Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
L'invitée de France Inter jusqu'à 9h00 est la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, elle publie « Le deuxième sexe de la démocratie » aux éditions de l'Aube, livre qui sera en librairie le 1er février. Marlène SCHIAPPA, bonjour.
MARLENE SCHIAPPA
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
En lisant votre livre, permettez juste une impression de lecteur, on se dit qu'on n'est peut-être pas à l'année zéro de l'égalité hommes/ femmes, peut-être à l'An 1, en tout cas on est très, très, très loin, de l'égalité réelle. La France est-elle particulièrement en retard en la matière ou, ce que vous pointez chez nous reste, au fond, la norme de toutes les démocraties comparables ?
MARLENE SCHIAPPA
En termes de représentation des femmes en politique, effectivement on n'est pas très très bien classé au niveau mondial, mais je crois que c'est un phénomène européen, et l'idée du début de ce livre c'est justement de voir la réalité en face, de sortir de ce mythe de l'égalité déjà là. Et je prends les chiffres, et les noms, et les villes, en prenant par exemple les municipales, on a beaucoup parlé de vague de féminisation en Europe, alors qu'en réalité il y a très peu de femmes maires de grandes villes en Europe, mais, simplement, on les remarque plus parce qu'on insiste, quand un homme est maire on dit que c'est un maire, quand une femme est maire on dit que c'est une femme maire.
NICOLAS DEMORAND
On commence par quoi, le chantier ? Vous dites si on s'y était mis il y a trois, quatre générations, il y a un certain nombre de problèmes, qui semblent monstrueux et impossibles à résoudre, qui seraient .
MARLENE SCHIAPPA
Pour moi, le problème, ce sont les partis politiques, c'est-à-dire que les Françaises et les Français sont prêts à voter pour des femmes, on voit que ce n'est pas un problème, ils ne se détournent pas massivement des candidatures de femmes, le problème c'est l'investiture. Et c'est pour ça que je partage à la fin de ce livre tout le travail qui a été fait par la République En Marche, sous l'impulsion du président de la République, quand il était candidat, pour investir des femmes sur des circonscriptions gagnables. Je crois que c'est vraiment dans les partis politiques que ça se joue.
NICOLAS DEMORAND
Le nerf de la guerre c'est l'argent aussi, et les inégalités de revenu, c'est une forme d'injustice flagrante. Pourquoi ne pas interdire, Marlène SCHIAPPA, une fois pour toute, ces inégalités comme l'a fait l'Islande par exemple, une bonne loi, bien dure, en marbre, qui règle le problème une fois pour toute ?
MARLENE SCHIAPPA
Vous savez, moi je suis assez frappée qu'on me pose cette question parce que, en fait, payer une femme moins qu'un homme parce qu'elle est une femme, en France c'est interdit depuis les années 80, donc il y a eu plus d'une dizaine de lois et de décrets d'application de lois. La première, vraiment dure, c'était la loi Roudy en 83, donc c'est déjà interdit. Notre problème ce n'est pas la loi, ce n'est pas la théorie, notre problème, en France, c'est l'application de la loi, c'est le fait de faire respecter la loi. C'est pour ça, notamment, que le président avait annoncé le 25 novembre que ça ferait partie des priorités de l'Inspection du travail que de renforcer ces contrôles aléatoires dans les entreprises.
NICOLAS DEMORAND
Si la loi existe, et depuis longtemps, si les lois existent, et depuis longtemps, et que le problème est entier, qu'est-ce qui dysfonctionne, où est-ce que ça se passe ?
