Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale à France-Inter le 5 mars 2018, sur le harcèlement à l'école, la violence et l'apprentissage du respect pour les élèves.

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Média : France Inter

Texte intégral


NICOLAS DEMORAND
Le Grand Entretien, c'est désormais votre rendez-vous jusqu'à 8 h 40, les questions de Léa SALAME et les vôtres amis auditeurs dans une dizaine de minutes. Notre invité ce matin est le ministre de l'Education nationale, bonjour et bienvenue Jean-Michel BLANQUER.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Vous vous déplacez aujourd'hui monsieur le ministre avec Brigitte MACRON à Dijon, sur le thème du harcèlement à l'école. Pourquoi maintenant et pour dire quoi ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
D'abord pourquoi maintenant ? Parce que c'est un jour comme les autres justement ; et que normalement il y a une Journée du harcèlement qui a lieu à la fin de l'année, donc qui a déjà eu lieu à la fin de l'année 2017. Et je m'étais dit que plusieurs fois dans l'année, je rappellerai que c'est un thème important, pour bien montrer que c'est un des sujets qui peut miner un système scolaire, c'est vrai en France, c'est vrai malheureusement dans pratiquement tous les pays. Et donc comme c'est un sujet de société, un sujet extrêmement important, on se doit d'alerter, on se doit d'en faire un sujet permanent et pas seulement le sujet d'une journée.
NICOLAS DEMORAND
Le phénomène prend de l'ampleur ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Le phénomène, il a pris une ampleur – si j'ose dire – qualitative parce que… par le cyberharcèlement en particulier, c'est-à-dire que le harcèlement ça a toujours existé, on trouve dans la littérature un certain nombre d'exemples malheureusement. Mais d'abord on ne peut pas s'en accommoder, ce n'est pas parce que ça a toujours existé qu'on doit trouver qu'on ne peut s'en accommoder, au contraire. Je pense que c'est même le point de départ de ce respect d'autrui qui me paraît si essentiel dans l'Ecole de la République ; et puis il a pris des formes nouvelles notamment avec Internet, avec les Smartphones qui donnent… et les réseaux sociaux qui donnent des…
NICOLAS DEMORAND
Alors qu'est-ce qu'on peut faire contre ça ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
On peut faire beaucoup de choses, d'abord la première des choses évidemment c'est de sensibiliser les enfants, il faut que dès le début, dès l'école maternelle on leur transmette des valeurs de respect des autres tout simplement. Or on voit bien qu'il y a déjà quelque chose d'essentiel qui se joue dès les premières années, d'esprit de coopération, d'esprit d'amitié, d'esprit de protection du plus faible, toutes ces choses qui finalement paraissent naturelles mais qui en réalité ne le sont pas tant que ça…
NICOLAS DEMORAND
Il faut les apprendre !
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il faut les apprendre oui, il faut les montrer aussi, l'exemple et extrêmement important. Et donc pour moi c'est le premier des sujets, évidemment c'est le sujet qu'on pourrait appeler « éducatif », qui va de pair d'ailleurs avec le dialogue avec les parents, parce qu'on sait très bien que c'est dans la coéducation, dans la convergence entre l'école et les parents que se jouent les grands enjeux éducatifs.
NICOLAS DEMORAND
Et sortir les téléphones portables des établissements scolaires, ça n'est pas nécessairement lié…
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est une des raisons !
NICOLAS DEMORAND
Mais c'est l'un des sujets aussi, on en est où, comment allez-vous faire là ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
D'une part, vous avez quand même raison d'évoquer ça à cette occasion parce que c'est lié, ça n'est pas la seule raison qu'il y a d'interdire les téléphones portables au collège mais c'en est une importante, donc les sujets sont quand même liés, en effet. Donc oui, ils seront – comme je l'ai déjà dit – interdits à partir de septembre prochain dans les collèges, non seulement en classe mais aussi dans l'établissement. Ce sera donc l'objet d'un article législatif prochainement, pour que ce soit juridiquement bien assis, si je puis dire ; et puis sur le plan pratique…
NICOLAS DEMORAND
Qui sera formulé comment…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce sera très simple…
NICOLAS DEMORAND
Les téléphones portables sont…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Sont interdits dans les établissements scolaires…
NICOLAS DEMORAND
Tous les éta…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Dans les collèges.
