Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle les questions sur la stratégie de sortie du nucléaire.
Je vous rappelle que la Conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse.
Nous commençons par les questions du groupe La France insoumise.
La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme Mathilde Panot. Depuis vingt-deux jours, les salariés de Nuvia Support, du groupe Vinci, sont en grève sur le site nucléaire de Romans-sur-Isère. Voilà vingt-deux jours qu'ils nous alertent sur leurs conditions de travail, dont leur santé pâtit, et qui font de surcroît peser un risque considérable sur les populations alentour.
Nous savons que le Gouvernement est habitué à faire peu de cas de la souffrance au travail. Les sous-traitants n'ont pas le même degré de protection que leurs collègues statutaires, qu'ils dépendent d'EDF, d'Orano, de Framatome ou du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, le CEA. En sous-effectifs, ils ne peuvent assurer leur mission dans les conditions normalement requises par l'exploitation particulièrement dangereuse de cette énergie toxique. L'exposition aux rayonnements ionisants n'est pas prise en considération dans le nucléaire civil comme elle l'a été, de façon déjà très imparfaite, dans le cas des victimes des essais militaires.
Ils ne sont même pas invités au safety day organisé chaque année. Aujourd'hui, sur le site de Romans, ils n'ont pas le droit contrairement aux travailleurs statutaires à une visite médicale avec analyse de selles et d'urines qui permettrait de déceler une éventuelle contamination interne. Combien de cancers de la thyroïde et du cerveau pour les travailleurs du nucléaire, et en particulier pour les salariés de la sous-traitance dont on parle si peu ?
Il n'y a pas, monsieur le ministre d'État, que des ingénieurs qui oeuvrent au maintien, vaille que vaille, de nos centrales et autres installations de plus en plus défaillantes. Il faut penser à celles et ceux qui, tantôt soudeurs, tantôt radioprotectionnistes, tantôt échafaudeurs, sont injustement rendus invisibles.
À Romans, en contradiction avec le protocole de l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, elle-même, le service a repris, alors qu'il est sous surveillance accrue depuis quatre ans. Il ne s'agit là que de casser la grève, d'imposer le silence. C'est pourtant aux travailleurs qu'incombe la lourde tâche de dénoncer les conditions douteuses d'exploitation qui nous mettent en péril. Ils doivent être mieux considérés et plus nombreux.
Les grévistes ne demandent qu'une augmentation de 50 euros brut. Serait-ce trop, selon vous ? Monsieur le ministre d'État, vous joindrez-vous à leur appel à la raison ? À moyen terme, vous engagez-vous à ré-internaliser les activités de sous-traitance par les exploitants qui sont sous l'autorité de l'État ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la députée, j'ai du mal à vous laisser dire qu'il y aurait deux poids et deux mesures. Mais vous avez raison sur un point : nous ne serons jamais trop exigeants dans ce domaine.
La filière nucléaire française a réalisé en 2016 un chiffre d'affaires de 50 milliards d'euros ; elle emploie 220 000 personnes, regroupées en 2 600 entreprises, dont 98 % sont des sous-traitants. La sous-traitance revêt donc ici un caractère stratégique.
L'action du Gouvernement dans ce domaine est double : il veille à la compétitivité du secteur et à la solidité de sa structuration ; il veille aussi, je tiens à le rappeler, à ce que les conditions d'exercice des sous-traitants répondent aux plus grandes exigences de sûreté et de sécurité.
Dans le cadre de la conférence nationale de l'industrie, les acteurs publics ont créé en 2011 un comité stratégique de la filière nucléaire, afin de soutenir les efforts des PME et des micro-entreprises en matière de formation, de recherche, de développement, d'orientation stratégique. Ce comité permet à l'ensemble des acteurs de déterminer les besoins et les enjeux de la filière ainsi que d'apporter des réponses communes aux questions qui se posent.
La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a introduit dans le code de l'environnement un article qui dispose qu'« en raison de l'importance particulière de certaines activités [ ] un décret en Conseil d'État peut encadrer ou limiter le recours à des prestataires ou à la sous-traitance pour leur réalisation ».
Ce décret a été publié le 28 juin 2016 ; il prévoit notamment que l'exploitant ne peut confier à un prestataire la maîtrise d'oeuvre de la sûreté et de l'exploitation de son installation. De plus, le décret dispose que « lorsque l'exploitant confie à un intervenant extérieur la réalisation, dans le périmètre de son installation au cours du fonctionnement ou du démantèlement de celle-ci, de prestations de service ou de travaux importants » pour la préservation de la santé, de la sécurité, de l'environnement « ceux-ci peuvent être réalisés par des sous-traitants de second rang au plus » sauf dérogation expresse obtenue auprès de l'ASN, qui garantit que toutes les conditions de sûreté sont remplies.
La loi s'est de plus attachée à garantir que les conditions de travail et le suivi médical des travailleurs du nucléaire, y compris les sous-traitants et les prestataires, soient du meilleur niveau.
Mme Mathilde Panot. Ce n'est pas appliqué !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Bien évidemment, l'objectif de réduction de la part du nucléaire dans notre mix énergétique entraînera l'ouverture d'un dialogue avec les représentants de ces sous-traitants.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Rubin.
Mme Sabine Rubin. Monsieur le ministre d'État, en 2015 sur fond de polémique à propos de la fermeture de Fessenheim vous aviez milité pour rappeler combien il était important que la part du nucléaire dans la production d'électricité française revienne à 50 % à l'horizon 2025.
Deux ans plus tard, vous nous annoncez que, finalement, cela prendra dix ans de plus repoussant ainsi l'échéance jusqu'à 2035. Vous justifiez ce recul par un argument qu'emploient les défenseurs du nucléaire : repousser la part du nucléaire, c'est, dites-vous maintenant, rouvrir des centrales thermiques, dont le rôle dans le réchauffement climatique est néfaste. Mais c'est prendre le problème à l'envers ! C'est justement la dépendance de notre pays vis-à-vis du nucléaire qui empêche l'émergence d'un pôle d'énergies renouvelables.
Nous sommes le pays le plus nucléarisé du monde, avec cinquante-huit réacteurs en fonctionnement. Pourtant, les Françaises et les Français n'ont jamais eu droit à un débat digne de ce nom, même au Parlement, alors que la sécurité des centrales, la protection de l'environnement et l'indépendance énergétique sont des sujets qui nous concernent tous.
La France insoumise va mener, entre le 11 et le 18 mars, une campagne pour proposer une votation citoyenne sur la sortie du nucléaire. Celle-ci est ouverte à tous, organisations politiques, associations et citoyens.
Monsieur le ministre d'État, nous vous savons attaché aux initiatives citoyennes, comme d'ailleurs le président de l'Assemblée nationale, qui avait déposé en 2010 une proposition de loi relative à l'initiative législative citoyenne. Dans le cadre de l'actuelle réforme de l'Assemblée, l'un des sept groupes de travail a d'ailleurs proposé de « déverrouiller les blocages institutionnels à la participation pour permettre à différentes initiatives et expérimentations d'émerger et de se concrétiser ».
Nous vous invitons à prendre part à notre initiative de votation citoyenne sur la sortie du nucléaire. Mais, que vous participiez ou non à cette votation, vous engagez-vous à tenir compte de son résultat ?
Mme Mathilde Panot. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Madame la députée, je conserve l'objectif inscrit dans la loi de 2015 ; mais contrairement au gouvernement précédent, j'agis pour l'atteindre. Je ne me suis pas emparé sans réfléchir des arguments des défenseurs du nucléaire ; je n'y souscris pas aveuglément. Mais, lorsque je suis arrivé au Gouvernement, j'ai découvert que rien n'avait été prévu pour atteindre l'objectif fixé.
Les conséquences sociales de cette transition sont immenses ; or, si nous agissons brutalement, la transition énergétique échouera. La fermeture de la centrale de Fessenheim nous permettra de mettre au point un contrat de transition, avec les collectivités territoriales, les salariés, les filières ; ces contrats devront être réplicables. C'est ainsi que nous parviendrons à réduire la part du nucléaire.
Vous êtes favorables à la sortie du nucléaire ; d'autres pensent qu'il faudra maintenir sa part à 50 % dans la production d'électricité. Ces 50 %, c'est le point de rendez-vous où tout le monde pourra se mettre d'accord : arrivés là, nous aurons peut-être démontré qu'il est possible d'aller plus loin ; nous aurons peut-être, à l'inverse, démontré qu'il faut prendre un peu plus de temps.
Mais, à moins d'user d'une grande brutalité sociale et de remettre à plus tard la fermeture des centrales à charbon, nous ne pouvions pas tenir les délais initialement prévus. Je vous tiens le langage de la vérité ; je suis comme vous attaché à cette limite de 50 % de nucléaire.
Le débat sur la programmation pluriannuelle de l'énergie ne sera pas confisqué par les experts ; quelle que soit la forme retenue, nous y associerons les citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alexis Corbière.
M. Alexis Corbière. Le nucléaire nous coûte cher ; il va nous coûter beaucoup plus cher dans les années à venir, car durant les dernières décennies, les investissements nécessaires n'ont pas été réalisés. Le résultat de cette mauvaise gestion, c'est que désormais, les pannes et les incidents se multiplient dans nos centrales ; il y a quelques mois de cela, dix-huit réacteurs ont dû être mis à l'arrêt.
Les coûts de maintenance ont explosé : de 800 millions d'euros par an dans les années 2000, ils sont passés à plus de 4 milliards d'euros. Dans les années à venir, l'addition du nucléaire va s'alourdir : d'ici à la fin de la législature, dix-sept réacteurs arriveront à la fin de la durée de vie prévue. Ce sera le cas pour les trois quarts du parc d'ici 2027. Si nous faisons le choix de prolonger notre dépendance vis-à-vis du nucléaire, il faudra réaliser d'immenses travaux dans ces centrales. Il y en a pour 100 milliards d'euros et ce sont autant de ressources qui ne pourront pas être utilisées pour la nécessaire transition énergétique.
La France est le pays le plus nucléarisé du monde. C'est aussi le pays européen qui accuse le plus de retard dans la réalisation de ses objectifs de production en énergies renouvelables. Il n'y a toujours pas en France une seule éolienne en mer, malgré nos 3 000 kilomètres de côtes malgré la présence dans notre pays d'entreprises, d'ouvriers, de techniciens compétents. L'obstination à continuer dans le sens du nucléaire nous lie les mains ; elle nous empêche d'engager la conversion écologique de notre production. Monsieur le ministre d'État, pourquoi cette obstination ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Il n'y a aucune obstination de mon côté.
M. Alexis Corbière. Que faites-vous donc dans cette galère ?
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Nous n'avons pas encore réussi à poser d'éolienne offshore, mais je peux vous assurer que cela n'a rien à voir avec le nucléaire. En revanche, si nous essayons de mener de front le développement de nouveaux réacteurs EPR et celui des énergies renouvelables, nous échouerons partout.
La première étape, c'est la réduction de la part du nucléaire et c'est le seul objectif que le Gouvernement se soit fixé en matière de nucléaire.
Quant au développement des énergies renouvelables, qui se heurte à des problèmes réglementaires ou à des oppositions locales, nous sommes en train d'y mettre bon ordre. Nous devons, en effet, changer d'échelle.
Enfin, il y a une règle dans le domaine du nucléaire : la non-maîtrise des coûts ! Il y a un point, monsieur le député, sur lequel nous sommes parfaitement d'accord : l'argument économique ne vaut plus, et la démonstration a été faite que les énergies renouvelables peuvent à tout le moins équilibrer, et sans doute concurrencer, l'énergie nucléaire.
