Interview de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, avec France Inter le 26 février 2018, sur le conflit syrien et sur l'Union européenne face à la situation politique en Pologne et en Hongrie.

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Média : France Inter

Texte intégral


MARC FAUVELLE
Bonjour Nathalie LOISEAU.
NATHALIE LOISEAU
Bonjour.
MARC FAUVELLE
Le Conseil de sécurité de l'ONU a voté avant-hier le principe d'une trêve humanitaire d'1 mois en Syrie, qu'en reste-t-il ce matin ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, la trêve n'est pas encore appliquée, puisqu'on a su hier qu'il y avait encore des bombardements dans la région de la Ghouta orientale. La France a pesé très fortement pour l'adoption de cette résolution du Conseil de sécurité, elle a d'ailleurs été difficile, mais finalement elle a été adoptée à l'unanimité. Hier, le président de la République, Angela MERKEL, ont appelé Vladimir POUTINE pour l'enjoindre de peser de tout son poids, et son poids est réel, on le sait, auprès du régime de Damas pour que la trêve puisse entrer en vigueur, pour que l'aide humanitaire puisse arriver dans cette région de la Ghouta orientale où il y a eu depuis début janvier un seul convoi d'aide humanitaire pour 400.000 civils, pris au piège d'une véritable horreur.
MARC FAUVELLE
Qui bombarde, en ce moment, les civils en Syrie, est-ce que ce sont les Syriens ou est-ce que c'est l'aviation russe ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, en tout état de cause, aujourd'hui, si le régime syrien peut bombarder, peut agir, en Syrie, c'est parce qu'il a le soutien de la Russie et de l'Iran, c'est la Russie et l'Iran qui tiennent à bout de bras le régime syrien. La question qui se pose c'est donc de faire en sorte que tous les acteurs internationaux, régionaux, qui interviennent en Syrie, fassent pression pour le respect de ce cessez-le-feu, de cette trêve. C'est la raison pour laquelle Jean-Yves LE DRIAN est demain à Moscou, et il sera prochainement à Téhéran.
MARC FAUVELLE
Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, la Russie ne demande pas à son allié syrien d'arrêter de bombarder les civils ?
NATHALIE LOISEAU
La Russie a voté la résolution du Conseil de sécurité puisqu'elle a été adoptée à l'unanimité.
MARC FAUVELLE
Il y a une seule parole russe ou il y a un double jeu ?
NATHALIE LOISEAU
Il y a une seule parole russe, la vraie question c'est est-ce que Bachar EL-ASSAD, et ses troupes, obéissent à ceux qui les soutiennent ou est-ce qu'ils jouent leur jeu propre ? Nous nous mettons toute notre énergie pour faire en sorte que ce cessez-le-feu soit respecté, pour faire en sorte que l'aide humanitaire arrive aux populations, c'est ça la vraie priorité.
MARC FAUVELLE
De quels leviers disposez-vous aujourd'hui Nathalie LOISEAU, de quels leviers disposent l'Europe pour faire plier Moscou et convaincre Vladimir POUTINE qu'il faut cette trêve aujourd'hui en Syrie ?
NATHALIE LOISEAU
Alors j'aurais tendance à dire, parce que je suis malgré tout idéaliste, l'humanité, le fait que…
MARC FAUVELLE
Ça n'a pas vraiment marché pour l'instant !
NATHALIE LOISEAU
Ça n'a pas vraiment marché pour l'instant, il n'en reste pas moins que ce pays, qui est martyrisé depuis 7 ans, ce pays est par terre, ce pays accueille des populations qui ne seront plus radicales si elles continuent à souffrir, ce pays il faudra le reconstruire, et ce n'est pas la Syrie seule qui se reconstruira, ce n'est pas la Russie ou l'Iran qui reconstruiront la Syrie. On a besoin, toute la communauté internationale doit, ensemble, peser pour une fin des hostilités, pour un règlement politique.
MARC FAUVELLE
Mais ce que vous nous dites ce matin Nathalie LOISEAU, c'est que finalement on n'a pas grand-chose à mettre dans la balance face à Moscou et qu'il faut compter, finalement, sur la bonne volonté des Russes de vouloir sortir de cette guerre.
