Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre bonjour.
R - Bonjour.
Q - Nous sommes effectivement en direct de votre bureau, c'est là où vous avez suivi pendant la nuit l'intervention française, américaine et britannique contre les capacités chimiques du régime de Damas. À 8h00 du début d'intervention, on a envie de vous demander : est-ce que cette intervention est terminée, du moins dans sa première phase ; et surtout est-ce que les objectifs ont été atteints ?
R - Il n'y a pas de première phase, il n'y a qu'une phase et les objectifs qui avaient été fixés ont été atteints. Il y avait des cibles qui avaient été bien identifiées, bien circonscrites, qui étaient toutes des cibles liées à la capacité chimique clandestine du régime de Bachar al-Assad. Et ces cibles ont été touchées, Madame Parly, la ministre des Armées pourra en rendre compte en fin d'après-midi.
Q - Il n'y a pas eu de pertes, tous les avions sont rentrés ?
R - Tous les avions sont rentrés.
Q - Objectif atteint, cela veut dire concrètement destruction des capacités chimiques ?
R - Le but de cette opération, c'était de détruire les outils chimiques clandestins du régime de Bachar al-Assad. Et à cet égard oui, l'objectif a été atteint. Le but aussi, c'est de montrer à Bachar al-Assad que lorsqu'on franchit la ligne rouge, il y a des conséquences immédiates. Le but c'était aussi d'éviter que Bachar al-Assad ne recommence à utiliser l'arme chimique contre son peuple.
Q - Donc une série de frappes dans la nuit, est-ce qu'il y aura d'autres frappes dans les jours qui viennent ?
R - Le but a été atteint, il faut maintenant que Bachar al-Assad en tienne compte, ses alliés aussi, et qui montre que sur la question de l'arme chimique il y a une ligne rouge qu'il ne faut pas franchir. Et si d'aventure elle était refranchie, il y aura une autre intervention, mais je pense que la leçon sera comprise.
Q - Vous pensez qu'il va être dissuadé d'utiliser à nouveau des armes chimiques ?
R - En tout cas une bonne partie de son arsenal chimique a été détruite.
Q - Alors justement Monsieur le ministre, il y a beaucoup de questions évidemment qui se posent, mais la principale c'est de savoir quelles sont les preuves. Le président de la République a dit "nous avons les preuves de l'implication du régime", vous-même vous avez dit "c'est une attaque avérée, identifiable". Vous êtes convaincu que le régime a utilisé les armes chimiques dans cette attaque de la Douma, qui a eu lieu le 7 avril, est-ce que ces preuves vous les avez vous-mêmes, est-ce que vous allez les montrer ?
R - Nous avons publié un document depuis ce matin qui est en ligne sur le site du Quai d'Orsay, qui permet à chacun de se rendre compte des éléments d'information que nous avons. La réalité est que,à un moment donné, après l'intervention chimique, après l'attaque chimique du 7, celle de samedi d'il y a maintenant une semaine, il y a eu des commentateurs qui ont nié le fait qu'il y ait une attaque chimique. Alors que nous avions des messages, des témoignages, des photos, des vidéos d'acteurs du terrain en nombre qui montraient après analyse qu'il s'agissait bien d'une action chimique, qu'il y avait bien utilisation de gaz. Nous avons fait travailler nos services et nos laboratoires sur l'ensemble de ces photos. Il n'y a pas de doute sur le sujet, il y a bien eu une attaque chimique. Et en plus de ça, nous avons des témoignages très importants des organisations non gouvernementales médicales qui, depuis plusieurs années parce que ce conflit dure malheureusement depuis 2011, travaillent dans les hôpitaux, travaillent à soigner les gens et qui eux-mêmes nous envoyaient des messages et des témoignages accablants. Et puis nous avons par ailleurs des renseignements fiables qui montrent que ce sont les forces armées syriennes qui ont managé l'opération. C'était d'une certaine manière en cohérence avec l'action que menaient les forces armées syriennes contre une partie des rebelles de la Ghouta est qui ne voulait pas se rendre. Et alors ils ont utilisé cette méthode cynique et barbare d'utilisation de l'arme chimique qui a amené à la reddition de ces derniers résistants.
