Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail à Europe 1 le 31 janvier 2018, sur la création d'emplois, la baisse du chômage et la confiance dans le retour à la croissance économique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral


PATRICK COHEN
Bonjour Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Bonjour.
PATRICK COHEN
Je vous présente Eve ROGER, chef du service Société d'Europe 1, qui viendra vous interpeller sur un sujet d'actualité dans quelques minutes. Ça va mieux, l'économie va mieux d'après les chiffres de l'INSEE publiés hier. 1,9 % de croissance l'an dernier. Grâce à quoi, grâce à qui ?
MURIEL PENICAUD
1,9 % de croissance, c'est le meilleur taux de croissance depuis six ans. Donc oui, la croissance s'affirme assez robuste. Ce qui est très important, c'est qu'elle puisse se transformer en emploi. La croissance ne créé pas tout de suite de l'emploi, il y a plusieurs raisons à ça et c'est là-dessus qu'il faut travailler pour que le plus possible ça se transforme en baisse du taux de chômage.
PATRICK COHEN
Ça, c'était ma question d'après. Mais ma première question, c'est grâce à quoi et grâce à qui, la croissance ?
MURIEL PENICAUD
La croissance, il y a plusieurs aspects. Il y a des aspects macro-économiques mondiaux et européens. Toute l'Europe est en croissance. Il y a des aspects liés aux taux d'intérêt. Il y a des aspects confiance qui jouent beaucoup. Aujourd'hui les entreprises investissent plus. Il y a la confiance dans l'avenir.
PATRICK COHEN
La confiance, c'est l'effet Macron, c'est ça ?
MURIEL PENICAUD
Il y a cet effet-là. Il y a les lois sur le renforcement du dialogue social. Il y a eu des effets aussi de long terme sur d'autres mesures qui ont été prises.
PATRICK COHEN
Oui. Vous ne voulez pas dire : « Merci, HOLLANDE ».
MURIEL PENICAUD
Vous savez, il y a une grande partie c'est la macro-économie qui ne dépend pas directement du gouvernement et pour celle qui dépend, je pense qu'un taux de confiance. Dans les PME, j'en ai rencontrées plusieurs milliers, il y a un taux de confiance énorme. L'autre jour, les investisseurs étrangers l'ont dit aussi. Donc oui, toutes les réformes qui sont soit passées, soit à venir, donnent confiance aux personnes qui veulent investir et qui veulent maintenant investir en France ou dans leurs PME. Ça, c'est essentiel, c'est la première étape.
PATRICK COHEN
La macro-économie et la Macron-politique, c'est ça ?
MURIEL PENICAUD
Oui, oui, on peut dire ça.
PATRICK COHEN
La baisse du chômage, elle va arriver, Muriel PENICAUD ?
MURIEL PENICAUD
La baisse du chômage, elle n'est pas automatique. C'est pour ça qu'il faut travailler fortement. Pourquoi ? D'abord parce que quand une entreprise se remet à investir, elle essaye d'abord de faire marcher son outil de travail au mieux. Et donc, il y a parfois des aspects, le travail n'était pas toujours à plein et donc ils vont d'abord faire bénéficier les salariés en interne. Ensuite, il y a un deuxième aspect. C'est qu'aujourd'hui, on voit qu'il y a un grand décalage entre les créations d'emplois et la baisse du chômage parce qu'il y a aussi le fait que les entreprises ne trouvent pas les compétences dont elles veulent et les chômeurs ne trouvent pas l'entreprise qui correspond à leurs compétences. L'année dernière, Pôle emploi a eu 330 000 offres d'emplois qui n'ont pas été pourvues, principalement parce que les métiers changent et donc les qualifications des demandeurs d'emploi ne sont pas forcément celles des métiers de demain. Regardez comme avec l'e-commerce les distributions changent complètement. On achète tout, 15-20 % sur Internet. Ça fait moins de monde dans la distribution classique, beaucoup plus de monde dans les transports et la logistique. Donc il y a des mutations de métiers, c'est pour ça qu'on va investir 15 milliards d'euros sur les compétences notamment des jeunes et des demandeurs d'emploi. Et c'est aussi pour ça qu'il y a cette grande réforme de l'apprentissage et de la formation. Parce que pour que la croissance soit riche en emploi, il faut que le chômeur, le demandeur d'emploi puisse avoir la chance d'accéder au marché du travail et, pour ça, il faut qu'il ait la compétence du futur.