MARLENE SCHIAPPA
Mais je crois que, d'abord, les employeurs ne sont pas assez informés de ces lois, la preuve, beaucoup ne savent pas qu'elles existent. Vous savez, moi, en juin, j'ai annoncé que nous allions appliquer la loi - pas particulièrement révolutionnaire donc, nous allions appliquer la loi, et donc il y aurait des pénalités financières, et j'ai dû faire face à une levée de boucliers de grandes entreprises m'appelant en me disant « non, il ne faut pas mettre de pénalités. » Donc, ces entreprises ne savaient pas qu'il y avait déjà des lois qui prévoyaient des pénalités. Mais moi je crois qu'il faut les accompagner, donc notre enjeu, nous, c'est de dire on va accompagner les entreprises qui veulent agir, mais qui n'ont pas les moyens, les connaissances, etc., et sanctionner les autres, tout simplement.
NICOLAS DEMORAND
Alors, sans réécrire les lois, puisqu'elles existent déjà, est-ce que vous voyez une ou deux manières c'est Muriel PENICAUD qui a dit ça il y a deux, trois petites choses à changer, si oui, ce serait quoi ?
MARLENE SCHIAPPA
Oui, plus que deux, trois petites choses, on est en train d'y travailler justement avec la ministre du Travail. Il y a des choses qui sont à l'étude, les arbitrages ne sont pas rendus mais, notamment la transparence dans les salaires, je pense que c'est une piste intéressante. L'idée ce n'est pas de savoir combien monsieur, madame, monsieur, précisément, gagnent à la fin du mois, l'idée c'est que les employeurs calculent et publient les écarts de salaires en pourcentage, entre les femmes et les hommes, par exemple service par service, et qu'ils soient rendus publics et que chacun puisse constater quels sont les écarts de salaires femmes/ hommes dans telle ou telle entreprise. Je pense que ça aura un impact sur leur réputation et puis que leur capacité à attirer et fidéliser des talents par la suite.
NICOLAS DEMORAND
On y est dans combien de temps, à votre avis, à l'égalité en passant par tout ce que vous venez de décrire ?
MARLÈNE SCHIAPPA
Ecoutez, le World Economic Forum a calculé que nous y serions, si rien ne change, en 2034 au niveau mondial, donc tout notre enjeu c'est de vouloir gagner deux siècles et quelques. Je ne peux pas vous faire de promesse de résorber les inégalités salariales en 1 an, 2 ans, etc., mais on va tout faire pour qu'à la fin du quinquennat il y ait une vraie différence et que, au moins les 9 % à poste égal, parce que les 27 %, au global, c'est vraiment systémique, il faut travailler dessus, et on le fait, mais ça se verra dans plusieurs années, mais les 9 % à poste égal on doit pouvoir s'y mettre.
NICOLAS DEMORAND
Sur l'outrage sexiste, avez-vous tranché le montant de l'amende ? J'ai lu des fourchettes qui vont de 90 à 750 euros. On se dirige vers quoi dans cette fourchette ?
MARLENE SCHIAPPA
Ce n'est pas encore arbitré, on est en train de regarder ça précisément avec la Garde des sceaux justement, et bien sûr aussi avec le ministre de l'Intérieur. L'idée c'est que, vous savez, les amendes, lorsqu'on verbalise, il y a des classes, donc là, en l'occurrence, le groupe de travail de 5 députés recommande de s'orienter vers une classe 4. Une amende de classe 4 ça veut dire que, ou vous la payez immédiatement et c'est 90 euros quand elle est minorée, et ça peut être jusqu'à 150, ou vous la payez plus tard parce que vous n'avez pas de moyen de paiement sur vous, ou pour toute autre raison, on vous l'envoie chez vous et là ça peut monter jusqu'à 750 euros. Donc ça veut dire qu'on est dans une fourchette d'amende entre 90 et 750 pour le moment.
NICOLAS DEMORAND
Que disent Gérard COLLOMB et les policiers avec lesquels vous travaillez, j'imagine, pour ce qui est des policiers, ceux qui auront la charge de faire vivre cette mesure, de l'appliquer, aujourd'hui ils vous disent quoi, c'est possible, on va pouvoir le faire, c'est parfaitement concevable ?
