Entretien de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, avec Public Sénat le 1er mars 2018, sur les élections européennes de 2019, la réforme de l'Union européenne, la politique agricole commune et sur le budget communautaire.

Prononcé le 1er mars 2018

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Média : Public Sénat

Texte intégral


Q - Bonjour Nathalie Loiseau, merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes ministre des affaires européennes. Donald Tusk, président du Conseil européen, a fait savoir à la fin du sommet informel des chefs de l'Etat et de gouvernement que ceux-ci souhaitaient revenir - pour le choix du nouveau président de la Commission européenne - sur l'idée de ce que l'on appelle de manière peu claire le spitzencandidaten c'est-à-dire que la tête de liste du parti politique arrivé en tête au Parlement européen devient président de la commission. Cela a été le cas de Jean-Claude Juncker qui était tête de liste du parti populaire européen en 2014. Est-ce à dire que les chefs d'Etat et de gouvernement reviennent sur cet acquis démocratique ?
R - Est-ce un acquis démocratique ? En tout cas, les chefs d'Etat et de gouvernement ne peuvent pas restreindre le pouvoir qui leur est donné par les traités. Que demandent les traités au Conseil européen ? C'est de choisir le président de la Commission en tenant compte du résultat des élections européennes. C'est ce qui s'est toujours passé. Est-ce que cela veut dire choisir celui qui est la tête de liste du parti arrivé premier ? Et le parti arrivé en première position est-il capable d'avoir une majorité ?
Aujourd'hui, nous sommes dans un paysage politique européen assez éclaté où il n'est pas rare qu'il y ait besoin de constituer des coalitions. Ensuite, comment cette tête de liste du parti arrivé en premier est-elle désignée par le parti ? Est-ce au travers d'une primaire ? Celle-ci est-elle ouverte ? Rien ne le dit. Je ne suis pas sûre que nous soyons véritablement dans le progrès démocratique. J'aurais trouvé que nous aurions progressé si nous avions choisi de faire en sorte que les listes transnationales désignent de manière transparente et ouverte des chefs de file et que ceux-là soient des candidats à la présidence de la commission, cela n'a pas été le cas.
Q - Quelle sera la position d'Emmanuel Macron sur cette élection qui s'annonce en mai 2019 ? Est-il question que le parti du président mette en place la même dynamique que celle des élections présidentielles et tente un système transpartisan en créant son propre groupe au Parlement ?
R - Prenons les choses dans l'ordre. En Marche présentera une liste qui sera sans doute une liste plus large que En marche seul. En tout cas, ce parti va porter un projet pro-européen, comme Emmanuel Macron l'a porté à l'élection présidentielle. Dans la même lignée se joindront ceux qui en auront envie et cela c'est au niveau français.
Q - Les UDI, les centristes, les Constructifs, etc.
R - Je ne parle pas d'étiquette partisane, viendront sur la liste les personnes qui auront envie d'être députés européens, de l'être vraiment et pas simplement de se faire élire pour "se mettre au chaud" à Strasbourg - comme cela a parfois été le cas dans certains partis dans le passé - mais des personnes qui portent un projet, une ambition pour l'Europe qui est partagée avec la majorité présidentielle.
Q - Emmanuel Macron souhaitait que l'on mette en place des listes transnationales pour les élections européennes de 2019, le Parlement européen a "retoqué" cette idée. Lors de ce dernier sommet, on a repoussé tout cela aux calendes grecques, du moins aux élections de 2024. N'est-ce pas un échec pour le président de la République ?
R - Ce n'était pas une idée du président seul, c'était l'idée d'une dizaine d'Etats membres, en particulier, tous les Etats méditerranéens, mais aussi, un pays comme l'Irlande y était favorable. Au départ, c'était d'ailleurs une idée du Parlement européen lui-même qui l'avait déjà évoquée dans le passé. Cette idée n'a pas séduit le Parlement européen cette année pour une diversité de raisons, vraisemblablement assez partisanes. Ceci étant, pour nous, la question reste sur la table. Il est vrai qu'un certain nombre de pays n'auraient pas été prêts pour changer leur législation nationale d'ici aux élections de 2019. Nous allons continuer à en discuter et essayer de convaincre.
Nous pensons que c'est un véritable progrès démocratique de faire en sorte que ces élections européennes portent de vrais débats européens à 27 et pas 27 débats nationaux parallèles qui ont pour seul point commun de se tenir, même pas le même jour, mais la même semaine.
