Texte intégral
Q - Bonjour Nathalie Loiseau
R - Bonjour
Q - Merci d'avoir accepté notre invitation. On vient de l'entendre, attaque chimique avérée, imputable au régime syrien. Dans la foulée, le ministère de la défense publiait sur son site un rapport d'évaluation, avec photos à l'appui de victimes pour lever tous doutes, un rapport basé sur l'analyse de témoignages, de vidéos, de photos et de renseignements déclassés des services français. Alors en même temps, des personnalités politiques en France demandent la publication de preuves. Alors comment réagissez-vous à ceux qui émettent des doutes sur la réalité de cette attaque chimique et de son origine ?
R - Comme l'a dit Jean-Yves Le Drian, il n'y a aucun doute sur la réalité de l'attaque, d'une part, et sur la responsabilité du régime syrien. Les témoignages des ONG médicales présentes sur place, les symptômes qui ont été constatés sur les victimes montrent l'utilisation de chlore et de neurotoxiques puissants. Qui a intérêt à utiliser une arme chimique en Syrie ? Le régime syrien a déjà dans le passé utilisé à plusieurs reprises des armes chimiques. Le régime syrien était en train de poursuivre une offensive sur Douma, c'est dans le cadre de cette offensive que les armes chimiques ont été utilisées. Elles ont été larguées par hélicoptères, il n'y a que les forces armées syriennes qui disposent d'hélicoptères. Il n'y a donc pas de doutes, donc...
Q - Mais nous n'avons pas pour l'instant d'analyse des produits chimiques qui auraient éventuellement été utilisés, c'est ce que dit d'ailleurs le rapport d'évaluation de la défense !
R - Ce qu'on sait c'est les symptômes, c'est la suffocation, c'est les convulsions, tout cela...
Q - Ça, ce sont des témoignages...
R - Ce sont des témoignages, ce sont les images qui sont été analysées très précisément, dont il n'y a aucune raison de penser que c'est une manipulation. Tout ceci a été regardé avec beaucoup de précision. C'est parce que nous avions toute raison de penser que l'attaque était chimique et qu'elle avait été conduite par le régime de Damas que nous avons décidé d'en tirer les conséquences.
Q - Madame la Ministre, il y a depuis ces frappes - sur les réseaux sociaux en particulier - énormément de thèses du complot, une vraie guerre de propagande. Est-ce que vous avez l'impression que tout a été fait pour éviter ce foisonnement de thèses contradictoires et de mises en doute de la réalité des attaques chimiques, sachant que les enquêteurs sont partis sur place, qu'ils ne sont pas encore rentrés, que le ministre des affaires étrangères parle d'estimation avec un haut niveau de confiance, est-ce que tout a été fait pour éviter ce foisonnement de propagandes ?
R - Souvenons-nous : nous avions présenté au Conseil de sécurité un projet de résolution qui demandait qu'on puisse envoyer en Syrie, immédiatement après l'attaque du 7 avril, un mécanisme d'inspection et de contrôle pour pouvoir à la fois faire les preuves de ce qui s'était passé et trouver les responsabilités. Qui a empêché ce projet de résolution d'être adopté ? La Russie, qui y a opposé son droit de veto. Elle a mis son veto pour la 12ème fois sur un projet de résolution concernant la Syrie, pour la 6ème fois sur les armes chimiques. Vous avez raison, sur les réseaux sociaux il y a une certaine campagne de propagande qui s'est lancée, moi j'en ai été le témoin dès que je me suis exprimée à l'Assemblée nationale mardi dernier pour parler d'armes chimiques, pour parler de responsabilité du régime syrien, pour appeler à la responsabilité l'allié de la Syrie qu'est la Russie. À peine avais-je terminé de m'exprimer que d'une manière très organisée, très concertée, on venait parler manipulation, provocation, incertitude. C'est une guerre de propagande, il ne faut pas se laisser à aller à croire cette propagande. Aujourd'hui, nous avons toutes les raisons de penser que des armes chimiques ont été utilisées...
