Texte intégral
Madame le Ministre,
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Selon une tradition qui commence à s'établir, il me revient de clore cette agora de la formation que sont les Entretiens Condorcet. C'est avec plaisir que je m'acquitte de cette tâche. Vos travaux, ma-t-on dit, ont été fructueux. Cette richesse ne m'étonne pas s'agissant d'une assemblée aussi compétente et motivée.
Est-il besoin de vous dire l'intérêt que le gouvernement porte à la formation ? En cela il n'est guère différent de ses prédécesseurs, ni de ses successeurs, j'en suis sûr : la formation est une des clés de notre avenir et aucun gouvernement ne peut et ne pourra l'ignorer.
C'est d'elle que dépend notre compétitivité économique actuelle et future, car notre plus grand et notre plus précieux capital est le capital humain.
C'est d'elle que dépend notre cohésion sociale à venir. La formation participe au premier chef à la lutte contre le chômage et l'exclusion dont nous mesurons les effets nocifs sur la cohésion nationale.
On le dit moins souvent. Cela, pourtant, ne compte pas moins à mes yeux : c'est de l'éducation et de la formation que dépend la maturité démocratique de nos sociétés. La formation, ce n'est pas simplement la transmission d'un savoir-faire technique. C'est aussi le partage du savoir tout simplement, l'accès pour tous aux outils intellectuels, la possibilité d'acquérir ce que l'on n'a pas hérité. C'est la possibilité pour chacun de devenir le sujet, ou plus exactement l'acteur de son propre destin. La formation, c'est l'accouchement de la citoyenneté, c'est l'ouverture à la responsabilité individuelle et collective dans la société.
C'est une conviction que j'ai depuis longtemps, conviction profondément républicaine qui trouve son origine historique dans le mouvement des Lumières : le plus sûr moyen de transformer le monde, c'est de former les hommes qui l'habitent.
Concrètement, quelles ont été les inflexions récentes qui méritent d'être soulignées ? La politique du gouvernement en la matière, avec une grande continuité, vise deux objectifs : élargir l'accès à la formation professionnelle, améliorer l'efficacité des dispositifs. Nous sommes animés par une double ambition : que la formation puisse bénéficier à tous, et qu'elle puisse bénéficier mieux à chacun.
Elargir l'accès, c'est le premier objectif, et cela signifie essentiellement trois choses : diversifier les voies de la formation initiale, développer les cordes de rattrapage pour ceux qui ont laissé passer leur première chance, étendre le champ de la formation permanente.
* D'abord la diversification des voies de la formation initiale.
Cela repose bien sûr sur le développement de l'apprentissage. La loi du 17 juillet 1992, qui résulte principalement des discussions avec les partenaires sociaux, devrait donner à cette formation la place qu'elle est en droit d'attendre.
J'ajoute, si vous le voulez bien, deux éléments aux dispositions de la loi : en 1993, un crédit d'impôt incitera au développement de l'apprentissage dans les entreprises ; parallèlement, nous proposerons d'augmenter l'aide directe dont bénéficient les petites entreprises.
L'objectif est simple : faire sortir l'apprentissage de l'obscurité où nos traditions académiques de formation surtout théorique l'avaient confiné. Le faire entrer de plein droit dans la culture des entreprises, y compris des grandes entreprises. Organiser son renouveau quantitatif et qualitatif afin de favoriser l'adaptation entre l'offre et la demande de qualification, et par conséquent entre l'offre et la demande de travail.
C'est dans le même esprit que le gouvernement travaille à améliorer la formation en alternance sous statut scolaire. Personnellement, je déteste les querelles théologiques, et les esprits sectaires, les rivalités inutiles qui nuisent à l'intérêt général. Les entreprises ne doivent pas dénigrer l'éducation nationale ; l'éducation nationale ne doit ni mépriser les entreprises ni se méfier d'elles. Il n'y a donc pas à mes yeux une formation indigne des exigences académiques qui serait l'apprentissage, et une formation indigne des exigences économiques qui serait l'alternance sous statut scolaire. La formation en alternance doit marcher sur ses deux pieds, égaux en efficacité et en dignité.