M. Raphaël Schellenberger. C'est une douce utopie !
Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme Mathilde Panot. Monsieur le ministre d'État, votre secrétaire d'État Sébastien Lecornu se rend aujourd'hui même à Bure, et c'est le jour que le Gouvernement a choisi pour une expulsion violente du Bois Lejuc comme de la Maison de résistance. Plus de 500 gendarmes mobiles ont été mobilisés. Faut-il vous rappeler que des recours judiciaires sont en cours pour contester la légalité de l'occupation de la forêt par l'Agence nationale de gestion des déchets radioactifs l'ANDRA et le début des travaux relatifs au projet d'enfouissement des déchets nucléaires ?
La police avant les juges, voilà une idée bien étrange de la démocratie. Le libéralisme d'Emmanuel Macron s'exerce contre nos libertés ; votre écologie, monsieur le ministre, s'exerce contre les écologistes. Vous disiez encore il y a peu « qu'on ne [pouvait] pas imposer ces déchets comme ça à des populations locales [ ] sans concertation, sans transparence ».
Vous pensiez peut-être que l'usage d'un pronom impersonnel vous dégagerait de votre responsabilité individuelle. Il n'en est rien, monsieur le ministre.
En fait de transparence, vous n'étudiez aucune alternative, comme ce fut longtemps le cas à Notre-Dame-des-Landes. En fait de concertation, vous réprimez violemment. Cela fait sans doute plaisir au ministre de l'intérieur, qui aime tant jouer au fort avec les faibles. Mais au-delà de sa personne, c'est tout le Gouvernement qui est engagé, et vous tout particulièrement.
Regardez cette photographie. Les militants de Bure vous voyaient au moment où elle a été prise comme je vous vois aujourd'hui. Je ne vous reconnais plus. Vous ne pouvez pas continuer à faire l'autruche, monsieur le ministre. Vous savez les risques d'incendie liés au projet Cigéo centre industriel de stockage géologique soulignés par l'IRSN Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Les dangers de l'enfouissement des déchets sont connus, si vous prêtez attention aux travaux des physiciens des particules.
Ma question est simple : où est M. Hulot ? Monsieur le ministre, s'il vous reste un brin de cohérence, pourquoi ne quittez-vous pas ce gouvernement dans lequel vous servez de caution à la violence contre des citoyens qui défendent l'intérêt général ?
Mme Sabine Rubin. Très bien !
M. Raphaël Schellenberger. C'est caricatural !
Mme la présidente. Madame Panot, je vous rappelle que le règlement interdit de brandir des objets dans l'hémicycle. Je vous remercie de bien vouloir respecter cette règle à laquelle nous nous plions tous. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Je n'ai pas l'impression d'être en porte-à-faux avec ma conscience. J'aurais préféré ne jamais avoir à traiter ce sujet-là, j'aurais préféré ne pas en arriver à cette situation ces déchets ultimes dont personne ne veut, ni en France, ni ailleurs. Maintenant, je suis aux responsabilités. La seule chose qui a changé, c'est ma fonction. Je ne peux pas faire disparaître ces déchets comme par enchantement.
Nous n'avons pas brûlé les étapes à Bure. Rien n'est définitif, rien n'est acté. Pour l'instant, un laboratoire cherche. J'ai bien conscience des dangers des déchets bitumineux qui ont été révélés récemment. En l'état, aucune autorisation n'est donnée.
Ceci dit, il faut bien distinguer parmi les oppositions citoyennes, qui sont nécessaires, légitimes, pertinentes et dont les inquiétudes étaient souvent fondées, celles qui s'inscrivent dans un cadre légal et celles qui se situent hors de la légalité.
Mme Mathilde Panot. L'ANDRA aussi est dans l'illégalité !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. En l'occurrence, une question d'ordre public est posée.
Le débat sera d'autant plus fructueux et rationnel que les participants resteront dans la légalité.
M. Alexis Corbière. Et Notre-Dame-des-Landes ?
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Nous sommes maintenant à l'heure de vérité pour la filière nucléaire. Il aurait fallu se préoccuper plus tôt de ces déchets dès lors qu'ils posent un problème philosophique considérable, qui dépasse largement les petites préoccupations des uns et des autres. Doit-on les enfouir de manière irréversible pour des centaines de milliers d'années ? Ce n'est pas l'idée que je me fais d'une civilisation, mais je ne peux pas faire disparaître ces déchets par enchantement. Nous allons, là aussi, examiner la moins mauvaise solution. Aucune solution n'a été entérinée jusqu'à présent.
Mme Mathilde Panot. Quid de la Maison de résistance ?
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. La parole est à M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel. Le nucléaire est un sujet sensible le débat d'aujourd'hui le démontre. Aujourd'hui, la production à partir de l'atome occupe une place prépondérante dans le mix énergétique de notre pays. Nous savons que l'énergie, et l'électricité en particulier, joue un rôle stratégique, tant pour les usagers, en particulier les 11 millions de personnes victimes de précarité énergétique, que pour l'économie. La place de l'électricité sera de plus en plus centrale pour répondre aux besoins : la réindustrialisation, la lutte contre le réchauffement climatique, l'arrivée massive des nouvelles technologies je pense notamment au virage électrique dans l'automobile.
L'énergie nucléaire ne produit pas de gaz à effet de serre ; elle a donc un rôle à jouer dans le développement d'une stratégie de long terme ainsi que dans la consolidation de la filière industrielle dans le cadre d'un mix énergétique public, équilibré et consenti. C'est en tout cas mon avis personnel.
Il est grand temps d'avoir le courage d'ouvrir ce débat. Les choix de politique énergétique sont structurants. Nous sommes face à un choix de société. Les citoyens doivent pouvoir donner leur avis. S'il est illusoire de penser que chacun puisse disposer de toutes les connaissances techniques sur un tel sujet, cela ne constitue pas un problème si l'expression des citoyens retrouve sa signification d'acte politique.
Aucune forme de production d'énergie ne peut à elle seule répondre aux enjeux actuels de nos sociétés. La responsabilité d'un gouvernement est donc aujourd'hui de mettre en place les outils démocratiques permettant de livrer une analyse simple et synthétique de l'état actuel des choses, des questions qui se posent, des choix possibles et des conséquences des différents scénarios envisagés, notamment en termes économiques, sociaux et environnementaux. Chacun doit pouvoir s'approprier les différents enjeux de cette matière.
C'est le rôle du pouvoir politique que d'organiser un débat sincère et argumenté sur les choix qui s'offrent aux citoyens. Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à vous engager dans un tel processus démocratique ?
Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Hulot, ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. J'ai le sentiment que l'année qui commence sera l'occasion de débattre avec l'ensemble des acteurs et pas seulement entre experts dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie et de construire ainsi une vision du modèle énergétique que nous voulons.
J'espère que ce débat ne sera pas confisqué par les pro et les anti-nucléaire.
M. Sébastien Jumel. Moi aussi !
M. Jean-Paul Lecoq. Chez nous, il y a les deux !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Un point de convergence existe, j'en suis convaincu. J'entends ceux qui voudraient sortir du nucléaire je ne suis pas loin d'y adhérer, mais je ne vais pas substituer ma conscience individuelle à une conscience nationale. Pourquoi suis-je attaché au seuil de 50 % ? Parce que la démonstration pourra être faite, dans un sens ou dans un autre. C'est un point de rencontre absolument incontournable.
Je ne vais pas me priver ici d'afficher ma réserve à l'égard de cette filière. À quoi tient-elle ? Pour moi, si une société prend un risque et commet une erreur, elle doit être capable de contenir les conséquences de ce risque dans le temps et dans l'espace c'est là selon moi un indice de civilisation. Or, malheureusement, les expériences de Fukushima et de Tchernobyl nous montrent que nos sociétés ne sont pas en mesure de contenir dans le temps et dans l'espace les conséquences du risque. C'est un vrai problème philosophique qui justifie ma réserve, au-delà des arguments économiques.
Nous avons une transition à mener, une feuille de route à élaborer ensemble. L'objectif de 50 % permettra de trouver un point de rencontre et de recouvrer notre liberté de choix.
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Jumel, pour une seconde question.
M. Sébastien Jumel. Vous venez de réaffirmer l'objectif de rééquilibrer la production d'électricité en France en réduisant la part du nucléaire à 50 % à l'horizon 2035. L'énergie nucléaire permet la production d'électricité sans émission de CO2 et à un coût compétitif pour nos concitoyens. Elle donne à la France un temps d'avance par rapport aux autres pays européens, notamment en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, elle offre, jusqu'à preuve du contraire, une bonne sécurité d'approvisionnement.
La réduction de la part du nucléaire passera nécessairement par le développement des énergies renouvelables on sait que les conflits d'usage ne vont pas sans poser problème. Elle ne pourra pas être réalisée par la construction de nouvelles centrales thermiques, puisque les accords sur le climat l'interdisent.
Or, les énergies renouvelables ont un coût, comme le montre le cas de l'Allemagne, où l'électricité est près de 80 % plus chère qu'en France. Le surcoût des énergies renouvelables est déjà significatif en France 5 milliards d'euros par an, qui sont payés par les consommateurs.
La réduction à 50 % de la part de l'électricité d'origine nucléaire à l'horizon 2035 nécessite d'arrêter les premiers réacteurs aux alentours de 2030. Compte tenu des dates de mise en service des réacteurs français, une quinzaine de réacteurs pourraient être fermés entre 2030 et 2035. Il semble donc nécessaire, pour maintenir l'équilibre à 50 %, de mettre en production de nouveaux réacteurs, ce qui suppose une décision volontariste du Gouvernement afin d'acter les lieux d'implantation ainsi que le nombre de nouveaux réacteurs à construire autour de 2019-2020.
Monsieur le ministre, quelle est la stratégie du Gouvernement pour préserver la filière nucléaire française dans le cadre d'un mix énergétique rééquilibré, et toute sa chaîne de valeur de la fourniture des assemblages combustibles, en passant par l'exploitation des centrales, mais aussi le retraitement du combustible sachant que cette filière exporte, à l'initiative du Gouvernement, son savoir-faire à l'étranger ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Si nous restons à 50 %, la part du nucléaire demeurera plus importante que dans de nombreux pays. L'expertise et le savoir-faire de la filière nucléaire ne vont donc pas s'éteindre demain. En outre, comme vous le savez, le démantèlement des réacteurs, à la différence d'une centrale à charbon, demande un certain temps. Il n'y a donc pas péril en la demeure s'agissant de la préservation des compétences.
M. Sébastien Jumel. Flamanville a démontré le contraire !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Ne préemptons pas le travail qui commence sur la programmation pluriannuelle de l'énergie. Cela voudrait dire que les scénarios sont déjà établis. Aujourd'hui, aucun scénario n'est privilégié. Vous affirmez que l'objectif de 50 % devra être atteint en 2035 : je sais qu'il ne le sera pas en 2025, mais je ne sais pas encore ce que nous ferons. Plusieurs scénarios sont sur la table ; nous ne comptons pas faire abstraction des débats citoyens.
Nous devons baisser notre consommation d'électricité. Dans le domaine de l'efficacité énergétique, il y a du grain à moudre ; il y a des emplois et de la compétitivité économique à la clé, mais surtout de l'aide apportée à ceux qui sont en situation de précarité énergétique.
Nous devons développer les énergies renouvelables. Concernant le solaire cela viendra pour l'éolien , les courbes de prix sont en train de se croiser.
M. Sébastien Jumel. 200 euros à Dieppe !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. C'était impensable il y a cinq ou dix ans, mais voyez comme les coûts chutent. Dans la période intermédiaire, peut-être faudra-t-il recourir au gaz naturel. Tous ces sujets sont sur la table.
Pour l'instant, à l'exclusion de Flamanville, il n'est pas nécessaire d'envisager la construction d'autres réacteurs nucléaires sinon l'échec de la transition énergétique est certain. Ayons foi dans les énergies renouvelables. Ce sont elles qui nous donneront à terme la vraie souveraineté.
