Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé à LCI le 7 février 2018, sur la santé publique, les épidémies la crise des hôpitaux et la situation des personnels des EHPAD.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour à tous. Bonjour Agnès BUZYN.
AGNES BUZYN
Bonjour.
AUDREY CRESPO-MARA
Hématologue réputée, devenue ministre des Solidarités et de la Santé. Alors, vous avez en charge la santé des Français. Ils sortent sont d'une grosse épidémie de grippe, ça y est, ça c'est fini ?
AGNES BUZYN
Ça se termine.
AUDREY CRESPO-MARA
Bon.
AGNES BUZYN
C'est en diminution.
AUDREY CRESPO-MARA
Très bien. La santé, on espère que vous l'avez parce que quand on voit le nombre de dossiers que vous avez à traiter : crise dans les hôpitaux, burn out dans les maisons de retraite, suicide d'internes en médecine, mais d'abord le plan grand froid, le plan grand froid a été déclenché dans 22 départements. Qu’est-il prévu sur le plan sanitaire ?
AGNES BUZYN
Alors, ça n'est pas, à proprement parler un plan qui permet l'accès aux soins, c'est un plan qui met les personnes à l'abri la nuit en période de grand froid. 1 000 places supplémentaires viennent d'être ouvertes avec le déclenchement du plan, mais c'est l'occasion de rencontrer des personnes les plus vulnérables et les travailleurs sociaux, souvent les réorientent quand il y a besoin vers le secteur sanitaire, qui est évidemment équipé pour recevoir toutes les personnes, y compris celles qui n'ont pas de Sécurité sociale, c'est quelque part la beauté de notre système de santé, c'est qu'il est universel, il accueille tout le monde.
AUDREY CRESPO-MARA
Donc un millier de places supplémentaires en plus des 13 000 qui étaient déjà prévues pour l'hiver et on imagine que ça peut encore être augmenté, c'est un nombre de places...
AUDREY CRESPO-MARA
Alors, aujourd'hui 145 000 places on été ouvertes, sont ouvertes pour l'hébergement d'urgence, on l'augmente au moment du plan grand froid. Il est évident que certaines communes se mobilisent également pour ouvrir des gymnases. Toutes les bonnes volontés sont nécessaires parce que l'Etat n'est pas dans toutes les communes de France et dans toutes les rues pour vérifier évidemment que personne n'est à la rue. C'est la raison pour laquelle il ne faut pas hésiter, quand on est un citoyen lambda et qu'on voit quelqu'un dans la rue, d'appeler le 115, pour qu’une maraude vienne le chercher, le Samu social vienne le chercher et le mettre à l'abri.
AUDREY CRESPO-MARA
Il y a des conseils qui peuvent vous paraitre de bon sens, mais qu'il faut parfois rappeler en tant que ministre que de la Santé, que vous tenez à rappeler ce matin ?
AGNES BUZYN
Alors, aujourd'hui, mon premier conseil de bon sens, c'est déjà de ne pas prendre sa voiture, d'éviter, si on n'a pas besoin de se mobiliser et de sortir, de rester chez soi, parce que les services de l'Etat sont quand même assez débordés par la neige. Il y a évidemment toutes ces personnes à mettre à l'abri, il y a aussi beaucoup de personnes qui chutent avec des services d'urgences qui vont être rapidement aussi débordés. Alors, heureusement la grippe se termine mais on sent bien que ces périodes hivernales sont des périodes de grande tension, et tout le monde est très mobilisé.
AUDREY CRESPO-MARA
Et beaucoup de maraudes évidemment. Avant-hier, Edouard PHILIPPE a participé à une maraude du Samu social, vous n’étiez pas avec lui.
AGNES BUZYN
Non, mais je pense que j’irai ce soir ou demain en visite dans un centre d'hébergement, notamment pour les familles, pour femmes et enfants, parce que c'est une spécificité assez nouvelle aujourd'hui, ce sont des familles qui dorment dehors et ça ce n'est absolument pas tolérable pour personne, et il faut que je veille à ce qu’aucun enfant ne soit à la rue, bien entendu.
AUDREY CRESPO-MARA
Edouard PHILIPPE a vu de ses yeux, qu’alors qu'une vague de froid saisit toute la France, on a dû refuser du monde au 115, donc la majorité des SDF ne dort pas dehors, par choix.
AGNES BUZYN
Non, bien sûr.
AUDREY CRESPO-MARA
Contrairement à ce qui a pu se dire.
