Déclarations de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur la place de la femme dans la société développée autour de trois thèmes principaux : la relation homme/femme, la relation au travail et la relation au pouvoir, au Sénat le 7 mars 1995, à La Sorbonne le 8 mars.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque international de recherche sur les femmes au Sénat le 7 mars 1995-rencontre nationale des femmes à la Sorbonne le 8 mars 1995

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Messieurs,
Permettez-moi d'abord de vous dire combien je suis heureuse que ces journées internationales aient pu se tenir à Paris, à notre initiative et dans le cadre de la préparation de la conférence mondiale de l'O.N.U.
Ce colloque, qui a réuni près de 80 chercheurs venant de 17 pays différents et appartenant à une grande variété de disciplines, manifeste l'importance que la France attache à la conférence de Pékin. Il s'inscrit dans le cadre d'une mobilisation très large des associations et administrations françaises.
A ma demande, se tiendra demain, à la Sorbonne, lieu symbolique de l'Université, une rencontre nationale pour préparer cette conférence.
Les sujets qui y seront débattus autour du thème "être femme, question de temps et question de pouvoir", ont été au centre de vos propres travaux. Vos conclusions nourriront le débat de demain.
Vous vous êtes en effet interrogés dans vos ateliers thématiques sur trois sujets principaux la relation homme/femme, la relation au travail et la relation au pouvoir.
Vous avez raison : ces trois thèmes se situent aujourd'hui au coeur de nos débats de société : les rapports entre les hommes et les femmes sont à mon avis un enjeu fondamental en cette fin du 20ème siècle. On n'en a pas suffisamment conscience, en tout cas dans l'opinion française.
Les changements intervenus au cours des dix dernières années, qui ont profondément modifié le rapport des femmes à l'économie, au pouvoir politique et social et à la fécondité, posent en effet en termes nouveaux les questions d'identité, d'égalité et de différences entre hommes et femmes.
Il était, à mon sens, essentiel que la recherche s'en saisisse ; car même si certains pensent que tout a déjà été dit sur le sujet, ce débat mérite d'être clarifié. Nous l'avons encore constaté lors de la dernière réunion du Conseil de l'Europe qui s'est tenue à Strasbourg sur le thème de l'égalité et de la démocratie où aucun consensus n'a pu être dégagé à l'issue des discussions.
Vous arrivez au terme de ces deux journées de travail ; je sais que vos échanges, voire vos confrontations, ont été particulièrement riches et féconds. Ils ne pouvaient nous apporter les solutions toutes faites qui nous auraient assuré de débloquer les situations conflictuelles, de faire tomber les stéréotypes ou de préconiser des solutions empêchant certains comportements injustifiables. Mais, ils nous apportent sur ces sujets des éclairages et, parfois, un regard nouveau traçant de nouvelles perspectives.
Les bouleversements démographiques - chute de la natalité et maîtrise de la fécondité, les profonds changements des modèles familiaux ont, en effet, ébranlé bien des certitudes stéréotypées sur l'identité féminine et masculine.
Vous vous êtes vous-mêmes interrogées sur l'éclatement du partage traditionnel des rôles entre hommes et femmes jusqu'alors fondé sur un pôle familial et domestique qui serait féminin et un pôle public et marchand qui serait masculin. Tout nous prouve que cette vision traditionnelle qui demandait, d'ailleurs, à être relativisée, n'est plus adaptée à la réalité.
Songeons aux conséquences du progrès scientifique en matière de contraception et de maîtrise de la procréation qui ont fait passer les femmes des pays développés de la "peur de la grossesse" à "l'enfant programmé", modifiant profondément le rapport des femmes à leur corps et à la sexualité.
Ce sont ces changements qui ont permis aux femmes de s'investir hors du champ familial et domestique et d'exercer de plus en plus souvent une activité de salariée à l'extérieur du foyer.
Dans l'enquête d'opinion qui a été réalisée, à la demande des missions préparatoires à Pékin, auprès de femmes et hommes de 25/34 ans, il apparaît que la priorité, pour les hommes comme pour les femmes, est tout à la fois de vivre une bonne relation de couple et de réussir dans la vie professionnelle.