Enfin, qualifier le nucléaire d'énergie propre ne me paraît pas approprié lorsqu'on voit ce qui se passe à Bure. Je ne considère pas qu'une énergie produisant des déchets pour plusieurs centaines de milliers d'années est une énergie propre.
M. Sébastien Jumel. Je parlais des émissions de CO2.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Sur ce point, nous sommes d'accord.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe La République en marche. La parole est à M. Benoit Potterie.
M. Benoit Potterie. Le Gouvernement a annoncé un ensemble de mesures visant à préparer la sortie du nucléaire. Dans un contexte de croissance exponentielle des besoins énergétiques mondiaux, nous devons trouver et développer de nouvelles sources d'énergie.
Ma question concerne une source d'énergie peu connue, mais dont on parle de plus en plus dans les médias spécialisés : le thorium, et plus précisément, son utilisation dans des réacteurs nucléaires à sels fondus.
On connaît le thorium depuis le XIXe siècle. Marie Curie avait identifié ses propriétés radioactives en 1898. Pour différentes raisons, les États et les industriels ont privilégié les réacteurs à uranium. Mais aujourd'hui, le risque nucléaire et les traumatismes de Tchernobyl et Fukushima, ainsi que la complexité de la gestion des déchets nucléaires, nous incitent à nous détourner de l'uranium.
Selon Daniel Heuer, directeur de recherches au CNRS, les réacteurs à sels fondus utilisant le thorium seraient moins dangereux et moins sales que les réacteurs actuels, avec un rendement plus important. Cette technologie, vous en conviendrez, est très prometteuse. Elle l'est d'autant plus pour la France que notre pays possède du thorium en grande quantité. Un récent article, que je pourrai vous transmettre, affirme que nous en aurions suffisamment pour couvrir nos besoins énergétiques pendant deux siècles.
Le gouvernement chinois finance actuellement un projet de réacteurs à sels fondus dans le désert de Gobi, et les Pays-Bas ont développé un programme de recherche sur le sujet à Petten.
Je me permets donc de déplacer le débat de la sortie du nucléaire vers le recours à une technologie nucléaire plus propre un nucléaire vert, en quelque sorte.
Bien sûr, la technologie des réacteurs à sels fondus ne fait pas l'unanimité dans la communauté scientifique. C'est pourquoi des phases de recherche et d'expérimentation sont nécessaires.
Ma question est donc la suivante : le Gouvernement entend-il, à moyen ou à court terme, renforcer la recherche dans ce domaine ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Pour être très honnête, j'en avais entendu parler mais je ne m'étais pas vraiment penché sur cette technologie, sur laquelle vous m'avez alerté bien avant ce débat.
Si ce que vous dites est totalement fondé, il faudrait alors construire une filière nouvelle, car la filière actuelle ne peut pas intégrer cette technologie.
Étant convaincu que la diversité des énergies renouvelables permettra de répondre largement à nos besoins énergétiques, je ne pense pas que ce soit la peine de s'engager dans cette voie.
Au-delà, les réacteurs à sels fondus utilisant du thorium pour la production d'électricité nucléaire présentent, vous l'avez dit, des avantages certains, notamment en raison de l'abondance de la ressource en thorium, de la facilité offerte d'un retraitement en continu du combustible liquide et d'une moindre production de déchets. Cela dit, ils présentent aussi des inconvénients en termes de démonstration de sûreté et en raison de l'impossibilité d'amorcer un cycle thorium sans disposer d'uranium 235 ou de plutonium, dans la mesure où le thorium n'est pas un matériau fissile.
En outre, la faisabilité industrielle d'un réacteur de puissance n'est pas démontrée, et les études demeurent jusqu'à présent, il faut bien le reconnaître, très conceptuelles. Comme vous l'avez évoqué, des expérimentations ont bien eu lieu dans les années 1950 aux États-Unis, mais la possibilité de passer à un réacteur de puissance n'a jamais été établie. Enfin, il n'existe pas d'étude comparative suffisamment étayée pour pouvoir juger de l'attractivité économique d'une telle source d'énergie.
En l'absence d'identification de bénéfices déterminants qui seraient apportés par le cycle thorium, mais aussi parce que la France dispose, je le répète, d'une réserve importante d'uranium appauvri qui pourrait permettre, le cas échéant, d'alimenter des réacteurs à neutrons rapides à combustible solide, dont la maturité technologique est bien plus élevée que celle des réacteurs fonctionnant sur le cycle thorium, l'opportunité de changer de cycle de combustible nucléaire à court terme n'est, de mon point de vue, pas démontrée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Stéphanie Kerbarh.
Mme Stéphanie Kerbarh. Monsieur le ministre d'État, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit une réduction de la part du nucléaire à 50 % de la production électrique. À la fin de l'année, le Gouvernement doit établir la programmation pluriannuelle de l'énergie PPE pour la période de 2019 à 2028, c'est-à-dire la politique énergétique qui traduira les orientations et les priorités d'action de l'État pour la gestion de l'ensemble des filières énergétiques. Dans cette programmation pluriannuelle de l'énergie, vous prévoyez de préciser le nombre des réacteurs nucléaires qui seront fermés, de les identifier et de fixer le calendrier.
La durée de vie des réacteurs nucléaires initialement prévue était de quarante ans. Sur la période couverte par la PPE, 50 % des réacteurs du parc nucléaire passeront leur quatrième visite décennale. Les opérations du grand carénage lancé par EDF permettront de garantir la sûreté des centrales et de ces réacteurs. L'Autorité de sûreté nucléaire ASN rendra son avis sur ces prolongations en 2020 ou 2021, donc après l'adoption de la PPE. Comment le Gouvernement entend-il élaborer cette programmation sans disposer du rapport de l'ASN qui permettra d'identifier les réacteurs qui peuvent rester en fonction et ceux qui devront être fermés ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Madame Kerbarh, vous l'avez dit et je ne cesserai de le répéter, le Gouvernement a confirmé son ambition de réduire la part du nucléaire et son souhait de définir une nouvelle trajectoire, ambitieuse, d'évolution de notre mix énergétique, qui permettra, je l'espère, d'atteindre le plus rapidement possible les objectifs fixés par la loi. Cette trajectoire sera définie, vous l'avez rappelé, à travers l'élaboration de la prochaine PPE, travaux qui doivent aboutir à la fin de l'année 2018.
La PPE fixera des orientations en matière de réduction du parc nucléaire existant. Bien évidemment, elle devra nécessairement intégrer l'incertitude quant aux avis futurs de l'ASN concernant la prolongation des réacteurs. L'avis générique de l'ASN qu'il ne faut pas confondre avec les précédents sur les quatrièmes visites décennales des réacteurs du palier 900 mégawatts, le plus ancien, devrait être connu, quant à lui, à l'horizon 2020. Il sera décliné ensuite réacteur par réacteur, à l'horizon de leur visite décennale. Près d'une trentaine d'avis seront donc rendus sur la période couverte par la PPE. Je souhaite que la PPE pour les années 2019 à 2028 définisse effectivement le nombre de réacteurs à fermer, le calendrier et les critères de choix de ces réacteurs. Je pense d'ailleurs que l'opérateur EDF, à qui j'ai demandé de participer à ces travaux, va nous y aider.
L'impératif de sûreté nucléaire restera la priorité du Gouvernement, mais d'autres critères doivent être pris en compte pour décider quels réacteurs seront fermés. Je pense évidemment aux critères économiques tous les réacteurs n'ayant pas la même rentabilité , aux critères sociaux et à l'équilibre du réseau. Tous ces éléments font l'objet d'une discussion que nous avons entamée avec EDF, qui devra adapter son outil industriel aux objectifs que nous nous sommes fixés.
Au regard de l'enjeu de sécurité de l'approvisionnement, ces décisions devront intégrer les marges de prudence nécessaires pour tenir compte des conséquences possibles des orientations qui seront prises par l'ASN. À ce titre, le développement des énergies renouvelables, pour lequel nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux, et les efforts en matière d'efficacité énergétique, que doit définir la PPE, contribueront normalement à renforcer ces marges de sécurité en termes d'approvisionnement électrique.
Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Démoulin.
M. Nicolas Démoulin. Monsieur le ministre d'État, la filière nucléaire française est reconnue dans le monde entier pour son expertise. La question de la sortie du nucléaire pose nécessairement celle du démantèlement des réacteurs nucléaires.
Sur les 150 réacteurs à l'arrêt dans le monde, seuls dix-sept démantèlements ont été menés à leur terme. Selon les estimations, plus de 200 réacteurs seront mis à l'arrêt dans les quinze ans à venir. En effet, selon l'Agence internationale de l'énergie atomique, plus de 65 % des 448 réacteurs de production d'électricité en exploitation dans le monde à la fin de l'année 2017 fonctionnent depuis plus de trente ans. Ces chiffres augurent de perspectives intéressantes sur le marché du démantèlement, notamment pour la filière française.
Neuf réacteurs de première génération sont en cours de démantèlement en France, ce qui permet à nos entreprises de développer leur expertise et leur savoir-faire. La fermeture annoncée de la centrale de Fessenheim sera une nouvelle occasion de démontrer l'excellence française en la matière.
Monsieur le ministre d'État, étant donné qu'il y a plus de réacteurs nucléaires à démanteler qu'à construire et que cette tendance va probablement se renforcer dans les années à venir, le démantèlement ne pourrait-il pas devenir la nouvelle orientation stratégique de notre filière nucléaire ? Quelles pourraient être les perspectives de ce marché en termes d'emploi et de développement de notre filière à l'export ?
M. Raphaël Schellenberger. Économie de ferrailleurs !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Comme vous l'avez évoqué, monsieur Démoulin, le développement d'une filière de démantèlement constitue, qu'on le veuille ou non, une perspective stratégique pour l'industrie française, compte tenu de son expertise dans ce domaine.
Nos trois grands leaders disposent d'atouts considérables en la matière. EDF possède une expérience industrielle forte, avec le démantèlement de six grands réacteurs de première génération, de technologies très variées. Bien évidemment, EDF sera nécessairement amenée à enrichir cette expérience dans les années qui viennent, au fil du démantèlement en série des réacteurs de deuxième génération. De son côté, Orano dispose d'une expertise forte et en développement permanent dans les domaines de la logistique, du démantèlement d'installations du cycle et de la reprise, du conditionnement et du traitement de déchets nucléaires de toute nature. Enfin, le CEA Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives mène une recherche et développement très pointue en la matière.
Les travaux de structuration d'une offre attractive, notamment en vue de la valoriser à l'international, pourront et devront être abordés dans le cadre du comité stratégique de la filière nucléaire. Des partenariats internationaux se développent d'ores et déjà dans le domaine, notamment avec le Royaume-Uni, nos deux pays étant régulièrement confrontés à des enjeux similaires et disposant de compétences très complémentaires. Lors d'un récent séminaire au niveau ministériel, auquel a participé la secrétaire d'État Brune Poirson, les deux gouvernements ont ainsi demandé à EDF, à Orano et à la Nuclear Decommissioning Authority NDA , organisme britannique chargé du démantèlement et de la gestion des déchets radioactifs, de leur faire très rapidement des propositions concrètes, en particulier sur le démantèlement des réacteurs de première génération, les réacteurs graphite-gaz, que les deux pays ont en commun.
Je vous confirme donc très clairement que le ministère de la transition écologique et solidaire souhaite accompagner le positionnement des acteurs sur cette thématique, en France d'abord, car c'est un enjeu de responsabilité pour eux et pour l'État, mais aussi à l'étranger, car nos coopérations dans le domaine nucléaire doivent résolument s'orienter sur les enjeux prioritaires de durabilité et de soutenabilité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Josso.
