Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations franco-japonaises, à Tokyo le 29 janvier 2018.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Lancement de la célébration des 160 ans des relations diplomatiques entre la France et le Japon, à Tokyo le 29 janvier 2018

Texte intégral

Monsieur le Ministre, cher ami, Taro Kono,
Madame,
Messieurs les Ambassadeurs,
Chers amis,
C'est un grand honneur et une joie, pour mon épouse et moi-même, d'être parmi vous ce soir, pour le lancement du cent-soixantième anniversaire de nos relations diplomatiques. 160 ans, me direz-vous, c'est à l'échelle de l'histoire humaine, un lien encore jeune ; on peut donc se dire, il a de belles années devant lui !
Mais c'est tout de même un âge respectable et la preuve d'une belle longévité. En 160 ans, nous avons acquis une somme d'expérience, nous avons forgé des liens exceptionnels, sur le plan politique, économique, sur le plan culturel.
Le lien d'amitié profond qui unit nos deux pays s'est aussi nourri de toutes les histoires franco-japonaises que nos concitoyens ont écrites, au Japon et en France. Les témoignages que nous venons d'entendre en donnent un bel aperçu. Votre assemblée, vous tous ici ce soir, l'illustre également, vous qui êtes les architectes du lien d'amitié profond qui unit nos deux pays.
Si vous le permettez, je voudrais également me compter parmi les membres de cette histoire. J'ai découvert votre pays il y a de nombreuses années et, dans chacune des responsabilités que j'ai exercées, j'ai eu la joie d'aller à votre rencontre, comme parlementaire, comme président de région, comme ministre de la défense et, aujourd'hui, comme ministre des affaires étrangères. Et je crois que j'exprime l'opinion des Français lorsque je vous dis que découvrir le Japon, se lier d'amitié avec des Japonais, travailler avec eux, c'est une expérience qui vous marque à jamais, une forme d'éblouissement. Le mot n'est pas trop fort.
Ce que je retiens, c'est surtout le profond respect que se portent mutuellement nos deux pays. Il s'ancre notamment dans un attachement commun que nous portons à la culture, dans un équilibre entre le sens des traditions et le goût de la modernité. Il repose aussi sur cette idée que la vie humaine pour être pleinement elle-même demande l'invention d'un art de vivre. Nos civilisations respectives ont certes inventé des réponses différentes à ce besoin ; mais elles entretiennent aussi une parenté secrète dans cette volonté de styliser l'existence et de faire de la beauté un exercice quotidien.
Notre histoire commune y renvoie sans cesse, à l'image de cette fascination des artistes et des écrivains français du 19ème siècle pour le «japonisme», auquel le gouvernement japonais consacrera, à partir de juillet prochain, une saison culturelle en France.
Plus près de nous, des écrivains japonais contemporains sont venus chercher en France l'inspiration, comme Shusaku Endo, dont l'oeuvre est imprégnée du souvenir de ses études à Lyon et de la lecture des auteurs français, à commencer par François Mauriac. Et je ne peux oublier de mentionner les auteurs japonais qui ont fait le choix d'écrire en français, comme Akira Mizubayashi.
Dans cette histoire partagée, certaines figures se détachent, des figures de passeurs, des figures d'intercesseurs, à l'image de Paul Claudel bien sûr, le poète-diplomate qui fit tant pour le dialogue culturel entre nos pays.
D'autres personnages illustres, attirés par l'ouverture de l'ère Meiji, ont laissé leur empreinte. Je pense à Henri Farman, pionnier de l'aviation, dont le célèbre biplan a servi de modèle au premier aéronef conçu au Japon, en 1911, à Tokorozawa. Ou encore à l'ingénieur Léonce Verny, qui était un brestois, qui est à l'origine de l'arsenal de Yokosuka. Je n'oublie pas Paul Brunat, le concepteur en 1872 de la filature de soie de Tomioka, que j'ai visitée hier. Vous le voyez, l'histoire que nous écrivons ensemble depuis 160 ans se joue autant dans le domaine des arts et du patrimoine que dans celui de l'excellence industrielle et technologique.