MARLENE SCHIAPPA
Ecoutez, le ministre de l'Intérieur porte cette mesure, il l'a annoncé à de nombreuses reprises, c'était un engagement de campagne du président de la République, donc effectivement Gérard COLLOMB a ce courage de dire que dans la police de la sécurité du quotidien, eh bien il y aura, parmi les missions principales, la verbalisation du harcèlement de rue. En ce qui concerne les policiers, moi je ne suis pas en contact avec les représentants des policiers, puisque c'est la prérogative du ministre de l'Intérieur, mais j'en rencontre régulièrement. J'étais en Sarthe avec la gendarmerie et la police nationale encore ce week-end pour travailler justement sur l'accueil et la prise en charge des plaintes, et les policiers nous disent qu'ils savent très bien reconnaître le harcèlement de rue et que ça leur semble quelque chose de tout à fait possible que de le verbaliser, en tout cas ils ont à coeur de mieux protéger les femmes.
NICOLAS DEMORAND
Marlène SCHIAPPA, vous avez beaucoup de dossiers en cours avec des arbitrages à faire. Encore une question sur la question de l'âge minimum du consentement sexuel, là aussi est-ce que les choses ont été arbitrées, vers quoi allons-nous nous diriger en France ?
MARLENE SCHIAPPA
Nous sommes en train de préparer la rédaction avec la ministre de la Justice, l'idée c'est d'aller vers 15 ans, c'est le sentiment du président de la République, il l'a indiqué quand il a lancé la grande cause du quinquennat, c'est mon sentiment aussi, c'est ce qui ressort, au demeurant, de notre tour de France de l'égalité femmes/ hommes. Ensuite, on a une question de constitutionnalité, donc là on est vraiment dans les détails techniques de la rédaction pour faire en sorte qu'on puisse indiquer un âge, mais qu'on ne soit pas retoqué par le Conseil constitutionnel, donc nous regardons cela de près avec Nicole BELLOUBET.
NICOLAS DEMORAND
Gérald DARMANIN est sous le coup d'une plainte pour viol, le Premier ministre, ce week-end, lui a renouvelé sa confiance, et vous Marlène SCHIAPPA ?
MARLENE SCHIAPPA
Ecoutez, moi je suis membre du gouvernement, donc le Premier ministre s'exprime au nom du gouvernement, vous savez que je ne compose pas le gouvernement, je ne suis pas Premier ministre.
NICOLAS DEMORAND
Je sens que vous êtes gênée.
MARLENE SCHIAPPA
Non, je ne suis pas particulièrement gênée, qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
NICOLAS DEMORAND
Le fait que François BAYROU et Richard FERRAND ont été contraints à la démission pour des soupçons d'emplois fictifs ou de malversations immobilières, là, une accusation de viol suscite le renouvellement de la confiance. Deux poids, deux mesures ?
MARLENE SCHIAPPA
Non, je ne dirais pas ça comme ça. Moi ce que j'observe c'est qu'il y a eu une première plainte, pour viol, qui a été classée sans suite, ensuite il y a eu une plainte de Gérald DARMANIN pour dénonciation calomnieuse, elle est en cours d'instruction, puis une deuxième plainte pour viol qui est aussi en cours d'instruction. Moi je suis très attachée, vous savez, à ce principe fondateur de la démocratie qui est la séparation des pouvoirs. Moi j'appartiens au pouvoir exécutif, il y a un pouvoir judiciaire, je pense qu'il est important que le pouvoir judiciaire puisse travailler sereinement sans avoir telle ou telle déclaration qui pourrait être considérée comme une intervention et un non-respect de cette séparation des pouvoirs.
NICOLAS DEMORAND
Séparation des pouvoirs et présomption d'innocence, j'imagine.
MARLENE SCHIAPPA
Présomption d'innocence pour tout le monde, c'est-à-dire que Gérald DARMANIN est présumé innocent à ce stade, mais la femme qui est accusée de dénonciation calomnieuse est présumée innocente aussi. Moi j'appelle vraiment à la sérénité et à laisser la justice travailler. La justice, je l'ai toujours dit, pour tout le monde, qu'on soit anonyme, ministre, chanteur, député, elle se rend devant les tribunaux.
