Texte intégral
Q - Les massacres se suivent en Syrie. Mardi à Alep, ce mercredi à la Ghouta. Plus de 350 000 Syriens sont morts depuis le début du conflit. Vous dites pourtant que le « pire est à venir ». Pourquoi ?
Jean-Yves Le Drian. Il ny a pas de mots pour décrire ce quil se passe dans La Ghouta Est. Ce sont les termes employés aujourdhui par lUNICEF. Une centaine de morts par jour, dont de nombreux enfants, des hôpitaux bombardés, en violation du droit international. Il ny a eu quun seul convoi humanitaire depuis début janvier, sans parler des blessés. Face à cela, tout immobilisme est coupable. Il faut agir vite.
Q - Comment ? La communauté internationale semble paralysée
La France pèse de tout son poids pour quune résolution du Conseil de sécurité puisse valider une trêve humanitaire immédiate, comme la demandé le Président de la République. Je viens de men entretenir avec le Secrétaire général des Nations Unies. Il faut en vérifier lapplication et que la Croix Rouge et les Nations-Unies puissent évacuer les personnes en situation critique, soulager les blessés et mettre fin à cette situation denfer.
Q - La Russie soutient cette opération du régime. Ne craignez-vous pas quelle mette un veto à cette résolution ?
Il faut que chacun prenne ses responsabilités face à ce drame qui se déroule devant lopinion publique mondiale. La Russie a les moyens de pression nécessaires auprès de Bachar al-Assad. Elle devrait valider cette résolution. Et ensuite, faire en sorte que la trêve soit respectée et que laide humanitaire soit acheminée. Et il ny a pas que La Ghouta Est. Il y aussi des bombardements sur Idlib, où se trouvent trois millions dhabitants et les neuf régions assiégées par le régime.
Q - Dans ce contexte de conflit en pleine phase dinternationalisation, quels sont les leviers dont la France dispose pour changer la donne ?
La France a sa place au Conseil de sécurité. Nous sommes acteurs du processus de règlement du conflit. Nous avons fait des propositions dont nous sommes prêts à discuter avec toutes les parties pour enrayer ce processus de lenfer et mettre en place lenvironnement qui permettra de développer un processus politique.
Q - Bloquer laccès humanitaire est contraire aux règlements de droit international. Y a-t-il une ligne rouge de la diplomatie française en la matière ?
La France constate avec effroi lampleur de ce désastre. La France parle fort et souhaite que sa voix soit entendue et que les résolutions de lONU soient appliquées concrètement. Je vais prochainement à Moscou pour cela.
Q - Vous disiez il y a trois semaines que des « indications » montrent que le régime syrien a recours à du chlore contre des civils. En avez-vous désormais la preuve ?
Nous avons redit notre ligne rouge sur les armes chimiques. Lusage du chlore en fait partie, sous réserve que cette utilisation soit létale et avérée. Ce nest pas le cas dans la Ghouta-Est aujourdhui, et cest la même population martyrisée qui avait été visée avec du gaz sarin en 2013.
Q - Gazés ou bombardés, des Syriens meurent. Quelle différence ?
Lusage de larme chimique est un tabou depuis la première guerre mondiale, interdit par le droit international depuis près dun siècle et spécialement par la convention de Paris de 1993. Lensemble des pays sest engagé à ne pas en utiliser. Or Bachar al-Assad transgresse toutes les lois et les règles du droit de la guerre. De ce fait, la prolifération chimique que lon pensait évacuée est en train de renaître. Cest inacceptable et dangereux pour lavenir, pour notre sécurité.
Q - Dans ce contexte, quelle est la ligne de la France vis-à-vis de Bachar al-Assad ? Faut-il renouer le dialogue directement avec lui ?
Je le redis, il faut être doublement réaliste : le départ de Bachar Al Assad nest pas un préalable ; mais, plus que jamais, il est lennemi de son peuple, ce qui ne rend pas réaliste lidée de son maintien dans une Syrie réconciliée.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 février 2018