Texte intégral
PATRICK COHEN
Bonjour Bruno LE MAIRE.
BRUNO LE MAIRE
Bonjour Patrick COHEN.
PATRICK COHEN
Vous en avez pensé quoi de l'émission d'hier soir ? Je ne vous parle pas des réponses d'Emmanuel MACRON, je suis sûr que vous les avez trouvées formidables, mais de la forme d'interview, de débat, de ce ton inédit pour une interview présidentielle.
BRUNO LE MAIRE
C'était animé, c'était animé, il y a eu de vrais échanges, parfois un vrai combat politique, je dirais, dans cette émission, mais moi j'ai trouvé le président de la République sincère, je l'ai trouvé convaincant, et j'ai trouvé qu'un certain nombre de messages importants ont pu être passés, que ce soit sur la Syrie, sur Notre-Dame-des-Landes, sur l'ordre, sur l'éducation, il y a eu des messages importants qui ont été passés par le président.
PATRICK COHEN
On va y venir, encore juste un mot sur la forme. La désacralisation ne vous gêne pas ?
BRUNO LE MAIRE
La désacralisation, moi, vous savez, ce n'est pas trop mon truc, je pense qu'un président de la République occupe une fonction éminente, qu'il incarne tous les Français, mais après c'était le jeu de ce débat, c'était le jeu de cette interview, c'était prévisible, donc l'essentiel pour moi c'est que les messages de fond aient pu être passés, mais je suis attaché au respect que l'on doit, à mon sens, au président de la République française.
PATRICK COHEN
Alors, émission qui a commencé par la question syrienne, intervention militaire critiquée par vos anciens compagnons de LR, WAUQUIEZ, CIOTTI, RETAILLEAU, intervention illégale, inopportune, à la remorque des Etats-Unis. Que répond l'ancien diplomate que vous avez été, Bruno LE MAIRE ?
BRUNO LE MAIRE
Je pense au contraire que l'intervention en Syrie, cette frappe sur un site d'armes chimiques, elle était légitime et elle était nécessaire. Elle était légitime parce qu'il y a des résolutions, et en particulier la résolution 21-18 de septembre 2013, qui, je le rappelle, s'inscrit dans le cadre du chapitre 7 des Nations Unies, donc qui autorise le recours à la force. Il y a la convention
PATRICK COHEN
A condition qu'il y ait une nouvelle résolution pour faire un retour à la force.
BRUNO LE MAIRE
Oui, bien entendu, mais enfin on sait que les discussions étaient totalement bloquées aux Nations Unies, mais il y a cette base-là, il y a la convention sur l'interdiction des armes chimiques, donc la légitimité elle était là. La nécessité aussi, parce que la crédibilité internationale elle dépend de votre capacité à faire respecter les lignes rouges. Quand en 2013, François HOLLANDE a dit « il y a une ligne rouge », et n'a pas pu la faire respecter parce que le président OBAMA avait décidé de ne pas y aller, ça décrédibilise les nations européennes et la Nation américaine. Quand en revanche aujourd'hui, on sait, avec des preuves françaises, qu'il y a utilisation d'armes chimiques, il est nécessaire de faire respecter cette ligne rouge parce qu'il est nécessaire de faire respecter le droit et de montrer que nos nations ne se couchent pas, tout simplement, devant des agissements qui sont inacceptables. Ensuite, il faut sortir de cela, c'est ce qu'a dit le président de la République hier, il faut qu'il y ait des discussions politiques, il faut renouer, et avec Vladimir POUTINE, et avec l'ensemble des Etats de la région, c'est ce que nous allons nous employer à faire.
PATRICK COHEN
Il y a aussi dans les critiques entendues à droite, et parfois à gauche, la référence permanente au refus de Jacques CHIRAC et de Dominique de VILLEPIN en 2003, refus de l'aventure irakienne de George BUSH, or vous étiez auprès de VILLEPIN, vous Bruno LE MAIRE, la comparaison ne vaut pas ?
BRUNO LE MAIRE
Non, la comparaison est tout simplement ridicule.
PATRICK COHEN
Pourquoi ridicule ?
