Texte intégral
Q - Notre invité est Jean-Baptiste Lemoyne. Bonsoir.
R Bonsoir.
Q - Secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Alors on va peut-être parler d'abord du retour d'Emmanuel Macron qui arrive tout juste de Chine. Il y a le côté tourisme, il ne faut pas oublier, dans votre portefeuille qui est important...
R - Bien sûr !
Q - Et vous pensez d'ailleurs qu'il va y avoir pas mal de touristes chinois dans les années à venir et vous essayez d'atteindre enfin la barre des 100 millions de touristes en France.
R - le déplacement du président de la République a permis de densifier le dialogue avec les autorités chinoises, avec le monde économique chinois dans tous les domaines. On l'a bien vu, cela se décline dans l'aéronautique et dans l'agroalimentaire - avec notamment le fait d'obtenir à terme la levée de l'embargo sur la viande bovine - mais également le secteur du tourisme est très important parce que vous savez, c'est peut-être insuffisamment connu, que le premier pays émetteur de touristes au monde, c'est la Chine avec 122 millions de Chinois qui voyagent...
Q - Oui, pour l'instant, ils sont 1,5 million en France à peu près.
R - 1,8 million. Et je pense qu'on a des marges de progression. Si on pouvait faire doubler ce chiffre ou viser les 5 millions de touristes d'ici quelques années, ce serait bien. J'ai rencontré, lors de mon déplacement en Chine en novembre, l'entreprise Ctrip qui est en fait une sorte de portail Internet qui vend des séjours en Europe et un peu partout dans le monde. Je peux vous dire que c'est impressionnant de voir la force de frappe de ces compagnies de loisirs chinoises. Et d'ailleurs, ce n'est pas un hasard s'il y a beaucoup de convergences et des marques aussi emblématiques que le Club Med qui sont à capitaux chinois avec Fosun. Dans ce cas particulier, cela donne des moyens aussi à cette belle marque qui incarne quand même la France de se développer. Il y a quelques semaines, nous inaugurions, avec Henri Giscard d'Estaing à Samoëns un nouveau Club Med, un nouveau resort...
Q - Ils vont beaucoup se développer sur la montagne désormais...
R - Et ils vont beaucoup se développer sur la montagne. En Europe, la France doit regagner sa première place dans les sports de montagne parce qu'on a été détrôné par les Autrichiens et on ne peut pas s'y résoudre. ÿ travers cet exemple de la montagne, on sent que la France en matière de tourisme, est parfois un colosse aux pieds d'argile. Nous sommes numéro un en termes de fréquentation, mais le problème, c'est qu'on a beaucoup de touristes qui sont comptés comme tels, qui sont des gens de passage seulement sur le territoire national - ils ne sont pas là pour la destination car ils traversent le pays parce que, géographiquement, on est placé au coeur de l'Europe. On a besoin de continuer à développer notre offre, à proposer des produits innovants, des expériences qui font venir et rester les touristes. Et la clientèle chinoise est un enjeu important.
Q - Jean-Baptiste Lemoyne, naguère, quand un président se déplaçait, on disait toujours : voilà, finalement, l'addition ce que cela a donné en termes de contrats. Là, il n'y a pas de chiffre global, c'est volontaire ?
R - Je crois qu'Emmanuel Macron revendique une approche un peu différente de ses prédécesseurs. D'une part, il a pris plus de temps. C'est pour cela que je vais vous lister plusieurs différences, au-delà du fait de ne pas communiquer sur un chiffre en tant que tel. Vous pouvez reconstituer ce chiffre, observateurs, journalistes, parce qu'il y a un certain nombre...
Q - En additionnant
R - En additionnant, exactement. Mais l'idée, c'est vraiment, d'une part, d'y consacrer plus de temps, surtout de revenir plus régulièrement. Souvent, les présidents français faisaient deux déplacements dans leur quinquennat en Chine...
Q - Là, ce sera une fois par an...
R - Là, Emmanuel Macron l'a annoncé, une fois par an. C'est prendre le même rythme que la chancelière allemande qui, à chaque fois, va avec une délégation très étoffée d'entreprises. Et nous souhaitons avoir avec la Chine une relation qui soit plus forte et qui se concrétise par un rééquilibrage parce que, vous le savez, on a un déficit commercial avec la Chine de l'ordre de 30 milliards d'euros. Sachant que notre déficit commercial est au global de 60 milliards d'euros, cela représente la moitié. Concrètement, on a besoin d'avoir un meilleur accès à ce marché chinois. On voit qu'il peut y avoir des partenariats gagnant-gagnant.
Q - Mais la contrepartie, c'est quand même une extrêmement discrétion sur tout ce qui concerne les droits de l'Homme.
R - Alors vous savez, dans l'intimité des entretiens présidentiels, les choses sont dites vraiment, je peux vous l'assurer. C'est d'ailleurs la méthodologie d'Emmanuel Macron, il l'a dit lui-même, je reprends ses mots...
Q - La politique du mégaphone
R - Voilà, «je ne pratique pas la politique du mégaphone», c'est-à-dire que, finalement, ce qu'on recherche, c'est l'efficacité...
Q - Il ne veut pas crier tout haut ce qu'il a dit tout bas à Xi Jinping, par exemple ?
R - C'est l'efficacité qui est recherchée et en fait, on est souvent plus efficace avec des listes très précises de cas sur lesquels on veut appeler l'attention des autorités... C'est ce qui s'est passé avec, par exemple, le président Erdogan. La semaine dernière, quand il est venu à Paris, le président s'est livré de la même façon à un plaidoyer pour un certain nombre d'hommes ou de femmes avec lesquels on considère qu'il peut y avoir des attentes. Et sachez que ces cas ne sont pas ignorés et qu'ils sont abordés mais c'est, dans un souci d'efficacité, dans la discrétion.