AGNES BUZYN
Bien sûr. On sait que certaines personnes ne souhaitent pas aller dans les centres d'hébergement, à cause d'une certaine promiscuité ou d'une certaine violence, mais évidemment non, la majorité accepte d’aller à l’abri. Je pense que le chiffre qui a été rapporté est en fait le chiffre dont dispose l'Etat, c'est-à-dire que l'Etat a des remontées tous les jours du 115, du nombre de personnes qui n'ont pas pu être hébergées, alors qu'elles ont appelé pour demander de l'aide. C'est ce chiffre de 50...
AUDREY CRESPO-MARA
Alors, jusqu’ici ces propos...
AGNES BUZYN
Voilà.
AUDREY CRESPO-MARA
« La majorité des SDF dorment dehors par choix », c'est le député La République en Marche de Paris, Sylvain MAILLARD, qui l'a dit, pour expliquer le fait qu’Emmanuel MACRON n’avait pas pu tenir sa promesse de l'été dernier, Emmanuel MACRON avait dit : « D'ici la fin de l'année – donc en décembre dernier – je ne veux plus voir un homme et une femme dans la rue », donc certains finissent par dire n'importe quoi pour défendre Emmanuel MACRON.
AGNES BUZYN
Aujourd'hui, je pense qu'il a repris un chiffre qui est un chiffre réel, c'est-à-dire que 50 appels qui n'ont pas pu être pourvus, ça c'est des chiffres qui nous remontent, parce que tous les soirs, évidemment, nous avons les remontées du 115 et je dois dire que nous avons organisé depuis cette année, des remontées hebdomadaires de tous les préfets, de toutes les régions de France, pour avoir des chiffres consolidés dans toutes les régions. Donc on suit ça d’extrêmement près, alors c'est Jacques MEZARD et Julien DENORMANDIE qui suivent l'hébergement d'urgence, mais ils ont mis en place un dispositif hors normes, jamais il n'y a eu autant de places ouvertes d'hébergements en France cette année.
AUDREY CRESPO-MARA
Mais envisager que plus un homme ou une femme ne serait dans la rue en décembre dernier, c’était une promesse intenable la part du président.
AGNES BUZYN
En tous les cas c'est ce qu'on entend et ce qu'on essaie de faire. Moi, ma priorité, ce sont évidemment les enfants, en tant que le ministre de la Famille et de l'enfance, et donc je dois veiller à ce qu’ils soient prioritaires et qu'aucun enfant ne dorme dans la rue, c'est vraiment mon inquiétude la plus forte et ce sur quoi je suis mobilisée en tant que ministre de la Famille.
AUDREY CRESPO-MARA
Venons-en à cette lettre ouverte que les internes vous ont adressée il y a 3 jours, « Elle s'appelait Marine et elle avait 26 ans, interne en dermatologie à l'hôpital Cochin, elle a mis fin à ses jours le 23 janvier ». Sur les 12 derniers mois, une dizaine de suicides d’internes sont à déplorer en France. « Nous attendons une intervention concrète de la ministre, il y a vraiment urgence à agir. La quantité de travail des internes est un facteur majeur, mais ce qui l’est aussi c'est la situation tendue de l'hôpital public et la pression budgétaire ». Ils aimeraient ne plus faire ce décompte morbide de collègues qui les quittent si jeunes. Quelles réponses avez-vous à leur apporter aujourd'hui ?
AGNES BUZYN
Alors, d'abord cette lettre ouverte, je l'ai reçue et je vais les rencontrer. Il est impératif que je rencontre les étudiants en médecine, qui sont en souffrance, et les internes qui sont également en souffrance, donc j'ai prévu de les voir, voilà, dans les semaines qui viennent. J'ai lancé une mission sur la réforme des études médicales. Aujourd'hui il y a beaucoup d'interne, plus que jamais, donc, le nombre de médecins en formation a considérablement augmenté ces dernières années, donc la charge de travail est réelle, mais elle n'est pas supplémentaire par rapport à ce qu'il y avait il y a 10 ans, où il y avait moitié moins d'internes. Par contre on sent une vraie souffrance au travail, dans la profession, je pense que les médecins ont de plus en plus de mal à trouver du sens dans leur métier, on leur demande énormément de tâches annexes, administratives, ils ne comprennent pas la gestion de l'hôpital qui a été très budgétaire, et sur laquelle je suis en train de travailler, puisque j'ai dit que j'allais réformer évidemment l'hôpital public. Aujourd'hui il est important que je parle avec eux pour savoir exactement d'où vient cette souffrance au travail, parce qu’il faut que je trouve les bons leviers, et donc une rencontre se fera dans les prochaines semaines.
AUDREY CRESPO-MARA
Dans les prochaines semaines.
AGNES BUZYN
Ah oui, absolument.
AUDREY CRESPO-MARA
Pas de date pour l’instant.
AGNES BUZYN
C’est en train d’être... Je suis en train de l’organiser.