Q - C'est une certitude ?
R - C'est une certitude, on ne frappe pas des installations qui, elles-mêmes, étaient destinées à produire et à exploiter des armes chimiques si on n'a pas la certitude que ces armes chimiques ont été utilisées. Souvenons-nous, elles ont été utilisées il y a un an à Khan Cheikhoun, le mécanisme qui avait enquêté sur l'utilisation d'armes chimiques et leur origine avait conclu au fait qu'elles avaient été utilisées et que le régime syrien était à l'origine de ces frappes. Qu'est-ce qui s'est passé après cette enquête ? C'est à partir de là que la Russie a opposé son droit de veto, de telle sorte qu'il ne puisse plus y avoir de mécanisme d'enquête indépendant en Syrie.
Q - Est-ce que vous considérez dans cette histoire que la Russie est quoi... un complice de Bachar el-Assad, un partenaire des Occidentaux, un arbitre de la crise syrienne ? On a du mal à comprendre exactement comment vous abordez la Russie, est-ce que c'est le camp d'en face, est-ce que c'est un partenaire ou est-ce que c'est un arbitre ?
R - Nous appelons la Russie à la responsabilité...
Q - Ça fait 5 ans, 7 ans même qu'on l'appelle à la responsabilité sur la crise syrienne.
R - Non parce que ça ne fait pas 7 ans qu'elle est sur le territoire syrien, c'est après les frappes chimiques de 2013 et l'absence de réaction de la communauté internationale que le sentiment a pu être donné à certains qu'on pouvait encourager l'impunité en Syrie. Aujourd'hui, il y a des troupes russes en Syrie, pas un avion, pas un hélicoptère ne décolle d'un aéroport en Syrie sans que les Russes en soient informés. Cela signifie que l'attaque du 7 avril, les Russes en étaient informés. Aujourd'hui, nous demandons à la Russie de faire pression sur le régime de Bachar al-Assad, en prenant conscience de la réaction de la communauté internationale, d'une part pour stopper l'utilisation des armes chimiques, d'autre part pour laisser l'aide humanitaire enfin accéder à tous en Syrie et enfin pour reprendre un vrai processus de négociation politique, ce que la Russie a tenté de faire jusqu'à présent, n'a pas marché.
Q - Oui mais alors si vous considérez que la Russie a l'entière responsabilité et connaissance de ce qui se passe en Syrie, pourquoi on ne fait pas pression sur la Russie à travers des sanctions... pas forcément une action militaire parce que ça entraînerait une escalade...
R - Personne n'a envie d'escalade.
Q - Alors personne n'a envie d'escalade, mais des sanctions ?
R - Personne n'a envie d'escalade. Ce que nous demandons à la Russie, c'est d'entendre ce message de la communauté internationale : les armes chimiques plus jamais ça. Et s'agissant du règlement politique de la crise en Syrie, croire que chacun peut dans son coin, avec ses seuls alliés, décider de transformer cette guerre en un règlement politique, ça a échoué...
Q - Oui mais si la Russie ne paie aucun...
R- Ça ne marche pas.
Q - Si la Russie ne paie aucun prix, elle n'a aucun intérêt à le faire.
R - La Russie n'a pas d'intérêt à ce que la guerre se poursuive éternellement en Syrie. La Russie n'a pas intérêt à ce que Bachar al-Assad n'écoute pas ce qu'elle a à lui dire. Et jusqu'à présent, la Russie croyait pouvoir démontrer qu'elle serait le faiseur de paix en Syrie, elle n'y est pas parvenue.
Q - Alors pour finir cette question sur la Syrie, demain Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères devra participer à Luxembourg à une réunion des ministres des Affaires étrangères de tous les pays de l'Union. Il sera encore une fois question de la Syrie et de l'unité de l'Union européenne face à la Syrie. Mais quand même, en 2013 la Syrie s'était engagée à faire détruire le stock de l'armement chimique syrien...
