Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation à Europe 1 le 15 janvier 2018, sur la réforme de l'admission à l'université et la mise en place de "Parcours Sup".

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral


JULIE
Il est 8 h 15, vos invités Patrick COHEN la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation et le ministre de l'Education nationale.
PATRICK COHEN
Avec nous les deux ministres concernés par la réforme de l'admission à l'université et ces choix qui vont alimenter les discussions dans des centaines de milliers de familles, à ma droite donc l'éducation jusqu'à la fin du secondaire, c'est vous Jean-Michel BLANQUER, bonjour...
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour.
PATRICK COHEN
A ma gauche les universités qui a raison d'une dizaine de voeux par bachelier vont avoir à gérer sept à huit millions de voeux dans les prochaines semaines, bonjour Frédérique VIDAL...
FREDERIQUE VIDAL
Bonjour.
PATRICK COHEN
Est-ce que vous reconnaissez que cette mise en place de Parcours sup sera forcément difficile ?
FREDERIQUE VIDAL
D'abord c'est une mise en place à laquelle à la fois dans le secondaire et dans le supérieur les gens se préparent depuis maintenant plusieurs mois, je rappelle aussi que ce qui va se mettre en place c'est tout d'abord une meilleure orientation – et ça c'est ce qui se passe dès à présent dans les lycées – et puis un meilleur accompagnement une fois que les étudiants seront au sein de l'université.
PATRICK COHEN
Dans les lycées, justement Jean-Michel BLANQUER, ce sont les notes de première et de terminale et les avis des professeurs principaux qui vont compter pour les étudiants...
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui.
PATRICK COHEN
Pour les futurs bacheliers ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, absolument, parce que le mot-clé de ce qui est en train de se passer et que vivent déjà les lycéens de terminale c'est le mot d'humanisation, auparavant on avait le tirage au sort, on avait quelque chose qui était anonyme, aujourd'hui on a quelque chose qui tient compte de chaque personne ; et ce ne sont pas seulement des mots, c'est déjà une réalité, puisque depuis le mois de novembre il y a un deuxième professeur principal en classe de terminale, c'est-à-dire qu'on arrive à avoir deux professeurs principaux – ce qui permet d'encadrer mieux les élèves et de leur faire des conseils, de leur donner des conseils, et puis vous avez aussi les conseils de classe qui se sont transformés dès la fin du premier trimestre davantage en un moment de conseils pour les premières idées que les élèves formulent et puis, maintenant, on arrive à un moment important puisqu‘avec l'ouverture de la plateforme aujourd'hui il y a aussi quelque chose de plus personnalisée quant à l'information qui est donnée aux élèves.
PATRICK COHEN
Mais du coup, c'est l'une des critiques qu'on vous formule, on ne donne pas à des élèves moyens la chance de pouvoir progresser une fois arrivés à la fac, on regarde les notes, les derniers éléments du parcours du secondaire ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, je crois que c'est tout le contraire, et c'est d'ailleurs le sens même de l'ensemble des réformes que nous faisons c'est d'arriver à avoir un parcours plus personnalisé, d'avoir d'abord consolidé les fondamentaux parce qu'aujourd'hui un des problèmes à l'arrivée à l'université c'est que les élèves n'ont pas assez consolidé ne serait-ce que la maîtrise d'un français écrit correct - c'est un sujet qu'il faut regarder en face et sur lequel nous sommes évidemment très attelés – donc il y a aussi tout un accompagnement, toute une orientation positive qui doit se faire, donc plutôt que de se voiler la face devant les problèmes, tout un travail a été fait par Frédérique VIDAL – et avec moi bien entendu en soutien – pour réussir aujourd'hui à ce qu'il y ait plus de personnalisation de l'orientation.
PATRICK COHEN
On ne tient pas compte du bac par exemple non plus, les résultats au bac ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Vous avez raison de dire ça parce que la réforme du baccalauréat qui est en train de se préparer va évidemment prendre en compte tout ce qui est en train de se passer au titre de l'entrée dans l'enseignement supérieur...
PATRICK COHEN
Oui, mais la réforme c'est pour 2021 ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, il y aura déjà des premiers signaux, des premiers éléments intéressants - par exemple pour la classe de seconde l'année prochaine - pour avoir plus d'éléments d'orientation, pour plus aider les élèves. Si vous voulez il y a une cohérence, c'est pour ça qu'on est tous les deux ce matin, c'est parce que ce que nous faisons l'un et l'autre fonctionne évidemment de façon cohérente et articulée, c'est Frédérique VIDAL qui s'occupe de cette question d'arrivée dans l'enseignement supérieur et en amont on droit travailler dans l'enseignement secondaire pour beaucoup plus accompagner les élèves, le but c'est la réussite de tous les élèves, aujourd'hui la situation dont nous sommes partis ce n'est pas le cas, vous avez des taux d'échec de l'ordre de 60 % - c'est inacceptable – et nous travaillons pour que cela change, mais avec des choses sérieuses
PATRICK COHEN
Frédérique VIDAL, la réussite de tous les élèves – dit Jean-Michel BLANQUER – quitte à ce que les choix de ces élèves ne soient pas forcément satisfaits, ne soient pas pris en compte, des universités pourront choisir sur dossier donc ?