Nous sommes tous, Monsieur le Ministre, les héritiers de ces pionniers ; au fil des décennies, ils ont donné naissance à des aventures collectives. C'est une source d'inspiration pour aller de l'avant, pour donner un nouvel élan à notre partenariat, pour en faire une réponse aux défis qui nous rassemblent et à ceux que nous partageons avec la communauté internationale.
Faut-il s'étonner du lien qui nous unit malgré l'éloignement géographique ? Non bien sûr et pour deux séries de raison. D'abord, des raisons qui tiennent à l'histoire et qui ont fait de la France une nation du Pacifique, où elle a des territoires, des communautés et des intérêts. Ensuite, des raisons qui tiennent à la géographie économique. Dans l'économie globalisée qui est la nôtre, jamais les flux de biens, de services et de personnes n'ont atteint un tel niveau. Il suffit de prendre une carte pour se rendre compte de la place que tient l'Asie dans ces routes commerciales, pour réaliser le rôle de moteur de la croissance mondiale qui est le vôtre.
La relation entre la France et le Japon est marquée de nombreuses convergences. Nous sommes des démocraties ; nous avons une riche histoire commune, je l'ai rappelé ; nous nous retrouvons également sur bien des dossiers internationaux où nous avons des vues très proches. Tout cela témoigne de la confiance que nous plaçons l'un en l'autre.
C'est la raison de ce que l'on appelle le partenariat d'exception que nous avons lancé en 2013. Il se décline en différents volets. D'abord une action conjointe en faveur de la sécurité et de la stabilité et, plus largement, de l'environnement international. Le dialogue stratégique qui nous a rassemblés vendredi, avec nos collègues ministres des armées, répondait à cet objectif, face notamment à la prolifération balistique et nucléaire nord-coréenne et à la menace qu'elle représente pour le Japon et plus largement pour nous tous. C'est l'enjeu le plus visible, mais ce n'est pas le seul : la sécurité maritime, la lutte contre les organisations terroristes - elles sont aussi présentes en Asie - la cybersécurité, le spatial, tous ces domaines témoignent de la densité de notre dialogue.
Dans la période incertaine que nous traversons, il est clair que la stabilité de l'ordre international exige davantage de coopération plutôt que les tendances au repli sur soi ou aux réponses unilatérales auxquelles nous assistons parfois aujourd'hui.
Face aux défis globaux que représentent la lutte contre le réchauffement climatique, le développement durable, nous avons besoin d'un multilatéralisme renouvelé. Le Japon et la France se retrouvent dans cette exigence. ÿ cet égard, la concomitance de nos présidences du G7 et du G20 en 2019 nous donnera justement l'occasion de faire valoir la nécessité d'une gouvernance mondiale plus efficace, capable de répondre aux excès de la mondialisation et aux instabilités qui en résultent.
Nous pouvons aussi nous appuyer sur les échanges qu'entretiennent nos experts, nos chercheurs, nos étudiants. Sur des sujets aussi majeurs que la place des femmes dans les entreprises, l'innovation sociale, l'intelligence artificielle ou la ville durable, le dialogue de nos sociétés civiles est une ressource formidable pour permettre aux responsables politiques d'avoir un avis éclairé sur les attentes de nos concitoyens.
A ce dialogue stratégique et politique s'ajoute un partenariat économique remarquable. C'est le deuxième pilier de notre relation dont je veux dire quelques mots. Aujourd'hui, 420 filiales d'entreprises françaises sont présentes au Japon, ce qui fait de la France le troisième investisseur étranger de votre pays. Les entreprises japonaises investissent elles aussi en France comme le montre l'annonce faite récemment par Toyota de nouveaux investissements à Valenciennes. Afin de poursuivre dans cette voie, nous pouvons nous appuyer sur l'accord de partenariat économique entre l'Union européenne et le Japon, dont la négociation vient de s'achever par un bon résultat, fondé à la fois sur l'équilibre et la réciprocité.