R - Oui.
Q - Très précisément, est-ce qu'aujourd'hui on ne doit pas considérer qu'elle est comptable des attaques chimiques qui se produisent sur le sol syrien ? Et l'Europe, comment elle peut se faire entendre sur cette affaire ?
R - Alors la Syrie a triché, la Syrie a menti. Effectivement en 2013, la Syrie a dit : je suis la résolution du Conseil de sécurité, j'arrête la fabrication d'armes chimiques, je rends les stocks.
Q - Avec cet accord américano-russe qui donnait à la Russie notamment la possibilité de regarder cette destruction des armes chimiques.
R - Et cet accord n'a pas été respecté, c'est bien l'origine...
Q - Alors la Russie est comptable ?
R - C'est bien l'origine de la frappe qui a été décidée.
Q - D'accord. Et elle est donc comptable des attaques chimiques sur le sol syrien ?
R - La Russie ne peut pas continuer à dire qu'il n'y a pas eu d'attaques chimiques, que tout ça est de la manipulation, que c'est du théâtre, ce cynisme-là n'est pas possible. Aujourd'hui, on est effectivement à 7 ans de guerre, 400.000 victimes, un pays qui va être extraordinairement difficile à reconstruire, il faut que tous les grands acteurs internationaux, régionaux regardent la réalité en face, qu'on arrête de raconter quelque chose qui ne correspond pas à la réalité. Il y a eu des attaques chimiques, il faut y faire face, il faut aujourd'hui que cet arme ne soit plus utilisée. C'était la raison de la frappe française, britannique et américaine...
Q - Oui mais sur le timing de cette frappe, comment est-ce qu'on fait pour revenir dans le cadre d'une légalité internationale, puisque ces frappes ont donc été décidées hors mandat de l'ONU. Et donc maintenant, Vladimir Poutine a beau jeu de dénoncer le fait qu'elles aient été faites hors mandat. Comment est-ce qu'on revient dans la légalité internationale ?
R - Revenir dans la légalité internationale, c'est arrêter l'utilisation des armes chimiques. L'utilisation des armes chimiques...
Q - Mais il n'y a pas que des armes chimiques...
R - Pardonnez-moi mais l'utilisation des armes chimiques, elle est interdite par le droit international, elle a été interdite par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité qui concernent précisément la Syrie. C'est parce que le droit international était bafoué, parce que le droit humanitaire était bafoué, parce que les résolutions du Conseil de sécurité était bafouées que nous sommes intervenus. Et vous parlez de Vladimir Poutine, il a essayé devant le Conseil de sécurité de faire adopter une résolution condamnant ces frappes, il a échoué, il n'a pas obtenu la majorité du Conseil de sécurité, loin de là.
Q - Madame la Ministre, pour revenir sur les Européens qui se réuniront demain à Luxembourg, est-ce que vous regrettez par exemple l'attitude de l'Allemagne qui soutient politiquement l'action de la France, des Etats-Unis et de la Grande Bretagne, mais qui ne veut - comme d'habitude - pas participer à aucune action militaire ?
R - Alors on sait que pour l'Allemagne et les actions militaires, il lui arrive de participer mais dans des conditions très restrictives parce que la loi fondamentale allemande, de ce point de vue-là, est très restrictive. Ce qui compte c'est le soutien politique de l'ensemble de l'Union européenne. Federica Mogherini, la Haute représentante, a fait une déclaration très forte de condamnation dutilisation des armes chimiques et de compréhension de soutien aux frappes, c'est également le cas d'Angela Merkel. De ce point de vue-là l'Union européenne parle d'une seule voix, il n'y a pas d'ambiguïté.
Q - Est-ce que vous êtes sûre qu'il y a consensus au sein des 28, notamment parmi les membres centres-européens et est-européens sur cette action militaire ?