Nous avons encouragé l'apprentissage ; de même, nous encouragerons l'alternance dans le cadre scolaire. Il y a aujourd'hui 700.000 élèves dans l'enseignement professionnel : c'est dire l'importance des mesures prises en ce domaine. Sans vouloir déflorer les propositions que devrait faire bientôt M. Jean Glavany, dont vous comprendrez que la primeur soit réservée au Conseil des Ministres, je voudrais dire ici ce que sont nos objectifs.
Il s'agit de faire en sorte que s'organise un véritable partenariat pédagogique entre l'école et l'entreprise. Il faut que les entreprises encadrent véritablement les élèves qu'elles accueillent, qu'elles participent à la réflexion sur les formations dont elles sont l'un des maillons, qu'elles prennent une place à part entière dans le contrôle des compétences et la délivrance des diplômes. C'est à cela que nous allons nous attacher.
* Deuxième axe de l'élargissement des accès à la formation -qui est le complément du précédent- : accroître la participation de la formation à la lutte contre l'exclusion, celle des jeunes en particulier. Chaque année, plus de 90.000 jeunes arrivent sur le marché du travail sans formation suffisante. Il est impératif d'empêcher leur marginalisation.
Des mesures significatives avaient été prises, tel le crédit formation individualisée. D'autres la complètent.
Ainsi, la mise en place des "carrefours jeunes" permet d'améliorer la coopération entre les différents partenaires concernés et de faciliter l'accès des jeunes à la qualification en débrouillant -ou en tentant de débrouiller- le maquis des interlocuteurs.
La création du programme PAQUE -je sais bien que tout univers professionnel a son langage et ses rites, mais je dois vous confesser que je suis toujours fasciné par l'extraordinaire créativité lexicale du monde de la formation-, le programme PAQUE, disais-je, permettra de remettre sur les rails les jeunes qui, parce qu'il leur manque les savoirs de base -lire, écrire, compter-, sont privés de tout horizon professionnel et même social. 70.000 jeunes devraient être accueillis dans ce programme en 1992, et je félicite ceux qui ont participé à ce travail..
On pourrait aussi évoquer la création du contrat d'orientation et du contrat local d'orientation.
Tous ces dispositifs relèvent du même esprit : celui qui a présidé à l'invention du crédit formation individualisé. Vous connaissez l'expression : "l'histoire ne repasse pas les plats". Notre ambition, est justement qu'elle les "repasse" pour ces jeunes qui n'ont pas trouvé leurs marques dans le système de formation initiale, soit qu'ils y aient été psychologiquement rebelles, soit qu'ils n'aient pas disposé de l'environnement social qui leur permettait d'y trouver leur chemin.
Une société digne de ce nom est une société qui refuse que les dés du destin social soient par avance et définitivement jetés. L'école a été inventée pour apprendre mais aussi corriger les mécanismes de reproduction sociale. Dans le même temps où nous améliorons l'appareil éducatif, nous devons aujourd'hui compléter le dispositif scolaire afin de rattraper ceux qui en ont été exclus. Cette idée de la "seconde chance" est fondatrice des formes nouvelles de combat pour l'égalité et la promotion sociales. Si Jules Ferry existait aujourd'hui, je suis persuadé qu'il s'attacherait à fortifier ces cordes de rattrapage ou de rappel.
J'ajoute d'ailleurs qu'une telle perspective n'est pas réservée aux jeunes. Nous savons tous que l'organisation traditionnelle de la vie entre la formation, l'activité et la retraite n'est plus de saison. De la même façon que la réorganisation des rythmes d'activité et de loisir sera bouleversée par le partage nécessaire du travail, de même la formation ne peut pas être réservée aux âges les plus précoces de la vie. En vous quittant, je vais aller saluer les nouvelles formations d'ingénieurs : c'est le type même de métamorphose des rythmes d'alternance entre l'activité et la formation, justifiée à la fois par les nécessités économiques des entreprises, et le désir d'épanouissement et d'accomplissement personnels des salariés.
