restés bien loin du niveau de 20.000 têtes par semaine que vous aviez annoncé et qui était absolument nécessaire pour soulager le marché.
Les méfaits de cette gestion du marché sont loin d'être épuisés. Je crains d'ailleurs que nous le payions cher à l'automne, quand on voit le niveau des cours aujourd'hui et l'absence de mesures pour maîtriser la production.
Un second volet de ce dossier doit être souligné, celui de l'indemnisation des pertes suite à l'effondrement du marché. Une fois de plus, la plupart des producteurs de lait ont été laissés de côté. Je persiste à penser que l'indemnisation aurait du être fondée sur les pertes réelles, quelle que soit la nature de l'élevage. Le système forfaitaire a engendré des inégalités entre producteurs et entre départements que nous réprouvons. Il faudra savoir faire une évaluation et ne pas oublier que ces mesures, je cite, "n'étaient pas pour solde de tout compte".
Quant à l'indemnisation des éleveurs touchés par un cas d'ESB, nous avons malheureusement constaté que les nouvelles règles posées par le décret du 30 mars conduisaient à une baisse significative des montants alloués. Certes, les éleveurs peuvent faire appel de ces décisions mais cette possibilité aboutit parfois à du marchandage. Nous observons, d'ores et déjà, un engorgement des services centraux de la DGAL et donc un allongement des délais de versement. Encore une fois, ayons bien conscience que les différents opérateurs ne respecteront les mesures de précaution que pour autant qu'ils seront assurés d'une solidarité réelle. Toute perte de confiance conduit à une tricherie néfaste pour tous.
Enfin je serai bref sur le problème de l'abattage car il me semble que nos vues sur ce point sont assez convergentes. Au début de la crise, les Pouvoirs publics ont choisi la solution de l'abattage total. Bien que traumatisante pour les éleveurs, nous avons soutenu ce choix car nous considérions que c'était le meilleur - ou plutôt le moins mauvais - compte tenu des incertitudes qui entouraient cette maladie. Dieu sait si ce ne ce fut pas facile et je souhaiterais que les Pouvoirs publics - et notamment vous Monsieur le Ministre - évaluent à leur juste valeur les efforts que nous avons consentis en défendant - sur le terrain - la voie de la raison tout au long de cette crise.
Depuis, nos connaissances ont évolué, les tests de dépistages ont été généralisés et les farines de viande ont été interdites. La FNPL - ainsi que la FNSEA et la FNB - considèrent que les conditions sont maintenant réunies pour faire évoluer les règles d'abattage. Mais pas n'importe comment.
Le passage à l'abattage sélectif doit se faire dans la clarté et non dans l'équivoque. Or la formule proposée par l'AFSSA - marquer les animaux non abattus et les retirer de la chaîne alimentaire - me semble entretenir une triple équivoque : vis-à-vis du consommateur, vis-à-vis du producteur, vis-à-vis de nos clients étrangers. Je partage donc votre prudence quant aux suites à donner à ce rapport. J'espère que ce dossier fera l'objet d'une étroite concertation entre les Pouvoirs publics, la Profession et les associations de consommateurs.
Fièvre aphteuse, ESB puis des conditions climatiques défavorables : avouez, Monsieur le Ministre, qu'il y a de quoi avoir le blues ! Pour redonner confiance à nos éleveurs, il faut que la solidarité nationale s'exprime pleinement. C'est la question de l'indemnisation ; je n'y reviendrai pas. Il faut aussi que la vérité soit faite sur l'origine de ces différentes crises et que des enseignements en soient tirés pour l'avenir.
La vérité, elle commence à apparaître peu à peu dans le dossier de l'ESB. Si la lumière se fait progressivement, on le doit principalement aux rapports qu'ont rendu, coup sur coup, les deux commissions d'enquêtes parlementaires. Je voudrais, au passage, saluer la qualité du travail réalisé par les deux assemblées : leurs critiques sont parfois dures mais souvent justes. Leurs recommandations méritent en tous cas d'être étudiées avec soin, même quand elles dérangent.
La justice a également un rôle à jouer dans cette oeuvre de clarification. Hélas, on ne peut pas dire qu'elle soit particulièrement pressée de conclure. En 1996, la FNSEA, FNPL, la FNB et certaines FDSEA ont déposé plainte afin que toutes les responsabilités soient établies dans les importations frauduleuses de farines animales. Il a fallu attendre près de quatre ans, c'est à dire la deuxième crise de l'ESB, pour que l'instruction démarre vraiment ! Faudra-t-il une troisième crise pour qu'enfin justice soit rendue aux éleveurs ?
