Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
L'invité de France Inter jusqu'à 9h est le secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre chargé du Numérique, Mounir MAHJOUBI bonjour.
MOUNIR MAHJOUBI
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Bobard, désinformation, propagation de rumeurs ou de fausses nouvelles, le président de la République a dit sa volonté qu'une nouvelle loi vienne régir en période électorale cette plaie qui peut abîmer on le voit aux Etats-Unis - les processus démocratiques et électifs, est-ce que pour commencer, c'est un sujet très technique, très subtile, passionnant, est-ce que les lois en vigueur ne suffisent pas ou ne suffisent donc plus aujourd'hui à faire régner l'ordre ?
MOUNIR MAHJOUBI
Le sujet il est grave, vous avez bien vu ce qui s'est passé aux dernières élections françaises, aux dernières élections américaines, je vous invite à lire le livre d'Hillary CLINTON où vous voyez qu'elle y consacre de nombreuses pages, on essaye de comprendre comment on a réussi à laisser diffuser ces nouvelles. Ce sujet il touche à nos démocraties, ce sujet il touche à la France, il touche à l'Europe, ça été pareil aux élections qui ont suivi en Allemagne, les gens se sont posés des questions et, donc, la question, la réponse qu'on se pose, c'est la question qu'on se pose, c'est : « comment on trouve une réponse opérationnelle en temps de campagne, en temps électoral, pour être certain qu'on ne laisse pas se propager ces informations ?
NICOLAS DEMORAND
On n'a pas les lois nécessaires pour le faire déjà ?
MOUNIR MAHJOUBI
Et en fait le sujet est devenu beaucoup plus complexe, c'est-à-dire que ces fake news elle ne viennent pas que de la presse, parce qu'on a des lois qui abordent le sujet de la presse, du rôle du juge pendant l'élection vis-à-vis de la presse, on a aussi de l'audiovisuel et puis on a une nouvelle chose qui s'appelle ni presse, ni audiovisuel, qui s'appelle réseaux sociaux et dans les réseaux sociaux on a des gens qui animent des communautés ; et puis en dehors des réseaux sociaux, on a des sites Internet qui sont que ni presse, ni audiovisuel, et qui ne sont pas contrôlés. Donc la grande question, c'est : la responsabilité de celui qui produit, qui raconte ces conneries, qui raconte ces bobards, celui qui les diffusent, celui qui lui donne un écho...
NICOLAS DEMORAND
Conneries ça marche aussi !
MOUNIR MAHJOUBI
Eh bien, à chaque fois, on essaie de demande et c'est pour ça qu'il ne faut pas se précipiter- parce que c'est très important, et il faut pas se précipiter parce que dans les mots que je viens de dire il y a des mots qui sont très importants comme presse, comme audiovisuel, il y a des grands principes de notre démocratie qui veulent qu'on veuille - et ça c'est essentiel - qu'on ait une liberté de la presse et une liberté d'opinion qui soient absolues. Donc, il va falloir - et c'est tout l'enjeu du travail du gouvernement ces dernières semaines - c'est comment dans cette volonté qui est la nôtre d'empêcher d'atteindre à notre démocratie et de permettre aux journalistes, donc les vrais journalistes, la presse, d'exprimer son opinion libre sans être perturbés par les autres. Quand même si on se raconte ce que c'est que ces fake news, c'est parfois des choses complètement délirantes, c'est cette histoire américaine de pédophilie dans ce sous-sol d'une pizzéria financée par la campagne d'Hillary CLINTON, mais ça peut-être aussi à des choses beaucoup plus subtiles, c'est-à-dire de l'argent mobilisé par des forces extérieures, parfois des pays, parfois pas des pays, qui vont acheter de la publicité sur les réseaux sociaux pour mettre en valeur certains types d'articles qui donnent une perception assez biaisée de la réalité, mais pas aussi absurde que le coup de la pédophile dans la pizzeria, mais qui vont volontairement... et, donc, l'un des enjeux c'est de mieux comprendre ce qui se passe dans ces plateformes d'écho. Si on a un bonhomme, une organisation, un groupuscule, pourquoi pas une secte, un pays, ou alors un groupe d'intérêt idéologique qui finance massivement plusieurs millions d'euros de publicité sur le Facebook France pour qu'il y ait toujours cette même information qui arrive. Qu'est-ce qu'on fait ? Aujourd'hui on n'a pas d'outil pour savoir ! Donc l'un des axes ça va être aussi de responsabiliser les plateformes et de leur demander de la transparence et qu'elles nous disent : « Oui j'ai identifié que sur ce contenu politique il y a quand même quelques millions d'euros qui viennent de l'étranger et qu'ils sont en train d'insister très fort pour qu'on diffuse tout ça sur les jeunes de 18 à 25 ans et sur les quartiers populaires ».