R - Vous savez sur la condamnation d'utilisation des armes chimiques, il y a une sensibilité forte dans l'Union européenne. Elle s'était déjà exprimée à la fin du mois de mars concernant l'affaire Skripal, concernant l'utilisation d'un agent neurotoxique sur le sol d'un pays de l'Union européenne. L'ensemble des pays de l'Union européenne avait condamné cette utilisation de manière tout à fait unie, tout à fait solidaire. Et l'écrasante majorité des pays de l'Europe avait pris des mesures de solidarité vis-à-vis du Royaume-Uni. Sur cette question de l'utilisation des armes chimiques, ça n'est pas une nouveauté, le Protocole de Genève qui les interdit c'est 1925, la Convention d'interdiction d'usage des armes chimiques c'est 1993, donc on n'est pas en train de réinventer le droit international. Là-dessus, il y a un consensus très fort.
Q - Madame la Ministre, vous venez de parler de l'affaire Skripal, cet ex-agent double Sergueï Skripal qui a été empoisonné avec sa fille le 4 mars dernier sur le territoire britannique. Alors là, l'Europe a plutôt réagi de façon ordonnée et commune, est-ce que vous partagez l'analyse que dans le contexte du Brexit, la Russie - si sa responsabilité est définitivement établie - teste à la fois la solidarité de l'Union européenne avec la Grande Bretagne et la capacité de réaction de l'Occident ?
R - Ce que je crois c'est qu'un certain nombre d'acteurs mondiaux ont du mal à appréhender ce que c'est que l'Union européenne. Et ils sont en train d'essayer de savoir si nous sommes une puissance unie qui est capable...
Q - S'il y a des fractures...
R - D'agir de concert ou s'il y a des fractures. On l'a vu quand le président Trump a voulu prendre des mesures commerciales, notamment vis-à-vis de l'Union européenne, en invoquant de manière très surprenante la sécurité nationale des Etats-Unis. L'Europe a réagi d'une seule voix, l'Europe a été capable d'envoyer la commissaire au Commerce à Washington de dire : non. Non, on ne négocie pas sous la menace, non il n'est pas acceptable de prendre des mesures vis-à-vis de l'Union européenne. L'Europe a été entendue.
Q - Alors si vous voulez, on va continuer un tout petit peu sur la question de la Turquie par exemple, qui maintient sa demande d'adhésion à l'Union européenne, alors qu'elle est loin de satisfaire aux critères qui le permettraient. Par exemple la Chancelière Angela Merkel y est très hostile. Le président Macron, lui, a parlé de partenariat maintenant, qu'est-ce qu'il faut comprendre, qu'est-ce qu'on veut vraiment avec la Turquie parce qu'en même temps, il a dit qu'il fallait qu'elle reste ancrée dans l'Europe.
R - Ce que le président de la République a dit, c'est qu'aujourd'hui compte tenu des choix politiques qui ont été faits par la Turquie, ce sont des choix politiques souverains mais ces choix politiques éloignent la Turquie des valeurs fondamentales de l'Union européenne. Rentrer dans l'Union européenne ça n'est pas simplement...
Q - En matière de droits de l'Homme, en matière de respect de la démocratie...
R - En matière d'indépendance des médias, en matière d'indépendance de la justice, en matière de persécutions vis-à-vis d'un certain nombre de fonctionnaires par exemple qui ont radiés, inculpés de manière indiscriminée en Turquie, on est très loin des valeurs de l'Union européenne. Et adhérer à l'Union européenne, ce n'est pas seulement entrer dans un marché unique, dans une union douanière, c'est respecter ses valeurs. C'est ce que nous avons dit, c'est ce que le président de la République a dit à Recep Erdogan quand il est venu en janvier à Paris. Cela signifie qu'aujourd'hui, les conditions d'une poursuite des négociations ne sont pas réunies. C'est un choix qui émane de la Turquie mais c'est une réalité. Nous disons que la Turquie doit rester ancrée dans les valeurs de l'Union européenne, la Turquie est membre du Conseil de l'Europe. Aujourd'hui si vous êtes un ressortissant turc et si vous êtes condamné par la justice turque, vous pouvez saisir la Cour européenne des droits de l'Homme. C'est extrêmement important...