La chambre de commerce et d'industrie France-Japon, qui fête cette année son 100ème anniversaire, y trouvera, j'en suis sûr, une nouvelle source de dynamisme. Les réformes économiques enclenchées en France depuis le printemps dernier sous l'impulsion du président Macron offre aussi de nouvelles opportunités aux investisseurs japonais comme à nos entreprises dans leur stratégie d'exportation.
Dans ce développement de notre attractivité, je n'oublie pas le tourisme. Les événements tragiques qui ont frappé la France en 2015 ont inquiété de nombreux touristes, y compris au Japon, je le sais. Mais les mesures que nous avons prises pour renforcer la sécurité sur notre territoire ont porté leurs fruits pour rassurer et conforter ceux qui souhaitaient découvrir la richesse de notre patrimoine.
J'ajoute que notre coopération économique trouve aussi un précieux soutien dans les relations qu'entretiennent nos collectivités territoriales. Et je ne dis pas cela uniquement parce que j'ai été président de région ! Les prochaines rencontres de la coopération décentralisée, à Kumamoto en octobre 2018, seront la preuve de cet enrichissement commun que nous avons à partir de nos collectivités.
Comme hier, la volonté de partager nos savoir-faire est toujours le moteur de nos relations économiques. L'innovation en est le carburant, avec toutes les start-up qui font le choix de s'installer au Japon.
Nous avons su également développer des liens remarquables dans les domaines les plus pointus, je pense à la médecine, à la recherche spatiale, au numérique ou au nucléaire. Avec les nouveaux enjeux que représentent les technologies quantiques ou la relation homme-machine, ils contribuent à l'excellence de nos instituts de recherche et de nos universités. Je crois que nous avons encore de quoi monter en puissance, en insistant notamment sur l'interface entre la recherche et l'industrie. Le partenariat entre l'entreprise de Kyoto Horiba, et les universités de Montpellier et de Paris-Saclay est un superbe succès qui en appelle d'autres. Dans le domaine de la mobilité, nous devons renforcer nos efforts pour que chercheurs et étudiants continuent à faire vivre notre relation sous le signe de l'excellence.
La culture reste le ciment de notre amitié, je l'évoquais en commençant. L'année anniversaire qui s'ouvre verra de nombreux évènements mettre en valeur des institutions françaises chères au coeur des Japonais, comme le Louvre et la Bibliothèque nationale de France. A la célébration du patrimoine s'ajoutera la création contemporaine, avec des artistes familiers du Japon comme Christian Boltanski ou Pierre Huygues.
En écho à la passion des jeunes Français pour le manga ou les jeux vidéo, nos industries culturelles et créatives sont elles aussi de plus en plus présentes au Japon. C'est le cas du cinéma ou de la musique, dont je souhaite encourager la diffusion, au confluent de la diplomatie culturelle et de la diplomatie économique. Le retour, cette année, à Yokohama du festival du film français sera l'occasion de donner un nouveau souffle à cette dimension importante de notre coopération.
Je garde le meilleur pour la fin, passion pour le sport oblige : comment ne pas saluer le superbe symbole que représente le passage de témoin entre Tokyo et Paris pour l'accueil des Jeux olympiques, sans oublier bien sûr l'organisation de la coupe du monde de rugby !
Vous l'aurez compris, chers amis, entre la France et le Japon, les sujets ne manquent pas, l'ambition non plus. Je vous remercie de ce que vous faites déjà pour l'amitié franco-japonaise, comme je remercie les représentants de la communauté française. Vous êtes tous, en quelque sorte, excusez-moi Monsieur l'Ambassadeur, vous êtes tous en quelque sorte les ambassadeurs de la France. Mais vous vous êtes un Ambassadeur exceptionnel ! En cette année anniversaire, je nous souhaite un plein succès dans nos projets pour écrire le nouveau chapitre d'une histoire qui dure depuis 160 ans. Vive le Japon ! Vive la France ! Vive l'amitié franco-japonaise !
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 avril 2018