NICOLAS DEMORAND
Dans les collèges.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Et cette interdiction, après elle se réalisera de différentes façons et on laissera aux collèges le soin de choisir entre plusieurs modalités d'interdiction, qui vont de la plus souple à la plus dure.
NICOLAS DEMORAND
Ça veut dire ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce n'est pas encore tout à fait établi, nous discutons encore avec un certain nombre d'interlocuteurs de cela…
NICOLAS DEMORAND
Les pistes !
JEAN-MICHEL BLANQUER
Les pistes, si vous voulez la plus dure… c'est la version la plus dure mais qui existe parfois déjà dans certains établissements et qui s'en trouvent bien, c'est tout simplement qu'on ne peut pas venir avec le téléphone…
NICOLAS DEMORAND
Et fouille à corps…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, c'est qu'après évidemment si ce n'est pas le cas, on est sanctionné bien sûr. La loi doit permettre aussi de pouvoir confisquer le téléphone portable en tant que de besoin. Et puis la version la plus souple, c'est – comme ça existe aussi dans certains collèges – de pouvoir l'enfermer peut-être dans un petit sac spécifique à l'intérieur du cartable, pour pouvoir le ressortir s'il y a des usages pédagogiques, s'il y a des urgences aussi. Donc on doit traiter toute une série de questions qui vont autour de cette interdiction…
NICOLAS DEMORAND
Et ça c'est pour quand donc, ce texte ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce texte, c'est au cours des prochaines semaines et la réalité effective des choses, ce sera à la rentrée prochaine.
NICOLAS DEMORAND
Alors Monsieur le ministre de l'Education nationale, êtes-vous en train de déshabiller la campagne, les campagnes pour permettre à la promesse de campagne, mais de campagne présidentielle cette fois, de dédoubler un certain nombre de classes de CP, là où il y a le plus de problèmes. On a entendu Marine LE PEN comparer ce phénomène à la réforme de la SNCF, on ferme les petites lignes pour la SNCF et on ferme les petites classes à la campagne. Est-ce que c'est vrai d'après vous pour commencer ? Et si non, est-ce que vous pouvez le démentir fermement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Premièrement, je le démens très fermement et je vais évidemment vous donner les éléments pour cela ; et en même temps je prends ce sujet très au sérieux, parce que je suis le premier fervent partisan des écoles rurales. On a besoin des écoles rurales et nous travaillons justement pour préserver les écoles rurales. Ensuite, nous avons une démographie qui est ce qu'elle est en France, à la rentrée prochaine il y aura environ 32.000 élèves en moins à l'école primaire en France. Et sur ces 32.000, beaucoup qui ne seront pas là si je puis dire, beaucoup relèvent des départements ruraux. Normalement dans un système étal, nous aurions des suppressions de postes tout simplement dans les endroits en question. Or nous créons 3.800 postes à la rentrée prochaine, ces 3.800 postes sont supérieurs à ce dont nous aurions besoin pour créer les dédoublements de CP en REP et même de CE1 en REP+. Et donc nous avons au contraire cette année une attention plus forte vis-à-vis des écoles de campagne. Il faut faire une différence entre fermeture de classe et fermeture d'école. Des fermetures de classes, il y en a eu et il y en aura toujours, c'est normal, il y a des mouvements de populations et le nombre de fermetures qu'il y aura cette année sera à peu près l'équivalent de ce qu'il y a eu les années précédentes. Donc il n'y a rien d'anormal dans ce qui se passe, simplement il y a aujourd'hui des gens de bonne foi qui s'inquiètent de l'évolution de la démographie rurale et ils ont raison, on doit travailler ensemble pour changer cela. Je suis engagé en ce moment justement dans une politique de reconquête du rural, on va créer des internats ruraux, on va travailler à l'innovation pédagogique en milieu rural, donc on va redynamiser le rural pour faire envie. Et donc je suis l'interlocuteur de ces personnes de bonne foi parce qu'ensemble, on peut faire cette renaissance du rural. Et il y a aussi des gens de mauvaise foi…
(…)
NICOLAS DEMORAND
Alors attendez, on arrive à la mauvaise foi, on arrive à la mauvaise foi…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ils ont été nombreux, ils ont été nombreux.