Q - Mais de manière plus pragmatique, est-ce que ce n'est pas la question tout simplement de la crise migratoire, est-ce que ce n'est pas la question de la lutte contre le terrorisme qui fait qu'on a envie aussi que la Turquie... que le président Macron parle de la nécessité qu'elle reste ancrée dans l'Europe ?
R - C'est un partenaire important de l'Europe dans la lutte contre le terrorisme, dans la possibilité que nous avons - parce que notre relation avec la Turquie est une relation forte - d'arrêter des terroristes qui partaient vers la Syrie ou qui reviennent de Syrie...
Q - Qui transitaient par son territoire.
R - Et qui transitaient par le territoire turc. Le partenariat avec la Turquie est un partenariat important, bien sûr, personne ne sous-estime non plus le fait que la Turquie accueille plus de 3 millions de réfugiés du conflit syrien.
Q - Oui mais Madame la Ministre, vous avez un partenaire turc, Monsieur Erdogan, qui lui ne veut pas de la formule proposée par monsieur Macron, il l'a dit clairement. Ce qu'il veut c'est une adhésion pure et simple, comment on fait avec ça ?
R - Les conditions d'adhésion sont connues, c'est se rapprocher de nos critères et c'est à lui, c'est au gouvernement turc...
Q - Oui mais il se trouve qu'en Europe, plus personne ne veut de l'adhésion de la Turquie en tant que Etat membre de l'Union européenne, mais personne n'ose le dire.
R - Nous ce qu'on nous avons dit, c'est qu'on suspend. Si la Turquie décide de revenir aux valeurs de l'Union européenne, on peut en rediscuter, la balle est dans son camp, c'est son choix. Aujourd'hui, il est difficile d'entendre le président turc dire à la fois que l'adhésion est un droit, mais que le système politique turc est celui qu'il a choisi de faire évoluer très loin des valeurs de l'Union européenne.
Q - En attendant Madame la Ministre, comment est-ce que vous voyez... quel regard vous portez sur ce rapprochement entre justement la Russie et la Turquie, puisque là la situation - comme le dit un ancien ministre Hubert Védrine - la situation en Syrie est entre les mains de l'Iran, la Turquie et la Russie ; et qu'éventuellement au bout d'un moment Moscou verrait peut-être un intérêt à faire jouer un rôle... à laisser la France reprendre un rôle dans ce contexte. Est-ce que vous partagez cette perception ?
R - Ce que je constate, c'est que la Turquie a condamné l'utilisation d'armes chimiques en Syrie et a soutenu les frappes que nous avons effectuées en Syrie. Donc parler d'un rapprochement russo-turc, c'est peut-être aller un peu vite. Ce que je constate surtout, c'est qu'il y a beaucoup d'acteurs extérieurs en Syrie qu'aujourd'hui, il faut que tout le monde se mette autour de la table et aille dans la même direction, celle d'un règlement politique en Syrie. Il faut arrêter de rajouter de la guerre à la guerre, il faut respecter les résolutions du Conseil de sécurité, notamment...
Q - Mais les dernières discussions...
R - Au cessez-le-feu.
Q - À Astana... les dernières discussions...
R - Ont été un échec.
Q - Oui, et puis de tout façon ça ne se déroulait pas avec les... les Européens en étaient quasi absents, les Américains aussi...