* Dernier élément de ce même souci d'un accès égal à la formation : l'élargissement aux entreprises de moins de 10 salariés ainsi qu'aux travailleurs indépendants, aux professions libérales et non-salariées, de la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle. Ce sont ainsi des milliers de salariés qui vont pouvoir bénéficier de la formation permanente.
L'effort naturellement ne doit pas s'arrêter là. Martine Aubry vous l'a dit, et je partage son point de vue : trop d'entreprises s'acquittent de leurs versements obligatoires sans organiser de formation pour leurs propres salariés ; et trop d'entreprises encore, en matière de formation, s'intéressent plus à la quantité qu'à la qualité. C'est cela qu'il nous faut changer.
Ces avancées devraient contribuer significativement à l'égal accès à la formation. Je ne dis pas que la tâche sera ainsi achevée. Mais nous aurons fait des progrès conséquents, qui vont de pair avec les efforts très importants que nous consentons en faveur de l'éducation.
Il faut également accroître l'efficacité de la formation.
* Son efficacité pour ceux qui en bénéficient, c'est le premier point.
A cet égard, le développement du tutorat dans les contrats d'insertion en alternance et dans l'apprentissage est un élément de première importance. Mme Aubry examine actuellement, avec les partenaires sociaux, un rapport sur cette question qui devra déboucher sur des propositions concrètes.
De même, l'institution d'un bilan de compétences, et la création des centres institutionnels qui les réalisent, pour aider chaque salarié, ou chaque demandeur d'emploi, à élaborer un projet professionnel, s'inscrivent dans cette logique.
Tutorat, bilan de compétences : il faut, en matière de formation comme en d'autres domaines -plus qu'en d'autres domaines sans doute-, passer des procédures générales aux suivis individualisés, et des grandes machines impersonnelles aux mécaniques de précision.
* Mais l'efficacité, ce sont aussi les gains de compétitivité et de productivité des entreprises.
La formation est l'une des clés des stratégies d'entreprise. Elle permet en effet d'adapter les ressources humaines aux changements de technologie ou d'organisation. Elle permet aussi d'améliorer la cohésion sociale de l'entreprise, sans laquelle -c'est la leçon de la fin du modèle tayloriste- il n'y a pas de développement durable. Nous devons impérativement sortir de la gestion de court terme qui fait de l'effectif la principale variable d'ajustement des entreprises. Il n'est pas vrai qu'il soit moins coûteux de licencier que de requalifier. Tout le monde peut faire ce raisonnement macro-économique simple : ce que l'on appelle le dégraissage, quel mot odieux malheureusement si souvent employé, se traduit en allocations chômage qui grèvent les charges fixes de la nation et sont financées en dernière analyse par les contribuables qu'il s'agisse des entreprises ou des particuliers. Ceux qui croient ainsi diminuer leurs coûts se trompent ; leur comportement encourage une attitude semblable des autres entreprises, en sorte qu'au terme de la chaîne, la mutualisation des charges est coûteuse pour chacun. Il est donc essentiel que la formation des personnels les moins qualifiés et l'incidence des modifications d'organisation du travail sur la formation soient au coeur de la négociation de branche, ainsi que les partenaires sociaux s'y sont engagés.
L'effort des entreprises ne doit pas s'arrêter à leurs portes. Elles doivent également concourir à l'adaptation des qualifications sur le marché du travail. Comment accepter, alors que nous comptons 2,5 millions de chômeurs et 2,9 millions de demandeurs d'emploi, qu'il puisse y avoir, chaque mois, des offres d'emploi non satisfaites ? Les accords cadres signés le 10 septembre 1992 par le ministère du Travail, l'ANPE et 13 organisations professionnelles ouvrent la voie : ils prévoient que les entreprises de secteurs qui rencontrent des difficultés de recrutement mettent leur capacité de formation au service des demandeurs d'emploi.