FREDERIQUE VIDAL
Justement là-dessus il faut être très, très clair, l'objectif c'est que les universités acceptent tous les élèves, mais simplement qu'elles prennent en compte – comme disait Jean-Michel BLANQUER – le bagage avec lequel ces élèves arrivent dans l'enseignement supérieur, il n'est pas question que les universités disent non, le baccalauréat reste le diplôme d'accès à l'enseignement supérieur ; et vous évoquiez tout à l'heure les élèves moyens, les élèves moyens ont tout à fait leur place à l'université, mais simplement on va les aider à mieux réussir...
PATRICK COHEN
Ils ont leur place, mais pas la place de leur choix à eux forcément ?
FREDERIQUE VIDAL
Absolument ils ont la place de leur choix, puisque l'objectif c'est vraiment qu'ils fassent des voeux et qu'ensuite on puisse les accompagner dans leur réussite, les filières en tension nous ouvrons 200.000 places pour qu'elles ne le soient plus à la rentrée 2018 et donc l'idée c'est vraiment qu'on accompagne chaque bachelier dans la filière qu'il aura choisi de façon à ce qu'il réussisse. Donc moi je suis ravie que les universités s'emparent de ce sujet et que les enseignants-chercheurs préparent l'arrivée de ces étudiants, l'objectif c'est de dire oui et d'accompagner.
PATRICK COHEN
Précisément pour les parents et les adolescents qui nous écoutent, ces voeux, 10 voeux à formuler, ils ne sont pas hiérarchisés, dans la vraie vie ça ne se passe pas comme ça, on a une, deux, trois filières éventuellement qu'on a envie de faire et pas les sept autres, donc on est face à des choix par défaut éventuellement ?
FREDERIQUE VIDAL
Non, là aussi il faut voir d'où part. Donc on part de 24 voeux hiérarchisés, ça c'était la situation de l'an dernier, donc comme vous le disiez on a un petit peu de mal à croire que si le processus d'orientation c'est bien fait un bachelier ait encore envie d'explorer 24 voies – c'est pour ça qu'on a réduit à 10 voeux – et l'absence de hiérarchie c'est parce que ça permet au lycéen jusqu'au résultat du baccalauréat d'affiner ses choix, mais ils ne sont pas obliger d'en faire 10 non plus, s'ils savent ce qu'ils faire ils peuvent en faire beaucoup moins bien sûr.
PATRICK COHEN
Les réponses des universités arriveront à partir de ?
FREDERIQUE VIDAL
Du 22 mai.
PATRICK COHEN
22 mai, et il y a – vous avez vu – le mouvement de grogne ou d'inquiétude dans un grand nombre d'universités sur cette masse de données, de voeux à traiter, de réponses à trouver, ça se fera sans difficulté ? Vous avez vu qu'il y a des mouvements de refus face à cela ?
FREDERIQUE VIDAL
D'abord moi je suis tout à fait confiante dans la responsabilité des enseignants-chercheurs dans les universités, je rappelle que 56 % des bacheliers s'inscrivent dans des filières sélectives dans lesquelles il y a un examen de dossier – donc là c'est une généralisation à la totalité des bacheliers – et puis j'ai entendu sur votre antenne des gens qui disaient : « nous dirons oui à tout le monde », ça tombe bien parce que c'est le principe, c'est de dire oui à tout le monde.
PATRICK COHEN
Oui, c'était à Clermont-Ferrand, on en a parlé tout à l'heure dans le journal de 8 h. Jean-Michel BLANQUER, vous n'êtes pas inquiet par ces mouvements de résistance ici et là dans le corps professoral ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce que je vois beaucoup c'est aussi des mouvements de soutien, c'est-à-dire qu'il y a énormément de gens qui voient qu'il y a un énorme progrès qui est accompli. L'année dernière...
PATRICK COHEN
C'est sûr que l'ancien système n'est pas regretté du tout, oui.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Tout à fait, personne ne le regrette, et tout le monde comprend bien qu'on est en train de faire un pas dans la bonne direction. C'est un pas dans la bonne direction d'abord parce qu'il y a d'abord cette humanisation dont je parlais, c'est-à-dire cet accueil, ce soutien personnalisé pour l'orientation et puis après ce soutien personnalisé une fois à l'université pour consolider ses savoirs, donc beaucoup de gens comprennent çà, en tout ca tous ceux qui ont envie de bonne foi d'aller vers l'intérêt général le comprennent ; et puis, deuxièmement, c'est évidemment un travail collectif que tout le pays doit faire, ce n'est pas seulement un sujet de deux ministres, c'est le sujet de la société française pour permettre que tous nos jeunes réussissent et, pour cela, ils doivent se répartir de manière beaucoup mieux pensée qualitativement dans les différentes formations - et c'est aussi pour ça qu'on crée des places - par exemple on va créer des places de BTS parce qu'on sait qu'on a des bacheliers professionnels qui vont mieux réussir en BTS qu'à l'université. Donc, on est sur un travail qualitatif, ce qui va de paire d'ailleurs aussi avec un travail quantitatif parce qu'on est capables de créer des places dans certains endroits, mais de façon pertinente, pas de façon aveugle, le but ce n'est pas de faire de la démagogie, ce n'est pas d'envoyer les jeunes dans des formations où ils vont échouer, le but c'est de les faire réussir.