Q - Vous avez des preuves qu'effectivement des officiers syriens ont coordonné cette attaque chimique ?
R - Nous avons des renseignements importants sur ce sujet.
Q - C'est-à-dire, les ordres étaient donnés au plus haut niveau de l'armée syrienne ?
R - Tout nous laisse à penser que c'est comme cela que ça s'est passé.
Q - Et peut-être au niveau du président syrien Bachar al-Assad aussi ?
R - Pas à ce niveau d'information pour l'instant.
Q - Les preuves, j'y reviens quand même, vous avez les échantillons chimiques qui sont analysés et qui démontrent qu'il y a eu utilisation... de quel gaz, est-ce que c'est du chlore, est-ce que c'est une substance toxique...
R - Toutes les analyses ne sont pas achevées sur les échantillons, mais tout ce que je peux dire aujourd'hui c'est que l'analyse que nous allons mener permettra d'identifier l'ensemble des gaz qui ont été utilisés. Il y a du chlore, c'est certain, sans doute aussi d'autres éléments puisque les analyses qui ont été à faites par nos laboratoires montrent que les symptômes qui ont été identifiés peuvent mettre en jeu d'autres gaz que du chlore.
Q - Ces échantillons sont analysés en ce moment même par vos services ?
R - Ils sont analysés par nos services.
Q - Alors vous savez qu'il y a justement une mission d'inspection destinée à partir d'aujourd'hui à aller voir sur le terrain, des inspecteurs de l'organisme chargé de vérifier s'il y a eu ou pas utilisation d'armes chimiques, l'OIAC. Est-ce que cette mission qui devait débuter aujourd'hui a encore un sens, est-ce que vous la soutenez ou pas ?
R - Vous savez sur les vérifications, il faut constater que cela vient bien tard, puisqu'antérieurement il y avait un dispositif, un mécanisme qui avait été conclu entre les Nations unies et l'Organisation d'interdiction des armes chimiques, l'OIAC. Cet organisme, ce mécanisme de vérification était chargé d'attribuer des responsabilités pour les actions de combat chimique, si elles étaient avérées. Ca a d'ailleurs produit des effets puisque lors des opérations d'avril dernier, opérations chimiques qui ont été menées, qui ont abouti à une intervention américaine, il avait été identifié par cet organisme que la responsabilité incombait au régime. Et cet organisme marchait tellement bien, ces inspecteurs fonctionnaient tellement bien que la Russie s'est opposée à la reconduction de ses missions. Et par ailleurs, trois jours après l'attaque chimique, c'est-à-dire mardi, au Conseil de sécurité nous avions proposé la reconduction de ce mécanisme et le fait qu'on puisse aller vérifier sur place qui avait fait quoi. Et la Russie s'est aussi opposée, a opposé son droit de veto pour cette opération. Donc cette mission vient bien tardivement, il faut qu'elle fasse son travail, mais si on voulait vraiment la vérité il fallait bien maintenir les outils qui étaient concertés et convenus entre les Nations unies et l'OIAC, ce que la Russie a toujours refusé.
Q - Certainement, la mission vient bien tard et l'intervention occidentale peut-être aussi, est-ce que vous ne jugez pas qu'elle vient trop tard cette frappe occidentale ?
R - C'est la ligne rouge qui a été franchie, vous savez la ligne rouge, elle a été définie par le président de la République en mai 2017, très peu de temps après son arrivée. Elle a même été définie à Versailles, elle a même été définie devant M. Poutine, donc les objectifs étaient clairs et les frontières à ne pas dépasser aussi. Et là, l'ensemble des éléments que nous avons eus en notre possession nous a fait dire qu'elle était franchie parce qu'il y avait eu des morts, parce que c'est une attaque extrêmement forte et parce que le fait que ce soit attribué aux forces armées syriennes nous paraissait tout à fait évident.