Q - Plusieurs pays ont par ailleurs accepté le principe qui était également porté par le président de la République des conventions démocratiques qui sont devenues, entre temps, des consultations citoyennes. Vous allez le présenter d'ici peu au conseil des ministres. Vingt-six pays ont d'ores et déjà accepté de participer, hormis Hongrie et le Royaume uni qui va bientôt sortir de l'Union européenne. En quoi cela consistera-t-il Madame la Ministre ?
R - Il y a un consensus fort aujourd'hui à travers l'Europe disant qu'il faut réformer l'Europe, que nous portons une ambition européenne forte, que la plupart des grands enjeux aujourd'hui ont une dimension européenne, mais que le fonctionnement de l'Union européenne tel qu'on le connaît mérite une réforme, une refondation en profondeur. L'erreur consisterait à penser cette refondation destinée aux citoyens européens, sans les citoyens européens.
L'erreur consisterait à le faire en chambre, dans l'entre soi, sans que l'on ait écouté, entendu les attentes, les inquiétudes et les propositions de nos concitoyens. L'idée, c'est donc, tous ensemble, au même moment, de faire en sorte que l'on puisse débattre sur les politiques européennes partout en Europe, en commençant au début du mois d'avril et en terminant à la fin du mois d'octobre, de telle sorte qu'il y ait des débats à travers les territoires qui transcendent les différentes tranches d'âge, les différentes catégories socio-professionnelles, que l'Europe ne soit pas un sujet réservé aux plus convaincus ou à ceux qui font commerce de détester et de critiquer l'Europe matin, midi et soir.
Q - A partir de ces propositions, de ces remontées, de ces restitutions et de ces débats, comment peut-on assurer que ces conventions démocratiques ou ces consultations citoyennes seront respectées à terme par les chefs d'Etat et de gouvernement à qui seront présentés les résultats en décembre 2018 ? Que fera-t-on de tout cela ?
R - Ce que nous proposons à ceux qui vont organiser ces consultations citoyennes - les collectivités locales, les chambres de commerce, les chambres d'agriculture, les chambres des métiers, les organisations syndicales, les entreprises, les universités et les associations - c'est que les organisateurs soient les plus divers possibles et les plus représentatifs de la diversité des citoyens.
Q - Pour être clair, cela veut dire que chacun peut s'emparer de cette thématique ? Chacun peut créer sa convention en fait, est-ce bien cela ?
R -Absolument. Ce que nous proposons, c'est une charte simple, facile à comprendre pour faire en sorte à la fois que la démarche soit pluraliste, transparente - c'est bien le moins - et que le compte rendu des discussions, des remarques et des propositions soient rendu public et nous soit transmis. A l'issue, fin octobre début novembre, nous organiserons une restitution nationale pour que ceux qui ont porté ces projets puissent débattre ensemble, qu'ils puissent lister leurs remarques et leurs propositions. L'ensemble de cette restitution sera transmise au Conseil européen de la fin de l'année pour que les chefs d'Etat et de gouvernement qui réfléchissent à l'avenir de l'Union européenne le fassent en étant pleinement éclairés des attentes et des propositions des citoyens européens.
Q - Potentiellement, nous devons nous dire que certaines de ces propositions seront aussi présentées dans le cadre des élections européennes ?
R - Comme l'ensemble du processus à vocation à être transparent - et j'ai d'ailleurs fait en sorte qu'un comité de surveillance entièrement transpartisan soit monté en France pour que tous les partis politiques puissent voir comment les consultations citoyennes sont organisées et ce qu'elles produisent- les résultats de ces consultations citoyennes seront à la disposition de l'ensemble des partis qui présenteront des candidats aux élections européennes. On ne pourra pas dire qu'on ne sait pas ce qu'attendent les citoyens européens, on ne pourra pas non plus, à leur place, se dresser en tant que représentants du peuple sans les avoir préalablement écoutés.
Q - Nous sommes en plein salon international de l'agriculture, on a beaucoup parlé budget et Jean-Claude Juncker y est longuement revenu lors de la conférence de presse qui a suivi ce sommet européen informel de la semaine dernière. Le gouvernement français est-il prêt à sacrifier la politique agricole commune pour financer ces autres priorités que sont la politique de défense ou la politique migratoire ?