R - Et une partie de l'opposition syrienne aussi. Il faut un processus beaucoup plus inclusif, c'est ce que nous disons depuis un moment, c'est ce que nous allons essayer de relancer. Nous avons présenté un projet de résolution au Conseil de sécurité, qui parle à la fois de la question chimique pour renouveler l'interdiction d'utilisation de l'arme chimique, permettre à nouveau à un mécanisme fiable de venir inspecter et contrôler ce qui se passe en Syrie, permettre le plein accès de l'aide humanitaire, j'y reviens, mais on le sait depuis des mois l'aide humanitaire arrive au compte-goutte, souvent les médicaments sont sortis par les autorités syriennes des convois humanitaires qui arrivent dans la Ghouta orientale par exemple. Ca n'est pas acceptable, et reprendre un processus politique inclusif, où certains des acteurs qui sont présents sur le territoire syrien ne restent pas dans leur coin avec leurs alliés en pensant, ce qui est une illusion, être capable de faire la paix en Syrie.
Q - Madame la Ministre, on s'est éloigné un petit peu de la Turquie, je vais y revenir quand même. Lorsque la Turquie envahit le canton d'Afrine, elle combat des terroristes à ses yeux, aux yeux de la France la Turquie peut aller jusqu'où dans cette guerre qu'elle mène contre le PYD, PKK, contre cette entité kurde syrienne qu'elle qualifie (elle) de terroristes et que nous, nous soutenons puisque c'est notre partenaire dans la guerre contre l'Etat islamique Daech, jusqu'où la Turquie va pouvoir aller, est-ce qu'en cas d'attaque de Manbij la France va se retrouver en collision avec la Turquie, puisque la France soutient militairement, avec même des hommes au sol, des forces spéciales, les Kurdes syriens ?
R - Ce que nous faisons en Syrie c'est que nous combattons Daech...
Q - Nous oui.
R - Le combat contre Daech n'est pas terminé. Et nous avons dit très clairement qu'aussi bien, nous comprenons le souci de la Turquie de protéger la sécurité de sa frontière par exemple, pour autant nous ne sommes pas d'accord pour une présence militaire dans l'intérieur du territoire syrien, qui est contraire aux résolutions du Conseil de sécurité. Nous avons dit notre désaccord aux autorités turques de manière très claire, le président de la République a appelé à plusieurs reprises Recep Tayyip Erdogan pour lui demander d'exercer de la retenue sur sa présence en territoire syrien. Nous ne voulons pas que cette situation conduise à ce que la lutte contre Daech passe au deuxième plan ; et que notamment les forces démocratiques syriennes qui sont engagées avec nous à lutter contre Daech en soient empêchées.
Q - Mais on a quels moyens d'être entendus là-dessus ?
R - Ce que nous faisons c'est que nous essayons de convaincre les autorités turques, ce que nous faisons aussi c'est d'essayer de faire respecter les résolutions du Conseil de sécurité. La Turquie comme la Russie ne peuvent pas rester isolées éternellement et ne peuvent pas nous dire qu'elles ont la clé d'un règlement politique de la situation en Syrie, alors que depuis des années on ne voit que de l'action militaire, on ne voit que de la guerre qui s'ajoute à la guerre et on ne voit aucune résolution de la crise syrienne. La Turquie en souffre, la Turquie (je le disais) accueille 3 millions de réfugiés syriens sur son sol, elle aussi a intérêt à ce qu'on aille ensemble vers un règlement politique.
Q - Alors au-delà de l'actualité internationale, parlons si vous voulez bien maintenant de l'Europe et de son avenir. En mai prochain, en mai 2019 plus précisément, le Parlement européen va se renouveler. Généralement, c'est un scrutin qu'on peut caractériser par son taux d'abstention...
R - Très fort.
Q - Est-ce que... je rappelle qu'en 2014 seuls 42 % des électeurs y avaient participé. Vous ne redoutez pas que ce même scénario se reproduise ?
