Texte intégral
JULIE LECLERC
Patrick COHEN, vous recevez ce matin la secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, et auteur de « Laïcité, point ! », aux éditions de l'Aube.
PATRICK COHEN
Bonjour Marlène SCHIAPPA.
MARLENE SCHIAPPA
Bonjour.
PATRICK COHEN
Je vous présente Nadia DAAM, chroniqueuse à Europe 1...
MARLENE SCHIAPPA
Très heureuse.
PATRICK COHEN
... qui aura question à vous poser à la fin de cet entretien.
MARLENE SCHIAPPA
Parfait.
PATRICK COHEN
Et avant de commencer, si vous le souhaitez, quelques mots sur France GALL, çà qui vous avez rendu un hommage éloquent hier sur les réseaux sociaux. Pourquoi ?
MARLENE SCHIAPPA
J'adorais France GALL, mais ce n'est pas très original, je pense que comme des millions de Français j'ai été bercée par ses chansons, elle nous a suivis quand même pendant plusieurs décennies et c'était vraiment une immense artiste, également très engagée.
PATRICK COHEN
Marlène SCHIAPPA, vous publiez également un petit livre intitulé « Laïcité, point ! », parce que dites-vous la laïcité ne doit s'accompagner d'aucun adjectif, donc la loi de 1905, rien que cette loi, pourquoi ce besoin de rappeler ces principes ? Ils sont oubliés, négligés ?
MARLENE SCHIAPPA
Oui, négligés, je le crois, je pense que...
PATRICK COHEN
Négligés ?
MARLENE SCHIAPPA
Oui, j'observe en tout cas que la laïcité est souvent instrumentalisée par l'extrême droite, qui en fait simplement une arme contre notamment les musulmans oui contre les immigrés, or, la laïcité ça n'a rien à voir avec cela. La laïcité c'est la liberté de croire ou de ne pas croire, mais c'est aussi et surtout la séparation des églises et de l'Etat.
PATRICK COHEN
Quand vous entendez votre collègue ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique VIDAL, expliquer que les convictions religieuses doivent rester uniquement dans la sphère privée, vous dites qu'il y a encore du boulot, y compris au sein même du gouvernement, pour l'explication de la laïcité de la loi 1905 ?
MARLENE SCHIAPPA
Non, ce n'est pas le sujet. Alors, d'abord, moi je n'ai pas entendu les déclarations de la ministre avant-hier...
PATRICK COHEN
C'est exactement ce qu'elle a dit.
MARLENE SCHIAPPA
Il me semble qu'elle devait... je préjuge, mais je pense qu'elle devait parler pour les professeurs, sans doute, pour les professeurs d'université en disant qu'ils devaient garder chez eux leurs convictions et enseigner de la même manière à tous un chacun, j'imagine.
PATRICK COHEN
En l'occurrence non, elle a corrigé ses propos dans l'après-midi.
MARLENE SCHIAPPA
D'accord, eh bien voilà, je vous ai dit, je ne l'ai pas entendue en contexte, donc, voilà.
PATRICK COHEN
Donc il y a du travail d'explication à faire, y compris au sein du gouvernement. Les Français, en majorité, considèrent que la laïcité est menacée. De votre point de vue, Marlène SCHIAPPA, qu'est-ce qui la menace et qui la menace ?
MARLENE SCHIAPPA
Je pense qu'il y a plusieurs choses qui la menacent, d'abord le fait de ne pas comprendre le terme de laïcité et le fait de rabaisser le débat public. Moi je suis assez frappée que la question qu'on nous pose le plus souvent sur la laïcité, mais je vous remercie de ne pas encore de l'avoir posée, c'est plutôt comme qui pensez-vous, ou sur la ligne de qui pensez-vous, plutôt que, que pensez-vous ? Je pense qu'on veut faire de la laïcité, un sujet d'affrontement alors que c'est profondément un sujet de cohésion sociale, de cohésion nationale, qui peut rassembler le pays. C'est grâce à la laïcité qu'on n'est pas un millefeuille de communauté, qu'on n'est pas une addition de communautés religieuses, qu'on n'est pas assigné à notre identité religieuse. Ici, aucun de nous n'est sommé de dire à quelle religion il appartient, ou s'il n'a aucune religion et pas de croyances religieuses, on n'est pas tenu de le dire publiquement, et c'est grâce à la laïcité que nous sommes une Nation unie et pas cette addition de communautés religieuses.
PATRICK COHEN
Cet affrontement, quand vous en parlez, vous dites - j'ai vu dans une interview deux ennemis s'alimentent l'un l'autre. Vous les renvoyez dos-à-dos ceux qui s'affrontent aujourd'hui sur les questions de laïcité, Marlène SCHIAPPA ?