Q - Vous savez qu'il y a en France et ailleurs des personnalités politiques qui disent : la France est à la remorque des Etats-Unis et de Donald Trump, on suit ce que décide l'Amérique. Qu'est-ce que vous répondez à ces accusations de suivisme ?
R - Ce que je viens de vous dire. Nous avons décidé nous-mêmes de nos lignes rouges, c'est le président Macron qui l'a dit et au moment où la ligne rouge a été franchie, nous avions décidé une intervention. Il se trouve qu'il a fallu la mener en coopération avec nos alliés, mais sur un objectif très précis, toucher les outils, les arsenaux chimiques clandestins du régime, ne pas toucher les alliés du régime, ne pas toucher même le fonctionnement institutionnel du régime, ce n'était pas notre sujet. Notre sujet c'est ne pas faire en sorte que l'arme chimique prolifère et éviter que Bachar al-Assad ne s'en serve une nouvelle fois.
Q - Mais pas d'alignement de la France sur les Etats-Unis ?
R - Il n'y a pas d'engagement, d'escalade militaire, c'est uniquement notre objectif de franchissement de ligne rouge que nous voulons faire respecter. Et nous le faisons en accord et en concertation avec nos armées. Mais c'est nous-mêmes qui prenons nos responsabilités, c'est nous-mêmes qui vérifions, c'est nous-mêmes qui avons nos renseignements, c'est nous-mêmes qui avons identifié nos cibles.
Q - D'accord, mais il y a quand même des questions qui se posent. Le Parlement va être réuni, vous aurez le soutien du Parlement... ?
R - Le Parlement va être réuni comme la Constitution le demande par l'article 35. Et toutes les informations seront données à ce moment-là aux parlementaires. Il n'y a pas de vote dans l'état actuel des choses puisqu'en plus, il n'y a pas de suite d'opération à envisager. Il fallait poser cet acte fort et nous l'avons posé.
Q - Les Russes évidemment protestent et ils ont même décidé de réunir le Conseil de sécurité des Nations unies. D'abord sur le Conseil, est-ce qu'il sert encore à quelque chose puisque la Russie bloque tout, il y a déjà eu 12 vetos dont 5 sur les armes chimiques, est-ce que le Conseil de sécurité des Nations unies sert encore à quelque chose ?
R - Il y a aujourd'hui des résolutions du Conseil de sécurité qui ont été adoptées à l'unanimité. Il y a une résolution du Conseil de sécurité pour le règlement politique de la crise syrienne, c'est la résolution 2254 votée à l'unanimité, il faut l'appliquer. Il y a une résolution du Conseil de sécurité sur l'humanitaire, pour avoir un cessez-le-feu et pour permettre à chaque partie des combattants syriens de bénéficier d'un soutien, mais surtout de faire en sorte que les populations civiles ne soient pas dans cette détresse. Cette résolution a été votée à l'unanimité, y compris la Russie, elle n'est pas appliquée, appliquons-la. Il y a une résolution qui a été adoptée en octobre 2013 concernant l'arme chimique et le gouvernement de Bachar al-Assad, demandant à la Syrie de détruire ses capacités chimiques. La Russie l'a votée, il faut l'appliquer. Et nous avons aujourd'hui au sein du Conseil de sécurité 3 résolutions votées à l'unanimité qu'il faut appliquer, pour permettre à cette région, à ce pays d'avoir un peu de renouvellement, de sérénité.
Q - Le dialogue est difficile avec Vladimir Poutine, mais on doit parler avec lui, est-ce que le président va aller en Russie comme c'est prévu fin mai ?