Mme Sandrine Josso. Monsieur le ministre d'État, le bilan prévisionnel publié il y a quelques mois par Réseau de transport d'électricité, filiale d'EDF, a confirmé qu'il n'était pas envisageable de réduire brutalement le nombre de nos réacteurs sans augmenter dans le même temps nos émissions de gaz à effet de serre.
M. Raphaël Schellenberger. Effectivement !
Mme Sandrine Josso. Pour compenser cette baisse de la production d'électricité, il serait en effet nécessaire d'ouvrir de nouvelles centrales au gaz et de prolonger, contre toute logique, la vie de nos centrales à charbon.
Dans ce contexte, le développement de la production d'énergies renouvelables doit s'accélérer, ce qui implique des investissements importants au regard du retard pris par la France dans ce domaine. Lors de la COP21, la France s'est engagée à produire 27 % de son électricité grâce aux énergies renouvelables d'ici à 2030. Pour atteindre cet objectif, le concours de nos voisins européens est essentiel : mutualisation des investissements, harmonisation des règles de marché, suppression des barrières et des mesures discriminatoires dans le cadre du paquet européen « énergie propre ».
Monsieur le ministre d'État, pouvez-vous nous préciser le calendrier et les moyens mis en oeuvre pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, sachant que la part du nucléaire dans le mix énergétique français est amenée à diminuer ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Madame Josso, la loi relative à la transition énergétique a fixé quatre objectifs. Si nous échouons par rapport à l'un d'entre eux, nous échouerons par rapport aux quatre. Si nous ne réduisons pas notre consommation ou si nous n'accélérons pas le développement des énergies renouvelables, nous ne parviendrons pas à les atteindre. Compte tenu des enjeux climatiques, nous ne pouvons effectivement pas sacrifier la réduction des émissions de gaz à effet de serre et, en même temps, nous devons réduire la part du nucléaire. Car, que l'on soit pour ou contre le nucléaire, il n'est jamais bon de mettre tous ses oeufs dans le même panier les Brésiliens en ont fait l'expérience à leurs dépens en matière d'énergie hydraulique.
Le Président de la République a demandé au Gouvernement d'établir, en associant étroitement les entreprises, les salariés, les élus, les territoires et les citoyens, une nouvelle trajectoire d'évolution, ambitieuse, qui permette d'atteindre le plus rapidement possible les objectifs fixés par la loi. Franchement, en ce moment, nous y passons toutes nos semaines : nous essayons de trouver les bons leviers, d'identifier les verrous, d'élaborer les bons dispositifs réglementaires afin d'accélérer les choses.
M. Raphaël Schellenberger. C'est la moindre des choses quand on est ministre !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Car, je l'ai souvent dit devant cette assemblée, pour la construction des parcs éoliens offshore, il s'est parfois passé douze ans entre le lancement de l'appel d'offres et l'installation du premier mât, et cela s'est fait dans des circonstances économiques qui n'étaient pas optimales. Nous remettons tout cela à plat.
M. Sébastien Jumel. Sauf au Tréport !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Nous allons examiner les choses pour l'éolien et la méthanisation. Nous construisons une vision et, pour une fois, une véritable stratégie. Tel est l'objet principal mais pas exclusif de l'activité de mon ministère. Cela fait partie d'un plan, appelé « accélérateur de la transition écologique », qui vise à changer d'échelle, notamment en matière de développement des énergies renouvelables, sachant que le mix devra inclure, je le répète, l'éolien offshore avec des éoliennes flottantes , l'éolien terrestre, le solaire, la méthanisation et la production de gaz naturel. Et n'oublions pas que nous avons aussi, dans notre palette, la captation de chaleur, la géothermie ou encore les énergies marines.
M. Sébastien Jumel. Et les hydroliennes !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Nous vous présenterons, d'ici au printemps prochain, ce plan d'accélération, qui nous permettra de tenir nos objectifs. Ce sera, à tout le moins, un plan réaliste.
Mme la présidente. La parole est à Mme Bérangère Abba.
Mme Bérangère Abba. Monsieur le ministre d'État, à la mi-janvier, vous avez confié à votre secrétaire d'État Sébastien Lecornu la mise en place d'un comité de pilotage sur la fermeture de la centrale de Fessenheim afin d'assurer la reconversion du site et d'y construire un projet de territoire exemplaire.
M. Raphaël Schellenberger. Outil de communication !
Mme Bérangère Abba. Ce comité s'organise autour de six grands groupes de travail, consacrés respectivement à la mutation économique, à l'aménagement du foncier, aux infrastructures, à la fiscalité locale, à l'approvisionnement énergétique et à l'étude d'impact.
Concernant la fiscalité locale, vous avez envisagé la mise en place d'une fiscalité spécifique pour une zone allant de Colmar à Mulhouse, afin de neutraliser les pertes liées à la fermeture, estimées à 14,3 millions d'euros. Les centrales nucléaires sont en effet soumises à des impositions spécifiques telle que l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux IFER , qui apportent aux collectivités locales des recettes fiscales importantes.
Afin de maintenir l'objectif d'une réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d'électricité, d'autres centrales que celle de Fessenheim devront être fermées dans les années à venir. La question de la fiscalité est donc d'une importance particulière pour les territoires concernés. Comment travaillez-vous avec les acteurs locaux à la mise en place de cette fiscalité spécifique ? Quelles sont vos premières pistes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Monsieur Schellenberger, je ne veux pas entrer dans une polémique, mais ce n'est pas un outil de communication, pardon de vous le dire. J'ai pleinement conscience que si nous ne mettons pas en place un modèle de contrat de transition énergétique, nous ne tiendrons pas nos objectifs. Nous allons essayer de modéliser les choses à Fessenheim, sachant que chaque territoire présente ses propres spécificités. Gardons aussi à l'esprit que, indépendamment de nos objectifs, certains réacteurs ou centrales seraient arrivés, à un moment donné, en fin de vie. En tout cas, un tel modèle est, pour moi, une clé essentielle si nous voulons réussir la transition énergétique.
Comme vous le savez, madame Abba, nous nous sommes engagés dans cette transition qui repose d'une part sur la sobriété, l'efficacité et d'autre part je l'ai dit à l'instant sur la diversification des sources de production. La fermeture de la centrale de Fessenheim s'inscrit pleinement dans cet objectif. Comme ce sera la première fermeture de ce type, nous avons intérêt à être imaginatifs et performants. Au reste, nous ne le serons pas tout seuls à Paris ; nous serons avec l'ensemble des acteurs locaux.
Je rappelle que, pour la première fois, un représentant du Gouvernement est venu rencontrer les salariés de Fessenheim ainsi que les acteurs du territoire. Il n'est donc pas question de faire de la communication, mais de construire ensemble une solution. Il convient d'accorder la plus grande priorité à la préparation de cette échéance, qui doit intervenir avant la fin de 2018 ou au début de 2019. Elle se calera en effet avec le démarrage de l'EPR réacteur pressurisé européen de Flamanville.
Il s'agit de mettre en oeuvre avec l'appui des collectivités locales et, évidemment, la participation active d'EDF une stratégie ambitieuse, exemplaire, qui sera peut-être reproductible, de reconversion des personnels et des territoires. Le comité de pilotage relatif à l'après-Fessenheim a effectivement été mis en place le 19 janvier, à la préfecture de Colmar, par Sébastien Lecornu.
La fiscalité locale fait partie des thèmes en cours d'examen tant en niveau local qu'au niveau central, en relation avec le ministère de l'intérieur et celui de l'économie et des finances. L'État est donc mobilisé pour identifier les pistes de compensation à la fermeture de Fessenheim à l'horizon du mois d'avril. À cette période, nous aurons sans doute une plus grande visibilité. La perspective de l'évolution du mix énergétique sera bien entendu prise en compte.
Une deuxième réunion du comité de pilotage se tiendra les 12 et 13 avril, ce qui nous offrira l'occasion de faire le point sur les progrès qui auront été réalisés. En attendant, six groupes de travail se réunissent très régulièrement pour avancer sur des propositions solides, qui nous permettront de préparer la fermeture annoncée fin 2018 ou début 2019.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Gérard Menuel.
M. Gérard Menuel. Monsieur le ministre, je vais vous contraindre à un exercice répétitif, mais la répétition peut avoir des vertus pédagogiques.
Nous connaissons en France un niveau de production d'énergie électrique que l'on peut qualifier de « palier haut ». Nous le devons en particulier aux cinquante-huit réacteurs construits en un laps de temps relativement court dix ans compris entre 1975 et 1985. C'est le cas de ceux qui se trouvent à Nogent-sur-Seine, dans ma circonscription, et qui sont aujourd'hui en pleine production.
En théorie, ces cinquante-huit réacteurs à eau pressurisée REP d'EDF construits à la même époque devraient être mis à l'arrêt sur une période courte, comprise entre dix et vingt ans. On peut s'interroger, même en cas de prolongement, sur les lendemains d'une telle opération, sur les méthodes de démantèlement et sur les coûts réels appréhendés seulement en partie. Mais les véritables besoins d'électricité à échéance, à partir de 2040-2050, dans notre pays, ne sont pas abordés. Or 2040-2050, c'est demain.
Pensez-vous que les nouvelles technologies de production d'énergies renouvelables seront à terme suffisantes pour répondre aux besoins ? En creux, jugez-vous qu'il sera indispensable d'engager, pourquoi pas sur les sites existants, la mise en place d'une nouvelle génération de réacteurs ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Monsieur le député, encore une fois : nous sommes au début de 2018, par conséquent les différents scénarios sont encore sur la table. Cependant, pour l'instant, le Gouvernement a confirmé que nous sommes dans une phase de réduction de la part du nucléaire. Nous agirons dans ce sens le plus intelligemment possible, puisque nous additionnerons les intelligences des uns et des autres pour éviter tout risque de rupture d'approvisionnement.
La réduction de la part du nucléaire se produira à mesure que nous réduirons notre consommation et que nous développerons nos énergies renouvelables, mais non de manière mécanique. Il faut en effet programmer cette évolution. Il est hors de question que nous la laissions se produire dans le désordre et que nous prenions le risque d'une rupture d'approvisionnement.
Comme je l'ai indiqué à M. Brun, nous nous sommes engagés dans une transition énergétique qui repose sur la sobriété, l'efficacité, la diversification des sources de production et d'approvisionnement, notamment grâce au développement des énergies renouvelables. Pour mettre en oeuvre cette transition de manière opérationnelle, il faudra définir une trajectoire de réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique à partir de l'élaboration de la fameuse programmation pluriannuelle de l'énergie PPE , dont les travaux aboutiront à la fin de 2018.
Je l'ai dit à plusieurs reprises : je souhaite que la PPE précise le nombre de réacteurs à fermer, le calendrier de leur fermeture et les critères de choix de ces réacteurs. À ce calendrier sera associée une date d'atteinte de l'objectif de 50% de nucléaire dans la production d'électricité, date qui doit être la plus proche possible, mais doit aussi être choisie de manière réaliste.
Les études de RTE démontrent qu'à cet horizon, le système électrique pourra fonctionner avec une part d'énergies renouvelables variant entre 40% et 49%. À plus long terme, la part du nucléaire dans le mix énergétique dépendra de l'évolution de la consommation électrique, du rythme du développement des énergies renouvelables, de la disponibilité et du coût des solutions de stockage de l'électricité, et du pilotage de la consommation à l'horizon 2035.
Ma conviction personnelle est qu'on pourra atteindre le taux de 100 % d'énergies renouvelables. Je ne l'ai pas vu dans une boule de cristal. Avant d'occuper mes fonctions actuelles, j'ai fait le tour de tous les centres de recherche du monde dédiés aux énergies renouvelables. Croyez-moi : le futur est déjà en marche. J'espère pouvoir vous en convaincre dans les temps qui viennent.