Or, les changements récents ont sans doute réduit les écarts et les clivages traditionnels entre rôle masculin et rôle féminin, mais ils ont à la vérité déplacé les inégalités entre hommes et femmes principalement dans le domaine du travail et des rémunérations.
Certes, la participation des femmes à la vie économique n'est pas un fait nouveau.
Les femmes ont de tout temps apporté une contribution essentielle à l'activité productive, même si cette contribution, intégrée dans le cadre domestique et familial, n'était ni reconnue ni rémunérée en tant que telle.
Mais, l'arrivée massive des femmes dans l'activité salariée est l'un des principaux changements structurels du marché du travail, notamment en France où plus des trois quarts des femmes entre 25 et 49 ans sont professionnellement actives. Ce mouvement s'est poursuivi pendant la dernière décennie malgré la crise et le chômage, ce qui est révélateur du caractère probablement irréversible du changement intervenu dans le rapport des femmes à l'économie.
Elles sont, cependant, plus touchées que les hommes par la précarité de souvent cantonnées à un-éventail limité de professions, considérées traditionnellement comme "féminines" et de ce fait sous-valorisées et sous-payées,
Ayant moins accès à la formation continue et aux actions de reconversion ; les femmes, malgré un niveau de formation initiale en moyenne supérieur à celui des hommes, voient leurs capacités sous-estimées et sous-utilisées sur le marché du travail.
L'atelier sur les enjeux du travail et de l'emploi a voulu faire un bilan de ces questions en forme de lecture critique.
Comment comprendre et analyser les très forts taux de chômage féminin qui sévissent partout en Europe ? Quels sont les effets des politiques de flexibilité sur l'emploi féminin ?
Dans ce contexte, que signifie le développement du travail à temps partiel ? Comment expliquer la persistance de fortes inégalités de salaires entre hommes et femmes, malgré les textes juridiques en vigueur qui devraient les interdire ?
Quelles sont les implications, pour l'emploi féminin, de la prédominance du secteur tertiaire ? Quelle est l'efficacité du droit communautaire en matière d'égalité professionnelle ? Que nous apprend l'Histoire sur la constitution de professions "spécifiquement féminines" ?
L'école qui a eu un rôle moteur dans la réduction des inégalités sociales n'a pas su réduire les inégalités entre les sexes. La réussite scolaire des filles à tous les niveaux du système éducatif n'a pas modifié la spécialisation des filières par sexes. Peut-être la simplification des filières demandées par le ministre de l'Education Nationale pourra-t-elle, en élargissant le champ de leurs compétences et en rééquilibrant les programmes, élargir le champ du possible ; je souhaite que les filles y trouveront un bénéfice.
Mais à la vérité, l'école ne peut à elle seule réduire les inégalités ; c’est la place assignée par la société aux femmes dans la famille, dans le travail, dans la société dans son ensemble qui détermine les projets professionnels et l'orientation des jeunes filles.
D'autant plus que les jeunes filles de notre époque sont lucides sur leur condition de vie future et qu'elles savent très bien ce qu'elles veulent, c'est à dire à la fois la réussite familiale et la réussite au travail. Ce souci de concilier ces deux réussites est peut-être plus fort en France que dans certains autres pays voisins : les Françaises souhaitent être en même temps mères, travailleuses, épouses ou compagnes.
Les pouvoirs publics et les partenaires sociaux doivent se mobiliser pour leur permettre de s'insérer comme elles le souhaitent dans la vie économique. Mais, aujourd'hui, elles vivent encore dans une société conçue par et pour les hommes.
La valeur du travail est différente selon qu'il s'agisse d'un emploi "masculin" ou "féminin", l'une des intervenantes l'a d'ailleurs très justement signalé.
Il existe dans notre société des métiers valorisés et valorisants, porteurs d'une image virile et des métiers désignés comme secondaires parce que proches de la sphère domestique. Je pense, par exemple, aux soins aux enfants ou aux personnes âgées alors même que, je le vois tous les jours dans mon ministère, ces professions sont indispensables au mieux être de la société.
Je songe aussi au rôle des conjointes d'agriculteurs qui bien souvent assument la gestion de l'exploitation, sans que soit reconnue leur rôle de coexploitant ou de conjoint collaborateur, pour des raisons ou se mêlent les considérations financières et l'absence de prise de conscience du préjudice qui leur est ainsi causé.