PATRICK COHEN
Réforme de l'apprentissage que vous avez présentée plusieurs fois comme une révolution copernicienne, Muriel PENICAUD. Sylvie BRUNET, membre du Conseil économique et social, vient de vous présenter une quarantaine de propositions : supprimer la limite d'âge de 26 ans, revalorisation des rémunérations, journées obligatoires d'information au collège. Que retenez-vous de ce rapport et quelles sont les priorités à la future loi que vous présenterez au printemps ?
MURIEL PENICAUD
Tout d'abord, je voudrais saluer le travail de Sylvie BRUNET qui a fait un travail remarquable de concertation avec tous les partenaires dans un contexte qui a été un peu sportif comme vous avez pu vous en apercevoir. Parce que quand on fait une révolution copernicienne, oui, ça bouge les lignes.
PATRICK COHEN
Et ce sera vraiment une révolution à l'arrivée ?
MURIEL PENICAUD
Il faut une révolution. Pourquoi ? On a 1,3 million de jeunes - c'est nos enfants, c'est nos familles, c'est nos voisins - qui sont aujourd'hui ni en emploi, ni en formation et qui sont chez eux, sans pouvoir se projeter dans l'avenir. C'est dramatique pour eux, pour l'économie, pour la société. Et donc, il y a un impératif absolu. Or, il n'y a pas de fatalité. Il y a beaucoup de pays européens qui n'ont pas ce chômage de masse des jeunes et une des raisons, ce n'est pas la seule mais c'est une des raisons importantes, c'est la qualification et c'est aussi pouvoir permettre à des jeunes de vivre de leur passion. L'apprentissage, c'est des voies. On peut vivre l'excellence, on peut réussir. Sept sur dix ont un emploi à la sortie. Mais aussi vivre quelque chose qui vous passionne et je crois que c'est aussi le sens que cherchent les jeunes.
PATRICK COHEN
Comment on peut revaloriser l'apprentissage ? On a entendu des chefs d'entreprise sur cette antenne tout à l'heure dans les journaux se plaindre de la complexité du système ou du défaut de pilotage. C'est cela que vous voulez réformer, Muriel PENICAUD ?
MURIEL PENICAUD
Vous savez, quand vous avez une voiture, il y a ce qu'il y a sous le capot. Sous le capot, c'est extrêmement compliqué, le moteur de l'apprentissage.
PATRICK COHEN
On va en dire un mot quand même.
MURIEL PENICAUD
On va s'en occuper mais là, c'est vite au débat d'experts, donc on va s'en occuper avec les régions, les partenaires sociaux.
PATRICK COHEN
Attendez, c'est des sommes considérables. Huit milliards d'euros.
MURIEL PENICAUD
Oui, mais je voudrais d'abord dire qui on veut mettre dans le siège du conducteur. Le siège du conducteur, ce n'est pas les institutions qu'on veut mettre : c'est le jeune et c'est l'entreprise. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le jeune puisse avoir le choix. Il y a quatre mesures que je retiens immédiatement du rapport de Sylvie BRUNET. La première, c'est que tous les jeunes et leurs familles puissent avoir accès pour les différentes formations en apprentissage, et Jean-Michel BLANQUER va le faire aussi pour les lycées professionnels, pouvoir avoir accès. Derrière, on a quelle chance d'avoir un emploi, on gagne combien, quelle est la chance d'accéder au diplôme.
PATRICK COHEN
C'est la journée d'information ?
MURIEL PENICAUD
Ce sera plus que ça, mais c'est tout un travail pour que les jeunes et les familles soient éclairés, puissent faire leur choix. La deuxième, c'est qu'aujourd'hui un jeune ou une entreprise qui rompent le contrat de travail ou qui se rendent compte en janvier, aujourd'hui on leur dit : « Il faut attendre septembre prochain. Vous ne pouvez pas rentrer en cours d'année. » Du coup aujourd'hui, il y a des jeunes qui ont seize ans, dix-huit ans, vingt ans, qui perdent une année. C'est beaucoup une année à seize ans ou à dix-huit ans, beaucoup toute la vie, mais c'est énorme à cet âge-là. Donc là, moi je retiens la proposition qui fait qu'on va pouvoir entrer toute l'année en apprentissage.
PATRICK COHEN
Toute l'année. Sans avoir une échéance en septembre.