BRUNO LE MAIRE
Enfin, vous pouvez toujours faire de la polémique politicienne, mais enfin les situations n'ont strictement rien à voir. Dans le cas de l'Irak il n'y avait pas eu d'agression, et c'était justement le coeur de notre raisonnement, avec Jacques CHIRAC et avec Dominique de VILLEPIN. Il n'y a pas d'agression irakienne, il n'y a pas de menace irakienne, la menace n'existe pas, pourquoi allez-vous attaquer un Etat qui ne vous menace pas ? Donc nous avons combattu, avec Jacques CHIRAC, et avec Dominique de VILLEPIN, contre la guerre. Dans le cas présent c'est totalement différent, il y a agression. Il y a agression contre le peuple syrien avec des armes chimiques, et il y a agression contre le droit le plus fondamental, le droit international, qui interdit le recours à des armes chimiques. Donc non seulement comparaison n'est pas raison, mais je trouve que, quand en politique, on se met à comparer des choses qui ne sont pas comparables, à aller chercher dans l'Histoire des références qui ne tiennent pas debout, je pense qu'on ne fait pas honneur au raisonnement politique et à la qualité du raisonnement que l'on doit à nos compatriotes.
PATRICK COHEN
On parle d'économie Bruno LE MAIRE, l'économie c'est encore le débat sur la, peut-être la plus grande dépense que les Français seront amenés à faire dans les années à venir, les 46 ou 53 milliards d'euros, ça dépend comment on compte
BRUNO LE MAIRE
Ça dépend comment on calcule, c'est vrai. Ce qui est sûr c'est qu'il y a de la dette.
PATRICK COHEN
Voilà, milliards de dette de la SNCF. Est-ce que c'est un simple jeu d'écriture ou est-ce que la reprise, même partielle, de cette énorme dette, aura des conséquences sur le budget, sur le train de vie de l'Etat et donc pour nous les contribuables ?
BRUNO LE MAIRE
Non, ce n'est pas un jeu d'écriture, ce n'est pas une dette qu'on fait passer d'un endroit à un autre et ça n'a absolument aucune incidence.
PATRICK COHEN
On a l'impression que c'est ça, souvent, dans le débat.
BRUNO LE MAIRE
Non, ça a une incidence sur nos comptes publics, donc bien entendu que cette dette, dont le président de la République a annoncé que nous pourrions la reprendre progressivement à partir de 2020, il faut que nos finances publiques puissent le supporter. Et surtout il ne faut le faire qu'à partir du moment où l'exploitation de la SNCF a été redressée, qu'à partir du moment où l'ouverture à la concurrence a été faite, parce que sinon nous allons demander aux Français de remplir le tonneau des Danaïdes, nous allons leur dire « écoutez, il y a de la dette, on la récupère, et on continue à s'endetter, et on continue à faire des pertes », ça c'est impossible. Ce qui est possible, en revanche, c'est, à partir de 2020, la réforme a été faite, la SNCF retrouve de la compétitivité, l'exploitation est meilleure, il n'y a plus 3 milliards d'euros de perte chaque année, comme c'est le cas actuellement, et là ça a du sens, effectivement, de reprendre la dette.
PATRICK COHEN
On ne saura pas avant 2020 la part de la dette qui sera reprise ?
BRUNO LE MAIRE
On regarde ça attentivement, je pense que ça fait partie des discussions actuelles avec les organisations syndicales.
PATRICK COHEN
Les discussions et les réticences de Bercy, votre ministère, à cet engagement qui va faire monter le niveau de la dette française.
BRUNO LE MAIRE
Ce n'est pas une question de réticences, Patrick COHEN. On m'a confié la responsabilité des finances publiques françaises, donc la responsabilité de l'argent des contribuables, donc nous ne ferons pas n'importe quoi, c'est aussi simple que ça. N'importe quoi ce serait reprendre la dette avec une SNCF, un service public, qui continuerait à perdre 3 milliards d'euros par an, ça, ça s'appelle du grand n'importe quoi, ça s'appelle jeter de l'argent par les fenêtres, nous ne le ferons pas. En revanche, dire nous assainissons totalement la situation, pour permettre à la SNCF de repartir d'un bon pied, non seulement elle s'est réformée, non seulement on a mis fin au statut des cheminots pour les nouveaux cheminots embauchés, on a ouvert la concurrence, on retrouve la compétitivité, de la qualité de service, de la régularité des trains, mais en plus on vous soulage de cette dette, ça, ça a du sens.