NICOLAS DEMORAND
La présomption d'innocence, en même temps vous les citez n'a pas profité aux acteurs, aux gens d'Hollywood, aux différentes personnes qui ont pu être mises en cause ces dernières semaines, ces derniers mois. La « dénonciation », la prise de parole publique était l'alpha et l'oméga du problème, ils sont dénoncés, ils s'en vont, point, pas de présomption d'innocence. Comment, ça, vous le recevez ?
MARLENE SCHIAPPA
Encore une fois, moi je ne veux vraiment pas rentrer dans le détail, mais comparons ce qui est comparable, si on parle par exemple d'Harvey WEINSTEIN, on parle de dizaines et de dizaines de femmes, avec des témoignages concordants, pour viol, et des accusations publiques, je crois qu'il n'y a aucun doute, lui-même a reconnu les faits. Donc, à partir du moment où la personne qui est mise en accusation dit « effectivement, je suis malade et j'ai violé des dizaines de femmes », je crois qu'on ne peut pas plaider son innocence à sa place, en ce qui concerne Harvey WEINSTEIN.
NICOLAS DEMORAND
On verra les questions des auditeurs sur le sujet. Je voulais vous faire réagir, Marlène SCHIAPPA, à l'extrait d'un long entretien que donne Christiane TAUBIRA à Libération ce matin. Sur les questions dont nous parlons, Christiane TAUBIRA dit la chose suivante : « il est temps, maintenant, que les hommes fassent l'expérience de la minorité. » Que pensez-vous d'un propos, d'une analyse de ce type ?
MARLENE SCHIAPPA
Vous savez, je trouve ça compliqué. Moi je pense qu'on n'est pas obligé d'expérimenter quelque chose pour en être solidaire. Il vous apparaît que j'ai la peau blanche, est-ce que je dois expérimenter moi-même le racisme pour avoir de l'empathie et de la solidarité et lutter contre le racisme, je ne suis pas sûre. Mais, là c'est une phrase sortie du contexte, peut-être que le raisonnement de Christiane TAUBIRA, je le pense, en général elle a des raisonnements subtils et plutôt intelligents
NICOLAS DEMORAND
Il est très subtil
MARLENE SCHIAPPA
Donc j'imagine qu'elle a un raisonnement
NICOLAS DEMORAND
Il est très subtil, et je le cite sans lui faire violence
MARLENE SCHIAPPA
Ah bien sûr, bien sûr.
NICOLAS DEMORAND
Ni le sortir de son contexte, c'est simplement de dire bon, eh bien voilà, on est à un moment historique où les hommes, peut-être, doivent faire cette expérience-là. Cette expérience, qui a été celle des femmes historiquement, eh bien les hommes doivent peut-être, aujourd'hui, en passer par là.
MARLENE SCHIAPPA
Si on reste vraiment sur cette phrase, que je sors de son contexte également, les hommes sont une minorité et les femmes représentent 52 % de la population
NICOLAS DEMORAND
Oui, oui, elle s'appuie sur ce chiffre.
MARLENE SCHIAPPA
Nous ne sommes pas une minorité, les hommes sont une minorité. Au demeurant je crois important de souligner qu'il y a aussi des hommes qui sont victimes de violence sexuelle, et on est là peut-être dans un tabou encore plus grand, que j'aimerais travailler et contribuer à lever au cours de l'année 2018. Mais, effectivement, les femmes ont une expérience généralisée, et mondiale, on l'a vu avec MeToo, c'est pareil, de discrimination, de violences sexuelles, elles parlent, depuis des générations, enfin la société se met à les écouter et ça je crois qu'on peut le saluer.
NICOLAS DEMORAND
Marlène SCHIAPPA, à tout de suite, on vous retrouve avec Léa SALAME, avec les auditeurs de France Inter, juste après la revue de presse.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 31 janvier 2018