MARLENE SCHIAPPA
Non, je ne renvoie personne dos à dos, mais j'observe qu'il y a une offensive de la part de radicaux religieux, de la part de l'islamisme, mais pas uniquement, de la part aussi de radicaux d'autres religions, par exemple anti-IVG ou anti-droits des femmes, puisque très souvent que les extrémistes religieux s'en prennent aux droits des femmes, ce ne sont pas des défenseurs des droits des femmes, au contraire, d'une part, et d'autre part, il y a cette mésexplication autour de la laïcité. Moi, je n'aime pas qu'on ajoute un adjectif, qu'on parle de laïcité ouverte, bienveillante, stricte, intransigeante, je crois que la laïcité se suffit à elle-même et c'est pour ça qu'on a appelé ce livre « Laïcité, point ! ».
PATRICK COHEN
Vous parlez d'un combat politique. Si ce combat et c'est important, pourquoi Emmanuel MACRON ne s'en empare-t-il pas ? Pourquoi ce silence du président dans les discours officiels ?
MARLENE SCHIAPPA
Moi, vous savez, je suis assez surprise d'entendre à chaque fois, dire qu'il y aurait un silence du président de la République Il s'est exprimé à de nombreuses reprises et depuis longtemps.
PATRICK COHEN
Non.
MARLENE SCHIAPPA
Ah ben si, par exemple en meeting à Lyon, je vous invite à regarder dans le livre, on cite des propos du président de la République, lorsqu'il était...
PATRICK COHEN
En meeting à Lyon pendant la campagne présidentielle.
MARLENE SCHIAPPA
Voilà, lorsqu'il était candidat...
PATRICK COHEN
Oui, mais là, il est président, ça ne vous a pas échappé.
MARLENE SCHIAPPA
Il n'a pas changé d'avis en quelques mois sur le sujet, je ne crois pas, il expliquait par exemple qu'au nom de la religion, on ne peut pas refuser de serrer la main à une femme, on ne peut pas refuser à des femmes de s'installer à la terrasse de cafés, et que les lois de la République...
PATRICK COHEN
Oui, mais il ne l'a pas dit avec l'autorité qu'il a aujourd'hui du président de la République.
MARLENE SCHIAPPA
Certes, il a également tenu des propos sur la laïcité lorsqu'il a fait ses voeux aux autorités religieuses, en rappelant d'ailleurs que la République était laïque, je crois qu'il n'y a pas de débat sur ce sujet.
PATRICK COHEN
Il a dénoncé une radicalisation de la laïcité, à ce moment-là. C'est quoi, c'est qui ?
MARLENE SCHIAPPA
Alors, d'abord, là ce n'est pas que les propos étaient hors contexte, mais ce sont des propos rapportés.
PATRICK COHEN
Ce n'était pas dans un discours, c'est des propos rapportés, mais ils n'ont pas été démentis ou contestés par la présidence de la République.
MARLENE SCHIAPPA
Non, ils n'ont pas été démentis, mais moi je ne peux pas commenter des propos qui sont des propos rapportés, je ne sais pas s'ils sont véritables ou pas, maintenant je peux imaginer, je ne peux qu'imaginer ou que spéculer sur ses propos, mais moi ce que j'observe, c'est que la laïcité, ça n'est pas l'athéisme forcé. Je pense que c'est important de le rappeler, c'est la séparation des églises et de l'Etat, ça n'est pas l'interdiction des religions. Je pense que c'est ça qu'a voulu dire le président de la République.
PATRICK COHEN
Mais, qui veut forcer à l'athéisme ou qui veut interdire les religions ? Je ne vois pas bien dans le débat public aujourd'hui.
MARLENE SCHIAPPA
Je ne sais pas, encore une fois, il s'agit de propos rapportés, je n'ai pas le contexte de ces propos, donc...
PATRICK COHEN
Ah c'est dommage.
MARLENE SCHIAPPA
Oui, c'est dommage.
PATRICK COHEN
Autres propos rapporté, mais qu'il n'a pas été contesté aussi : « Je ne souhaite pas qu'une religion d'Etat soit substituée aux religions », c'était il y a 3 jours devant aussi les responsables religieux. C'est quoi cette religion laïque dénoncée par le président ?
MARLENE SCHIAPPA
Là non plus, hélas, je ne peux pas vous répondre.
PATRICK COHEN
Zut alors.
MARLENE SCHIAPPA
Eh bien oui, c'est dommage, mais je ne peux pas, moi, m'exprimer sur des propos rapportés, et vous analyser des propos qui sont rapportés.