NICOLAS DEMORAND
Est-ce que la réforme, Mounir MAHJOUBI, la plus fondamentale je ne sais pas si la loi l'explorera c'est de considérer et je vous ai déjà posé la question, je l'ai posée à Edouard PHILIPPE à ce micro aussi de considérer que ces plateformes sont des éditeurs au sens où les journaux sont issus de sociétés éditrices et qui sont donc responsables de ce qui est publié et des plateformes éditrices qui du coup pourraient se voir opposé le droit de la presse ?
MOUNIR MAHJOUBI
Justement il va falloir qu'on soit global, c'est-à-dire qu'il y a ce sujet des face news, mais il y a un sujet plus général qui s'appelle la responsabilité vis-à-vis des contenus mis en ligne...
NICOLAS DEMORAND
Voilà !
MOUNIR MAHJOUBI
Et notamment l'un des enjeux qui est celui de son retrait. Quel retrait des contenus en ligne ? Alors il y a les fake news, mais il y a aussi les contenus criminels, il y a les contenus terroristes, il y a les contenus pédophiles, il y a les contenus de harcèlement, il y a les contenus... et toutes ces questions-là il faut qu'on les traite. Les Allemands ont fait un choix, ils ont dit : « on ne va pas trop regarder, on ne va pas trop regarder ce que c'est la nature de ces contenus, on vous demande de le retirer vous le retirez et, si vous ne le retirez pas, il y a plusieurs millions d'euros de sanction ». On a la LCEN, la Loi pour la Confiance dans l'Economie Numérique Française, qui date du début des années 2000, qui distingue éditeur hébergeur, elle dit : « si vous êtes hébergeur, vous ne regardez pas ce qui se passe, quand on vous demande d'enlever vous enlevez s'il vous plait et essayez d'aller vite » et après la jurisprudence interprétait assez différemment ce que voulait dire le assez vite ; et puis par contre, quand on est éditeur, là on a une très grande responsabilité...
NICOLAS DEMORAND
C'est une très grande responsabilité.
MOUNIR MAHJOUBI
L'éditeur a une responsabilité d'enlever avant même de publier ce type d'information. Il y a un rapport de députés, il y a quelques années, qui dit : « ça c'est trop pour les réseaux sociaux, parce que les réseaux sociaux sont...
NICOLAS DEMORAND
Pourquoi ? Dès lors qu'on pose la question d'une loi, pourquoi est-ce que ce changement-là qui semble être le point d'appui le plus efficace dit : « Ah ! Facebook publiant du contenu, ce contenu ayant des effets, est comme une forme numérique de média » et ces gens-là ne sont pas que des tuyaux, ce sont des éditeurs ?
MOUNIR MAHJOUBI
Comme l'a annoncé le président de la République on va rentrer dans une discussion, donc je prends votre proposition, j'écoute votre proposition, il y en a dautres qui ont été faites, celles des députés il y a quelques années qui ont proposé de créer un troisième statut entre l'éditeur et l'hébergeur...
NICOLAS DEMORAND
Dont la vertu serait ?
MOUNIR MAHJOUBI
C'est qu'il aurait plus de responsabilité que l'hébergeur mais moins que celle de l'éditeur, une reconnaissance du fait quil n'y a pas un véritable choix exhaustif permanent de la plateforme mais une curation semi-complète, c'est complexe comme sujet.
NICOLAS DEMORAND
C'est quoi votre point de vue, vous, Mounir MAHJOUBI ?
MOUNIR MAHJOUBI
Moi mon point de vue cest celui de l'efficacité. Ce que je veux...
NICOLAS DEMORAND
Alors, qu'est-ce qui est efficace ? Parce que c'est une question, on peut imaginer une loi, est-ce qu'on parviendra à faire ce que vous disiez tout à l'heure couvrir tel site, couvrir tel forum, couvrir telle entreprise qui peut d'ailleurs disparaître, arrêter de financer de... qu'est-ce qui est efficace daprès vous ?
