Déclaration de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, sur la construction européenne, à Paris le 29 janvier 2018.

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Circonstance : Petit-déjeuner avec les Centres d'information Europe Direct (CIED), à Paris le 29 janvier 2018

Texte intégral


Chère Isabelle Jégouzo,
Chère Isabelle Coustet,
[+ Alain Dumort, chef de la représentation régionale à Marseille et Muriel Mouret, cheffe du bureau d'information à Marseille]
Mesdames et Messieurs les responsables de centres d'information Europe Direct,
Bienvenue à tous au Quai d'Orsay. C'est un grand plaisir pour moi de vous accueillir ce matin et je suis heureuse que la réunion plénière de votre réseau, fraîchement renouvelé, nous donne l'occasion de cet échange dans ces lieux qui ont marqué l'histoire européenne puisque c'est à quelques pas d'ici que Robert Schuman a appelé le 9 mai 1950 au lancement de la communauté européenne du charbon et de l'acier.
La ministre des affaires européennes que je suis a deux missions complémentaires : faire comprendre et partager nos positions à nos partenaires européens et faire comprendre et aimer l'Europe à nos concitoyens.
Nous avons donc en commun vous et moi, cette tâche passionnante et complexe, qui consiste à entretenir chez nos concitoyens leur désir d'Europe. Trop souvent, les Français perdent de vue la profonde audace et les résultats marquants de la construction européenne, qui a permis de bâtir un plus grand espace mondial de liberté, de prospérité et de solidarité.
Bien sûr, La ministre des affaires européennes que je suis et qui sert un président comme Emanuel Macron, ne part pas dans les conditions les plus défavorables pour porter la parole européenne de la France.
Premièrement, parce que le projet de transformation de la France présenté par le Président de la République durant sa campagne est également un projet européen. C'est la première fois dans l'histoire de notre pays qu'un candidat à la présidence de la République affiche aussi ouvertement une ambition européenne – alors que trop souvent en France nos hommes politiques ont eu l'Europe honteuse.
Alors que le récit dominant décrivait notre pays en train de s'enfoncer dans une lente dépression, bercé de déclinisme, de frilosité et de nostalgie, les Français ont envoyé un message fort et clair lors de l'élection présidentielle : oui au changement et oui à l'Europe, mais à une Europe plus simple, plus efficace, plus juste.
Fort de ce mandat donné par les Français, le Président s'est exprimé avec force d'abord à Athènes le 7 septembre, puis à la Sorbonne le 26 septembre en fixant un cap et en proposant une vision à l'Union européenne. Mais au-delà des discours, c'est par les actes que nous pourrons convaincre les Français que l'Europe les protège. Dès octobre, un premier signal positif a été l'accord du Conseil pour une révision en profondeur de la directive sur le détachement des travailleurs.
Cette vision ambitieuse d'une refondation de l'Europe, nous nous sommes attelés à la réveiller chez nos partenaires européens. Elle est entrée en résonance avec les propos forts du Président Juncker lorsqu'il a présenté sa feuille de route pour une Union plus unie, plus forte et plus démocratique. Aujourd'hui un processus est enclenché pour une refondation de notre Union. Dès l'automne dernier, le lancement du Leaders' Agenda, mené par le Président Tusk nous a permis de commencer à travailler tous ensemble à cette refondation.
C'est en ce « moment », si particulier et si constructif que nous avons, vous et moi, la responsabilité de parler d'Europe aux Français.
Nos concitoyens sont profondément attachés, dans leur grande majorité, à la construction européenne comme à l'Euro. Pour autant depuis des années, en France comme dans de nombreux pays européens, le projet européen est mal compris et parfois mal accepté. L'Europe est aujourd'hui perçue comme trop lointaine et technocratique. Elle suscite trop souvent une forme d'indifférence résignée, au pire une réaction de rejet qui ne peut pour autant rien régler. Beaucoup de nos compatriotes soutiennent le projet européen mais n'approuvent pas la façon dont l'Union fonctionne au quotidien. Comment ignorer le nombre élevé d'électeurs qui, à l'élection présidentielle, ont voté pour des candidats eurosceptiques, voire europhobes ou ne pas voir, scrutin après scrutin, s'éroder le taux de participation aux élections européennes ?