Il y a de nombreux facteurs qui créent cette inégalité de considération, d'où résultent les inégalités de salaires : tous ont comme base un préjugé sexiste.
Il faut donc, non seulement lutter contre ces préjugés, mais aussi renforcer tous les mécanismes qui permettent de prévenir leurs effets et qui garantissent effectivement l'égalité proclamée dans les textes : je pense aux minima salariaux, et d'abord au SMIC, qui évite bien des dérives, mais aussi au développement de la négociation contractuelle, lorsque les partenaires sociaux savent être suffisamment vigilants, et à tout ce qui peut en apporter dans le domaine des rémunérations effectivement versées plus de clarté et plus de rigueur.
Enfin, et c'est le troisième sujet dont vous avez débattu, je dirai quelques mots de la relation des femmes au pouvoir : c'est vrai, les femmes ont un autre rapport au temps, elles ont une vision différente des arbitrages qu'il faudrait opérer et c'est pourquoi elles doivent exiger une plus forte participation à la vie politique et aux instances de décision.
D'ailleurs, les enquêtes montrent que ce ne sont pas seulement les femmes, mais aussi les hommes qui pensent que si elles étaient plus nombreuses en politique, les formes du débat en seraient transformées et les décisions modifiées.
Il y a une différence de discours entre les hommes et les femmes sur la politique, Madame MOSSUZ LAVAU le montra bien dans une enquête récente.
L'exclusion des femmes du pouvoir politique apparaît de moins en moins supportable et je déplore vivement la situation française que l'on peut malheureusement appeler, en ce domaine, "l'exception française" tant nous sommes en retard par rapport à d'autres pays. Beaucoup d'explications sont avancées, je sais que ce débat agite vivement tant les chercheurs que les associations mais j'affirme que les femmes, même celles qui ne revendiquent pas d'être élues, se lassent d'une situation dans laquelle elle ne se reconnaissent pas.
L'analyse comparée de ce qui s'est fait dans d'autres pays montre qu'une démarche volontariste permet de parvenir à une vraie mixité dans les sphères du pouvoir.
Ce qui ressort clairement du rapport élaboré par le groupe de travail réuni pour préparer la conférence de Pekin, c'est qu'il n'y a pas de vraie volonté masculine d'ouvrir ce débat.
On trouve des hommes pour revendiquer de partager les responsabilités familiales, on voit des chefs d'entreprise réfléchir à la promotion et à l'emploi des femmes. Parmi les politiques, il n'y a aucun signe tangible d'une réelle volonté de changement. Il faut que cela change et c'est aux femmes de l'exiger.
Compte-tenu de l'intérêt de tous les sujets que vous avez abordés et de mon engagement ancien et passionné pour la cause des femmes, j'aurais souhaité, si mon emploi du temps me l'avait permis, aller plus loin avec vous dans cette réflexion.
J'attends avec intérêt la publication des actes de ce colloque. Je remercie les membres du Conseil Scientifique qui ont consacré tant de temps à sa préparation et qui ont accepté d'engager leur responsabilité de chercheur.
Je remercie aussi la mission de coordination qui a eu la charge de cette organisation.
Ma gratitude va, enfin, aux différents intervenants qui se sont mobilisés dans les travaux préparatoires, permettant ainsi aux participants de bénéficier d'un document de travail particulièrement riche.
Je sais que plusieurs d'entre vous seront demain à la rencontre nationale de la Sorbonne et pourront de ce fait nourrir de votre réflexion les travaux des ateliers de cette rencontre. Je leur donne donc rendez-vous pour cette journée internationale des femmes que ce colloque aura si utilement préparée.
* Rencontre nationale des femmes à La Sorbonne, le 8 mars 1995
J'ai passé, pour ma part, un après-midi passionnant. Et je suis heureuse, en tant que Ministre Chargé des Droits des Femmes, d'avoir pu, avec l'aide précieuse d'Hélène GISSEROT que je remercie, mettre en oeuvre cette intense mobilisation qui s'est faite à travers toute la France pour préparer la conférence de l'O.N.U. sur les femmes. Sur ce thème, cette conférence sera la dernière de ce siècle, ce qui lui donne un caractère hautement symbolique.