Martine Aubry qui a participé à l'élaboration des lois Auroux le sait bien il faut faire entrer davantage encore la démocratie dans les entreprises. Elle doit devenir non pas un lieu mais une communauté de travail ; elle doit par ailleurs participer aux réseaux de solidarité de la communauté nationale. La formation qu'elle dispense à ses salariés ou à laquelle elle contribue pour les demandeurs d'emploi en est à la fois l'instrument et l'indicateur. C'est une exigence de la société, mais c'est aussi, je le crois profondément, l'intérêt de l'entreprise.
J'aurais garde de vous quitter sans vous avoir fait part de quelques réflexions qui, si elles ne sont ni provocatrices, ni hostiles, ne sont pas nécessairement agréables à entendre. Nous sommes ici pour nous parler franchement. Notre rencontre serait moins intéressante si elle n'était pas un peu pimentée.
En 20 ans, la part des dépenses de formations dans le PIB a été multiplié par trois. 3 millions d'actifs participent chaque année à des actions de formation professionnelle continue. La dépense totale s'établit à 110 milliards de francs dont 35 sont dépensés par les entreprises. C'est dire l'importance du secteur.
Plus la responsabilité de la formation s'accroît, plus les organismes doivent être irréprochables. Je parle de qualité des prestations, d'utilité des formations proposées, de vérité et transparence des informations. Les pouvoirs publics nationaux et locaux - l'Etat dépense chaque année près de 50 milliards pour la formation, les régions 5 milliards - doivent y veiller. Les entreprises doivent avoir à l'égard de la formation les réflexes concurrentiels qu'elles ont avec n'importe quel prestataire de service. Enfin, et surtout, c'est à vous, et d'abord à vous, qu'il revient de chasser les marchands du temple, s'il en est encore. Mesdames et Messieurs, j'ai envie de vous dire : "encore un effort, sinon pour être révolutionnaires, du moins pour structurer et réguler votre activité".
Deuxième observation, qui est celle du maire de Nevers, c'est-à-dire d'un client. Mes amis, quel maquis ! 36 000 organismes déclarés, dont 23 000 ont une activité réelle, et moins de 5 000 un chiffre d'affaires supérieur au million de francs. Pour s'y retrouver, dans notre univers de la formation, il faut au moins avoir fait Polytechnique ! Car les procédures, les dispositifs, les organismes fleurissent en bouquets, en gerbes, que dis-je, en massifs... ! Je devrais d'ailleurs commencer par balayer devant ma propre porte, celle de l'Etat. Je regardais, l'autre jour, une liste de dispositifs de formation proposés aux jeunes : on ne peut pas dire, chère Martine, que nous les fassions manger au menu ! Contrat d'adaptation, crédit formation individualisé, actions d'insertion et de qualification, contrat d'orientation, contrat local d'orientation, contrat de qualification -j'en oublie certainement-. Je sais que tout cela correspond à des spécificités et au souci que j'évoquais du suivi le plus individualisé possible. Mais, croyez-moi, tous ensemble, nous devons faire un effort de clarification et de simplification.
Voici, Mesdames et Messieurs, les deux ou trois choses que je voulais vous dire en matière de formation. Vous le constatez, la ligne est simple : solidarité, compétitivité, simplicité et transparence.
On ne peut pas, à la manière des cités antiques, construire une société où cohabiteraient d'une part des patriciens, disposant du savoir et de l'emploi, d'autre part des citoyens de second rang, exclus de la connaissance et du travail. Cette coupure insidieuse s'est établie dans notre société, je devrais dire dans toutes les sociétés occidentales, sous l'effet d'une crise économique provoquée tant par l'amélioration du progrès technique que par une insuffisante solidarité entre les nations comme entre les hommes. Nous devons corriger ce mouvement dégoïsme qui n'a rien d'inéluctable. La formation n'est pas le seul instrument dont nous disposons pour éviter cette coupure.
Mais elle est un instrument essentiel car elle fortifie à la fois l'efficacité économique, la justice sociale et le lien civique que l'on peut établir entre les citoyens d'un pays. C'est dire la responsabilité qui repose sur vos épaules. Je sais votre travail, je sais vos difficultés, mais je ne doute pas que vous soyez à la hauteur de cette mission. Comptez sur nous pour vous aider.