NATHALIE LOISEAU
Oui et non. Je le disais, il faudra reconstruire la Syrie, et ce n'est pas un pays seul qui y parviendra. Nous nous avons des raisons d'être intervenu contre Daesh, c'était ça notre objectif, puisque c'était, depuis Raqqa en particulier, que des attentats avaient été planifiés contre la France, mais nous avons aussi, en Europe, eu à vivre une arrivée massive de réfugiés en provenance de Syrie, donc nous avons notre mot à dire. Nous l'aurons sur la reconstruction de ce pays, nous voulons être écoutés, et nous avons besoin, tous, ensemble, d'aller vers un règlement politique. Ceux qui ont cru pouvoir mener des négociations avec certains Syriens et pas d'autres ont échoué, ça veut bien dire qu'il faut que toute la communauté internationale se rassemble, pour un règlement politique en Syrie.
MARC FAUVELLE
Nathalie LOISEAU, les casques blancs syriens, on les entendait dans le journal de 8h tout à l'heure, font état de largages de bombes au phosphore et au chlore, ces dernières heures, depuis l'entrée en vigueur théorique du cessez-le-feu, est-ce que vous confirmez ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, pour le moment, il y a des allégations, pour le moment, elles ne sont pas confirmées, il y en a déjà eu dans le passé, il faut évidemment qu'on en sache plus, c'est bien pour cela qu'il faut qu'une trêve soit respectée, non seulement, les armes conventionnelles sont utilisées, mais, à plusieurs reprises, il y a eu des soupçons d'utilisation d'armes chimiques, nous sommes, là-dessus, en train de vérifier les allégations qui viennent d'un camp, qui ont été niées par un autre, c'est évidemment très difficile de savoir ce qui se passe sur le terrain.
MARC FAUVELLE
Vous avez encore un doute, le Quai d'Orsay a encore un doute sur l'utilisation d'armes chimiques par le régime syrien ?
NATHALIE LOISEAU
Sur ce que vous décrivez, c'est-à-dire, sur ce qui se serait passé hier, où il y aurait eu une utilisation de chlore, je n'ai pas de confirmation.
MARC FAUVELLE
Et sur ces derniers mois ?
NATHALIE LOISEAU
Et sur ces derniers mois, là encore, on parle de chlore, c'est très difficile d'y voir clair. Ce qui est certain, c'est que les autorités syriennes, si elles ont utilisé des armes chimiques, devront répondre de leurs actes, lorsque la paix sera revenue en Syrie.
MARC FAUVELLE
Pas avant ? Si demain matin, on apprend que des armes chimiques ont été utilisées contre des civils par Bachar El-ASSAD, il n'y a pas de réplique immédiate de la France, comme l'avait promis Emmanuel MACRON, ce n'est plus à l'agenda diplomatique ?
NATHALIE LOISEAU
C'est tout à fait à l'agenda diplomatique, mais pour annoncer cela, il faudrait qu'on ait la certitude que des armes chimiques ont été utilisées, et il y aurait évidemment discussion, en particulier entre partenaires de la coalition.
MARC FAUVELLE
Un mot, Nathalie LOISEAU, si vous voulez bien, sur la situation d'un pays européen, c'est la Pologne, il faut s'interroger sur les auteurs juifs de la Shoah, c'est ce que dit désormais le Premier ministre polonais, alors que la Pologne est déjà soupçonnée de révisionnisme ces derniers jours, avec une loi qui interdit notamment de parler des camps de la mort polonais. Comment l'Europe doit réagir face à ça ?