MURIEL PENICAUD
Voilà. Ensuite, il faut valoriser les tuteurs et les maîtres d'apprentissage. C'est formidable d'accompagner des jeunes, mais il faut les former – ce que font d'autres pays très bien – les former puis aussi les valoriser et les reconnaître plus. Et puis il y a une chose, et là ça rejoint le sujet sous le capot, c'est qu'aujourd'hui il y a des jeunes et des entreprises qui se rencontrent mais il n'y a pas de financement. Et pourtant, il y a beaucoup d'argent. Mais parce que le système est tellement compliqué que ce n'est pas fluide.
PATRICK COHEN
Et donc ?
MURIEL PENICAUD
Donc là, on va en discuter dans les jours qui viennent avec les régions et les partenaires sociaux. On annoncera avec Jean-Michel BLANQUER et Frédérique VIDAL d'ici quinze jours les conclusions qu'on retient, mais on va avoir un système beaucoup plus simple. En tout cas, on va garantir que pour tout jeune et toute entreprise qui veulent signer un contrat d'apprentissage, le financement existe. Et ça, il faut pour cela fluidifier beaucoup de choses.
PATRICK COHEN
Oui. Tout de même quand même, un mot là-dessus parce que vous avez dit : « C'est beaucoup d'argent en jeu », c'est l'objet d'un puissant bras-de-fer entre les régions, le patronat, les entreprises. Est-ce que dans votre idée les régions doivent avoir moins de pouvoir et les branches professionnelles davantage ?
MURIEL PENICAUD
Dans mon idée, c'est très clair. On ne peut pas avoir d'apprentissage sans entreprises et sans branches parce que c'est un contrat de travail. Et donc, si elles ne sont pas plus responsabilisées, et c'est ce qu'elles souhaitent faire, elles sont prêtes à s'engager, on n'aura pas de développement de l'apprentissage, mais on a aussi besoin des régions, absolument besoin des régions puisqu'il faut aussi veiller qu'on puisse avoir des centres d'information aussi bien dans la Seine-Saint-Denis que dans la Creuse. Et ça, ce n'est pas forcément la branche nationale qui va porter ça. Donc, je vais vous dire, c'est un impératif national pour tous. Notre priorité à tous, c'est les jeunes. C'est ce que je dis à tous et on est en train, on discute beaucoup les uns avec les autres, et je suis assez confiante qu'on va trouver une solution où tout le monde est sur le pont pour les jeunes au lieu de chercher à se tirer la bourre.
PATRICK COHEN
Mais ça va rester en même temps les entreprises, le patronat et les régions.
MURIEL PENICAUD
Ça va être du « en même temps », et il est nécessaire pour que les gens aient un avenir. Notre priorité, c'est les jeunes.
PATRICK COHEN
L'idée de débloquer certains verrous pour les mineurs qui pourraient travailler jusqu'à minuit dans la restauration et plus de huit heures par jour dans le BTP, c'est raisonnable ?
MURIEL PENICAUD
Ça, on va regarder. Il faut regarder très précisément, on ne peut pas répondre comme ça. Aujourd'hui, il y a des règles spécifiques pour les mineurs. Il y a beaucoup de cas où il faut garder des règles spécifiques pour les mineurs. Il y a peut-être des cas où, en fait… En fait, vous savez, les règles ont été fixées parfois il y a longtemps, quand les conditions de travail étaient différentes, quand les outils de travail étaient différents, donc on va regarder cela avec les partenaires sociaux.
PATRICK COHEN
Faire converger les contrats d'apprentissage et les contrats de professionnalisation.
MURIEL PENICAUD
A terme, je pense que ça a vocation à se rapprocher. Aujourd'hui, le contrat de professionnalisation, on peut le faire pendant toute sa vie professionnelle et le contrat d'apprentissage, c'est plutôt pour les premières années, donc il faut réfléchir à tout ça. Ce n'est pas la priorité absolue. Je pense qu'à terme, probablement ça convergera. La priorité, c'est que beaucoup plus de jeunes puissent avoir accès à un métier, un avenir et une passion.
PATRICK COHEN
Au-delà de 26 ans ?
MURIEL PENICAUD
Au-delà de 26 ans, il y a eu des expérimentations faites, qui sont positives, donc on va regarder ça attentivement.
PATRICK COHEN
Aujourd'hui il y a une limite d'âge à 26 ans, Sylvie BRUNET propose de déverrouiller ça.
MURIEL PENICAUD
Oui, on va regarder, parce qu'aujourd'hui on est jeune plus longtemps, si j'ose dire, d'ailleurs toute la vie, on est jeune plus longtemps, et aujourd'hui c'est vrai que 26 ans, qui paraissait très loin il y a 20 ans, c'est quelque chose qu'on va regarder.
