Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Chers amis français et japonais,
Je suis très heureux de vous rencontrer ici au Japan National Press Club avec ma collègue et amie Florence Parly. Je remercie cette institution prestigieuse de nous recevoir.
Je tiens d'abord à vous exprimer la joie que j'éprouve d'être une nouvelle fois au Japon. C'est un pays qui occupe une place particulière dans ma vie politique puisqu'auparavant j'ai eu plusieurs fois l'occasion de travailler avec mon collègue Onodera comme ministre de la défense et auparavant je venais tous les ans ici au Japon, à Tokyo, en tant que président de la région Bretagne. C'est donc avec un très grand plaisir que j'ai revu ou que je vais revoir pendant les quatre jours où je suis là plusieurs personnalités que je connais depuis longtemps.
Nous avons eu avec Mme Parly des discussions particulièrement riches avec nos homologues respectifs, M. Kono et M. Onodera. Vous le savez, il s'agissait de la quatrième session du dialogue politico-militaire franco-japonais. Ce cadre d'échange est tout à fait singulier, je tiens à le souligner, puisque c'est le seul dialogue de cette nature que la France entretient au niveau international. C'est une preuve manifeste de la solidité des relations que la France et le Japon entretiennent. Depuis sa création en 2014, j'ai vu, à chacune des sessions, le dialogue gagner en amitié, en confiance et en efficacité d'action.
Avec ma collègue Florence Parly, nous avons également été reçus hier par le Premier ministre, M. Abe. Je lui ai transmis un message de la part du Président de la République française. Comme vous le savez, le Premier ministre M. Abe et le président Macron se sont rencontrés à deux reprises en 2017, lors du G20 et à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies. J'ai également pour ma part longuement échangé ce matin avec mon homologue Taro Kono, à l'occasion de notre dialogue stratégique, cette fois dans le format « 1+1 » pour reprendre les formules mathématiques qui caractérisent nos échanges !
L'ensemble de ces rencontres et de ces discussions approfondies nous ont permis de faire le point sur les nombreux sujets d'intérêt commun entre nos deux pays et sur les enjeux de sécurité auxquels nous sommes confrontés. Nous avons aussi évoqué les moyens concrets grâce auxquels nous pourrions améliorer les échanges entre les Français et les Japonais, que ce soit au plan culturel, scientifique, touristique et bien sûr économique.
La nature de notre relation nous y invite, grâce à l'excellence du « partenariat d'exception », puisque c'est le terme que nous employons les uns et les autres, qui unit la France et le Japon et que nous souhaitons encore renforcer. Le contexte est également porteur puisque nous célébrons cette année le 160ème anniversaire des relations diplomatiques entre nos deux pays. Cette date anniversaire est une bonne occasion de nous remémorer la somme d'expériences que nous avons forgée ensemble et la venue à Paris du Premier ministre, M. Abe, autour du 14 juillet permettra d'abord d'ouvrir la saison « Japonismes » en France, marquée par de nombreux événements culturels, et lui permettra aussi -et Mme Parly en parlera - d'être présent aux manifestations du 14 juillet.
Si je devais caractériser notre relation, je dirais tout simplement que la France et le Japon sont aujourd'hui des partenaires clés l'un pour l'autre, des partenaires privilégiés sur la scène internationale. Cela veut dire bien sûr que nous avons des intérêts communs et que l'intensification de nos échanges est profitable à nos concitoyens. Je veux en particulier mentionner les deux accords de partenariat économique et de partenariat stratégique qui vont lier l'Union européenne au Japon et qui, vraisemblablement, seront actés au moment du sommet Union européenne-Japon de l'été 2018. Outre les bénéfices mutuels que nous allons en retirer, ces accords envoient aussi au reste du monde un signal d'ouverture, d'optimisme et d'engagement en faveur du libre-échange, mais du libre-échange fondé sur des règles et fondé sur la réciprocité. Par ailleurs, le Président de la République française ayant fait de la refondation de l'Europe l'un des grands axes de sa politique, et nous nous réjouissons que le Japon reconnaisse dans l'Union européenne, par cet accord, un partenaire d'avenir.
Nos deux démocraties partagent un même attachement aux valeurs et grands principes qui fondent l'ordre international et qui garantissent la stabilité internationale : la défense du multilatéralisme, la coopération internationale, l'action au service de la paix, la promotion des droits de l'homme et de la règle de droit, quel que soit le sujet, y compris le sujet maritime je vais y revenir.
Face aux défis globaux, le Japon et la France se retrouvent sur de nombreuses positions en accord, qu'il s'agisse du développement, de la lutte contre le réchauffement climatique, de la sécurité collective, ou des crises qui secouent aujourd'hui le monde et qui sont parfois dramatiques et très risquées.