Q - Alors il y a d'autres déplacements prévus pour le président de la République, notamment à la fin du mois et au début février, la Tunisie. On l'a entendu dans le «Journal», la Tunisie qui s'embrase à nouveau. C'est une situation qui vous inquiète au quai d'Orsay ?
R - La Tunisie a besoin d'un soutien, d'un appui parce que vous savez, ce pays, petit pays de grande civilisation est coincé entre la Libye...
Q - L'Algérie et la Libye...
R - La Libye qui, encore, connaît une situation quand même très complexe, vous le savez et, par conséquent, il faut éviter toute déstabilisation en Tunisie qui, d'un point de vue économique, repart, qui est un peu une sorte de rempart aussi. Et donc, moi, je m'y suis rendu dès le mois de juillet...
Q - Le Premier ministre aussi...
R - Avec le Premier ministre, nous y avons été il y a deux mois et le président de la République, je sais, a le souci également d'apporter son appui au président Essebsi. Puis ce déplacement en Tunisie sera suivi juste après, dans la foulée, d'un déplacement à Dakar à l'occasion du renouvellement des fonds du partenariat mondial pour l'éducation. C'est l'occasion, pour un certain nombre d'Etats, de réaffirmer leur engagement dans le domaine de l'éducation. Et l'éducation en Afrique, notamment pour les jeunes filles - qui parfois n'ont pas le loisir de pouvoir continuer cette scolarisation - c'est une des clefs pour l'émancipation et l'autonomie de ces jeunes filles. Et on a là une séquence qui sera une séquence porteuse d'espoir pour le continent africain parce que vous connaissez les enjeux et les défis liés notamment au phénomène migratoire, liés aux crises.
Q - Alors on ne va pas faire la liste de tous les déplacements présidentiels pour l'année 2018 mais il y en a un qui est important parce qu'il n'y a pas eu un seul président français qui y soit allé depuis 40 ans, c'est l'Iran. Emmanuel Macron a annoncé qu'il irait cette année. En revanche, la visite de votre ministre de tutelle, Jean-Yves Le Drian, a été repoussée.
R - Tout à fait, d'un commun accord compte tenu des événements. Avec l'Iran, c'est vrai que la France fait le choix de maintenir ce dialogue et puis de défendre l'accord nucléaire de 2015. On le défend d'autant plus cet accord qu'à l'époque, souvenez-vous, Laurent Fabius avait été exigeant dans sa négociation. Et la France est un partenaire loyal. C'est un accord, on le voit, qui permet d'encadrer strictement les activités nucléaires iraniennes et de lutter efficacement contre la prolifération. Et on voit, en Asie notamment, ce à quoi peut aboutir l'absence de dialogue et l'absence d'encadrement, c'est la situation de la Corée du Nord qui n'est t pas du tout sous contrôle. Et les Européens plaident pour cet accord de 2015. Emmanuel Macron a une position équilibrée parce qu'il ajoute également qu'il faut parler avec l'Iran des sujets balistiques et de sa présence dans la région, sur certains théâtres d'opérations. Et là aussi, on ne s'interdit pas de dire les choses, d'être dans le dialogue. Il faut, je dirais, parler de toute façon tout le temps avec le plus grand nombre d'interlocuteurs, c'est la marque de fabrique de la diplomatie.
Q - Pour vous, il n'y a pas de grand méchant loup, on doit parler à tout le monde : Erdogan comme
R - En tous les cas, il faut maintenir le dialogue. Ce n'est pas en ayant la porte fermée qu'on arrive à faire progresser les choses et je crois que c'est une des forces de la diplomatie personnelle que mène Emmanuel Macron, vous le voyez. Moi, j'ai une anecdote personnelle : un des ministres de premier plan de Donald Trump me signalait un sujet diplomatique sensible au Moyen-Orient et m'a dit : «Il faut que votre président appelle le président Trump parce qu'il le respecte.» Cela veut dire que le président Macron a gagné un crédit, je crois, auprès de ses pairs et ce crédit il le met, naturellement, au service de la paix et de la résolution des crises.
Q - Mais on peut imaginer, par exemple, qu'il aille jusqu'à discuter avec Assad en Syrie ?
R - Il a bien dit qu'il fallait qu'il y ait une transition politique mais nous sommes conscients qu'à ce stade, après avoir gagné la guerre contre Daech - elle est en train de se terminer -, il faut gagner la paix et gagner la paix, cela veut dire avoir ce processus de transition politique. Il faut que le régime soit représenté dans les négociations, c'est le cas à Genève, mais Bachar al-Assad n'est pas un interlocuteur d'avenir pour la Syrie, pas un interlocuteur pour parler de l'avenir de la Syrie.
(...)
Q - D'un mot sur ce sujet, Emmanuel Macron participe ce soir à la première réunion de l'alliance des pays du sud de l'Union européenne, est-ce que la France a un rôle leader à jouer dans cette entité, notamment sur cette question des migrants ?
R - Oui, alors, effectivement, le 28 août dernier d'ailleurs, le chef de l'Etat avait réuni à l'Elysée un sommet avec nos amis italiens, allemands, avec les représentants de la Libye, un certain nombre d'Etats riverains de la Méditerranée. Et donc il prend le sujet à bras-le-corps et je pense que sa parole, comme dans les autres enceintes, sera attendue et écoutée en Italie.
Q - Merci beaucoup Jean-Baptiste Lemoyne.
R - Merci à vous.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mars 2018