Enfin, je voudrais qu'on tire les leçons de ces crises successives afin qu'à l'avenir, on puisse - sinon les éviter - au moins les gérer un peu plus sereinement. Une des principales conclusions que j'entrevois c'est qu'il devient urgent de doter l'agriculture française d'un véritable dispositif de gestion des risques. Un dispositif qui engloberait tous les aléas, qu'ils soient climatiques, sanitaires ou économiques et qui redonnerait de la cohérence aux différents mécanismes - publics et privés - qui interviennent aujourd'hui. Un dispositif qui permettrait, enfin, de mettre un terme aux dérives du principe de précaution dont les agriculteurs français payent trop souvent le prix fort.
Nous avions déjà évoqué ce sujet l'année dernière et nous vous avions suggéré de mettre en place un fonds d'indemnisation, un " FIPOL de la sécurité alimentaire ". Depuis, M. Babusiaux vous a remis en novembre 2000 un rapport consacré à la gestion des risques en agriculture. Nous souhaiterions qu'il soit rendu public le plus rapidement possible afin qu'un débat puisse enfin s'engager sur cette question de fond.
Venons-en maintenant aux problèmes plus spécifiquement laitiers et en premier lieu à la gestion des références laitières. Sur deux dossiers précis nous attendions des progrès et sommes déçus de la lenteur avec laquelle ces questions sont traitées :
· Le 8 février dernier, le Conseil de Direction de l'ONILAIT a donc donné un avis favorable au projet de décret sur les GAEC laitiers partiels. Depuis, plus rien ! Que se passe-t-il ?
· Les échanges de droits à produire pratiqués depuis 3 années restent réservés aux producteurs mixtes : ce n'est pas parce que l'on a commencé avec la production laitière à l'âge de 20 ans que l'on n'a pas le droit de se reconvertir à la vache allaitante vingt ans après. Si j'ai appris la musique classique à 20 ans, n'ai-je pas le droit de faire de la techno à 40 ans ?
Au-delà de ces deux dossiers spécifiques, il y a lieu de reprendre la réflexion sur la gestion globale des quotas et notamment des allocations provisoires de références. Voilà maintenant 5 années que la France ne réalise pas son quota. Pour la dernière campagne, 56.500 producteurs n'ont pas produit toute leur référence et globalement la sous-réalisation nationale nette est estimée à 166.000T. Cela représente un manque de recette de l'ordre de 350 à 400 millions de francs pour la ferme laitière France . Ce n'est pas rien !
Cette année, en raison des conditions exceptionnelles que nous avons connu, j'ai ardemment demandé que soit annoncée avant même la fin de la campagne une augmentation du remboursement forfaitaire. Notre demande a été entendue, je vous en remercie ainsi que Madame la Directrice de l'ONILAIT qui a su être une avocate efficace.
Il n'est pas sûr que nous puissions en faire autant chaque année et cela doit nous amener à réfléchir aux moyens d'optimiser la gestion de campagne, en gardant le souci de l'équité et en pensant d'abord aux références les plus modestes.
Enfin, il nous faut aussi préparer les échéances suivantes et notamment celle de 2003 qui verra la sortie d'un rapport intermédiaire sur l'application de l'accord de Berlin. Vous le savez, la maîtrise de la production constitue pour nous le socle de notre politique, car seule la maîtrise permet le maintien d'un prix rémunérateur.
Sur ce chapitre des prix, convenez Monsieur le Ministre que nous vous assurons une absolue tranquillité. Je le rappelais d'entrée de jeu : nous bénéficions d'une situation favorable et les accords interprofessionnels ont permis que ceci se répercute jusqu'au producteur. Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, ceci est bien connu et il est probable que la situation ne restera pas aussi favorable au cours des prochains mois. Mais l'expérience de ces quatre années met en évidence la supériorité des solutions contractuelles sur la tentation du conflit. Je suis d'ailleurs heureux de voir que les entreprises partagent désormais la même ambition que nous : défendre et valoriser nos produits face à la pression permanente exercée par la grande distribution, dont la stratégie sur les prix n'a pas changé.