R - Ce serait absurde et totalement contraire à notre vision des choses que d'opposer les agriculteurs et les chercheurs, ou bien la politique agricole commune et l'Europe de la défense. Ce n'est absolument pas notre vision, nous moins encore que d'autres, dans la mesure où la France est un peu l'un des inventeurs de la PAC et que nous y sommes très attachés. La souveraineté alimentaire de l'Europe, c'est un atout extraordinaire. La compétitivité à l'export des filières agricoles, c'est l'un des points forts de l'Union européenne. Il est donc indispensable de maintenir mais aussi de réformer cette politique agricole commune pour faire en sorte qu'elle arme mieux nos agriculteurs en particulier quand ils sont confrontés à des crises où la politique agricole commune doit être plus efficace. Mais aussi, pour faire en sorte qu'ils puissent mieux structurer leurs filières, être moins vulnérables et les aider à aller vers une transformation écologique souhaitée par tous.
Q - On parle bien d'une baisse du budget global de la politique agricole commune quand Jean-Claude Juncker dit qu'entre la politique de cohésion et l'agriculture qui pèse aujourd'hui 70% du budget européen, on doit parvenir à réduire ces politiques, on est assez clair n'est-ce pas ?
R - C'est lui qui le dit, ce n'est pas la position française. Nous portons une ambition forte pour l'Europe, cela veut dire qu'il faut aussi un budget ambitieux lui aussi, pour répondre aux attentes de nos concitoyens sur les politiques européennes. C'est aussi pour cela que nous faisons des consultations citoyennes. Au moment où nous allons négocier le futur budget, c'est-à-dire les futures priorités d'actions de l'Union européenne, il vaut mieux le faire autrement que dans la bulle de Bruxelles, en écoutant ce que les Européens nous demandent.
Q - Sur le budget européen, on entend dire également que vous seriez prêts au niveau européen à le conditionner notamment pour certains pays de l'Est qui ne respectent pas toutes les valeurs européennes : on pense à la Pologne, à la Hongrie et plus globalement aux pays dits de Visegrad ?
R - Il faut être très clair, l'Union européenne n'est pas simplement un marché unique et ce n'est pas simplement un carnet de chèques. L'Union européenne, c'est un rassemblement de pays qui partagent des valeurs et parmi ces valeurs il y a l'état de droit, la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la justice et le respect de l'indépendance des médias. Cette solidarité ne s'exerce pas dans un seul sens et pour une seule raison. Il faut être cohérent, l'Union européenne est un projet, les fonds européens doivent servir à soutenir ce projet et pas à en sortir.
Q - Mais pour cela, il faudrait chaque fois engager des procédures de sanctions ?
R - Pas nécessairement mais on peut aussi conditionner le versement de fonds au respect des valeurs de l'Union européenne.
Q - et sans changer les traités ?
R - Sans changer les traités.
Q - On attend cette semaine la validation ou non d'un accord de gouvernement en Allemagne. Angela Merkel a proposé quelques noms pour les ministères ce week-end. Nos voisins italiens sont appelés aux urnes également ce dimanche. Y a-t-il un risque de voir la droite et l'extrême droite revenir au pouvoir en Italie ? Plus globalement y a-t-il un risque de blocage institutionnel au niveau européen, quand on voit Emmanuel Macron porter des réformes mais finalement être assez esseulé face à ces mises en oeuvre puisque nos voisins sont pour l'instant dans des blocages institutionnels et politiques ?
R - Je suis très confiante dans le fait que l'Allemagne aura prochainement un gouvernement pro-européen, puisque le contrat de coalition entre la CDU et la CSU comporte un chapitre sur l'Europe qui est substantiel et qui est extrêmement proche de la manière dont nous voyons la réforme de l'Europe.
A l'heure actuelle, en Italie, nous travaillons dans d'excellentes conditions avec le gouvernement italien actuel. Nous ne pouvons que souhaiter que le prochain gouvernement italien poursuivre dans cette voie pro-européenne qui est dans l'intérêt de l'Italie et des Italiens.
Nous avons déjà commencé à faire bouger l'Europe et ce n'est pas Emmanuel Macron seul face à une inertie européenne. Sur beaucoup de sujets, l'Europe de la défense par exemple, nous avons avancé à pas de géant alors que nous n'avions pas pu faire de progrès pendant des décennies. Il y a, je crois, une conscience partagée partout à travers l'Union européenne que notre destin commun mérite que nous nous engagions davantage et que nous soyons plus ambitieux pour l'Europe.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mars 2018