AUDREY CRESPO-MARA
Autre actualité, les jeunes consomment moins de cannabis, de tabac et d’alcool. La nouvelle est tombée hier, publication d’une nouvelle enquête de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies. Comment on explique cette baisse de consommation ?
AGNES BUZYN
Alors d’abord les chiffres, les vrais chiffres de diminution c’est sur le tabac. Ce qui veut dire qu'une politique cohérente et volontariste de lutte contre le tabac commence à porter ses fruits. Alors est-ce que c'est la hausse des prix du tabac ? Est-ce que c'est le paquet neutre ? Est-ce que ce sont les campagnes ? En tous les cas une baisse significative du tabagisme des jeunes et ça c'est une bonne nouvelle. Sur l'alcool, la baisse existe mais elle est beaucoup plus faible et sur le cannabis elle existe aussi mais il y a quand même une petite portion de la population des adolescents qui sont des gros consommateurs de cannabis et là-dessus je dois agir parce que les dégâts psychiques mais cognitifs c'est-à-dire de capacité à apprendre sont considérables quand on commence le cannabis très jeune, donc la toxicité est énorme à l'adolescence. C'est vraiment pour moi une inquiétude.
AUDREY CRESPO-MARA
Agir est-ce que ça passe par cette dernière idée qu'on a eue de sanctionner, que le gouvernement a, de sanctionner la consommation de cannabis par une simple amende, ce qui est une dépénalisation déguisée ?
AGNES BUZYN
L'amende va permettre de rendre la sanction plus effective parce qu’en réalité aucun consommateur n'allait jamais devant le tribunal. Donc l'idée de l'amende c'est de montrer que c'est un produit interdit et qu’il est sanctionné et que cette sanction elle est réelle. Donc je pense que ça peut aider.
AUDREY CRESPO-MARA
Vous êtes favorable à cette solution là ?
AGNES BUZYN
Je suis assez favorable parce que je pense que rien n’est pire qu’une sanction qui n’est jamais appliquée. Et quand on est parent, d'ailleurs on le sait avec ses enfants, menacés et ne jamais appliquer de sanctions ça ne cadre pas très bien. Donc je crois qu'il faut rappeler que c'est un usage interdit, qu’il est sanctionné et que l'amende permettra cette prise de conscience collective.
AUDREY CRESPO-MARA
Vous avez fait de la lutte contre le tabac un combat personnel, comment vous avez réussi à ce que vos enfants ne fument pas ?
AGNES BUZYN
Malheureusement pas et c’est peut-être pour ça que j’en ai fait un combat personnel, oui.
AUDREY CRESPO-MARA
Oui c'est difficile de lutter contre ça quand on est parent.
AGNES BUZYN
Oui c’est très difficile.
AUDREY CRESPO-MARA
On est d’accord dans les 122.000 fonctionnaires en moins sur le quinquennat, le plan de départ volontaire dans la fonction publique, les soignants ne sont pas concernés.
AGNES BUZYN
Absolument pas et d'ailleurs j'entends souvent à l'Assemblée et au Sénat des remarques sur le fait qu'on voudrait réduire des postes dans la fonction publique hospitalière, ça n'est pas le cas. La fonction publique hospitalière n'est pas du tout concernée. On cherche à recruter, aujourd'hui on cherche à recruter des aides soignantes dans les EHPAD, il y a un manque de vocation, donc on est dans une fonction publique hospitalière, que ce soit les EHPAD ou l’hôpital où on est en manque de recrutement. Donc bien entendu ces plans de départs volontaires ne concernent pas des missions qui restent prioritaires comme l'hôpital.
AUDREY CRESPO-MARA
Christophe CASTANER dit le système ne marche pas, il y a 5,5 millions de fonctionnaires, on ne peut pas valoriser les gens qui bossent. Alors les gens qui ne bossent pas dans la fonction publique, ceux qui empêchent que les soignants, les professeurs soient mieux payés, ces gens qui ne bossent pas ce sont des fonctionnaires des collectivités territoriales clairement ?
AGNES BUZYN
Non moi je pense qu’aucun fonctionnaire ne souhaite ne pas travailler, mais dans certains cas on s'aperçoit que les missions sont mal définies ou qu'elles ont perdu du sens ou qu'elles ne sont plus réellement appliquées sur le terrain et donc il y a des missions de l'Etat ou des collectivités qui sont en train de disparaître faute de moyens ou faute d'investissements. Et il y a des fonctionnaires aujourd’hui mais contre leur gré, moi je ne pense pas qu’ils le souhaitent, qui sont un peu désoeuvrés, alors très peu mais sur des missions particulières et je pense que c'est là-dessus que nous devons avoir un travail de cohérence. Si ces missions ne sont plus utiles à la collectivité peut-être vaut-il mieux les supprimer et afficher réellement que ce n'est plus le rôle de l'Etat ou d'une collectivité d'assurer telle ou telle mission. Ca ne concerne bien entendu ni l'éducation ni la police ni la santé, il y a des fonctions régaliennes, mais on le droit de se poser la question de ou est-ce que l'Etat est utile et où est-ce qu'il faut des fonctionnaires. Mais je ne pense qu'aucun fonctionnaire ne souhaite ne pas travailler, ça n'est pas le sujet.