PATRICK COHEN
Pas d'impôt nouveau a promis à nouveau Emmanuel MACRON, d'ici la fin du quinquennat, malgré les 22 milliards de taxe d'habitation qui doivent être supprimés, comment vous faites Bruno LE MAIRE ?
BRUNO LE MAIRE
D'abord c'est un message très important, qui a été passé, pas de nouvel impôt, je ne cesse de le répéter depuis des semaines, voire des mois, et même réduction de la pression fiscale sur les Français, c'est le cap qui doit être tenu.
PATRICK COHEN
Oui, vous le répétez, mais on ne voit pas bien comment vous faites.
BRUNO LE MAIRE
Eh bien moi je vais vous dire comment est-ce que l'on peut faire. La première chose c'est qu'on peut réduire encore la dépense publique, et nous y travaillons avec Gérald DARMANIN, nous ferons des propositions au président de la République et au Premier ministre, sur un, deux, ou trois grands chantiers, sur lesquels nous pouvons réduire davantage la dépense publique. C'est la première solution, c'est cella à laquelle on ne pense jamais spontanément, et c'est pourtant, sans doute, la plus efficace.
PATRICK COHEN
Et pour le reste vous vendez le patrimoine aussi, les privatisations.
BRUNO LE MAIRE
Pour le reste il est possible de flécher un impôt national, une partie d'un impôt national existant, vers les collectivités locales, c'est une deuxième possibilité, et puis il y a la refonte de la fiscalité locale sur laquelle messieurs RICHARD et BUR travaillent aujourd'hui, ils nous remettront leurs conclusions d'ici quelques semaines.
PATRICK COHEN
Les privatisations, Bruno LE MAIRE, c'est une source de revenu potentielle pour l'Etat, AEROPORTS DE PARIS, la FRANCAISE DES JEUX, ENGIE, éventuellement d'autres participations ?
BRUNO LE MAIRE
Ce n'est pas une source de revenu, c'est une possibilité de récupérer des actifs de l'Etat, qui sont aujourd'hui immobilisés, pour les placer dans l'investissement, dans l'innovation, et notamment dans l'innovation de rupture. Je donne juste un chiffre. La part de l'Etat dans AEROPORTS DE PARIS ça représente 9 milliards d'euros environ, ça dépend évidemment du niveau de ADP, du cours d'ADP, ces 9 milliards d'euros ils produisent 140 à 150 millions d'euros de dividendes chaque année, pas plus, et on immobilise 9 milliards d'euros. Est-ce qu'il ne serait pas utile de prendre ces 9 milliards d'euros et de les mettre dans le financement de l'innovation de rupture, de la recherche sur l'intelligence artificielle par exemple, ou sur le stockage de données, est-ce que l'argent de l'Etat ne serait pas mieux employé comme ça ? Et, dans le fond, quelle mission est-ce que l'on affecte à l'Etat ? Pour moi, la mission, de l'Etat, c'est d'abord les services publics, c'est les activités de souveraineté nationale, c'est la défense de l'ordre public économique, mais ce n'est pas nécessairement la présence dans des entreprises où le secteur privé pourrait faire aussi bien, avec un encadrement, avec une régulation de l'Etat.
PATRICK COHEN
Donc ça vaut pour ENGIE, ça vaut pour RENAULT ?
BRUNO LE MAIRE
Mais ça vaut pour la FRANCAISE DES JEUX, ça vaut pour AEROPORTS DE PARIS, je pense qu'il y a d'autre façon de garantir les intérêts publics, cette autre façon c'est la régulation, vous régulez les tarifs, vous régulez les trafics aériens, vous contrôlez la sécurité, les frontières, les douanes, la présence de l'Etat est garantie, les missions de service public sont garanties, mais vous n'immobilisez pas 9 milliards d'euros, qui sont 9 milliards des contribuables.
PATRICK COHEN
Pas d'impôt nouveau, mais la suppression d'un deuxième jour férié pour financer la dépendance, ça ne serait pas un impôt nouveau Bruno LE MAIRE ?
BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'aucune décision n'a été arrêtée, c'est clair, donc les discussions se poursuivent, le président de la République a demandé à ce que nous poursuivions les réflexions là-dessus, aucune décision n'a été arrêtée sur ce sujet-là.