PATRICK COHEN
L'idée, encore, d'une agence de l'apprentissage qui orienterait les familles et accompagnerait le jeune tout au long du parcours.
MURIEL PENICAUD
Alors ça je ne sais pas. Moi, avant de créer une agence, un truc de plus… on va d'abord faire travailler tout le monde ensemble, mais je ne vais pas créer une agence pour travailler ensemble, on va d'abord faire travailler tout le monde ensemble et après on verra si une agence est nécessaire à tout le monde pour perfectionner le système.
PATRICK COHEN
Conclusion à la mi-février et projet de loi au printemps.
MURIEL PENICAUD
Projet de loi au printemps.
PATRICK COHEN
Eve ROGER a une question pour vous.
EVE ROGER
Oui, vous avez commandé, avec vos collègues ministres DARMANIN, BUZYN et SCHIAPPA, un rapport sur l'allongement du congé paternité, qui est aujourd'hui de 11 jours. Alors, l'allongement du congé paternité, on le comprend, c'est pour que le père puisse profiter plus longtemps du nouveau-né, c'est aussi une façon…
MURIEL PENICAUD
Soulager un petit peu la mère aussi.
EVE ROGER
Voilà, s'investir plus dans les tâches domestiques et parentales. Alors, je voulais vous demander deux choses. D'abord, quelle est la durée idéale, pour vous, d'un congé paternité, et puis deuxièmement, est-ce qu'il ne faudrait pas le rendre obligatoire, parce que justement ça l'est pour les femmes, on sait que 3 hommes sur 10 ne le prennent pas, parce qu'ils ont le sentiment que l'employeur peut les regarder bizarrement, est-ce que ce ne serait pas les protéger que de rendre ce congé paternité obligatoire ?
PATRICK COHEN
Idée soutenue par Valérie PECRESSE.
MURIEL PENICAUD
Oui, j'ai entendu. Pour moi le sujet… on ne peut pas dissocier le sujet congé maternité et paternité, totalement des autres sujets. Je pense que le sujet égalité femmes/ hommes est la grande cause du quinquennat, qu'il y a beaucoup à faire sur tous les terrains, vous avez que je souhaite, avec Marlène SCHIAPPA, m'engager fortement aussi sur l'égalité salariale femmes/ hommes, parce que tout ça est lié. Une des raisons pour lesquelles les congés parentaux c'est les femmes qui le prennent, c'est aussi parce qu'il n'y a pas les mêmes salaires, parce qu'il y a aussi des tas de jeunes pères qui aimeraient le prendre sinon, et le sujet congé paternité c'est cet équilibre progressif qui se fait dans la société. Donc, moi je n'ai pas d'idée, a priori. En général, quand je commence une concertation, je sais juste que c'est un sujet qui est important, et donc qu'il faut la peine d'être…
EVE ROGER
Pas d'idée, un mois, deux mois, trois mois ?
MURIEL PENICAUD
Ce n'est pas le rôle du ministre d'avoir une idée a priori, la conclusion, quand on discute avec les gens, il faut d'abord écouter, se forger une opinion, je sais juste que ce sujet-là, à côté de l'égalité salariale, pour moi qui est au top de ce qu'on doit faire, ça fait partie des sujets qu'on va étudier et donc…
PATRICK COHEN
Mais enfin, Marlène SCHIAPPA elle a des idées plus avancées que vous….
MURIEL PENICAUD
Oui, mais…
EVE ROGER
Alors, obligatoire ou pas obligatoire ?
MURIEL PENICAUD
Moi je ne suis pas sûr qu'on change les moeurs d'une société par obligation, par contre la loi elle peut accompagner, anticiper parfois, encourager, autoriser. Par exemple, la rémunération, c'est déjà dans la loi depuis 35 ans, ce n'est pas respecté, on va travailler avec tous les acteurs, les partenaires sociaux, ils ont commencé à me faire des propositions sur quelque chose qui fait qu'on éradique ça – il y a 9 % des cas, travail égal/ salaire égal – pour moi ça c'est la priorité. Le congé paternité c'est quelque chose d'intéressant aussi parce qu'il accompagne l'évolution des rapports hommes/ femmes, mais ça s'inscrit dans un ensemble, pour moi, qui… la cause des femmes c'est aussi la cause des hommes.
PATRICK COHEN
Merci Eve ROGER. Merci Muriel PENICAUD, ministre du Travail, d'être venue ce matin en direct au micro d'Europe 1.
source : Service d'information du Gouvernement, le 1er février 2018