L'Interprofession laitière est riche de multiples composantes et ceux qui nous regardent de l'extérieur envient souvent notre unité. Celle-ci n'est pourtant pas tombée du ciel. Elle est le fruit d'un esprit de concertation permanent et le résultat de la force d'entraînement exercée par les producteurs. Cette année nous avons été soumis à quelques coups de butoirs de la part de nos amis producteurs d'AOC. Ce fut fort utile ; cela nous a permis de prendre la pleine mesure d'un secteur que nous avions peut-être négligé ces dernières années.
Les AOC constituent un des fleurons de notre filière ; ils sont les locomotives de notre rayonnement international et l'un des meilleurs vecteurs de notre combat pour la valorisation du travail des producteurs. Conscients de la nécessité de maintenir notre unité, nous avons pu dialoguer fort utilement avec les divers représentants de la famille des AOC et c'est tout naturellement que nous avons défini ensemble des objectifs ambitieux pour la défense des produits au lait cru et la promotion de nos terroirs.
Ce dialogue interprofessionnel s'est également avéré particulièrement efficace dans un domaine où des querelles quasi-théologiques auraient pu se développer au détriment de tous. Je veux parler de l'étiquetage relatif au lait cru pour lequel nous avons réussi à vous communiquer, Monsieur le Ministre, une position interprofessionnelle claire et unanime. Cela mérite, je crois, d'être signalé.
Je veux aussi remercier ici publiquement tous les collaborateurs des trois Fédérations qui participent à la cellule de veille de l'Interprofession et qui nous permettent de faire face aux crises que j'évoquais en introduction. Les problèmes de sécurité alimentaire et de communication sur la réalité de nos métiers vont prendre une place grandissante dans nos programmes. Déjà le Cidil a modifié en conséquence ses orientations stratégiques. Parallèlement une réflexion de fond a été engagée avec la Fédération Nationale Bovine sur la nécessité de mieux faire connaître la réalité de nos élevages. Ces chantiers vont constituer des enjeux décisifs dans les prochaines années.
Le temps passe et il y a maints dossiers qu'il aurait fallu développer plus à fond et que je ne peux que citer brièvement.
· Celui de la montagne par exemple, : sur les critères d'éligibilité à l'ICHN, des avancées significatives ont été obtenues permettant certaines dérogations ainsi qu'une augmentation de l'enveloppe nationale. Pourtant des producteurs de lait risquent d'être exclus notamment dans les zones de piémont. En outre le problème des sur-coûts de collecte en zone de montagne est laissé de côté, alors qu'il est déterminant pour l'avenir de bien des zones de production .
· Le dossier du PMPOA est actuellement bloqué. Les engagements antérieurs sont remis en cause. Les producteurs qui ont entamé une démarche sont laissés dans l'incertitude totale. Il est indispensable de sortir de cette situation en respectant des principes d'équité dans le taux d'aide, les critères d'éligibilité des travaux et leur financement.
· La mise en place des CTE collectifs. Le CTE est un instrument de développement dont l'importance ira en s'accroissant au cours des prochaines années et nous en sommes tous conscients. Toutefois, je persiste et je signe : les efforts que les producteurs consentent à réaliser avec la Charte des Bonnes Pratiques d'Elevage, doivent trouver leur juste rémunération dans le CTE.
Le CTE Collectif Laitier est une avancée intéressante qui permet de répondre aux besoins du marché tels qu'ils sont ressentis par les entreprises. Toutefois, il n'est pas question que les agriculteurs soient pieds et poings liés dans les mains des entreprises.
Les producteurs doivent pouvoir conserver le droit de changer d'acheteur même s'ils ont souscrit à un tel contrat. Il n'est pas question non plus, d'admettre que les entreprises fassent du CTE un élément de négociation collective de rémunération de leurs producteurs.
Mes chers amis, certains ont pu espérer qu'ils feraient une économie ce matin, celle du discours du Président de la FNSEA.
Et bien ! non, je veux aussi m'adresser à vous en tant que Président de la FNSEA.
En prenant de nouvelles responsabilités, je n'ai pas changé de convictions. Bien au contraire. A la tête de la FNPL, j'ai fait de la politique des prix un combat permanent et prioritaire. J'entends bien poursuivre sur cette voie là et faire en sorte que tous les agriculteurs français profitent un peu plus de la richesse qu'ils créent chaque jour par leur travail et leur savoir-faire.