Nombre d'entre vous dirigent des CIED depuis plusieurs années. Je suis sûre que vous partagez le constat alarmant que le discours sur l'Europe est trop souvent confisqué par ceux qui font commerce de sa détestation et qui n'aiment rien temps que de faire de l'Europe un épouvantail bien commode.
Pour autant, certaines critiques à l'égard de l'Europe comportent une part de vérité. Vous serez peut-être surpris d'entendre cela de la bouche d'une Ministre chargée des affaires européennes. Mais ce n'est pas parce que nous aimons l'Europe que nous devons nous interdire une critique lucide pour mieux la refonder, au contraire. Avons-nous assez salué ce que l'Union européenne rendait possible, ce qu'elle apportait concrètement à nos concitoyens ? Avons-nous assez exigé qu'elle se réforme. N'avons-nous pas laissé s'approfondir l'entre soi des experts et des élites de l'UE, au risque de laisser les peuples toujours un peu plus à l'écart ?
L'enjeu est bien aujourd'hui de démontrer par la preuve aux Européens, et en particulier aux Français que leur sécurité, leurs valeurs et le modèle social et économique auquel ils sont attachés ne sont pas menacés, mais peuvent au contraire être renforcés par l'Union européenne. C'est à l'échelle européenne, et à l'échelle européenne seulement, que nous parviendrons à réguler la mondialisation, en s'appuyant sur la créativité et les valeurs d'un continent plus prospère, plus pacifique, plus ouvert que tous les autres.
Mais pour agir et convaincre il faut d'abord écouter.
C'est parce que nous voulons entendre les aspirations des Européens, ce qu'ils attendent de l'Europe, ce qui les agace, ce qui leur manque, ce qu'ils proposent … que nous avons proposé de lancer les consultations citoyennes sur l'Europe.
Cette proposition a déjà reçu un écho très favorable dans une quinzaine d'États-membres. Le Président de la Commission a confirmé qu'il apportait son soutien. L'idée est de mener un grand exercice de réflexion et de débats sur l'Europe de demain mais aussi sur l'Europe d'aujourd'hui, celle du quotidien, celle que vit l'apprenti qui se forme à son métier, le chercheur qui échange avec ses homologues à travers le continent, l'agriculteur qui cherche le modèle le plus durable pour son exploitation, l'entrepreneur qui veut rassembler des talents et conquérir des marchés …
Ensemble nous allons faciliter cette discussion citoyenne large, de façon transpartisane, en donnant la parole à tous les milieux sociaux-professionnels, à toutes les tranches d'âges, grâce des débats à travers les territoires, à des exercices de démocratie participative et à des consultations numériques. L'ensemble de la démarche se tiendra d'avril à octobre 2018. Ici, au Quai d'Orsay, une équipe dédiée est constituée. A Bruxelles, une première réunion se tiendra dans quelques jours avec les Etats membres participants et la Commission. Nous agirons ensemble autour de principes, d'une méthode et d'un calendrier communs. Dans cette démarche, la Commission, gardienne de l'intérêt général européen, a un rôle essentiel à jouer, notamment sur la partie numérique, puisqu'il s'agit de s'adresser à tout le monde en même temps et d'écouter tout le monde.
Au-delà de ce que les Etats membres mettront directement en place, nous souhaitons surtout nous appuyer sur les collectivités locales, les réseaux professionnels, les universités, le tissu associatif, les entreprises, les syndicats et évidemment la société civile, pour que les débats émergent du terrain. Nous voulons labelliser les opérations menées par ces différents acteurs qui s'engageront à respecter des critères simples et clairs que nous définirons ensemble : publicité des débats, respect du pluralisme des opinions, engagement à restituer la teneur des consultations.
Cette démarche ne remplace pas les dialogues citoyens organisés par la Commission, elle vient les compléter. Ensemble, Commission et États-membres nous avons le même intérêt à renforcer la dimension citoyenne de la construction européenne, à écouter les aspirations des peuples européens pour nous en servir comme source d'inspiration pour la refondation de l'Europe.