NATHALIE LOISEAU
L'Europe, ça n'est pas simplement un marché commun, ça n'est pas simplement un carnet de chèques, c'est une réunion de pays qui partage les mêmes valeurs. L'Europe, elle a été créée après la guerre pour se dire : plus jamais ça, plus jamais ça, c'est : plus jamais la guerre, mais c'est aussi plus jamais la barbarie. Reconnaître l'horreur de la Shoah, reconnaître… ne jamais se tromper entre les victimes et les bourreaux, reconnaître la part de responsabilité que beaucoup de pays ont malgré tout, en tout cas, beaucoup de citoyens ont malgré tout, c'est indispensable, ça n'est pas négociable. Il n'est pas normal que, on entretienne le flou ou une réécriture de l'histoire en aucun cas, mais en particulier, quand il s‘agit de la Shoah.
MARC FAUVELLE
Une fois qu'on a dit ça, on fait quoi avec Varsovie ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, on a…
MARC FAUVELLE
On coupe les vivres et on coupe les fonds européens comme on l'entend ces derniers jours ou pas ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, on a une discussion serrée, pas forcément facile avec la Pologne, en particulier, en raison de ses différentes réformes de la Justice, je le disais, les Etats membres de l'Union européenne, ils ont en commun plus que, un marché unique, ils ont en commun le respect de la démocratie, de la séparation des pouvoirs, de la protection des médias, de l'indépendance de la justice. On est en discussion avec Varsovie, la Commission européenne a lancé une procédure à l'encontre de la Pologne, on va en parler demain, à Bruxelles ; je me rends à Bruxelles, on va parler Etat de droit en Pologne.
MARC FAUVELLE
Et la position de la France, quelle sera-t-elle ?
NATHALIE LOISEAU
Et la position de la France, c'est de considérer que, on est dans une démarche qui porte atteinte aux valeurs fondamentales de l'Union européenne. On le redira demain, des sanctions peuvent être adoptées, alors, le processus est long, il est compliqué, mais nous ne sommes pas hostiles à ce que ce processus démarre, nous pensons aussi, puisque nous discutons, et c'était l'objet du sommet de vendredi à Bruxelles, du prochain budget européen, que, attribuer de l'argent à travers l'Europe, c'est faire preuve de solidarité, à condition qu'on partage les mêmes valeurs, les mêmes attentes que, on soit aussi respectueux de la séparation des pouvoirs, que, on aille vers de la convergence en matière politique économique sociale.
MARC FAUVELLE
Donc clairement, il y a une menace aujourd'hui au-dessus de la Pologne de couper les fonds européens si le pays ne revient pas dans les règles de l'Etat de droit ? On ne peut le dire comme ça ou pas ?
NATHALIE LOISEAU
Je ne le dirais pas comme ça, il y a une discussion très forte à l'intérieur de l'Union européenne, pour considérer que, on met des conditions à l'attribution des fonds, ce n'est pas seulement vis-à-vis de la Pologne, je veux dire, si demain, un autre pays s'éloignait de l'Etat de droit…
MARC FAUVELLE
Eh bien, on va en prendre un autre, Nathalie LOISEAU, si vous voulez bien, de pays, c‘est la Hongrie, qui refuse depuis des mois et des années d'accueillir le moindre migrant en fonction de l'accord sur les quotas européens, est-ce qu'on peut aujourd'hui refuser d'appliquer les règles européennes et continuer à profiter du club des 27 ?
NATHALIE LOISEAU
C'est la même question, et c'est vrai pour la Hongrie, c'est vrai pour la Pologne et c'est vrai pour deux autres pays de l'Union européenne, qui n'ont pas exercé leur devoir de solidarité lorsqu'il a fallu relocaliser des migrants arrivés massivement en Europe. Là encore, et l'Allemagne, l'Italie sont particulièrement sensibles à cette question, mais nous sommes d'accord avec eux ; on ne peut pas faire partie de l'Union européenne seulement quand ça nous arrange, et ne pas appliquer des décisions qui ont été prises par l'Union européenne. La relocalisation des migrants, ça a été pris à la majorité des Etats membres de l'Union européenne, il faut naturellement trouver une manière acceptable par tous d'exercer cette solidarité, demain, si une nouvelle crise des migrants survient, il faut partager le nombre de migrants entre pays de l'Union européenne.
MARC FAUVELLE
Nathalie LOISEAU, la ministre des Affaires européennes, invitée de France Inter jusqu'à 09h.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 février 2018