Pour cela, il faut des filières organisées où les acteurs ont la volonté de répartir équitablement la valeur ajoutée, en vrais partenaires. Il faut aussi un minimum de maîtrise. Et là, il n'y a pas de mystère, il faut des Organisations Communes de Marché dignes de ce nom. L'un ne va pas sans l'autre d'ailleurs : l'exemple du secteur laitier montre qu'une OCM forte est une condition nécessaire mais pas suffisante pour assurer des prix rémunérateurs aux producteurs. Un accord interprofessionnel, agrémenté de mobilisation syndicale, est indispensable pour assurer un juste partage de la valeur ajoutée.
Il nous faut enfin cultiver la diversité de nos productions en occupant chaque niche de marché. L'agriculture française propose déjà une gamme très riche de produits ; des produits standards aux produits bio en passant par les productions sous labels et sous AOC. Poursuivons dans cette voie là. Tirons parti de la richesse de nos terroirs et de la diversité de nos systèmes de production plutôt que de les opposer.
Vivre davantage de la vente de nos produits dépend donc en grande partie de nous. Mais pas seulement. Nos efforts seraient vains s'ils n'étaient pas accompagnés par une politique agricole digne de ce nom. Et dans ce domaine, nous avons quelques raisons de nous faire du souci.
Récemment, des voix se sont élevées pour réclamer une réforme radicale et immédiate de la PAC. Il s'agirait de rompre avec les principes qui orientent l'Europe agricole depuis 40 ans. Je ne sais pas encore Monsieur le Ministre si je dois vous ranger dans le camp de ceux-ci. A ceux qui ont la mémoire courte, je rappellerai que la politique agricole commune n'a cessé d'évoluer depuis sa création en 1962. Les agriculteurs qui ont vécu les réformes de 1984, de 1992 et 1999 peuvent en témoigner.
Je ne suis pas hostile au principe d'une évolution de la PAC. Une réorientation qui donnerait plus de place aux politiques de développement rural et de qualité. Et pourquoi ne pas engager un débat sur la question du soutien public à l'agriculture ? Quand les aides directes rémunèrent les fonctions sociales, territoriales et environnementales de l'agriculture, il n'est ni illégitime ni honteux que les agriculteurs en bénéficient. Il en est de même lorsqu'il s'agit de compenser des baisses de prix dictées par le principe de libéralisation. C'est, par exemple, le cas pour la prime à l'abattage.
Nous ne sommes pas non plus hostiles à un aménagement des mécanismes de gestion de marché. A condition, bien sûr de pas enfermer toutes les productions dans un schéma unique. Le modèle laitier, malgré tous ses mérites, n'est pas reproductible partout. Pas plus que le modèle céréalier ou betteravier. Chaque secteur a ses particularités et doit bénéficier d'une politique agricole adaptée. Je dis bien " politique agricole " et non pas alignement sur le moins disant mondial qui ne peut tenir lieu de politique. Le dogme de la baisse des prix n'est pas une politique.
Mais, en la matière, ce qui compte, ce ne sont pas seulement les principes, mais le calendrier et les moyens.
L'agriculture met en uvre des cycles de production longs, voire très longs, qui excluent toute réforme brutale. De plus, l'urgence est mauvaise conseillère. Appliquons-nous d'abord à endiguer la crise que traverse notre élevage, nos productions végétales et maintenant la viticulture et ensuite nous pourrons réfléchir, à tête reposée, aux réformes que nous voulons mener.
Il y a d'autant moins de raisons de se précipiter que les accords de Berlin comportent un certain nombre d'instruments susceptibles d'orienter la PAC, aussi bien dans le sens que réclament nos concitoyens que dans celui du développement rural. Les Etats membres auraient donc tout intérêt à tirer parti de ce qui existe déjà plutôt que de penser à ce qu'ils pourraient obtenir demain.
Les accords de Berlin tracent des perspectives budgétaires qui, malgré leurs insuffisances, garantissent que l'Europe aura les moyens de sa politique agricole jusqu'en 2006. Pour beaucoup de pays, notamment du Nord de l'Europe, réorienter la PAC dès maintenant, c'est faire des économies et affaiblir encore un peu plus les OCM. Pour nous, il n'en est pas question et les décisions budgétaires prises à Berlin doivent s'appliquer jusqu'en 2006. Il n'est pas non plus question d'envisager l'élargissement sans évolution budgétaire.