MOUNIR MAHJOUBI
Il y a les finalités et les temps d'urgence. C'est-à-dire que pendant une campagne électorale il y a une urgence absolue, et ça se joue en heure, c'est-à-dire qu'une rumeur en période électorale elle peut se diffuser très rapidement, d'où la responsabilité et doù l'annonce du président de la République de dire : « on a un sujet fake news en campagne électorale ». On va prendre le temps de travailler ce sujet parce quil est sensible, parce qu'il touche à la presse et qu'il touche à l'audiovisuel, mais pas que, il touche aussi aux plateformes ; et par contre il y a ce sujet plus général qu'on vient d'aborder sur... qu'on se donne le temps, mais pas trop de temps, parce que vous avez vu ce qui s'est passé sur le harcèlement, on a reproché aux plateformes de ne pas retirer les paroles d'insultes qui étaient mises en ligne, regardez ce qui s'est passé récemment sur les insultes homophobes, sur les insultes antisémites qui restent trop longtemps sur ces plateformes, parce qu'elles ne se sentent pas complètement responsables de devoir l'enlever ou, pire, les communautés de ces plateformes leur reprochent de devenir des censeurs, donc l'équilibre il est très subtile parce qu'à force de demander aux plateformes de supprimer tous ces contenus certaines le font et leurs communautés s'en vont, en disant : « moi, je ne reste pas sur une plateforme de censeur ». Donc il va falloir qu'on trouve des solutions qui vont se baser sur de la régulation, de l'autorégulation, de la sanction, le juge ; il va falloir différencier les contextes d'urgence, période électorale, hors période électorale - et c'est toute cette intelligence-là qu'il va falloir qu'on construise - et l'idéal, le mieux, ce serait de le construire au niveau européen, mais face à l'urgence c'est ce qu'a décidé l'Allemagne : « pas de décision européenne, alors on va en prendre une ». Nous on a une loi, on est le seul pays qui a une loi comme la LCEN de 2004, qui faisait cette distinction et qui protège et qui a déjà une certaine efficacité, la question qu'on se pose aujourd'hui, c'est : comment on fait l'étape d'après ?
NICOLAS DEMORAND
Et comment réagissez-vous ? Parce qu'après, Bernard en parlait, Bernard GUETTA, après l'élection américaine il y a eu évidemment un immense travail de réflexion sur ce qui s'était passé, comment avez-vous réagi aux nombreux travaux qui démontrent que de toute façon c'est de l'ordre de la croyance, donc si vous croyez quelque chose vous allez comment dire vous informer avec éventuellement donc des fake news et que, si les journaux, les médias « sérieux » font le travail pour démonter la rumeur, pour démonter le bobard, ça vous renforce dans vos croyances, c'est-à-dire que c'est une histoire de fou.
MOUNIR MAHJOUBI
C'est le sujet de la vérité et le sujet de la rumeur, la rumeur elle ressemble très fort à la vérité.
NICOLAS DEMORAND
Comment on fait ?
MOUNIR MAHJOUBI
Comment on fait ? Là-dessus vous avez raison il y a un système de croyance...
NICOLAS DEMORAND
Les petits drapeaux rouges ça ne marche pas, les petits drapeaux verts ça ne marche pas, comment on fait pour briser ces croyances ?
MOUNIR MAHJOUBI
On peut briser le début de la propagation. Parce qu'un des éléments très important aux Etats-Unis c'est que ça ne s'est pas fait juste avec des idéologues qui auraient poussé ces débuts de rumeurs, ça s'est fait avec du fric, c'est-à-dire qu'il y a eu plusieurs millions de dollars qui ont été investis pour s'assurer que ces fausses nouvelles soient bien diffusées sur les écrans des personnes, et si vous écoutez ce qu'a annoncé Facebook, Facebook a mis un peu de temps quand même après cette élection pour dire : « Bon ! On ne dit pas mea culpa, mais on dit on a peut-être vu quelque chose, oui peut-être c'est vrai qu'il y a eu quelques... internationaux et quelques investissements importants pendant cette campagne qui ont mis en avant certains de ces contenus », s'il n'y avait pas eu ces investissements publicitaires-là, s'il n(y avait pas quelqu'un derrière qui avait mobilisé des moyens humains et financiers, elle naurait jamais démarré la rumeur, elles n'auraient jamais commencé ces diffusions, parce que la rumeur quand même elle est un peu moins bien foutue que la vérité, donc il faut forcer très fort au début pour la suivre.
NICOLAS DEMORAND
Oui, il faut investir au départ.
MOUNIR MAHJOUBI
Mais après, une fois qu'elle a commencé, vous l'avez raconté - ça nous est arrivés dans la campagne française, c'est arrivé pendant la campagne américaine une fois que tout le monde est certain d'une rumeur, il faut trouver créativement, avec du courage, du courage politique, les moyens de dire : « écoutez, là, c'est des conneries ».
NICOLAS DEMORAND
Autre sujet proprement vertigineux, ce qu'on a appris Dominique SEUX en parlait tout à l'heure cette affaire de faille de sécurité matérielle dans les puces Intel et un certain nombre d'autres marques, il y a très peu de marques cest l'un des problèmes, l'emprise des machines est telle aujourd'hui qu'on reste intellectuellement stupide face aux conséquences possibles de machines structurellement vérolées. Comment avez-vous reçu cette information, que peut-on faire ?