Le choix du multilatéralisme et le choix commun du respect intransigeant du droit international, c'est justement la voie que nous avons suivie face aux développements de la prolifération nucléaire et balistique à laquelle se livre la Corée du Nord. Ces derniers mois ont montré que la crise, en raison des avancées des programmes nord-coréens, avait changé d'échelle et changé de nature. Face à cette menace qui pèse sur la région, mais qui ne s'y limite pas, je veux être extrêmement clair : notre solidarité à l'égard du Japon est totale. Nous l'avons affirmé aux ministres japonais. Sur ce dossier notre position est d'une grande fermeté : les résolutions de l'ONU qui prévoient des sanctions, en particulier la résolution du 22 décembre, doivent être appliquées afin de contraindre Pyongyang à revenir à la table des négociations avec un objectif qui est, lui aussi, sans ambiguïté : le démantèlement de ses programmes nucléaire et balistique, de façon définitive, irréversible et vérifiable. A cet égard, je tiens à souligner que la coopération que nous avons eue avec le Japon au sein du Conseil de sécurité, singulièrement au mois de décembre dernier, a été exemplaire.
Nous sommes également engagés afin de garantir un ordre maritime fondé sur le droit. La France n'est pas seulement une Nation atlantique ; elle est aussi une Nation de l'Océan Indien et du Pacifique où nous avons des territoires, des communautés françaises en grand nombre et des forces présentes en permanence. De son côté le Japon appelle à un « espace indopacifique libre et ouvert ». Nous souhaitons renforcer notre coopération avec le Japon et développer, dans cette stratégie-là, des projets concrets en faveur de la paix, de la stabilité et de la prospérité dans cette région.
Mais nos relations ne sont pas limitées à l'Asie. En réalité, les actions que nous menons excèdent largement ce cadre. Il me suffit de mentionner l'Afrique où le plan franco-japonais pour le développement durable, la santé et la sécurité donne des résultats positifs, mais il nous faudra en intensifier la mise en oeuvre. C'est un sujet que nous avons évoqué avec mon collègue et qui a été aussi évoqué singulièrement pour la question du G5 Sahel avec Mme Parly et son collègue de la Défense, elle en reparlera dans un instant.
Par ailleurs, face à la menace planétaire que représente le dérèglement climatique, nous avons convenus de renforcer nos efforts pour mettre en oeuvre l'accord de Paris, et pour atteindre les objectifs fixés lors du sommet « One Planet » organisé le 12 décembre dernier à Paris. J'avais d'ailleurs été heureux d'y accueillir mon homologue Taro Kono à ce moment-là. Nous travaillerons aussi à l'élaboration d'un pacte mondial pour l'environnement destiné à rassembler et harmoniser dans un traité international les grands principes du droit de l'environnement. Nous comptons, là encore, sur le soutien du Japon.
Avant de conclure, je dirais que cette convergence de vues nous confère une responsabilité particulière. Nous sommes de grandes démocraties, des acteurs influents sur la scène internationale. Par conséquent notre relation est à même de peser concrètement pour orienter les relations internationales dans un sens favorable à la coopération et à la stabilité. Des échéances prochaines nous donneront l'occasion de le démontrer : en 2019, la France présidera et accueillera le G7, et le Japon, le G20. La même année, nous aurons des responsabilités majeures conjointes et nous essaierons de faire en sorte de les rendre utiles et fertiles. Par ailleurs, de très grands événements sportifs nous rapprocheront : les coupes du monde de rugby et bien entendu les Jeux olympiques, à Tokyo en 2020 puis à Paris en 2024. Vous le voyez, l'amitié franco-japonaise a devant elle un très beau calendrier, nous avons commencé à le mettre en oeuvre au cours de cette rencontre.
Q - « Je m'appelle Jun Nagata, journaliste de l'agence de presse japonaise Kyodo News. J'ai deux questions si vous le permettez.
D'abord, vous avez évoqué la visite du Premier ministre japonais en France pour le 14 juillet. Ce qui intéresse plus les Japonais, c'est la visite du Président Macron au Japon. Est-ce que vous avez évoqué ce sujet lors des discussions avec la partie japonaise ou pas. Est-ce qu'il va venir avant l'été ou après l'été, au moins cette année ?
La deuxième question porte sur la Corée du Nord. Donc vous avez partagé la plus grande fermeté avec le Japon. Mais malheureusement jusqu'à présent, les sanctions et pressions n'ont pas eu de résultat palpable pour que la Corée du Nord change d'attitude. Alors en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, qu'est-ce que la France considère nécessaire : est-ce qu'il faut plus de sanctions, plus de pression ? Est-ce que les sanctions ne sont pas encore suffisamment mises en oeuvre ? Il est naïf de croire que la Corée du Nord puisse changer de voie sans contrepartie. Alors qu'est-ce qu'il faut pour que la désescalade se réalise, pour que la négociation se réalise ?