Je suis engagée pour la cause des femmes depuis plus d'un quart de siècle et je peux, comme vous, évaluer les progrès significatifs de la situation des femmes dans les pays industrialisés pendant cette période ; mais j'en mesure aussi, comme vous, les limites.
De l'avis de l'ONU et de la plupart des observateurs, la conférence de Nairobi, qui s'était tenue sur ce même thème en 1985, avait privilégié des débats d'ordre politique, ce qui l'avait détournée de son objet et avait affaibli sa capacité de proposition. Nous devons absolument éviter une telle dérive pour la prochaine Conférence. Le sujet est trop important. La situation difficile des femmes dans de nombreux pays mérite que l'on s'y consacre pleinement.
Le Gouvernement français aurait pu se contenter de dresser un bilan de ses réalisations et de mettre en valeur les avancées qu'on peut constater dans notre pays. Mais, je me sens trop solidaire des femmes, de toutes les femmes du monde, j'ai trop de respect pour ce qu'elles sont pour me limiter à ce constat.
Si leur situation, notamment sur le plan de l'égalité juridique des droits a, en effet, progressé dans les pays industrialisés, on peut malheureusement affirmer que globalement la situation des femmes dans le monde ne s'est pas améliorée depuis l'adoption des "Stratégies Prospectives" de Nairobi.
La persistance -voire l'aggravation- de la misère, le sous-développement et ses conséquences en matière de santé, - je pense, notamment, à l'effroyable endémie de Sida qui touche dramatiquement les femmes des pays pauvres - ont beaucoup contribué à fragiliser leur situation.
Nous voyons bien, également, à quel point la montée du fanatisme et de l'intolérance à travers le monde a aggravé leur sort. Comment ne pas évoquer aujourd'hui les Algériennes, universitaires, journalistes, militantes féministes, qui se battent, avec un courage admirable, avec toute leur intelligence et leur culture, pour la défense de leurs droits, ces femmes que l'on persécute et que parfois l'on assassine...
Si le constat que je dresse devant vous se veut sans complaisance, je suis néanmoins optimiste. En effet, j'ai pu le constater tout au long de cette année, les femmes dans le monde entier sont aujourd'hui mobilisées pour prendre en mains leur devenir. Elles vont même plus loin et revendiquent, dans tous les pays, de pouvoir participer aux processus de décision.
Elles sont convaincues qu'elles portent un autre regard sur la société, justement, parce qu'elles sont femmes - et non pas hommes -. D'où l'intérêt du thème que vous avez choisi pour vos travaux de ce matin : "Qu'est-ce qu'être femme aujourd'hui ?".
Il me semble, et je le dis souvent, que ce qui caractérise les femmes, c'est un immense appétit de vivre et une réelle faculté à communiquer entre elles. Cela me frappe particulièrement lorsque je rencontre mes homologues ministres des pays étrangers : très vite, il s'établit entre nous une complicité qui, quel que soit le niveau de nos responsabilités, est bien celle qui existe entre les femmes.
Cet immense courage, cette force de vie, ce goût du bonheur me frappent aussi quotidiennement dans mes fonctions de ministre des Affaires Sociales, lorsque je rencontre des femmes qui portent le poids de l'angoisse et de la misère de leur situation ; ces femmes, dont on pourrait penser qu'elles sont désespérées, ont encore cette flamme d'espoir et cette merveilleuse capacité de se projeter dans l'avenir.
C'est pourquoi je suis convaincue que la société gagnerait à se nourrir des valeurs des femmes. C'est le défi que nous lui lançons aujourd'hui. Le thème de cette Rencontre marque un changement radical avec les années passées : nous proposons une organisation de la société "avec" les femmes, alors que jusqu'à présent, on réfléchissait à une organisation de la société "pour" les femmes.
Cette nouvelle exigence suppose une redéfinition profonde des relations entre les hommes et les femmes.
Les femmes demandent qu'un regard différent soit porté sur la société et aspirent massivement à ce que les mentalités évoluent. Cela ressort très clairement de l'enquête menée en vue de cette Journée.
Cette demande s'est principalement traduite, durant ces dernières années, dans une logique d'affrontement.