PATRICK COHEN
Mais vous pouvez concevoir que ces propos-là ou ces expressions-là puissent semer le trouble dans ceux qui sont très attachés à la laïcité ?
MARLENE SCHIAPPA
Oui, moi ce que je comprends, c'est qu'il y a un débat, qui est un débat profond et un débat passionné sur la laïcité, et je le comprends, je suis la première à être complètement passionnée par ce sujet, parce que je pense que c'est un sujet majeur, mais je crois que la politique du gouvernement sur la laïcité, elle est extrêmement claire, je vous invite par exemple à regarder ce que fait mon collègue ministre de l'Education nationale, Jean-Michel BLANQUER, qui a créé des unités laïcité et fait religieux, qui ont vocation à intervenir dans tous les établissements, et qui est en train d'installer son conseil des Sages pour justement réfléchir posément et sereinement sur la laïcité. Le porte-parole du gouvernement, Benjamin GRIVEAUX s'est exprimé samedi soir sur France 2, là encore en rappelant que la République était laïque et notamment sur la place des crèches dans les bâtiments publics, en se prononçant contre.
PATRICK COHEN
Et en particulier, vous avez pu observer vous des comportements préoccupants, quand vous étiez élue locale au Mans.
MARLENE SCHIAPPA
Oui, absolument, moi j'ai eu des directrices d'école, par exemple, qui m'ont rapporté le fait de petits garçons qui ne pouvaient pas donner la main à des petites filles à l'école, mais j'en ai observé également, à ma place de secrétaire d'Etat, quand j'étais en déplacement à l'étranger, j'ai parlé avec des militantes ou des responsables politiques, des élus d'autres pays, qui m'ont dit que dans leur pays il n'y avait pas de séparation des églises et de l'Etat et que donc des religions radicales pouvaient financer des hôpitaux et donc imposer leur loi, par exemple empêcher les femmes d'avoir accès à l'avortement, voire même à la contraception.
PATRICK COHEN
Marlène SCHIAPPA, la laïcité c'est aussi le droit au blasphème, et le droit de blasphémer sans risquer de se faire assassiner. Est-ce qu'il est normal qu'un journal comme Charlie Hebdo vivre derrière des portes blindées, en déboursent environ la moitié de ses recettes, c'est-à-dire un million ou un million et demi d'euros par an pour se protéger des tueurs ?
MARLENE SCHIAPPA
Normal, je ne sais pas, non, on n'a pas envie que ce soit la norme, évidemment, est-ce que c'est choquant ? Oui, c'est profondément choquant. J'ai été, comme absolument tout le monde je crois, extrêmement choquée de ce qui s'est passé il y a 3 ans, penser qu'au XXIème siècle en France on puisse être assassiné par des fous, par des fanatiques religieux, par des terroristes islamistes, parce qu'on a dessiné des choses ou parce qu'on a reproduit des dessins, c'est absolument choquant, et je pense qu'il est important de rappeler que la République française ne reconnaît pas le blasphème, donc on parle par abus de langage de droit au blasphème, mais c'est important de le rappeler, on peut dessiner, y compris ceux qui ne respectent pas les croyances religieuses.
PATRICK COHEN
Et le coût de la protection à la charge du journal et non pas à la charge de l'Etat, c'est ça, c'était ça ma question aussi, est-ce que ça vous paraît normal ?
MARLENE SCHIAPPA
Je pense qu'il y a une vraie question philosophique derrière, sur la sécurité, il me semble que l'Etat assure un certain nombre de sécurité notamment des abords des locaux et ensuite il y a une autre part qui est à la charge du journal.
PATRICK COHEN
Mais l'Etat est aussi garant des libertés publiques...
MARLENE SCHIAPPA
Absolument.
PATRICK COHEN
Et ce que fait Charlie Hebdo en est une. Nadia DAAM a donc une question à vous poser sur votre domaine de compétence : l'égalité femmes/ hommes. Nadia.
NADIA DAAM
Oui, alors ce sont vos propos à vous, donc je pense que vous allez pouvoir les commenter. Dans vos voeux pour 2018, vous avez écrit souhaiter des salaires équivalents à postes équivalents, c'est-à-dire l'égalité salariale, c'est la loi en France, donc ce que vous demandez c'est qu'elle soit respectée, mais si on regarde ce qui se passe ailleurs, on va beaucoup plus loin, puisqu'en Allemagne depuis ce week-end, une femme qui se sent lésée, peut demander à connaître le salaire d'un confrère, d'un collègue. Est-ce que ce n'est pas ça le nerf de la guerre, la transparence ? Est-ce que ce n'est pas ça qu'il faut imposer aujourd'hui ? Est-ce que vous y arriveriez ?