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Selon une tradition qui commence à s'établir, il me revient de clore cette agora de la formation que sont les Entretiens Condorcet. C'est avec plaisir que je m'acquitte de cette tâche. Vos travaux, ma-t-on dit, ont été fructueux. Cette richesse ne m'étonne pas s'agissant d'une assemblée aussi compétente et motivée.
Est-il besoin de vous dire l'intérêt que le gouvernement porte à la formation ? En cela il n'est guère différent de ses prédécesseurs, ni de ses successeurs, j'en suis sûr : la formation est une des clés de notre avenir et aucun gouvernement ne peut et ne pourra l'ignorer.
C'est d'elle que dépend notre compétitivité économique actuelle et future, car notre plus grand et notre plus précieux capital est le capital humain.
C'est d'elle que dépend notre cohésion sociale à venir. La formation participe au premier chef à la lutte contre le chômage et l'exclusion dont nous mesurons les effets nocifs sur la cohésion nationale.
On le dit moins souvent. Cela, pourtant, ne compte pas moins à mes yeux : c'est de l'éducation et de la formation que dépend la maturité démocratique de nos sociétés. La formation, ce n'est pas simplement la transmission d'un savoir-faire technique. C'est aussi le partage du savoir tout simplement, l'accès pour tous aux outils intellectuels, la possibilité d'acquérir ce que l'on n'a pas hérité. C'est la possibilité pour chacun de devenir le sujet, ou plus exactement l'acteur de son propre destin. La formation, c'est l'accouchement de la citoyenneté, c'est l'ouverture à la responsabilité individuelle et collective dans la société.
C'est une conviction que j'ai depuis longtemps, conviction profondément républicaine qui trouve son origine historique dans le mouvement des Lumières : le plus sûr moyen de transformer le monde, c'est de former les hommes qui l'habitent.
Concrètement, quelles ont été les inflexions récentes qui méritent d'être soulignées ? La politique du gouvernement en la matière, avec une grande continuité, vise deux objectifs : élargir l'accès à la formation professionnelle, améliorer l'efficacité des dispositifs. Nous sommes animés par une double ambition : que la formation puisse bénéficier à tous, et qu'elle puisse bénéficier mieux à chacun.
Elargir l'accès, c'est le premier objectif, et cela signifie essentiellement trois choses : diversifier les voies de la formation initiale, développer les cordes de rattrapage pour ceux qui ont laissé passer leur première chance, étendre le champ de la formation permanente.
* D'abord la diversification des voies de la formation initiale.
Cela repose bien sûr sur le développement de l'apprentissage. La loi du 17 juillet 1992, qui résulte principalement des discussions avec les partenaires sociaux, devrait donner à cette formation la place qu'elle est en droit d'attendre.
J'ajoute, si vous le voulez bien, deux éléments aux dispositions de la loi : en 1993, un crédit d'impôt incitera au développement de l'apprentissage dans les entreprises ; parallèlement, nous proposerons d'augmenter l'aide directe dont bénéficient les petites entreprises.
L'objectif est simple : faire sortir l'apprentissage de l'obscurité où nos traditions académiques de formation surtout théorique l'avaient confiné. Le faire entrer de plein droit dans la culture des entreprises, y compris des grandes entreprises. Organiser son renouveau quantitatif et qualitatif afin de favoriser l'adaptation entre l'offre et la demande de qualification, et par conséquent entre l'offre et la demande de travail.
C'est dans le même esprit que le gouvernement travaille à améliorer la formation en alternance sous statut scolaire. Personnellement, je déteste les querelles théologiques, et les esprits sectaires, les rivalités inutiles qui nuisent à l'intérêt général. Les entreprises ne doivent pas dénigrer l'éducation nationale ; l'éducation nationale ne doit ni mépriser les entreprises ni se méfier d'elles. Il n'y a donc pas à mes yeux une formation indigne des exigences académiques qui serait l'apprentissage, et une formation indigne des exigences économiques qui serait l'alternance sous statut scolaire. La formation en alternance doit marcher sur ses deux pieds, égaux en efficacité et en dignité.