La revendication féministe, si importante et si nécessaire, a, en effet, été durement contestée par les hommes qui y ont vu une remise en cause d'eux-mêmes, alors que les femmes demandaient simplement l'égalité. La réponse de la société a été de renvoyer cet affrontement sur un autre champ idéologique : on a laissé entendre que la revendication égalitaire était en fait une revendication d'abandon d'identité, une volonté de la femme de devenir "homme à la place de l'homme".
Pourtant, ce n'est pas de cela dont il s'agit, mais bien plutôt de faire reconnaître comme l'un des deux piliers de la société, une identité féminine égale en valeur et en droits à l'identité masculine.
Les femmes souhaitent garder et valoriser leur différence parce que leur féminité, leur sexualité et leur fécondité sont des éléments fondateurs de leur identité. Elles le disent clairement lorsqu'on prend le temps de les interroger.
Elles attendent de la société que leur différence ne leur soit pas perçue de façon négative. Le refus, chez un certain nombre de femmes, notamment dans les pays étrangers, d'accepter leur différence, provient tout simplement de la crainte d'être maintenues dans un statut inférieur : nous l'avons d'ailleurs constaté lors de la dernière réunion du Conseil de l'Europe, qui s'est tenue à Strasbourg sur le thème de l'égalité et de la démocratie.
Je ne peux pas admettre une telle position. Je ne peux accepter que le fait d'être femme soit infériorisant. Ce que nous demandons toutes, c'est la reconnaissance de valeurs différentes, mais de même importance.
Nous ne pouvons espérer mieux organiser notre société en la bâtissant sur la prééminence de l'un des sexes sur l'autre, mais plutôt sur un nouveau contrat entre partenaires égaux et respectueux l'un de l'autre.
Les femmes attendent un changement de la part des hommes, qui puisse accompagner leur propre évolution. Elles pensent notamment, et à juste titre, que le rôle de l'homme dans la famille est primordial.
Il serait erroné d'analyser cette demande comme celle d'un retour à la tradition. Il s'agit plutôt de la recherche d'un nouvel équilibre, fondé sur le partage des responsabilités familiales et parentales, mais aussi sur le partage des tâches domestiques.
Enfin, il me semble qu'en ce qui concerne la violence, si présente dans la condition féminine des sociétés traditionnelles, là encore, les mentalités ont beaucoup évolué. Aujourd'hui, les femmes ne la taisent plus, elles en parlent !
J'ai relu l'autre jour les Actes des Etats Généraux de la femme organisés par le journal "Elle" en 1971. J'ai été frappée de voir qu'aucun des ateliers n'avait abordé le thème de la violence et pourtant, nous savions bien à l'époque ce que de nombreuses femmes vivaient au quotidien, notamment dans leur foyer.
Aujourd'hui, elles en parlent et les pouvoirs publics s'en sont saisis, en menant des campagnes d'information et de prévention et en aggravant les sanctions contre les auteurs de violences. Si les trois quarts des femmes interrogées dans un récent sondage demandent que l'homme violent ait une obligation de se soigner, c'est bien qu'elles ne considèrent plus cette violence, ni comme normale ni comme acceptable.
Le souci des femmes d'obtenir l'égalité les a amenées naturellement à rechercher l'autonomie financière. Ceci est particulièrement vrai en France, où 77% des femmes de 25 à 49 ans sont actives et où la norme est l'activité à temps plein, contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de pays européens.
Les femmes, de plus en plus présentes dans l'activité économique, malgré la crise, ont dû s'insérer dans une organisation créée dans la seule perspective de rentabilité économique, par et pour les hommes. Le modèle dominant reste celui du développement de carrière sans rupture et d'un travail aux horaires chargés et peu flexibles, qui ne tient aucun compte des réalités familiales et de la double journée des femmes.
Nous constatons aujourd'hui que ce modèle éclate, mais d'une façon qui n'a été ni choisie, ni maîtrisée par l'ensemble de la société. De ce fait, le temps partiel, le travail temporaire, se développent de façon anarchique sans aucune des garanties qui nous paraissent souhaitables. Ce sont alors les jeunes et les femmes qui subissent les premiers les conséquences de cette insécurité et qui se trouvent, de ce fait, marginalisés et appauvris. Les femmes proposent, aujourd'hui, une autre organisation du travail.