En tout cas, nous devons avoir un objectif en tête : la souveraineté énergétique, ce qui signifie que devrons produire dans nos frontières l'immense majorité de l'énergie que nous consommons. Ce sera bon pour l'emploi, pour notre économie, et de manière collatérale pour la planète.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabrice Brun.
M. Fabrice Brun. Monsieur le ministre d'État, en tant que membre de la commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, j'ai visité mardi matin la centrale de Cruas-Meysse en Ardèche. Le terrain, vous le savez, il n'y a que ça de vrai ! Cette visite me permet de préciser que, contrairement à ce qui a pu être rapporté, les militants de Greenpeace, lors de leur intrusion dans la centrale, le 28 novembre dernier, n'ont pas atteint la piscine d'entreposage du combustible.
Nous le devons à la réactivité du PSPG, le peloton spécialisé de protection de la gendarmerie, unité d'élite installée, à demeure, dans l'enceinte même de la centrale. En effet, nous ne pouvons tolérer aucune concession sur la sécurité des installations.
Ce sera l'objet de ma première question : au vu de la menace terroriste qui pèse sur notre pays, ne serait-il pas opportun de classer les centrales nucléaires en « zones de défense hautement sensibles » ? Il est capital, notamment en cas d'attaque terroriste, que les militaires puissent déployer, après sommations, la force armée adaptée.
Ma deuxième question concerne la sortie progressive du nucléaire. Au mois de novembre dernier, vous avez estimé devant la représentation nationale qu'il n'était pas réaliste de ramener à 50 % d'ici à 2025 la part du nucléaire dans la production d'électricité. C'est tout à votre honneur, monsieur le ministre d'État, que de préférer la sincérité à la mystification.
Pour atteindre cet objectif de 50 %, il faut réussir à maintenir la part actuelle de l'hydraulique peut-être ne le dit-on pas suffisamment et faire passer de 6 % à 35 % celle de la production d'énergies renouvelables : éolien, photovoltaïque, biomasse, géothermie, etc. Redondance est mère de compréhension. Avez-vous aujourd'hui le recul nécessaire pour nous proposer une nouvelle échéance plus réaliste, voire tenable, intégrant notre parc nucléaire comme un atout de la transition énergétique ? Pour le dire autrement : la date de 2035 est-elle bien raisonnable ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Monsieur le député, je commencerai par répondre d'un mot à votre seconde question. La réponse est non à ce stade, puisque la réponse doit être apportée par la programmation pluriannuelle de l'énergie. Les prochains mois nous permettront de valider le projet, mais je suis incapable de dire à ce stade si l'échéance, qui, en tout état de cause, ne pourra pas intervenir en 2025, se situera en 2030 ou en 2035. Ces questions appellent une vision intégrale et une approche systémique. Sans pouvoir vous répondre précisément, je suis certain que nous déboucherons dans un délai raisonnable.
Il y a quelques mois, M. Claude de Ganay a défendu une proposition de loi visant à renforcer les conditions d'accès aux installations nucléaires de base, et tendant notamment à renforcer leur protection contre les actes de malveillance.
M. Fabrice Brun. C'était une excellente proposition de loi !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Votre question nous rappelle qu'on ne sera jamais trop prudent. Dans un pays stable sur le plan économique et politique, les citoyens peuvent dormir sur leurs deux oreilles, mais comment augurer de la stabilité économique et politique ? Aujourd'hui, malheureusement, la folie n'a plus de limite.
Cette proposition de loi a été déposée en complément de la création déjà décidée par mes services de zones nucléaires à accès réglementé, entraînant des incriminations lourdes en cas d'intrusion sur les sites nucléaires.
Je rappelle que les centrales nucléaires sont actuellement protégées par des pelotons spécialisés de la gendarmerie.
M. Fabrice Brun. Il faut leur rendre hommage.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Personnellement, et je ne pense pas être le seul, j'éprouve une grande confiance dans notre dispositif actuel de protection physique de nos installations nucléaires. Cependant, vous avez raison : il ne faut pas sous-estimer le niveau de menace auquel celles-ci peuvent être exposées. Le classement en zone de défense hautement sensible autoriserait les gendarmes présents sur les installations nucléaires à engager, comme vous l'avez dit, une réponse armée contre d'éventuels intrus après les sommations d'usage. Une telle disposition, qui aurait certes un effet dissuasif important à l'égard d'acteurs potentiellement malveillants, doit encore être étudiée de manière approfondie.
Il me semble nécessaire de définir précisément les conditions d'une mise en oeuvre encadrée et proportionnée d'une telle mesure. Votre assemblée s'est saisie des questions de sûreté et de sécurité des installations nucléaires, créant une commission d'enquête dédiée au sujet. Je trouverais pertinent que cette question, ainsi que d'autres tout aussi sensibles, soit librement débattue en son sein.
Mme Barbara Pompili. Bien sûr !
Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Schellenberger.
M. Raphaël Schellenberger. Monsieur le ministre d'État, j'avais prévu de vous interroger sur la nécessité de construire dans les années à venir de nouveaux réacteurs du type EPR plus légers ou moins coûteux, ce qu'EDF semble prêt à faire. Mais vous avez déjà répondu, malheureusement par la négative, à cette question.
M. Sébastien Jumel. Ce n'est pas ce que le Président de la République a dit.
M. Raphaël Schellenberger. J'en profite donc pour vous interroger sur quelques imprécisions soulevées par ma collègue concernant l'aspect fiscal du dossier de Fessenheim. La fermeture de cette centrale privera le territoire de 15 millions d'euros par an de fiscalité, dont celui-ci aurait particulièrement besoin pour mettre en place les outils de la transition. Vous savez le département du Haut-Rhin particulièrement engagé dans le développement des énergies renouvelables.
Comment entendez-vous compenser cette perte fiscale, au-delà du petit engagement pris par M. Lecornu de prolonger de trois à cinq ans la période de lissage concernant la perte de certaines rentrées fiscales ? Quelles libertés entendez-vous accorder aux territoires pour qu'ils mettent en place une fiscalité franche transfrontalière avec l'Allemagne ? Il faudrait situer une zone franche, non entre Mulhouse et Colmar, mais sur le bord du Rhin, où certains espaces fonciers sont particulièrement attractifs à l'échelle européenne. Ils pourraient devenir non un simple hangar logistique de l'activité industrielle allemande, mais la base d'une véritable activité à plus-value, qui créerait de la richesse en Alsace.
Enfin, quelle attention particulière allez-vous porter aux 2 200 salariés actuellement en grève de la centrale nucléaire de Fessenheim, auxquels je rends hommage, et aux 5 000 emplois qui seront concernés par une baisse de salaire, comme ils l'ont déjà été en 2012, ainsi que l'a révélé une enquête de l'INSEE ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Monsieur le député, je n'ai pas de réponses précises à vous donner sur ces questions délicates, qui concernent un nombre important de salariés. Une visite de Sébastien Lecornu, quelle que soit son intelligence, ne suffira pas à régler le problème. D'ailleurs, la réflexion doit être menée non à titre individuel, mais collectivement, avec l'ensemble des acteurs économiques et des partenaires sociaux.
Non seulement nous l'avons engagée, mais nous travaillons sur le dossier avec tous les ministères concernés. La transition énergétique, j'en suis convaincu, ne s'effectuera pas dans une grande brutalité. Je l'ai dit pour le nucléaire. C'est un peu moins vrai pour le charbon, mais on ne ferme pas une centrale en un instant. Nous avons donc un peu de temps devant nous. J'espère qu'à terme, on constatera, outre la transformation des emplois, des créations d'emplois.
Sur le plan fiscal, rien n'est fermé à ce stade. Vous avez plaidé pour la création d'une zone franche. Cette solution n'est ni actée ni exclue. On l'a compris : il faudrait probablement traverser le Rhin. C'est dire qu'il faut mener la réflexion avec nos amis allemands. Par conséquent, tout est ouvert.
Quand la fermeture de Fessenheim a été annoncée, je n'ai jamais considéré qu'il s'agissait d'une stratégie énergétique ou politique. À mon sens, ce n'était pas comme ça qu'il fallait procéder. J'aurais préféré qu'on identifie des critères, qu'on définisse une vision, qu'on fixe un calendrier. Pour Fessenheim, la fermeture aura lieu. On le voit bien. Actuellement, un réacteur est éteint. Va-t-il se rallumer ?
M. Raphaël Schellenberger. Oui.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Peut-être avez-vous, sur les autorisations, des informations dont je ne dispose pas. Peu importe.
Sans doute ai-je été légèrement vexé de ce que vous avez dit tout à l'heure. C'est faire injure aux salariés que d'imaginer qu'ils se contenteront d'un simple outil de communication. On ne peut imaginer un seul instant que pour le reste de la transition énergétique, on passe partout en force.
Vous m'avez également interrogé sur le nouvel EPR. Aucune porte n'est définitivement close. Le prochain gouvernement
M. Sébastien Jumel. Nous annoncez-vous un remaniement ? ! (Sourires.)
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Non, je voulais parler du prochain quinquennat ! Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
Dans le cadre du présent quinquennat, la construction d'un nouvel EPR n'est pas la priorité. Je le dis sincèrement, sans considération politique. La priorité, c'est l'efficacité, le développement des énergies renouvelables et la réduction du parc nucléaire. La liberté de choix de notre pays demeurera intacte. J'ai mes convictions, mais je ne chercherai pas à vous apporter une quelconque démonstration. La démonstration du bien-fondé de cette politique se fera par la réalisation des quatre objectifs de la loi de transition énergétique.
Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Schellenberger, pour sa deuxième question.
M. Raphaël Schellenberger. Monsieur le ministre d'État, l'Alsace se situe dans l'espace très industrialisé du Rhin supérieur qui, avec ses 6 millions d'habitants, consomme en pointe 22 000 mégawatts. Ce territoire produisait jusqu'à présent 15 000 mégawatts, principalement au moyen de centrales nucléaires et à charbon. La donne change, puisque les centrales nucléaires allemandes seront toutes arrêtées en 2022, et que la plupart des centrales suisses, plus âgées que la centrale de Fessenheim, le seront également, ce qui limitera la production à 4 000 mégawatts dans le Rhin supérieur après 2023. Dans ces circonstances, nos voisins envisagent même sérieusement des possibilités de black-out.
Face au réalisme de nos voisins, le document que vient de nous transmettre, à votre demande, RTE, loin de nous rassurer, ne fait que renforcer notre inquiétude. Du point de vue de la méthode, RTE nous a adressé un schéma au mode de calcul alambiqué, dont les hypothèses sont masquées : surprenant manque de transparence pour bâtir une relation de confiance ! Sur le fond, la pointe historique de consommation alsacienne est supérieure à 3 000 mégawatts. Or, avec les chiffres de l'alimentation électrique fournis par le modèle de RTE, on arrive à une puissance de 1 500 mégawatts. D'où viennent les quelque 1 500 mégawatts manquants ?
Faut-il rappeler que 50 % de la consommation électrique alsacienne est destinée à l'industrie ? C'est une situation atypique, qu'il convient d'avoir à l'esprit. Comment compenser la baisse de la capacité de production, équivalente à la moitié de la consommation alsacienne, si nos voisins suisses et allemands ne sont plus en capacité de nous alimenter ? Considérez-vous que l'Alsace est vouée à un déclin industriel et humain justifiant une division par deux de sa consommation de pointe ? En résumé, nos amis allemands et suisses travaillent sur des modèles intégrant une augmentation de la consommation d'électricité de près de 2 % par an, alors que vous pariez sur une division par deux de la consommation électrique alsacienne pour nous rassurer quant à l'impact de la fermeture de Fessenheim sur la tenue du réseau alsacien. Comment justifier, monsieur le ministre d'État, cet inquiétant décalage ? Et dans ce contexte, pourquoi s'obstiner, encore une fois, à faire de Fessenheim la cible de la politique nucléaire gouvernementale ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Monsieur le député, pourquoi ce qui serait possible en Bretagne, qui n'a pas de centrale nucléaire, ne le serait-il pas en Alsace ?