MARLENE SCHIAPPA
Si, c'est une vraie question. On est en train de travailler avec l'Europe, en fait, avec mes homologues européens justement sur ce sujet de la transparence, et on est en train de travailler avec Muriel PENICAUD, également là-dessus, vous savez que les employeurs, les entreprises ont déjà des obligations de déclaration annuelle des salaires, ce qui fait qu'on pourrait en réalité avoir accès aux salaires, mais en terme de moyenne, avec des pourcentages d'écart, mais effectivement, la transparence, moi je crois que ça peut être un des axes.
NADIA DAAM
Et une dernière question : est-ce que c'est très compatible avec l'esprit d'initiative individuelle d'Emmanuel MACRON ?
MARLENE SCHIAPPA
C'est-à-dire ?
NADIA DAAM
Cet affichage, cette transparence des salaires ?
MARLENE SCHIAPPA
Je ne vois pas pourquoi ce serait incompatible, parce que...
NADIA DAAM
Il serait pour, lui ?
MARLENE SCHIAPPA
Eh bien écoutez, a priori, je ne pense pas que le président de la République serait contre, je ne vois pas pourquoi ce serait incompatible. Je pense que ce qui est important c'est de mener ce combat sur tous les fronts, c'est-à-dire que l'égalité salariale, on voit qu'il y a des lois qui existent depuis les années 80, il y en a une quinzaine si on compte les décrets d'application, ça ne marche pas, il reste encore entre 12 et 27 % d'écarts de salaires, donc il faut qu'on fasse de la pédagogie, de l'explication, de l'accompagnement des entreprises, notamment des PME, mais aussi des sanctions. Ce n'est pas normal que des très grandes entreprises, qui ont les moyens de mettre à disposition tous les outils nécessaires, je pense notamment à des logiciels qui calculent les écarts de salaires comme l'OGIVE (phon) en Belgique et qui permettent de les mettre en place, ne fassent rien. On est en train de travailler dessus avec le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, que je préside, et la ministre du Travail d'ici quelques semaines, mois, on devrait présenter un plan dur et très concret.
PATRICK COHEN
Bon, en tout cas l'idée de pouvoir, pour un salarié, savoir ce que gagne son voisin ou sa voisine, de la part d'une femme...
MARLENE SCHIAPPA
Ça ne me choque pas.
PATRICK COHEN
... ça ne vous choque pas, c'est vrai que c'est une bonne idée.
MARLENE SCHIAPPA
Non, ça ne me choque pas. C'est plutôt une bonne idée, oui, bien sûr.
PATRICK COHEN
Ça permet d'avoir un droit de contrôle et de pouvoir éventuellement...
MARLENE SCHIAPPA
Un droit de regard en tout cas. Ça commence par l'information, oui.
PATRICK COHEN
Un dernier mot : est-ce que vous avez été, comme nous, troublée par ce sondage, cette enquête de la Fondation Jean Jaurès et l'association Conspiracy Watch, sur la progression du complotisme et notamment chez les plus jeunes, près de 8 Français sur 10 qui croient au moins à une théorie du complot, Marlène SCHIAPPA ?
MARLENE SCHIAPPA
Eh bien je pense que ça montre quelle pédagogie on doit avoir envers les jeunes et on rejoint là-dessus le sujet de la laïcité. Je pense qu'il ne suffit pas de dire à la jeunesse « il faut défendre la laïcité », ça c'est un dogme aussi de leur dire il faut défendre la laïcité, je pense qu'il faut leur expliquer pourquoi on devrait défendre la laïcité et qu'est-ce qu'elle leur apporte. Et de la même manière, je pense qu'il faut expliquer très concrètement, éduquer aux médias, apprendre à décrypter les messages et apprendre aussi que tout ne se vaut pas, une information qui est donnée par un journaliste, qui est vérifiée, qui est sourcée, n'a pas la même valeur qu'une vidéo montage qu'on va trouver sur Internet.
PATRICK COHEN
Merci à vous M Marlène SCHIAPPA.
MARLENE SCHIAPPA
Merci à vous
PATRICK COHEN
Je rappelle votre livre avec Jérémie PELTIER, de la Fondation Jean-Jaurès justement.
MARLENE SCHIAPPA
Elle est partout.
PATRICK COHEN
« Laïcité, point ! », aux éditions de l'Aube. Et Nadia DAAM, je vous donne rendez-vous tout à l'heure à 09h25, nouvel horaire de votre de votre Billet.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 janvier 2018