Des femmes cadres ont pris l'initiative de mener cette réflexion au cours d'une passionnante Rencontre, qui s'est tenue il y a quelques jours, et qui m'a paru un événement considérable : le fait que des femmes bien insérées dans le modèle traditionnel du travail, proches du pouvoir, voire même au pouvoir, aient souhaité, avec l'accord des directions de leurs entreprises, se réunir pour proposer un modèle nouveau et réfléchir en commun sur l'adaptation du temps de travail, montre à quel point cette demande est forte.
Les propositions que font les femmes sont extrêmement innovantes et se rejoignent quels que soient leur origine socio-professionnelle et leur âge. Elles veulent de nouveaux aménagements des horaires de travail pour tous, hommes et femmes.
Il est acquis que ces aménagements du temps ne peuvent être mis en oeuvre qu'au niveau de l'entreprise. Mais l'Etat devra s'engager à donner l'impulsion nécessaire et à prendre les mesures adéquates pour accompagner ces transformations.
La grande demande des femmes au travail porte sur l'organisation de l'accueil des enfants et des crèches. C'est, d'ailleurs, le sens des mesures qui ont été votées par le Parlement en 1994 dans le cadre de la loi sur la famille et les crédits prévus devraient permettre l'ouverture de 100 000 places supplémentaires d'ici 5 ans.
Les femmes souhaitent aussi, pour 66% d'entre elles, une harmonisation du rythme et du calendrier de l'École, avec ceux du travail. Il faut que les collectivités locales, avec les parents d'élèves et le corps enseignant, réfléchissent et innovent, pour donner aux parents une réponse adaptée à la variété des situations locales et il faut que l'Etat les y aide.
Oui, les femmes ont un projet de société et c'est un projet très politique, c'est pourquoi il est légitime qu'elles revendiquent - et elles sont prêtes à l'assumer - une véritable participation à la vie publique.
Bien sûr, elles ne souhaitent pas toutes être élues ou candidates, pas plus que les hommes d'ailleurs, mais elles demandent qu'une place égale à celle des hommes leur soit faite ; et elles souhaitent surtout apporter à la vie politique leur regard spécifique, à tous les niveaux de réflexion et de décision, sur le plan national comme local. Aujourd'hui, elles déplorent que les femmes élues soient si peu nombreuses et aient donc tant de difficulté à faire entendre la voix de l'ensemble des femmes.
Elles considèrent donc que seule une arrivée massive des femmes dans la vie publique sera de nature à en modifier les règles et les comportements. Pragmatiques, elles estiment que les lois ont été dans l'ensemble correctement adaptées, mais déplorent qu'elles soient insuffisamment appliquées.
Comment expliquer, par exemple, qu'à l'Assemblée Nationale ou au Sénat, il n'y ait aucune instance, même sous la forme d'un intergroupe, sur les problèmes féminins ? Encore faudrait-il, je le sais bien, qu'il y ait des femmes en nombre suffisant au Parlement français, comme c'est le cas au Parlement Européen où, comme Présidente de cette institution, j'avais soutenu l'idée et favorisé la création d'une commission spécifique. Durant un temps, les travaux de cette Commission avaient même été complétés par ceux d'un intergroupe informel.
Je dois vous avouer que lorsque je dois intervenir à l'étranger sur la participation des femmes à la vie politique, je me sens souvent mal à l'aise. Comment avouer que la France, patrie des droits de l'homme, pays où les femmes ont joué un si grand rôle à toutes les époques douloureuses ou cruciales de son histoire, n'a pas su sortir de cet archaïsme ?
Les observateurs étrangers ne comprennent pas. Ils connaissent l'immense investissement des femmes françaises dans le monde économique, le fourmillement de leurs initiatives dans le champ social et associatif et sont surpris de leur exclusion des responsabilités politiques.
Nous expliquons, bien sûr, que notre Constitution a inscrit, dans son préambule, l'égalité entre tous les citoyens, qu'elle interdit les discriminations, et que, de ce fait, tout système de quotas garantissant une présence féminine minimum dans nos institutions politiques serait anticonstitutionnel, parce qu'il constituerait une forme de discrimination ; une tentative a bien été faite en 1982, que le Conseil constitutionnel a sanctionnée.