M. Sébastien Jumel. Parce que les Bretons importent de l'énergie !
M. Raphaël Schellenberger. En Bretagne, il y a du gaz !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Lorsque les scénarios de RTE Réseau de transport d'électricité indiquent qu'il faudra probablement repousser la date de la réduction de la part du nucléaire dans la production électrique à 50 %, nous les jugeons fondés. Pourquoi n'en va-t-il pas de même lorsque RTE affirme que l'Alsace ne rencontrera pas de problème d'approvisionnement ?
M. Raphaël Schellenberger. Il manque 1 500 mégawatts !
M. Fabrice Brun. Il y a un risque !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. RTE affine ses études mais, à ce jour, aucun risque majeur n'a été identifié. Il est évident que personne n'a intérêt à connaître une situation de black-out. Nous allons étudier ces données, et je m'engage à les partager avec vous. Les interconnexions jouent un rôle important en la matière, et nous allons les renforcer pour construire l'Europe de l'énergie, qui est évidemment fondamentale. Je suis favorable aux expertises contradictoires, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, qui permettront de valider des inquiétudes ou de gommer des fantasmes. À ce stade, j'ai confiance dans les scénarios de RTE il serait délicat, pour le décideur politique que je suis, de ne pas m'y référer. Je vous propose de partager ces éléments et de confronter les expertises.
M. Raphaël Schellenberger. En Bretagne, vous construisez une centrale au gaz, ce que vous refusez de faire en Alsace !
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Cette centrale a été conçue à une époque où l'on ne pensait pas développer autant les énergies renouvelables.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe du Mouvement démocrate et apparentés. La parole est à M. Philippe Bolo.
M. Philippe Bolo. Monsieur le ministre d'État, les orientations nationales pour atteindre le nouveau mix énergétique français, qui réduit la place du nucléaire au profit de l'électricité renouvelable, reposent sur la prise en compte et la comparaison de différents scénarii. Ceux-ci, fondés sur des hypothèses de production et de consommation d'électricité, explorent différentes trajectoires. Comme l'atteste le très récent bilan de RTE sur l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité en France, ces trajectoires sont aujourd'hui précisément décrites en termes quantitatifs. Dès lors, s'il est possible de se projeter dans l'avenir en termes de gigawatts et de gigawattheures, il est plus délicat de le faire en considérant les dimensions économique et sociale, directes comme indirectes. Les études et investigations existantes me paraissent délaisser cette composante économique et sociale de la transition à amorcer.
Aussi, j'aimerais vous interroger sur la manière dont les dimensions économique et sociale vont être intégrées à la prise de décision. Le report du nucléaire vers les énergies renouvelables engendrera certes des pertes de valeurs mais, en même temps, permettra la création de nouvelles opportunités économiques au plan national comme au niveau mondial. Dans ce cadre, et afin de se projeter dans une optique d'anticipation raisonnable et raisonnée, une étude d'impact globale va-t-elle être réalisée ? Nous ne pourrions, en effet, que nous féliciter d'une étude élargissant la prise en compte des différents scénarii à celle de l'ensemble des coûts et des recettes associés. Elle devrait ainsi prendre en considération les variations du nombre d'emplois et la balance des cotisations salariales induites, les recettes fiscales perdues ou gagnées, les nouvelles répartitions territoriales des recettes et des dépenses, ou encore, pour ne citer que ces conséquences, l'impact sur la balance commerciale française.
Je souhaiterais donc vous entendre sur ce sujet et savoir si la représentation nationale pourra se saisir d'une telle évaluation économique de la stratégie énergétique française pour les décennies à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Monsieur le député, les trajectoires sur l'évolution du mix énergétique, je le répète, sont actuellement élaborées dans le cadre des travaux, déjà engagés, sur la programmation pluriannuelle de l'énergie. Ces orientations prendront évidemment en considération l'ensemble des objectifs de la politique énergétique, qui est définie par la représentation nationale. Ces objectifs comprennent, entre autres, la sécurité d'approvisionnement et, corrélativement, le maintien de prix de l'énergie compétitifs. Nous vivons une époque marquée par la faiblesse des prix de l'électricité, en raison, notamment, d'une surcapacité importante de production en Europe et de la faiblesse du prix du CO2, qui, il faut le reconnaître, encourage les acteurs du secteur à utiliser à plein leurs centrales à charbon. Nous faisons aussi face en France et en Europe à un fort besoin d'investissement pour renouveler notre système électrique, car de nombreuses centrales nucléaires, mais aussi au charbon, construites il y a quarante ou cinquante ans, arrivent en fin de vie.
L'objectif de la politique énergétique est aussi, évidemment, de favoriser l'émergence d'une économie compétitive et riche en emplois grâce, notamment, à la mobilisation de toutes les filières industrielles, en particulier celles de la croissance verte. Cela doit se faire dans le respect de nos engagements climatiques, qui sont, pour moi, une priorité, si ce n'est la priorité. Les travaux en cours relatifs à la PPE s'inscrivent parfaitement dans ce cadre. Ils ont permis d'identifier, filière par filière, les impacts en termes de coûts pour la collectivité, d'emploi et de balance commerciale. La PPE fera, sur ces bases, l'objet d'une étude d'impact globale qui quantifiera l'impact économique, social et environnemental de la programmation, ainsi que son impact sur la soutenabilité des finances publiques nous y travaillons actuellement , sur les modalités de développement des réseaux et sur les prix de l'énergie pour toutes les catégories de consommateurs, en particulier sur la compétitivité des entreprises exposées à la concurrence internationale. Cette étude d'impact sera publique et mise à la disposition de la représentation nationale.
En tout état de cause, des évolutions du mix énergétique que nous mettrons en place vont nécessairement se traduire, chacun le comprendra, par des créations d'emplois dans certains secteurs, et probablement par des pertes d'emplois dans d'autres secteurs. Aussi est-il de notre devoir de prévoir ces évolutions, d'accompagner les transferts, d'anticiper la reconversion des filières et des territoires qui vont être associés aux trajectoires de la PPE. Gardons à l'esprit que la PPE ne sera pas achevée demain matin et que nous anticipons largement ces évolutions. La PPE devra également réaliser une évaluation des besoins de compétences professionnelles dans le domaine de l'énergie, afin d'adapter les formations à ces besoins. C'est pourquoi j'ai notamment associé Muriel Pénicaud à nos réflexions.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sarah El Haïry.
Mme Sarah El Haïry. Monsieur le ministre d'État, en octobre dernier, vous nous avez annoncé qu'il serait difficile de tenir l'engagement de diminuer la part du nucléaire à 50 % de la production électrique française en 2025. La décision d'étaler la fermeture des centrales nucléaires se justifie certes par la nécessité de diminuer progressivement la part du nucléaire dans la production électrique. Cependant, si la durée de vie de certaines centrales nucléaires est prolongée, il convient d'être particulièrement vigilant quant à la sécurité et à la sûreté de nos infrastructures. Les auditions menées par la commission du développement durable, ainsi que plusieurs études sur le sujet mettent en évidence un grand nombre de failles et de menaces pesant sur les populations riveraines de ces installations. La centrale du Tricastin, dans la Drôme, semble particulièrement concernée : les fissures provoquées par l'hydrogène, qui s'aggravent au fur et à mesure de l'utilisation des cuves, ne laissent pas d'inquiéter.
En outre, après avoir démontré, en 2017, qu'il était possible de s'infiltrer dans une centrale nucléaire, l'ONG Greenpeace a mandaté des experts en terrorisme et des chercheurs pour étudier la question de la sûreté de nos installations nucléaires, notamment dans le but d'identifier les possibilités d'incursion. Leurs conclusions étaient très préoccupantes quant au risque d'infiltration. J'ai moi-même interpellé M. Lévy, PDG du groupe EDF, lors de son audition devant la commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, le 17 janvier dernier. Constatant que l'interpellation des représentants de Greenpeace dans la centrale de Cattenom était intervenue au bout de huit minutes, il a affirmé : « Cela est de nature à nous rassurer [ ] ».
Monsieur le ministre d'État, si la durée de vie de certaines de nos centrales nucléaires doit être prolongée, sommes-nous en capacité d'assurer la sécurité et la sûreté de celles-ci ? Avons-nous tiré les enseignements des différentes alertes ? Quelles garanties pouvez-vous offrir aux populations riveraines, qui peuvent légitimement s'inquiéter de l'état de nos installations nucléaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Madame la députée, vous évoquez deux problématiques. L'une porte sur la sûreté des installations nucléaires, c'est-à-dire sur la prévention des accidents d'origine naturelle ou technologique, dont le contrôle a été confié à l'Autorité de sûreté nucléaire, qui est une autorité administrative indépendante. L'autre problématique, qui est complémentaire, concerne la sécurité nucléaire, à savoir la protection des installations nucléaires contre la malveillance, qui a été évoquée précédemment.
S'agissant de la première question, l'Autorité de sûreté nucléaire a pour mission d'examiner et de contrôler les conditions de sûreté dans lesquelles les installations sont exploitées. Cette institution, vous le savez, agit en toute indépendance. Elle ne manque jamais, à chaque fois qu'elle considère qu'il existe un risque sur le plan de la sûreté, de demander à l'exploitation d'EDF d'effectuer les travaux nécessaires nous en avons eu quelques exemples récemment. Je pense qu'elle place la barre haut, même si elle ne le fera jamais assez à mes yeux. Elle peut aller jusqu'à imposer l'arrêt d'un réacteur, le temps des travaux c'est le cas, actuellement, d'un certain nombre d'entre eux et doit alors autoriser la remise en service.
La centrale nucléaire du Tricastin, comme l'ensemble des centrales situées au palier de 900 mégawatts, va bientôt commencer son quatrième réexamen périodique décennal, qui va débuter par le réacteur no 1, en 2019. EDF devra donc démontrer la sûreté et la sécurité de cette centrale et, probablement, proposer des améliorations pour continuer à exploiter le réacteur no 1 après 2020, et les réacteurs nos 2, 3 et 4 respectivement après 2021, 2023 et 2025. Personnellement, pour avoir vu ses équipes à l'oeuvre, j'ai toute confiance dans l'action de l'ASN, en particulier pour garantir que l'extension de la durée d'exploitation des centrales proposée par EDF ne se fera pas au détriment de la sûreté. Nous ne sommes d'ailleurs pas certains que les autorisations seront accordées. Je resterai évidemment attentif à la mise en oeuvre complète des améliorations qui sont souhaitées par l'ASN dans le domaine de la sûreté nucléaire.
S'agissant à présent de la sécurité nucléaire, qui concerne la protection des installations nucléaires contre les actes de malveillance, elle est mise en oeuvre par l'État et par les opérateurs nucléaires eux-mêmes pour prévenir, protéger et faire face aux actes de malveillance potentiels à l'encontre d'une installation nucléaire. L'État a un rôle particulièrement important à jouer en ce domaine, comme l'a affirmé la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui a été promulguée par le Président de la République le 30 octobre 2017.
Mme la présidente. La parole est à M. Jimmy Pahun.
M. Jimmy Pahun. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, ma question prolonge celle de mon collègue Démoulin. La stratégie de sortie du nucléaire est un sujet extrêmement vaste, et je concentrerai mon propos sur la question du démantèlement des installations nucléaires.