NICOLAS DEMORAND
Il y a quand même de l'inquiétude y compris chez les personnes de bonne foi Jean-Michel BLANQUER…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr, bien sûr.
NICOLAS DEMORAND
Et donc là vous leur dites : attention, engagement de la rue de Grenelle, engagement de Paris, il n'y aura pas… il y a moins de Poste, moins de commerces, moins de services publics, il n'y aura pas moins d'écoles ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui parce que ce que nous sommes en train de faire en ce moment – et ce qui est d'ailleurs dans une certaine continuité avec ce qui se passe depuis plusieurs années, mais que nous allons accentuer et améliorer – c'est que nous allons créer des conventions départementales de ruralité. Certaines sont déjà signées, nous allons en signer d'autres, en renouveler d'autres et nous allons les approfondir, notamment pour avoir une stratégie pluriannuelle relative au rural. Cette stratégie pluriannuelle doit nous permettre de mettre les moyens adéquats en face des constats que l'on fait et, surtout, d'avoir des stratégies partagées. Parfois, c'est normal de supprimer une école quand il n'y a plus d'enfants dans un village, ça finit par arriver, mais néanmoins il faut avoir prévu cela à l'avance, reconcentrer dans un endroit où c'est bien fait, où les transports scolaires sont bien conçus, etc. A chaque fois c'est l'intérêt de l'élève qui doit primer, chaque cas est un cas particulier.
NICOLAS DEMORAND
Combien de classes fermées en zone rurale à la rentrée ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est de l'ordre de 200 ou 300 grand maximum, autrement dit… et j'ai même vu des endroits si vous voulez où nous créons… parce que là il faut parler de ce qu'on ferme, mais il faut aussi parler de ce que l'on ouvre, on ouvre plus de classes que ce que l'on ferme. J'ai vu des départements si vous voulez, j'ai même été interpellé à l'Assemblée par des députés de départements qui protestaient contre ce soi-disant sacrifice du rural, et c'était des départements où on créait des postes. Et donc si vous voulez là, par exemple le député auquel je pense, il me parlait d'une école où on passait de 15 classes à 14 classes, ça n'a absolument rien de dramatique, c'est sûrement justifié par les circonstances locales...
NICOLAS DEMORAND
Et Marine LE PEN donc ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Et dans ce même département, on divise des classes de CP par 2, on crée des classes en milieu rural, on préserve des écoles qu'on aurait supprimées…
NICOLAS DEMORAND
Donc les grands équilibres sont respectés !
JEAN-MICHEL BLANQUER
Donc en fait, il faut faire très attention, il y a à la fois un sujet très sérieux, extrêmement sérieux, un des plus importants qui soit, parce que c'est un sujet pour la France, pour le futur, pour notre territoire tel que nous pouvons le vouloir pour le futur. Donc c'est un sujet très sérieux et qui mérite de se parler et de travailler. Mais je dis qu'il faut faire attention à tous les discours politiciens…
NICOLAS DEMORAND
De mauvaise foi !