PATRICK COHEN
Ça ne serait pas un impôt nouveau si c'était fait ?
BRUNO LE MAIRE
Non, je ne considère pas que ce soit un impôt nouveau, un impôt c'est un impôt, une taxe c'est une taxe
PATRICK COHEN
Une contribution en tout cas.
BRUNO LE MAIRE
Une contribution, mais pas nécessairement un impôt.
PATRICK COHEN
Anne-Laure JUMET du service économique et social d'Europe 1 nous a rejoint.
ANNE-LAURE JUMET
Oui, Bruno LE MAIRE, alors on a cette grève à la SNCF qui est partie pour durer, une grève qui se poursuit également chez AIR FRANCE, et ce n'est pas sans répercussions sur l'économie. On a la CPME, qui représente les petites et moyennes entreprises, qui récemment a tiré la sonnette d'alarme, on voit aussi l'impact sur le tourisme, est-ce que vous craignez donc, Bruno LE MAIRE, l'impact de ces mouvements sociaux sur la croissance ?
BRUNO LE MAIRE
Oui, les mouvements sociaux ont un impact sur la croissance, c'est un impact qui est limité, qu'on ne peut pas mesurer aujourd'hui, mais on voit déjà dans certains secteurs d'activité, dans les réservations d'hôtellerie, dans les transports, dans la présence de touristes, que ça commence à avoir un impact, et c'est pour cela que le plus tôt nous pourrons en sortir, le mieux ce sera.
ANNE-LAURE JUMET
Vous dites on ne peut pas chiffrer, mais est-ce que vous avez quand même une estimation ?
BRUNO LE MAIRE
Non, on ne peut pas chiffrer parce que, quand on regarde les grèves de 1995, on avait une estimation de 0,2 point de PIB environ, de richesse nationale, mais aujourd'hui il est beaucoup trop tôt pour évaluer ce que pourraient être les conséquences de ces mouvements sociaux.
ANNE-LAURE JUMET
Et ça peut aussi avoir un impact sur la confiance des chefs d'entreprise.
BRUNO LE MAIRE
Soyons plus optimistes que ça, si vous me le permettez. Moi ce que je constate c'est que, depuis plusieurs mois, grâce à une confiance justement qui a été retrouvée par les chefs d'entreprise, et par les investisseurs étrangers, les investissements étrangers ont augmenté de manière très importante, c'est la plus forte hausse depuis 10 ans, ce que je constate c'est que nous avons créé 270.000 emplois dans le secteur marchand, ce que je constate c'est que l'investissement redémarre de manière puissante dans notre pays, donc nous sommes dans la bonne direction. Il y a des mouvements sociaux, très bien, ça fait partie, d'une certaine façon, de ce qu'est notre histoire, mais il n'empêche que dans l'histoire longue qui est celle de ce quinquennat, aujourd'hui, la croissance redémarre, les investissements sont là, et donc je pense que nous tenons le bon bout du point de vue économique.
PATRICK COHEN
Le chômage va reculer de façon significative cette année Bruno LE MAIRE ?
BRUNO LE MAIRE
Je le souhaite, et ce que je souhaite surtout c'est que nous tenions le cap de notre politique économique, qui tient dans quatre piliers qui sont très simples : Libérer la capacité de croissance des entreprises, ce sera le projet de loi que je présenterai en juillet, récompenser le travail, c'est ce qu'a annoncé le président de la République sur l'intéressement et la participation, qui est une annonce majeure parce que ça va permettre de mieux rémunérer tous les salariés français, en troisième lieu, c'est tout ce qui concerne les finances publiques, il faut rétablir nos finances publiques, je l'ai dit tout à l'heure. Et le quatrième pilier c'est intégrer tout ça dans une zone euro qui soit renforcée, tout simplement pour que nos entreprises aient une profondeur de marché qui soit plus importante et que nos concitoyens aient une stabilité financière qui est une garantie confiance aussi, voilà le cap de notre politique économique, libérer innover, faire participer les salariés aux fruits de la croissance, et intégrer cela dans la construction européenne, c'est le cap que nous tiendrons.
PATRICK COHEN
Merci Bruno LE MAIRE d'être venu ce matin en direct au micro d'Europe 1.
BRUNO LE MAIRE
Merci Patrick COHEN.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 avril 2018