On peut aisément identifier les risques et les enjeux liés au démantèlement de nos installations nucléaires, qu'il s'agisse de la radioprotection des travailleurs, de la gestion des déchets radioactifs, ou encore de la bonne décontamination des sols. En théorie, le démantèlement d'une centrale n'est pas chose aisée. Elle le devient encore moins quand, en pratique, s'ajoutent à ces difficultés les aléas juridiques, les problèmes techniques et l'expression d'une inquiétude sociale.
Les exemples sont connus, comme celui de la centrale bretonne de Brennilis, qui a cessé de fonctionner en 1985 et dont le démantèlement n'est toujours pas achevé. L'estimation du coût total des opérations a été multipliée ces dernières années et atteint presque 500 millions d'euros. Un coût important, qui se trouve certes à la charge de l'exploitant, mais qui laisse planer un doute sur la soutenabilité des délais envisagés pour le démantèlement du parc nucléaire français.
Le difficile démantèlement des réacteurs à l'uranium naturel graphite gaz illustre également les retards pris par les exploitants. Ainsi, EDF a récemment préféré changer de stratégie face aux difficultés techniques rencontrées dans le démantèlement des réacteurs, ce qui retarde la fin des opérations.
Le rapport d'information sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires de base, déposé sous la précédente législature, documente l'ensemble de ces difficultés. Les rapports de l'Autorité de sûreté nucléaire pointent eux aussi des erreurs, sinon des manquements, dans la stratégie des exploitants.
Monsieur le ministre d'État, face à ce constat, pouvez-vous nous détailler votre plan d'action en faveur du développement des filières de démantèlement des installations nucléaires ? Comment comptez-vous accélérer le processus de démantèlement et faire de cette nouvelle industrie vertueuse une excellence française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Monsieur le député, je ne sais pas s'il faut accélérer le processus, car il faut faire les choses calmement, rationnellement et pas n'importe comment. Votre question met bien en exergue la complexité sociale et technique de ce sujet. On a mis ces difficultés de côté, mais elles nous rattrapent. Maintenant, indépendamment de la baisse de la part du nucléaire dans l'électricité à 50 %, il faudra bien fermer des centrales, car elles ne passeront pas toutes les grandes visites. Les déchets ultimes se retrouveront je ne sais où, mais les autres déchets représenteront un volume énorme que l'on songe au moindre matériau de béton ou de ferraille issu d'une centrale dont il faudra s'occuper. Nous sommes à l'heure de vérité, et l'acceptabilité sociale n'est pas le moindre problème.
Vous soulignez à juste titre les difficultés que je viens d'évoquer sur le démantèlement des centrales de première génération. Il convient en premier lieu d'insister sur le défi technique que représente le démantèlement de ces centrales, dont la conception très singulière n'avait malheureusement, c'est le moins que l'on puisse dire, pas suffisamment pris en compte cette étape de la vie des installations.
Ces difficultés que l'exploitant semble en mesure de surmonter même si vous avez fait référence à cette petite centrale bretonne qui n'a toujours pas été démantelée ne seront pas extrapolables au parc des cinquante-huit réacteurs à eau pressurisée, pour lequel il existe un retour d'expérience international qui est assez favorable, comme le rappelle le rapport parlementaire auquel vous faisiez référence.
Par ailleurs, de nombreux réacteurs étant conçus sur le même modèle, EDF pourra profiter d'un effet de mutualisation qui devrait permettre de réduire les coûts de démantèlement même si l'exploitant les juge importants , une fois que celui des premiers réacteurs aura été engagé. Nous devrons prendre en compte ce défi important dans les grands choix que nous ferons sur le nucléaire pendant ce quinquennat.
Comme vous le savez, le démantèlement est une opération très coûteuse, longue et qui exige des compétences particulières. C'est pour cela que le déploiement d'une filière de développement constitue une perspective paradoxalement stratégique pour l'industrie française, compte tenu de son expertise dans ce domaine. Des travaux de structuration d'une offre attractive, notamment de valorisation à l'international, pourront être abordés dans le cadre du comité stratégique de la filière nucléaire. Des partenariats internationaux se montent d'ores et déjà dans ce domaine, notamment avec le Royaume-Uni. Les Britanniques et nous faisons en effet face à des enjeux similaires et disposons de compétences complémentaires.
Enfin, le calendrier des travaux de démantèlement sera arrêté à la suite de l'élaboration de la programmation pluriannuelle de l'énergie PPE , qui fixera les orientations en matière de réduction du parc nucléaire existant. Vous aurez les éléments quand la PPE sera achevée.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe UDI, Agir et indépendants.
La parole est à M. Paul Christophe.
M. Paul Christophe. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, la loi Royal de 2015 prévoyait de ramener, à l'horizon 2025, la part d'électricité produite par l'énergie nucléaire à 50 %. Le Gouvernement a annoncé le report à 2030, ou probablement à 2035, de cet objectif. L'échéance est certes repoussée, mais les questions demeurent puisque la fermeture de certaines centrales, à moyen ou long terme, reste inéluctable.
La France est le premier pays au monde en nombre de réacteurs nucléaires en exploitation par habitant, avec cinquante-huit réacteurs pour 67 millions de Français. Ces réacteurs produisent plus de 70 % de l'électricité fabriquée dans notre pays. Par exemple, la centrale de Gravelines, dans notre circonscription, cher Christian Hutin, représente 9 % de notre capacité nucléaire. Avec ses six réacteurs de 900 mégawatts, mis en service entre 1980 et 1985, elle est la plus grande centrale d'Europe de l'Ouest, générant 2 200 emplois directs sur site et environ 2 000 emplois indirects. Les réacteurs de la centrale atteindront leurs quarante ans dans la deuxième partie de la décennie 2020, et ce sujet inquiète donc particulièrement les habitants de Gravelines.
Les centrales nucléaires françaises ont eu un impact très important à l'échelle des territoires locaux, générant de l'emploi, de la croissance et donc des richesses. Les communes bénéficient des retombées fiscales du nucléaire, qui alimentent une grande partie de leurs recettes budgétaires. Si ces centrales venaient à fermer, les conséquences économiques et sociales seraient évidemment très importantes.
Je souhaiterais donc vous interroger sur l'accompagnement des territoires dans l'après-centrale. L'État devra, avec les collectivités territoriales concernées, travailler à la mutation économique du territoire. Il faudra également réussir cette reconversion pour que l'histoire ne se répète pas. Le département du Nord peut en effet douloureusement témoigner des crises qui ont marqué des villes au passé glorieux, lors de la fermeture des grandes industries textiles et minières.
Quelle est donc la feuille de route du Gouvernement pour accompagner les territoires dans l'après-centrale ? Des contrats de territoire sont-ils prévus ? Quel pourrait en être le contenu ? Comment sécuriser les activités qui s'y sont développées à proximité, notamment celles des électro-intensifs voire ultra électro-intensifs, et qui présentent des enjeux de fourniture d'énergie en continu et de prix ?
M. Christian Hutin. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Monsieur le député, ne voyez pas la moindre désinvolture dans la brièveté de ma réponse, mais j'ai déjà évoqué ce sujet tout à l'heure. C'est une situation inédite, même si notre histoire fourmille, malheureusement, d'activités ayant connu le déclin après la prospérité. L'avantage est que les choses ne se feront pas brutalement, et l'on pourra les échelonner, je l'espère, et surtout les anticiper. On commence d'ailleurs à agir, alors que, pour Fessenheim comme pour l'objectif de 50 %, rien n'avait été anticipé, les conséquences sociales comme les éventuels potentiels économiques. Tout cela doit s'appréhender territoire par territoire, filière par filière et, je dirais presque, salarié par salarié.
C'est ce à quoi nous travaillons avec plusieurs ministères, cette mission étant la principale du secrétaire d'État Sébastien Lecornu. J'ai souhaité que mon ministère s'intitule ministère de la transition écologique et solidaire, non pour me parer d'un ruban supplémentaire, mais parce que je considère que si la transition écologique n'est pas solidaire, elle ne se fera pas de manière apaisée.
Nous sommes en train de modéliser ces contrats de transition. Il n'y aura pas de patron reproductible dans chaque territoire, parce qu'il faudra parfois fermer complètement une centrale, parfois simplement arrêter un réacteur. Nous sommes également en train de nous demander si les métiers actuels pourront participer à la filière de démantèlement. Ce sont autant de questions auxquelles je n'avais pas de réponse. Nous prenons en compte tous ces éléments pour rendre socialement et économiquement acceptable, voire désirable comme je l'espère, la transition énergétique.
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Christophe, pour poser sa seconde question.
M. Paul Christophe. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, la filière nucléaire en France représente 200 000 emplois, ce qui en fait la troisième filière industrielle après l'aéronautique et l'automobile. Beaucoup de centrales se trouvent dans les Hauts-de-France, où les habitants sont préoccupés de leur avenir. Cette industrie apporte à la France sécurité d'approvisionnement, compétitivité économique et des décennies d'avance sur ses voisins européens en matière d'émissions de gaz à effet de serre. C'est aussi une industrie d'exportation, dont le Président de la République soutient le développement dans les plus grands pays du monde en forte croissance, comme la Chine ou l'Inde.
Dans un premier temps, pouvez-vous préciser la stratégie du Gouvernement entre diversification du mix électrique, grâce au développement des énergies renouvelables dont nous souhaitons tous voir la part augmenter vers 50 %, et une stratégie de sortie du nucléaire ?
Au jour où le projet Cigéo défraie la chronique à Bure, avez-vous modélisé les volumes de stockage nécessaires en fonction des options envisagées, entre combustibles usagés, combustibles retraités non utilisables, matériaux liés à la déconstruction et à ses modalités à savoir, entreposage souterrain, stockage en piscine ou à sec ?
Enfin, les efforts en matière de diversification des modes de production ont besoin d'être accompagnés d'une maîtrise, ou plutôt d'une baisse de la consommation électrique, pour ne pas subir l'impact du développement massif du véhicule électrique, attendu dans l'optique de la fin des véhicules à moteur thermique. Envisagez-vous de nouveaux dispositifs incitatifs aux économies d'énergie, ou la mise en oeuvre d'une mission de conseil auprès des collectivités, des acteurs économiques et des particuliers, voire le renforcement d'une agence existante ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Monsieur le député, Cigéo a été conçu si le projet est bien mené à son terme, la décision n'étant pas encore prise pour les déchets purement français, les déchets ultimes n'ayant pas vocation à rester chez nous, même si certains pays sont un peu réticents à l'idée de récupérer les déchets une fois que nous les avons conditionnés. Cela montre que n'a pas encore émergé quelque part dans le monde un projet parfaitement ficelé et acceptable socialement ; tout le monde se renvoie la balle, et j'espère que l'on trouvera la moins mauvaise solution. Dans ce domaine comme dans d'autres, on a occulté les problèmes et l'on se retrouve au pied du mur, où il va bien falloir trouver des solutions.
Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer à vos collègues Nicolas Démoulin et Jimmy Pahun, nous avons bien conscience que le déploiement d'une filière de développement et de gestion des déchets constitue une perspective stratégique et une filière pour l'industrie française, compte tenu de notre expertise largement reconnue dans ce domaine. Les atouts français sont nombreux, et l'on doit admettre, quelles que soient nos positions sur le nucléaire, que l'excellence française est reconnue dans cette matière et qu'elle offre de nombreuses perspectives en termes d'emploi et de compétences, non pour quelques années, mais pour des dizaines.
Je souhaite que mon ministère puisse appuyer les efforts de structuration de la filière, en France comme à l'international. Je compte aussi sur le comité stratégique de la filière nucléaire pour nous aider à travailler sur cette question essentielle.