A la tête de l'équipe en charge du pilotage des consultations citoyennes, j'ai nommé Arnaud Magnier qui est présent ce matin. Dans quelque temps, un point de presse permettra de présenter la démarche des consultations citoyennes au public. Une chose est sûre, nous aurons besoin de la mobilisation de tous les amis de l'Europe. Parce que, ne nous voilons pas la face, les eurosceptiques et les europhobes se feront entendre haut et clair. Rien ne serait pire que de leur laisser le champ libre !
Vous, centres d'information sur l'Europe, placés à l'intersection de tous les réseaux européens sur le territoire, avez bien sûr un rôle majeur à jouer. Outre les consultations citoyennes sur l'Europe que vous voudrez organiser vous-mêmes, les initiatives des élus, des acteurs économiques, des citoyens engagés devront pouvoir s'appuyer sur la ressource que représentent les CIED.
Ils auront besoin d'expertise, ils auront besoin d'animateurs pour les débats ou les événements de démocratie participative, ils auront besoin de locaux. Ils auront besoin de vous et je sais que vous répondrez présents !
Ces consultations donneront lieu à des recommandations qui seront examinées par les Chefs d'Etat et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen. Cette « photographie » de l'opinion publique les aidera pour refonder l'Europe.
Elles serviront aussi à préparer au mieux l'échéance des élections européennes de mai 2019. Soyons clairs, il ne s'agit en aucune façon d'anticiper la campagne électorale. C'est précisément la raison pour laquelle nous avons pris soin que les consultations s'achèvent fin octobre, afin qu'il ne puisse y avoir aucune confusion. Alors bien entendu, les partis politiques qui mèneront la campagne bénéficieront d'une connaissance sans précédent des attentes des électeurs par rapport à l'avenir de l'Europe. Nous veillerons, avec l'appui d'un comité composé de représentants des différents partis représentés au Parlement, au respect plein et entier du caractère transpartisan des consultations citoyennes. Nous espérons en revanche que ces consultations, en nourrissant le débat public, contribuent à un nouvel intérêt pour les questions européennes et permettent de faire en sorte qu'enfin la campagne électorale porte principalement sur les sujets européens.
Ne laissons personne voler leur caractère européen au aux élections de mai 2019 ! C'est pour renforcer ce caractère européen que le gouvernement a fait le choix, après de larges consultations, de mettre en place une circonscription unique, comme dans la grande majorité des Etats membres.
C'est le même esprit qui nous pousse à soutenir la création de listes transnationales pour le Parlement européen. Nous proposons ainsi que quelques dizaines de sièges soient dès 2019, consacrés à la mise en place d'une circonscription européenne pourvue par des listes transnationales, pour incarner ce débat européen que nous appelons de nos voeux. Pourquoi devrions nous nous résoudre à ce que les élections européennes restent 28, bientôt 27 débats étanches et parallèles, menés chacun chez soi ? Sur des enjeux essentiellement nationaux la bataille pour créer cette circonscription européenne n'est pas gagnée d'avance.
Mais une dynamique est en train de se mettre en place : la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen s'est prononcée officiellement en faveur de cette idée, le Parlement lui-même se prononcera le 07 février, le Conseil européen échangera sur cette question le 23 février. A nous de renforcer l'élan et de tirer pleinement parti de l'opportunité historique que constitue, avec le retrait britannique, la possibilité de récupérer jusqu'à 73 sièges pour corriger les injustices de représentation au regard du poids démographique des Etats membres mais aussi pour créer une circonscription européenne.
Mesdames et messieurs,
Jean-Claude Juncker en prenant ses fonctions avait indiqué en novembre 2014 qu'il était le Président de la Commission « de la dernière chance ». L'expression est forte et l'idée est juste. C'est à nous d'agir, dès aujourd'hui. Nous, les Européens convaincus, sommes plus nombreux que nous ne le pensons. Nous devons relever ce défi. Mobilisons-nous ensemble !
Je vous remercie de votre attention et vous propose d'engager maintenant le débat.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 février 2018