PATRICK COHEN
Justement, Jean-Michel BLANQUER, vous refusez le mot sélection, quand vous vous retrouvez à une place, à un endroit que vous n'avez pas choisi forcément c'est une forme de sélection ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Nous voulons diminuer toutes les situations où les jeunes sont dans un endroit où ils ne sont pas bien, donc c'est exactement ce que nous sommes en train de faire de réussir cela, de le faire de façon beaucoup plus harmonieuse, évidemment c'est la rencontre des désirs des étudiants et des possibilités des universités, mais c'est aussi une manière de les accompagner pour qu'ils...
PATRICK COHEN
Il n'y a pas de sélection !
JEAN-MICHEL BLANQUER
On n'utilise pas le mot sélection parce que ce mot c'est un mot typiquement... qui divise en France, ce qui est beaucoup plus intéressant c'est une orientation réussie et c'est ce qu'on est en train de faire.
PATRICK COHEN
Les universités peuvent choisir et donc il y a quand même une forme de sélection. Vous avez aussi modifié ou assoupli si j'ai bien lu les critères géographiques, est-ce que ça ne risque pas d'entraîner une concurrence entre établissements, Frédérique VIDAL ?
FREDERIQUE VIDAL
En fait ce que nous avons autorisé c'est qu'il puisse y avoir des candidatures à l'extérieur de l'académie d'origine, c'est évidement au niveau des rectorats que se feront ces autorisations de changement d'académie, et c'est quelque chose qui nous aide parce que les frontières administratives ne correspondent pas toujours à la réalité du terrain et parfois on est refusé dans un BTS de son académie mais l'académie d'à côté a de la place et ce n'est pas forcément plus loin en termes de kilomètres.
PATRICK COHEN
Il n'y a pas le risque de voir certaines universités aspirer les meilleurs lycéens de terminale ?
FREDERIQUE VIDAL
Non, c'est justement pour ça que ce sont les recteurs qui fixent le nombre d'accueil possible d'étudiants qui viendraient d'une autre académie.
PATRICK COHEN
Jean-Michel BLANQUER, est-ce que cette réforme n'affaiblit pas un bac déjà affaibli compte tenu du taux de réussites, près de 90 % je le rappelle pour le bac général, 60 % de lycéens qui ont une mention – dont 13 ou 14 % de très bien - quand vous avez eu le bac j'imagine c'était 1 ou 2 % seulement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui c'était quelque chose comme ça en effet, ne soulignez pas à ce point-là mon ancienneté...
PATRICK COHEN
La mienne aussi.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Mais en tout cas il y a un pas dans la bonne direction, c'est évident, c'est-à-dire que vous allez avoir une cohérence entre ce qui se passe à l'université et ce que nous allons faire pour le baccalauréat. Comme vous le savez nous aurons une réforme du baccalauréat dont les effets se verront en 2021 mais qui aura déjà un impact sur le lycée auparavant, c'est toujours la même philosophie, c'est-à-dire aider vraiment les élèves, les accompagner dans leur orientation, leur permettre de faire des choix mais aussi de faire des erreurs - et donc la notion de passerelle est extrêmement importante dans ce que nous sommes en train de faire - et donc ce que nous voulons, notre principal objet si vous voulez c'est lutter contre l'échec, l'échec qui aujourd'hui se constate souvent en fin de première année à l'université mais qui en réalité peut avoir des causes beaucoup plus en amont et demain nous aurons donc un baccalauréat beaucoup plus significatif et qui permettra beaucoup plus à réussir ensuite dans ses études supérieures.
PATRICK COHEN
Et un baccalauréat qui déterminerait éventuellement la place qu'on pourra avoir dans l'enseignement supérieur ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, c'est plus complexe que ça, c'est plus... que ça, puisque vous savez il y aura du contrôle continu dans la prise en compte du baccalauréat, aujourd'hui c'est déjà le cas, aujourd'hui quand vous allez par exemple vers les filières sélectives de l'université on regarde vos notes de première et puis de premier trimestre, voire de deuxième trimestre de terminale....
PATRICK COHEN
Donc, ça revient à une forme de contrôle continu.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Et le contrôle continu va avoir plus d'importance dans le futur, ça c'est certain.
PATRICK COHEN
Merci Jean-Michel BLANQUER ministre de l'Education nationale, merci à vous Frédérique VIDAL ministre de l'Enseignement supérieur d'être venus tous deux ce matin au micro d'Europe 1.
source : Service d'information du Gouvernement, le 16 janvier 2018