L'ANDRA, établissement public du ministère, mène de nombreuses actions de coopération à l'international, car il importe, au-delà de nos intérêts économiques et industriels, de promouvoir, comme vous l'avez évoqué, une gestion responsable et sûre des déchets issus de l'industrie nucléaire auprès de tous les pays qui en ont besoin.
Mme la présidente. Nous en venons à la question du groupe Nouvelle Gauche.
La parole est à Mme Michèle Victory.
Mme Michèle Victory. Monsieur le ministre d'État, lors de la précédente législature, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte avait fixé l'objectif de réduction de la part de l'électricité d'origine nucléaire de 75 % à 50 % à l'horizon 2025. En novembre dernier, vous avez annoncé qu'il serait difficile de tenir cet objectif, car une diminution trop rapide du parc nucléaire contraindrait à maintenir en activité les quatre centrales à charbon françaises et à construire une vingtaine de centrales au gaz.
Ce recours accru aux énergies fossiles aurait pour conséquence de doubler les émissions de CO2 issues du système électrique, si bien qu'une sortie trop rapide du nucléaire pourrait se faire au détriment de nos objectifs climatiques. Ainsi, au-delà du mix énergétique, se pose surtout la question de la sobriété énergétique, la meilleure énergie étant celle que l'on ne consomme pas. Sur ce sujet, beaucoup reste à faire ! Il y a aujourd'hui près de 7 millions de « passoires thermiques » en France. En plus de l'impact environnemental, elles pèsent sur le pouvoir d'achat des Français ; la facture d'énergie est le deuxième poste de dépenses courantes d'un ménage et un foyer sur cinq se trouve en situation de précarité énergétique.
Dans la continuité du précédent gouvernement, vous vous êtes fixé l'objectif d'éradiquer la précarité énergétique en dix ans, ce qui doit passer par des mesures incitatives à destination des ménages les plus modestes. Vous le savez, monsieur le ministre, la question de l'acceptabilité sociale de la transition énergétique est cruciale.
Or, dans le cadre de la loi de finances pour 2018, vous avez décidé d'une augmentation importante de la fiscalité écologique. Si nous partageons vos objectifs, nous regrettons ces mesures, qui ont un fort impact sur le pouvoir d'achat des ménages, notamment en milieu rural.
Afin de compenser cette hausse, les députés socialistes avaient proposé un doublement du chèque énergie. Expérimenté depuis 2016 dans quatre départements, dont l'Ardèche, ce dispositif à destination des ménages les plus modestes a montré son efficacité et sera généralisé à partir du 26 mars dans ces départements. Cette proposition de doublement du chèque énergie n'a malheureusement pas été retenue par le Gouvernement.
Quelles mesures envisagez-vous dans le budget 2019 pour permettre aux Français, notamment les plus modestes, de réduire leur consommation énergétique ?
M. Christian Hutin. Très bonne question !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Madame Victory, la priorité absolue en matière de politique énergétique quels que soient les choix que nous ferons s'agissant du mix énergétique consiste en effet à réduire la consommation d'énergie. Sur cet objectif, nous sommes tous d'accord, car il ne fera que des gagnants : les entreprises y gagneront un surcroît de compétitivité et les consommateurs du pouvoir d'achat à confort égal. Quant à l'état de la planète, ce choix permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Il s'agit d'ailleurs de l'un des principaux enseignements du bilan prévisionnel publié par Réseau de transport d'électricité RTE à l'automne dernier. Celui-ci démontre que la consommation d'électricité il importe de garder à l'esprit ce constat, qui donne un peu d'espoir diminue dans notre pays, nonobstant la croissance économique et le développement de nouveaux usages, notamment l'utilisation de véhicules électriques.
C'est le signe que les politiques menées depuis dix ans quelle que soit la majorité gouvernementale finissent par porter leurs fruits. Le Gouvernement a donc pour objectif d'inciter nos concitoyens à réduire leur consommation d'énergie, en leur fournissant tous les instruments susceptibles de leur faciliter la tâche.
Ainsi, la modification de la trajectoire de la composante carbone vise à introduire un avantage compétitif au bénéfice de l'économie décarbonée. Toutefois, il ne faut pas placer les gens dans des impasses. Vous avez raison de rappeler que l'acceptabilité sociale de la transition énergétique est un enjeu décisif. Elle a d'ailleurs été inscrite dans l'intitulé de mon ministère, car je sais qu'il s'agit d'une condition de la réussite d'ensemble.
Le Plan climat, que j'ai présenté au moins de juillet 2017, a été complété par un plan de rénovation énergétique des bâtiments, qui permettra de changer d'échelle et de lutter efficacement j'espère contre la précarité énergétique. Nous avons choisi de faire entrer l'Accord de Paris dans la vie quotidienne des Français. Sa mise en oeuvre suppose en effet d'adopter des mesures simples et visibles permettant de changer la vie quotidienne de nos concitoyens, et de les aider à réaliser des économies d'énergie pour compenser une éventuelle hausse de la fiscalité écologique.
Plusieurs mesures prévues par la loi de finances pour 2018 sont en vigueur depuis le 1er janvier dernier. Ainsi, le chèque énergie a été généralisé après avoir été expérimenté dans certains territoires. Son montant moyen de 150 euros sera porté dès l'an prochain à 200 euros. Si celui-ci n'a pas été doublé, comme vous l'espériez, madame Victory, le dispositif a néanmoins été généralisé. Tous les Français éligibles recevront ce chèque destiné à régler leur facture énergétique.
Dès le 1er janvier, la nouvelle prime à la conversion pour remplacement d'un ancien véhicule est entrée en vigueur. Son montant est compris entre 1 000 et 2 000 euros. Elle est destinée aux ménages qui ne sont pas imposables, qu'elle incite à remplacer un véhicule ancien et polluant par un véhicule neuf ou d'occasion moins polluant. Elle peut, dans certains cas, couvrir 50 % du prix du véhicule acheté. Il ne s'agit donc pas d'un dispositif anodin.
Enfin, nous avons décidé et ce n'est pas la moindre de nos décisions de faire perdurer en 2019 le crédit d'impôt pour la transition énergétique, qui incite à la rénovation des logements. Nous le transformerons en une prime versée rapidement, ce qui permettra d'en développer l'usage. En effet, un crédit d'impôt s'adresse à un nombre restreint de personnes, car il suppose la possibilité d'avancer les frais, alors qu'une prime versée rapidement est bien plus incitative.
Telles sont les principales mesures que nous avons mises en place. Elles représentent près de 2 milliards d'euros d'aides et s'accompagnent de la délivrance de certificats d'économie d'énergie, qui sont très importants en matière budgétaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marine Le Pen, au titre des députés non inscrits.
Mme Marine Le Pen. Monsieur le ministre d'État, la France a développé, pour répondre au choc pétrolier des années 1970, animée par la légitime préoccupation d'assurer son indépendance énergétique, un parc de production électronucléaire qui lui assure la deuxième place au monde dans la production d'énergie de ce type, après les États-Unis. Pour ce faire, notre pays a développé une compétence technologique d'excellence reconnue, qui lui a permis d'exporter son savoir-faire grâce au talent de nos chercheurs et de nos ingénieurs.
Cette maîtrise technologique nous a également permis de devenir une puissance nucléaire, ce qui est le gage d'une place éminente dans le concert des nations. Cette maîtrise s'incarnait dans le Commissariat à l'énergie atomique et dans sa filiale Areva. Les incohérences stratégiques des gouvernements qui se sont succédé sous la responsabilité des présidents Sarkozy et Hollande, ainsi que les choix industriels hasardeux de la direction d'Areva, ont mené cette entreprise à une quasi-faillite et à son démantèlement au profit d'EDF. Ainsi, l'un des fleurons de l'industrie française a été détruit par incurie.
Par ailleurs, afin de satisfaire les idéologies ressortissant à l'écologie politique, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 a fixé un objectif arbitraire de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité française à 50 % en 2025. Vous avez vous-même admis, le 7 décembre dernier, le caractère irréaliste de cet objectif et l'avez reporté à 2030 ou 2035.
Dès lors, n'est-il pas temps de revenir à la raison et d'abandonner un objectif irréaliste et absurde adopté uniquement pour amadouer un parti politique qui soutenait alors le gouvernement socialiste , de relancer la filière nucléaire française filière d'excellence qui n'a jamais failli dans notre pays, où aucun incident majeur n'est à déplorer et de poursuivre résolument les travaux de recherche en vue de construire un réacteur de quatrième génération ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Madame Le Pen, il en va de l'énergie nucléaire comme de notre modèle agricole : saluons le service rendu dans un contexte précis et tenons un discours objectif. Néanmoins, les paramètres ont changé. Le nucléaire a eu ses vertus. Quant à l'indépendance énergétique, nous pouvons en débattre, mais tel n'est pas l'objet de cette séance de questions. Sommes-nous du reste certains, dans le contexte géopolitique actuel, de pouvoir sécuriser durablement notre approvisionnement en matériaux fissiles ?
Longtemps, on a exclu qu'un accident majeur puisse se produire dans un pays politiquement et économiquement stable. Après Tchernobyl, on a circonscrit cette éventualité à l'URSS, puis aux pays qui en sont issus. Après Fukushima, on a mis l'accent sur le tsunami à l'origine de l'accident. Je demeure réservé, mais il ne s'agit plus d'un débat dogmatique. En tout état de cause, on voit bien que nous ne contrôlons plus grand-chose dans la filière du nucléaire en matière économique.
A l'heure où nous parlons, j'ignore combien de sarcophages recouvrent la centrale de Tchernobyl et combien de centaines de milliers de mètres cubes de substances radioactives ont été déversés dans l'océan Pacifique depuis la côte du Japon, sans parler des centaines de milliers de personnes qui ont dû quitter définitivement leur logement.
Adoptons donc un discours plus mesuré. Je ne me livre ici à aucun procès : je dis que la sagesse minimale impose d'équilibrer la composition du mix énergétique, notamment en matière de production d'électricité. La filière nucléaire est très technique et soulève des problèmes d'acceptabilité sociale. Elle est très lourde. À l'heure où nous envisageons d'en sortir, nous découvrons la complexité d'une telle démarche. Elle fait en outre l'objet de nouvelles exigences de sûreté.
J'adopterai donc un discours plus prudent que le vôtre, madame Le Pen. Les arguments économiques sont successivement battus en brèche, d'autant plus que nous ne maîtrisons pas les coûts.
Quant aux énergies renouvelables, elles sont à présent bien plus matures qu'elles ne l'étaient auparavant. Porter à terme leur part dans le mix énergétique à 50 % permettra, me semble-t-il, de faire la démonstration car je ne peux vous convaincre uniquement par des mots qu'elles renforceront la souveraineté énergétique de la France, à laquelle je vous sais très attachée.
Elles en assureront également une à des pays moins puissants économiquement que la France, et constitueront donc un facteur d'équité à l'échelle mondiale. Il importe en particulier que l'Afrique si vous me permettez cette brève digression produise l'énergie qu'elle consomme dans le cadre de ses frontières, à partir des sources d'énergie gratuites que sont le vent, le soleil et la biomasse.
Il me semble que nous pouvons tous tomber d'accord qu'il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, ce qui en l'espèce consiste à viser l'objectif des 50 %. Je suis absolument convaincu que ce choix est valable socialement, écologiquement et économiquement. Le coût des énergies renouvelables diminue c'est déjà le cas pour l'énergie solaire, et l'éolien, la biomasse et la géothermie devraient suivre. Elles emploient des technologies bien plus simples que la filière nucléaire et leur arrêt est bien plus facile que celui d'un réacteur nucléaire.
M. Jimmy Pahun. Croyez-le !
Mme la présidente. La séance de questions sur la stratégie de sortie du nucléaire est terminée.Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 28 février 2018