AUDREY CRESPO-MARA
Venons-en à la crise dans les EHPAD, alors que la colère gronde vous avez promis une rallonge budgétaire de 50 millions d’euros qui n'a pas satisfait le personnel des maisons de retraite qui depuis des années dénoncent, depuis des années, des conditions de travail éprouvantes, un accueil de personnes âgées indigne, alors c’était un geste d'apaisement de votre part mais un geste insuffisant.
AGNES BUZYN
Non en fait c'était un geste qui était déjà programmé et je voulais rappeler que ce budget existait pour aider les EHPAD en difficulté donc ce n’était pas quelque chose de nouveau mais je souhaiterais peut-être expliquer que le financement des EHPAD est complexe. Aujourd'hui l'Etat finance la partie soins, les infirmières par exemple. Les départements financent la partie dépendance et les résidents financent l'hébergement, l'hôtel, l'hôtellerie. Aujourd'hui l'Etat a rajouté 100 millions d'euros pour créer des postes d'aides-soignantes, d'infirmières, pour augmenter la prise en charge des soins parce que des personnes sont de plus en plus malades. Elles sont de plus en plus âgées et cette partie soins elle était sous dotée. Après la partie dépendance aujourd'hui dépend des départements et la question plus générale que nous devons nous poser collectivement mais c'est un problème sociétal, c’est quel est le financement que nous voulons dédier à la dépendance dans les années qui viennent parce que les besoins vont être en augmentation et c'est un chantier qui s'ouvre devant nous.
AUDREY CRESPO-MARA
Mais concernant les mesures que prend le gouvernement on a parlé de sparadrap dans la continuité des solutions de ces dernières années. Je vous parle de l'opposition politique.
AGNES BUZYN
Je m'amuse de voir qu’on nous reproche de ne pas travailler sur les EHPD alors que j'ai pris énormément de mesures depuis mon arrivée sur EHPAD, j’ai crée une commission sur la qualité de vie au travail, sur les carrières professionnelles. Il y aura le 19 février l'ouverture d'un comité sur la bien traitance. Nous avons rallongé de 100 millions d'euros des financements dédiés aux soins, nous créons pour 10 millions d'euros de postes d'infirmières de nuit. Nous allons équiper tous les EHPAD en télé médecine donc beaucoup de choses ont été faites cette année. Ce que je dis c'est qu’il manque aujourd’hui…
AUDREY CRESPO-MARA
Qui n’ont pas été faits dans les années précédentes, c’est ce que vous nous dites.
AGNES BUZYN
Je crois qu’on n’a pas pris conscience du changement de typologie des personnes qui arrivent en EHPAD aujourd'hui, les personnes âgées sont maintenues à domicile très longtemps. Et les personnes qui arrivent en EHPAD aujourd’hui sont extrêmement âgées, extrêmement dépendantes. Ca n'est pas l'EHPAD d’il y a 20 ans, qui était une maison de retraite et donc il faut qu'on renforce la partie soins est prise en charge dans les EHPAD qui sont certains lieux de vie, mais quand même un lieu de vie pour des personnes extrêmement âgées et extrêmement fatiguées.
AUDREY CRESPO-MARA
Et augmenter l'espérance de vie, encore faut-il finir sa vie avec espérance, ce qui n’est pas le cas dans certains EHPAD. Tous les matins je pose une question récurrente c’est la question Off mais devant les caméras. C’est off, entre nous, votre père est revenu d’Auschwitz où il avait été déporté avec vos grands parents vous avez longtemps été aussi la belle-fille de Simone VEIL, à qui vous avez donné deux petits-enfants, on dit que vous lui ressemblez physiquement, en quoi lui ressemblez-vous moralement ?
AGNES BUZYN
Alors abord je préférerais que d'autres répondent à cette question à ma place parce que c'est difficile de se projeter face à la personnalité de Simone VEIL évidemment peut peut-être une certaine franchise, mais l'avenir dira si je lui ressemble ou pas et si j'étais capable de faire pour les français ce qu’elle a fait pour les Français.
AUDREY CRESPO-MARA
Merci beaucoup Agnès BUZYN.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 février 2018