Nous avons encouragé l'apprentissage ; de même, nous encouragerons l'alternance dans le cadre scolaire. Il y a aujourd'hui 700.000 élèves dans l'enseignement professionnel : c'est dire l'importance des mesures prises en ce domaine. Sans vouloir déflorer les propositions que devrait faire bientôt M. Jean Glavany, dont vous comprendrez que la primeur soit réservée au Conseil des Ministres, je voudrais dire ici ce que sont nos objectifs.
Il s'agit de faire en sorte que s'organise un véritable partenariat pédagogique entre l'école et l'entreprise. Il faut que les entreprises encadrent véritablement les élèves qu'elles accueillent, qu'elles participent à la réflexion sur les formations dont elles sont l'un des maillons, qu'elles prennent une place à part entière dans le contrôle des compétences et la délivrance des diplômes. C'est à cela que nous allons nous attacher.
* Deuxième axe de l'élargissement des accès à la formation -qui est le complément du précédent- : accroître la participation de la formation à la lutte contre l'exclusion, celle des jeunes en particulier. Chaque année, plus de 90.000 jeunes arrivent sur le marché du travail sans formation suffisante. Il est impératif d'empêcher leur marginalisation.
Des mesures significatives avaient été prises, tel le crédit formation individualisée. D'autres la complètent.
Ainsi, la mise en place des "carrefours jeunes" permet d'améliorer la coopération entre les différents partenaires concernés et de faciliter l'accès des jeunes à la qualification en débrouillant -ou en tentant de débrouiller- le maquis des interlocuteurs.
La création du programme PAQUE -je sais bien que tout univers professionnel a son langage et ses rites, mais je dois vous confesser que je suis toujours fasciné par l'extraordinaire créativité lexicale du monde de la formation-, le programme PAQUE, disais-je, permettra de remettre sur les rails les jeunes qui, parce qu'il leur manque les savoirs de base -lire, écrire, compter-, sont privés de tout horizon professionnel et même social. 70.000 jeunes devraient être accueillis dans ce programme en 1992, et je félicite ceux qui ont participé à ce travail..
On pourrait aussi évoquer la création du contrat d'orientation et du contrat local d'orientation.
Tous ces dispositifs relèvent du même esprit : celui qui a présidé à l'invention du crédit formation individualisé. Vous connaissez l'expression : "l'histoire ne repasse pas les plats". Notre ambition, est justement qu'elle les "repasse" pour ces jeunes qui n'ont pas trouvé leurs marques dans le système de formation initiale, soit qu'ils y aient été psychologiquement rebelles, soit qu'ils n'aient pas disposé de l'environnement social qui leur permettait d'y trouver leur chemin.
Une société digne de ce nom est une société qui refuse que les dés du destin social soient par avance et définitivement jetés. L'école a été inventée pour apprendre mais aussi corriger les mécanismes de reproduction sociale. Dans le même temps où nous améliorons l'appareil éducatif, nous devons aujourd'hui compléter le dispositif scolaire afin de rattraper ceux qui en ont été exclus. Cette idée de la "seconde chance" est fondatrice des formes nouvelles de combat pour l'égalité et la promotion sociales. Si Jules Ferry existait aujourd'hui, je suis persuadé qu'il s'attacherait à fortifier ces cordes de rattrapage ou de rappel.
J'ajoute d'ailleurs qu'une telle perspective n'est pas réservée aux jeunes. Nous savons tous que l'organisation traditionnelle de la vie entre la formation, l'activité et la retraite n'est plus de saison. De la même façon que la réorganisation des rythmes d'activité et de loisir sera bouleversée par le partage nécessaire du travail, de même la formation ne peut pas être réservée aux âges les plus précoces de la vie. En vous quittant, je vais aller saluer les nouvelles formations d'ingénieurs : c'est le type même de métamorphose des rythmes d'alternance entre l'activité et la formation, justifiée à la fois par les nécessités économiques des entreprises, et le désir d'épanouissement et d'accomplissement personnels des salariés.