Monsieur le Ministre, ce dossier nous tient particulièrement à cur car notre avenir en dépend directement. Je vous appelle donc à la vigilance afin que vous pesiez de tout votre poids à Bruxelles pour défendre les intérêts de l'agriculture française. Des intérêts qui sont d'ailleurs ceux de l'agriculture européenne. La hâte avec laquelle le conseil agricole a pris des décisions sur la viande bovine le 19 juin à Bruxelles n'est pas faite pour nous rassurer. Loin de là.
Le débat sur l'avenir de la PAC est certainement passionnant et essentiel. Il ne doit cependant pas nous faire oublier un autre débat, déterminant lui aussi : celui qui accompagne l'ouverture imminente d'un nouveau cycle de négociations internationales.
Et là, c'est plus de fermeté dont nous avons besoin que d'esprit d'ouverture. L'Europe a respecté scrupuleusement les engagements qu'elle avait pris à Marrakech. Or ce n'est pas le cas de la plupart de nos concurrents, à commencer par les Etats-Unis qui, à coups d'aides exceptionnelles et de mécanismes d'aide à l'exportation plus ou moins opaques, déstabilisent les marchés internationaux. A nous de rappeler ces évidences à ceux qui, bientôt, nous représenteront à la table de négociation. Rappelons leurs aussi qu'en matière de protection tarifaire les accords de Marrakech sont déjà allés très loin. Un pas de plus dans la même direction et je ne donne pas cher de nos campagnes. Et surtout, rappelez-vous : pas de concessions préalables !
A Seattle, les organisations professionnelles agricoles ont mené une action unitaire et exemplaire en faveur de l'agriculture française. En novembre, à Doha, nous reformerons la même équipe. Non pour faire du spectacle de rue ou croquer du Mac Do mais pour être près de ceux qui négocient notre avenir. J'espère, Monsieur le Ministre, que cette fois vous serez à nos côtés.
Enfin, je ne voudrais pas conclure sans dire un mot sur la grave crise de confiance qui secoue le monde agricole aujourd'hui. Nous en avons abondamment parlé pendant ces deux jours : un agriculteur, fier de son métier comme nous le sommes tous, ne peut qu'être blessé par l'image que les médias donnent aujourd'hui de notre profession. Il faut impérativement corriger cette tendance.
Restaurer notre image, cela suppose tout d'abord que nous progressions sur le terrain de la communication. Des progrès énormes ont été réalisés pour répondre aux attentes de la société, de l'amélioration de la qualité de produits au respect de l'environnement en passant par l'amélioration de la sécurité sanitaire. Eh bien, faisons le savoir. Et n'hésitons pas à jouer le jeu de la transparence en montrant ce que nous faisons dans nos exploitations. Nous avons toutes les raisons d'en être fiers.
Des efforts, nous sommes prêts à en faire. Mais nous ne pouvons pas, à nous seuls, lutter contre les moyens que certains emploient pour nous discréditer. Et là nous avons besoin de vous, Monsieur le Ministre. Je sais que la question est devenue rituelle mais je vais vous la poser encore une fois en espérant que ce sera la dernière : quand prendrez vous le décret qui, conformément à la loi d'orientation agricole, permettra d'abonder le fonds de communication sur l'agriculture ?
Monsieur le Ministre, contrairement aux usages, je ne vous ai pas remercié de votre présence en débutant cette allocution, et je m'en explique. Vous avez récemment indiqué publiquement les trois conditions de votre présence à un congrès syndical : "avoir été invité", et vous l'avez été. "Que cela serve à quelque chose", vous avez au moins jugé que cela pourrait peut-être servir à quelque chose et j'espère que tout au long de l'année qui vient nous constaterons l'un et l'autre que votre venue à Laval aura servi à quelque chose. Enfin, "que l'on respecte dans une démocratie les règles du débat et de la courtoisie", cela je vous en laisse juge mais la courtoisie ne me retiendra jamais de vous parler franchement, donc de vous marquer nettement tout autant nos points d'accord que ceux de désaccords.
J'espère, Monsieur le Ministre, que la FNPL vous accueillera à son prochain congrès, cela témoignera que votre présence aujourd'hui aura été utile.
(Source http://www.fnsea.fr, le 25 juillet 2001)