R - Merci, je vais essayer de répondre brièvement, au moins sur les deux premières questions qui viennent d'être posées et qui concernent directement ma compétence. Sur la visite du Premier ministre Abe, elle est actée. Elle aura deux effets. Le premier c'est d'ouvrir la saison « Japonismes » et la deuxième, ce sera la première fois depuis 1985 qu'un Premier ministre japonais sera l'invité d'honneur du défilé le 14 juillet, de la fête nationale. Il y aura aussi une visite du Président Macron ici. Le principe d'une visite cette année est acté et nous sommes en discussion avec les autorités japonaises, mais aussi la cellule de l'emploi du temps du Président de la République français pour fixer la date qui sera connue assez rapidement maintenant, dès les jours qui suivront notre retour à Paris.
Sur la question de la Corée du Nord, l'attitude que nous avons, c'est une très grande fermeté sur la déclinaison des sanctions et sur leur application. Nous pensons que c'est la seule voie possible et que cette voie-là nécessite de la détermination et de la patience. Parce que le dernier train de sanctions, qui est un train de sanction extrêmement important, qui a été adopté par le Conseil de sécurité le 22 décembre dernier, et par le Conseil de sécurité dans son ensemble évidemment, puisque cela a été adopté donc il n'y a pas eu de véto. Ces sanctions sont extrêmement lourdes.Il faut les mettre en oeuvre pour qu'elles puissent avoir un effet. Donc c'est la pression des sanctions qui devrait amener la Corée du Nord à la négociation. Et on n'ouvre pas la négociation en commençant par dire voilà les résultats de la négociation. Donc il faut qu'ils viennent à la table de négociation sous la pression de la communauté internationale et de la mise en oeuvre effective des sanctions. S'il y a des choses à faire, là, maintenant, c'est de vérifier auprès de l'ensemble des pays concernés que les sanctions décidées par le Conseil de sécurité soient effectivement mises en oeuvre. Certains sont très récentes et demanderont un peu de temps, mais c'est le moyen unique d'agir pour éviter la prolifération et la permanence des actions initiées à cet égard par la Corée du Nord. Moi je n'exclus pas du tout qu'il y ait d'autres tentatives et d'autres essais après les Jeux Olympiques. Il y a une période un peu de grâce, de grâce sportive, qui mérite d'être soulignée, reconnaissons-le. Mais ensuite la vie reprendra et je n'exclus pas du tout qu'il y ait d'autres tentatives puisque dans les voeux du leader Nord-coréen du début d'année, il y avait les deux orientations : la première, « je vais doter mon pays de l'arme nucléaire, je vais avoir la capacité de le faire », et puis la deuxième « nous allons vers une voie pacifique avec la Corée du Sud pour les Jeux Olympiques ». Il y avait les deux stratégies dans le même discours, donc elles peuvent se succéder, ou se conjuguer éventuellement.
Q - Monsieur le ministre, j'aurais bien voulu savoir ce que pense M. Emmanuel Macron sur notre pays. Car parmi ses prédécesseurs, il y avait quelqu'un qui disait qu'il préférait honnêtement la Chine au Japon. Je ne crois pas que ce soit le cas de M. Emmanuel Macron, mais vous qui êtes très près de lui, et aussi il y a des magazines qui disent que vous êtes inventeur même du « macronisme ». Pourriez-vous nous dire quelle est sa vraie pensée sur notre pays ?
R - Le Président Macron est attaché à un certain nombre de principes dans la vie internationale. Parmi ces principes, le multilatéralisme, le refus du protectionnisme, la lutte contre le réchauffement climatique, le respect du droit international, la lutte contre le terrorisme. Sur ces cinq aspects-là, on se retrouve, nous nous retrouvons totalement avec les orientations du Japon et donc tout nous permet de bien travailler ensemble sur ces lignes-là. Quand vous regardez autour, d'autres pays n'ont pas totalement les mêmes orientations. Cela ne nous empêche pas de parler avec l'ensemble des pays, parce-que le Président de la République française souhaite parler à tout le monde. C'est la force aussi de la France de pouvoir parler à tout le monde. Il y a des convergences sur un certain nombre de valeurs qu'on ne peut pas ignorer, en tout cas c'est le cas pour le Japon et c'est ce qui explique d'ailleurs que nous ayons tous les ans, non seulement le 2+2, mais aussi une rencontre des Chefs de gouvernement et du Président de la République. Cela a lieu tous les ans depuis 2014 et cela se poursuit.
https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 avril 2018