* Dernier élément de ce même souci d'un accès égal à la formation : l'élargissement aux entreprises de moins de 10 salariés ainsi qu'aux travailleurs indépendants, aux professions libérales et non-salariées, de la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle. Ce sont ainsi des milliers de salariés qui vont pouvoir bénéficier de la formation permanente.
L'effort naturellement ne doit pas s'arrêter là. Martine Aubry vous l'a dit, et je partage son point de vue : trop d'entreprises s'acquittent de leurs versements obligatoires sans organiser de formation pour leurs propres salariés ; et trop d'entreprises encore, en matière de formation, s'intéressent plus à la quantité qu'à la qualité. C'est cela qu'il nous faut changer.
Ces avancées devraient contribuer significativement à l'égal accès à la formation. Je ne dis pas que la tâche sera ainsi achevée. Mais nous aurons fait des progrès conséquents, qui vont de pair avec les efforts très importants que nous consentons en faveur de l'éducation.
Il faut également accroître l'efficacité de la formation.
* Son efficacité pour ceux qui en bénéficient, c'est le premier point.
A cet égard, le développement du tutorat dans les contrats d'insertion en alternance et dans l'apprentissage est un élément de première importance. Mme Aubry examine actuellement, avec les partenaires sociaux, un rapport sur cette question qui devra déboucher sur des propositions concrètes.
De même, l'institution d'un bilan de compétences, et la création des centres institutionnels qui les réalisent, pour aider chaque salarié, ou chaque demandeur d'emploi, à élaborer un projet professionnel, s'inscrivent dans cette logique.
Tutorat, bilan de compétences : il faut, en matière de formation comme en d'autres domaines -plus qu'en d'autres domaines sans doute-, passer des procédures générales aux suivis individualisés, et des grandes machines impersonnelles aux mécaniques de précision.
* Mais l'efficacité, ce sont aussi les gains de compétitivité et de productivité des entreprises.
La formation est l'une des clés des stratégies d'entreprise. Elle permet en effet d'adapter les ressources humaines aux changements de technologie ou d'organisation. Elle permet aussi d'améliorer la cohésion sociale de l'entreprise, sans laquelle -c'est la leçon de la fin du modèle tayloriste- il n'y a pas de développement durable. Nous devons impérativement sortir de la gestion de court terme qui fait de l'effectif la principale variable d'ajustement des entreprises. Il n'est pas vrai qu'il soit moins coûteux de licencier que de requalifier. Tout le monde peut faire ce raisonnement macro-économique simple : ce que l'on appelle le dégraissage, quel mot odieux malheureusement si souvent employé, se traduit en allocations chômage qui grèvent les charges fixes de la nation et sont financées en dernière analyse par les contribuables qu'il s'agisse des entreprises ou des particuliers. Ceux qui croient ainsi diminuer leurs coûts se trompent ; leur comportement encourage une attitude semblable des autres entreprises, en sorte qu'au terme de la chaîne, la mutualisation des charges est coûteuse pour chacun. Il est donc essentiel que la formation des personnels les moins qualifiés et l'incidence des modifications d'organisation du travail sur la formation soient au coeur de la négociation de branche, ainsi que les partenaires sociaux s'y sont engagés.
L'effort des entreprises ne doit pas s'arrêter à leurs portes. Elles doivent également concourir à l'adaptation des qualifications sur le marché du travail. Comment accepter, alors que nous comptons 2,5 millions de chômeurs et 2,9 millions de demandeurs d'emploi, qu'il puisse y avoir, chaque mois, des offres d'emploi non satisfaites ? Les accords cadres signés le 10 septembre 1992 par le ministère du Travail, l'ANPE et 13 organisations professionnelles ouvrent la voie : ils prévoient que les entreprises de secteurs qui rencontrent des difficultés de recrutement mettent leur capacité de formation au service des demandeurs d'emploi.