JEAN-MICHEL BLANQUER
De mauvaise foi si vous voulez, qui en réalité essaient de caricaturer la réalité pour monter les gens contre les autres, notamment le rural contre l'urbain, ce qui est vraiment une très mauvaise chose à faire. Et ça vient, je le signale, de la gauche comme de la droite.
NICOLAS DEMORAND
A quel âge un enfant doit-il entrer à l'école Jean-Michel BLANQUER ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ça dépend de chaque enfant…
NICOLAS DEMORAND
Il y a un système unique jusqu'à présent ou presque…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, alors si vous voulez… alors il y a un système à 3 cliquets si je puis dire, puisqu'on a… la scolarité obligatoire est à 6 ans, il est naturel d'entrer à l'école à 3 ans en France depuis bien longtemps, c'est 97 % des enfants qui sont dans ce cas. Et puis il y a la scolarisation à 2 ans qui est aussi quelque chose d'intéressant, notamment pour lutter contre les inégalités parce que certains enfants sont mieux à l'école maternelle avant.
NICOLAS DEMORAND
Alors où en êtes-vous ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
J'en suis… alors là sur ce sujet...
NICOLAS DEMORAND
2, 3…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je suis d'un pragmatisme d'airain…
NICOLAS DEMORAND
Non mais ça d'accord…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il y a à peu près 11 à 12 %...
NICOLAS DEMORAND
C'est quoi les alternatives du pragmatisme ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est tout simplement de travailler dans l'intérêt de l'enfant. Nous avons…
NICOLAS DEMORAND
Ok, donc…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Nous avons 11 à 12 % des élèves je crois à peu près en ce moment de 2 ans qui sont à l'école, nous continuons cette politique. Il y a une étude récente qui montrait que ce n'est pas si certain que cela que cela avait un intérêt pour les élèves en question, on va donc approfondir. Pour l'instant on ne change pas cette politique, donc on continue à scolariser à 2 ans pour ceux qui le veulent, notamment évidemment dans les territoires les plus défavorisés, ce qui inclut l'urbain et le rural, j'insiste sur ce point.
NICOLAS DEMORAND
Mais vous pourriez revenir là-dessus, sur les 2 ans justement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je ne suis pas… en tout cas ce n'est pas mon inclination naturelle, je sais que… vous savez c'est un cas typique parce que l'inquiétude que vous formulez, c'est parce qu'il y a quelques semaines devant une Commission de l'Assemblée, j'ai simplement fait mention de cette étude de FRANCE STRATEGIE disant qu'il y avait un doute sur l'intérêt de la scolarisation. Et comme on n'est pas encore tout à fait dans la société de confiance que l'on pourrait souhaiter, un tel propos est immédiatement interprété comme : ah oui ! Il veut supprimer la scolarisation à 2 ans…
NICOLAS DEMORAND
Non, non, mais on veut juste savoir s'il y a un chantier…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Pas par vous mais…
NICOLAS DEMORAND
Ou si c'était juste une interrogation à voix haute !
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, non, ce que nous faisons… non, non, on va être vraiment encore une fois très pragmatiques puisqu'à la fin du mois de mars, il y a les Assises de la maternelle qui seront sous la responsabilité de Boris CYRULNIK, pendant lesquelles on va travailler sur justement la maternelle du 21ème siècle. Alors on va évidemment traiter cette question-là et on va la traiter en cohérence avec ce qui se passe pour la petite enfance. Parce que ce qui est certain, c'est qu'il faut une politique de la petite enfance et Agnès BUZYN travaille à cela sur la période 0-2 ans ou 0-3 ans. Il doit y avoir une cohérence entre la politique des crèches et la politique des écoles maternelles et l'Education nationale peut apporter sa pierre avec la scolarisation à 2 ans, mais dès lors que ça sert à quelque chose, c'est cela qu'on doit démontrer.
NICOLAS DEMORAND
Jean-Michel BLANQUER, invité du Grand Entretien de France Inter.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 mars 2018