Nous ne pouvons pas en rester là : de nombreux pays européens ont pris des décisions autrement hardies et ont réussi à ouvrir aux femmes la porte qui chez nous leur reste fermée.
La période électorale est propice à cette réflexion. Presque tous les candidats envisagent, sur un point ou sur un autre, une réforme constitutionnelle ; s'il faut modifier la Constitution, ce texte fondateur de notre République - eh bien, modifions-la ! Ce qui est en jeu dans cette affaire, c'est quelque chose d'essentiel ; la moitié du pays ne peut rester durablement en dehors des responsabilités politiques ou n'y participer que de façon quasi symbolique.
Je sais bien que les quotas sont controversés et je comprends ces réticences. Pour certaines d'entre nous, accepter des quotas, ce serait réserver un sort à part aux femmes, donc en quelque sorte admettre qu'elles ne sont pas placées au même niveau que les hommes. Mais, outre le fait qu'un texte éventuel devrait se borner à dire que toute liste doit comporter un certain pourcentage de femmes et d'hommes en position éligible, je crois, tout bien réfléchi, qu'il n'y a pas d'autre solution.
Il faut forcer la voie, car, à observer ce qui se passe dans des pays voisins, je me suis convaincue qu'il s'agit d'un passage désormais inévitable. Les quotas ne sont certes pas un objectif en eux-mêmes, mais ils sont un moyen de réaliser cet objectif.
Il faudrait commencer par les élections municipales et régionales, les seules, d'ailleurs, où, pour des raisons techniques tenant au scrutin de liste, cette démarche est possible. Nous créerions ainsi un vivier de responsables expérimentées, qui pourraient ensuite tout naturellement exercer des responsabilités nationales. Je suis impliquée depuis trop longtemps dans la vie politique pour croire, qu'en cette matière, il faille laisser le temps au temps...
Par votre voix, les femmes ont fait aujourd'hui leurs propositions, relayées par l'ensemble des participants à cette Journée.
Je vous remercie vivement, tous, d'avoir consacré à ces travaux un temps que je sais compté. L'Entreprise, par la voix de Jean GANDOIS, le Syndicalisme, représenté par Nicole NOTAT, l'Europe avec Christiane SCRIVENER, l'Administration, au travers de sa Mission prospective, confiée à Jean-Baptiste de FOUCAULT, le milieu associatif, si enthousiaste et porteur de progrès, représenté par Hanifa SHERIFI, les médias écrits et audiovisuels, en la personne de Christine OCKRENT et, enfin, l'Université et l'Enseignement dans son ensemble, représentés par un de ses membres les plus prestigieux, Madame GENDREAU MASSALOUX, sont venus à ce grand Rendez-vous des femmes, occasion privilégiée de constater, tant une convergence très forte dans les analyses, qu'un intérêt très vif pour vos propositions.
J'espère que cette Journée, qui a permis de redéfinir les lignes fortes de l'engagement des femmes françaises, sera suivie de décisions concrètes :
- de la part des collectivités locales, pour ce qui relève de leurs compétences ; garde d'enfants, amélioration des rythmes scolaires.
- de la part des administrations, dans le cadre de leur mission essentielle : application de la loi.
- de la part des entreprises, peuvent beaucoup pour la modification des rythmes du travail.
- de la part des politiques, qui doivent assurer l'accès des femmes aux responsabilités publiques.
En ce qui me concerne, je vous remercie. Votre participation active et votre volonté de travailler ensemble permettront à la Délégation française de parler d'une voix ferme à la Conférence de Pékin. J'attends de cette Conférence, qu'elle prenne en compte les demandes formulées aujourd'hui, qu'elle incite les hommes et les femmes du monde entier à se lancer dans l'élaboration d'un contrat d'objectifs communs et qu'elle apporte aux femmes des pays les plus pauvres les moyens de réaliser leur légitime ambition, d'avoir accès à l'éducation, au développement économique et à la décision politique.
Nous entrons dans le 21ème siècle. La question des femmes, de la reconnaissance de leur rôle dans la société par une participation effective à toutes les responsabilités, ce véritable défi qui nous est lancé, si nous voulons parvenir à un équilibre harmonieux, sera, n'en doutez pas, l'un des enjeux de ce siècle.