R - Ce déplacement n'est pas remis en cause, il faut continuer à parler avec la Russie, il faut que la Russie se rende compte qu'elle a voté des textes au Conseil de sécurité qu'il importe aujourd'hui de les faire appliquer ; et de ne pas se laisser embarquer par la barbarie et de Bachar al-Assad.
Q - Et vous pensez que Vladimir Poutine peut entendre ce geste comme Assad doit l'entendre aussi ?
R - Nous le souhaitons, je ne suis pas sûr que Bachar entendra tout, mais je pense que Vladimir Poutine est en mesure d'entendre.
Q - Alors bien entendu, les Français s'interrogent parce que cette guerre en Syrie dure depuis 7 ans, 400.000 morts, des millions de réfugiés...
R - Des populations déplacées, la moitié de la population syrienne est déplacée...
Q - Une frappe ne va pas suffire à régler le conflit évidemment, comment on sort de cette guerre et quelle est l'après, qu'est ce qui se passe après les frappes d'aujourd'hui ?
R - Après les frappes, je l'ai déjà dit ce matin, la France va être à l'initiative, à l'initiative politique au Conseil de sécurité pour permettre qu'enfin, un processus de paix puisse se mettre en oeuvre. Il y a tous les éléments sur la table pour le faire, je vous l'ai dit, dont une résolution des Nations unies votée à l'unanimité. Nous allons prendre l'initiative dans le domaine chimique pour faire en sorte qu'il y ait vraiment éradication totale de tout l'arsenal chimique de Bachar al-Assad et, donc, faire en sorte que l'OIAC nous dise : il y a encore là peut-être des entrepôts, des outils de fabrication de l'arme chimique qui restent et il faut les détruire.
Q - Vous pensez qu'il y en a encore ?
R - Je pense que beaucoup a été détruit par les frappes de cette nuit, mais il faut vérifier tout. Et puis il y a aussi l'aide humanitaire, la trêve, la nécessité de faire en sorte que les populations syriennes arrêtent de souffrir. Et la trêve, ça permet aussi l'acheminement humanitaire partout. Voilà les 3 secteurs sur lesquels nous allons commencer à intervenir dès lundi : lundi matin il y a une réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne et ces sujets seront déjà sur la table.
Q - Et vous demandez justement le soutien des Européens, parce qu'il n'y a que les Britanniques qui sont intervenus à vos côtés avec les Américains, où est l'Allemagne, où sont les autres Européens, vous demandez le soutien de l'Europe ?
R - Ils s'exprimeront je pense lundi, déjà certains commencent à le faire.
Q - Et vous attendez leur soutien ?
R - Absolument, je suis absolument certain que je l'aurai.
Q - En Syrie, dernière question Monsieur le Ministre, la réconciliation est-elle possible avec Bachar al-Assad, comment voyez-vous l'avenir de ce pays qui est détruit ?
R - Il faut mettre en place un processus de paix. Le processus de paix commence d'abord par la trêve et par l'arrêt des combats ; et ensuite par la définition d'une nouvelle constitution ; et ensuite par la mise en oeuvre d'élections. Il faut donc que tout le monde se mette autour de la table, d'abord les acteurs syriens mais aussi que les pays qui, d'une manière ou d'une autre, ont à voir avec la Syrie - et il y en a quand même un certain nombre - puissent se mettre d'accord pour qu'on engage ce processus. La France est prête à parler avec tout le monde...
Q - Vous n'avez pas peur de représailles après cette intervention de la part de la Russie ou de la Syrie ?
R - J'imagine mal que lorsque l'on met en oeuvre des résolutions des Nations unies, que l'on met en oeuvre le droit international, que l'on met en oeuvre le droit humanitaire, que l'on fasse appliquer la convention sur l'interdiction des armes chimiques qui a été votée, approuvée par 192 pays, j'imagine mal qu'il puisse y avoir des représailles sur ce point.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 avril 2018