MOUNIR MAHJOUBI
Sur le sujet des puces, des microprocesseurs, dont les deux failles ont été évoquées ce matin, c'est un sujet très complexe techniquement mais vous avez raison de rappeler l'espace vertigineux qu'il ouvre ces machines elles sont sur notre plateau-là aujourd'hui, on en a une dizaine devant nous...
NICOLAS DEMORAND
Voilà, il y en a 4 aujourd'hui et il y en a 20 derrière la vitre en régie.
MOUNIR MAHJOUBI
Derrière nous dans la régie, moi j'ai mon téléphone à côté de moi, tous ceux-là sont des appareils avec des microprocesseurs dont on apprend aujourd'hui que finalement la distinction entre le hard ware - donc ce qui est en dur et le soft ware, eh bien en fait tout est lié, que cette faille elle permet en fait à des logiciels qui peuvent arriver par Internet d'aller utiliser une faille matérielle pour ensuite aller récupérer d'autres informations liées à du logiciel. C'est vertigineux ! Qu'est-ce qu'on fait ? Il faut augmenter le niveau d'expertise des pays, il faut augmenter le niveau de sécurité des entreprises, le niveau de sécurité des citoyens, c'est ce qu'on fait - c'est une des responsabilités qui est la mienne avec l'ANSSI c'est de diffuser les meilleures pratiques de protection. Une entreprise qui mettrait à jour régulièrement son système d'exploitation, qui aurait des systèmes de sauvegarde, de firewall, de protection, elle ne sera pas atteinte par ce type d'attaque parce qu'elle détecterait le fait qu'un flux anormal est en train de sortir de son ordinateur, de son réseau, etc. Aujourd'hui on a sous-investi la sécurité numérique, parce que c'est très pratique un téléphone, qu'un ordinateur finalement c'est déjà beaucoup de choses à apprendre, on ne se rend pas compte des risques potentiels, eh bien il faut absolument continuer à courir vers cette joie de la technologie et du progrès tout en se disant qu'il faut être responsable et qu'il faut se protéger. Il y a tout un enjeu de la sécurité numérique, c'est aussi un marché, c'est aussi un marché où la France est un des leaders mondiaux, c'est un sujet où il faut se dire que la France elle peut gagner, elle peut apporter beaucoup à ces entreprises et elle peut apporter beaucoup dans le monde.
NICOLAS DEMORAND
Intellectuellement peut-être, intellectuellement, industriellement point d'interrogation...
MOUNIR MAHJOUBI
Industriellement on n'a pas mieux.
NICOLAS DEMORAND
Technologiquement point d'interrogation.
MOUNIR MAHJOUBI
Oui, oui. Industriellement on a parmi les plus grands acteurs au monde sur le sujet de la cyber-sécurité - et ça c'est important mais on est et ça c'est aussi une nouveauté cette année on a aussi des petits acteurs de proximité et en France aujourd'hui c'est une vraie industrie au doit nous protéger. Vous savez on se protège physiquement, aujourd'hui ça ne viendrait à l'idée de personne d'avoir un bâtiment où il n' y a pas un digicode, ça ne viendrait à personne d'avoir un bâtiment où il n'y a pas de gardien de sécurité, de caméra, de protéger les bâtiments physiques, il se trouve que sur les bâtiments numériques, que sur les... ça ne se voit pas et, d'ailleurs, vous savez que j'ai défendu ma première loi au Sénat récemment mais personne ne l'a vu qui était sur ce sujet de la responsabilité de certains acteurs économiques à se protéger et, donc, on aura aussi des pouvoirs d'obligation pour certains acteurs, pas tous, quelques-uns, pour ceux qui s'ils étaient contaminés seraient un danger pour les Français.
NICOLAS DEMORAND
Il y avait du monde au Sénat pour vous écouter ?
MOUNIR MAHJOUBI
Pas trop et pas de journaliste, mais ce sujet passionnera les Français j'en suis certain dans les prochaines années.
NICOLAS DEMORAND
Oui ! Et peut-être la baïonnette dans les reins quand on verra que les portables sont ouverts ou semi-ouverts et les ordinateurs sont très fragiles.
MOUNIR MAHJOUBI
Mais plus on aura conscience de ça, plus on sera protégés.
NICOLAS DEMORAND
Mounir MAHJOUBI, il y a énormément de questions encore à vous poser, on vous retrouve après la revue de presse de Claude ASKOLOVITCH.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 janvier 2018