Martine Aubry qui a participé à l'élaboration des lois Auroux le sait bien il faut faire entrer davantage encore la démocratie dans les entreprises. Elle doit devenir non pas un lieu mais une communauté de travail ; elle doit par ailleurs participer aux réseaux de solidarité de la communauté nationale. La formation qu'elle dispense à ses salariés ou à laquelle elle contribue pour les demandeurs d'emploi en est à la fois l'instrument et l'indicateur. C'est une exigence de la société, mais c'est aussi, je le crois profondément, l'intérêt de l'entreprise.
J'aurais garde de vous quitter sans vous avoir fait part de quelques réflexions qui, si elles ne sont ni provocatrices, ni hostiles, ne sont pas nécessairement agréables à entendre. Nous sommes ici pour nous parler franchement. Notre rencontre serait moins intéressante si elle n'était pas un peu pimentée.
En 20 ans, la part des dépenses de formations dans le PIB a été multiplié par trois. 3 millions d'actifs participent chaque année à des actions de formation professionnelle continue. La dépense totale s'établit à 110 milliards de francs dont 35 sont dépensés par les entreprises. C'est dire l'importance du secteur.
Plus la responsabilité de la formation s'accroît, plus les organismes doivent être irréprochables. Je parle de qualité des prestations, d'utilité des formations proposées, de vérité et transparence des informations. Les pouvoirs publics nationaux et locaux - l'Etat dépense chaque année près de 50 milliards pour la formation, les régions 5 milliards - doivent y veiller. Les entreprises doivent avoir à l'égard de la formation les réflexes concurrentiels qu'elles ont avec n'importe quel prestataire de service. Enfin, et surtout, c'est à vous, et d'abord à vous, qu'il revient de chasser les marchands du temple, s'il en est encore. Mesdames et Messieurs, j'ai envie de vous dire : "encore un effort, sinon pour être révolutionnaires, du moins pour structurer et réguler votre activité".
Deuxième observation, qui est celle du maire de Nevers, c'est-à-dire d'un client. Mes amis, quel maquis ! 36 000 organismes déclarés, dont 23 000 ont une activité réelle, et moins de 5 000 un chiffre d'affaires supérieur au million de francs. Pour s'y retrouver, dans notre univers de la formation, il faut au moins avoir fait Polytechnique ! Car les procédures, les dispositifs, les organismes fleurissent en bouquets, en gerbes, que dis-je, en massifs... ! Je devrais d'ailleurs commencer par balayer devant ma propre porte, celle de l'Etat. Je regardais, l'autre jour, une liste de dispositifs de formation proposés aux jeunes : on ne peut pas dire, chère Martine, que nous les fassions manger au menu ! Contrat d'adaptation, crédit formation individualisé, actions d'insertion et de qualification, contrat d'orientation, contrat local d'orientation, contrat de qualification -j'en oublie certainement-. Je sais que tout cela correspond à des spécificités et au souci que j'évoquais du suivi le plus individualisé possible. Mais, croyez-moi, tous ensemble, nous devons faire un effort de clarification et de simplification.
Voici, Mesdames et Messieurs, les deux ou trois choses que je voulais vous dire en matière de formation. Vous le constatez, la ligne est simple : solidarité, compétitivité, simplicité et transparence.
On ne peut pas, à la manière des cités antiques, construire une société où cohabiteraient d'une part des patriciens, disposant du savoir et de l'emploi, d'autre part des citoyens de second rang, exclus de la connaissance et du travail. Cette coupure insidieuse s'est établie dans notre société, je devrais dire dans toutes les sociétés occidentales, sous l'effet d'une crise économique provoquée tant par l'amélioration du progrès technique que par une insuffisante solidarité entre les nations comme entre les hommes. Nous devons corriger ce mouvement dégoïsme qui n'a rien d'inéluctable. La formation n'est pas le seul instrument dont nous disposons pour éviter cette coupure.
Mais elle est un instrument essentiel car elle fortifie à la fois l'efficacité économique, la justice sociale et le lien civique que l'on peut établir entre les citoyens d'un pays. C'est dire la responsabilité qui repose sur vos épaules. Je sais votre travail, je sais vos difficultés, mais je ne doute pas que vous soyez à la hauteur de cette mission. Comptez sur nous pour vous aider.