R - C'est la raison qui conduit à ce que nous parlions d'Europe et que nous fassions tout pour que les Européens disent ce qu'ils attendent de l'avenir de l'Union européenne. Parce que beaucoup de sujets, la plupart des sujets qui préoccupent nos concitoyens aujourd'hui, ont une dimension européenne. On a parlé lutte contre le terrorisme, il y a évidemment une dimension européenne à la lutte contre le terrorisme. On peut parler lutte contre le réchauffement climatique, on peut parler régulation du numérique et Dieu sait si ce sujet aujourd'hui est à l'ordre du jour, on sait tous ce qu'on ne réglera aucun de ces sujets en se recroquevillant derrière nos frontières nationales. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire qu'aujourd'hui, beaucoup de sujets ont une dimension européenne. Les Européens ont le choix de décider vers où doit aller l'Europe. Et ce choix, il s'exprime au moment des élections européennes.
Q - Oui mais vous dites les Européens, mais les Français par exemple, est-ce que vous pensez qu'ils ont envie d'entendre parler d'Europe aujourd'hui, alors qu'il y a une situation de grogne qui s'est installée en France. Vous allez lancer ces fameuses rencontres citoyennes...
R - Consultations citoyennes...
Q - Consultations citoyennes exactement dans 48 heures. Est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'elles vont plutôt servir à débattre sur ce qui se passe en ce moment en France, avec ces grèves à la SNCF, il y en a même Air France, les problèmes dans les universités, est-ce que le débat ne risque pas d'être biaisé à l'occasion de ces rencontres ?
R - Ecoutez ! Prendre le risque de donner la parole c'est un risque que je prends bien volontiers. On a besoin d'entendre ce que la plus grande diversité possible de publics attend de l'Europe, ce qu'elle en pense, ce qu'elle critique, ce qu'elle apprécie mais surtout ce qu'elle propose. On a une géographie, une histoire, un destin commun, ce qu'il faut c'est pouvoir le dessiner ensemble. On sait tous qu'on attend beaucoup de l'Europe et on a aussi des insatisfactions vis-à-vis de l'Europe. Autant donner la parole aux citoyens et pas seulement en France, dans 27 Etats membres de l'Union européenne. C'est une consultation sans précédent par son caractère démocratique et participatif. Ça ne me fait pas peur, au contraire.
Q - Madame la Ministre, quelle place est-ce que vous voulez, votre mouvement, la République en Marche souhaite occuper au Parlement européen ? Vous allez être de quel côté, il y a le Parti populaire européen, il y a le parti de Monsieur Verhofstadt, plutôt centre-gauche, centre-droit, de quel côté vont osciller vos députés, comment ça va se passer ?
R - Alors d'abord ils ne vont pas osciller, ils vont arriver avec des convictions fortes. C'est ce besoin d'Europe, ce besoin d'une Europe qui protège davantage ses citoyens, qui s'affirme davantage sur la scène mondiale, qui fasse entendre sa voix...
Q - Non mais très concrètement...
R - besoin de réforme. Et ça, ça n'est pas forcément totalement représenté aujourd'hui par les groupes parlementaires qu'on trouve au Parlement européen, qui datent de plusieurs décennies, qui se sont installés dans une tradition et qui, aujourd'hui parfois, rassemblent des partis qui ont peu à voir les uns avec les autres. Regardez...
Q - Alors la République en Marche va former son propre groupe...
R - Regardez le PPE par exemple...
Q - Ou va rejoindre un groupe existant ?
R - Vous avez dans le même groupe parlementaire au Parlement européen la CDU de Madame Merkel et le Fidesz de Viktor Orban en Hongrie. Moi j'ai du mal à penser que les députés des uns et des autres ont grand-chose à voir en commun, c'est ça que nous disons. Nous allons présenter un programme, constituer une liste, choisir une tête de liste, essayer d'avoir le plus de députés possibles...
Q - Donc ce que vous avez fait en France, vous pensez le faire au niveau européen, vous pensez arriver à casser les dynamiques des grands partis déjà existants ?
R - Mais ce n'est pas casser pour casser, ce que je constate c'est qu'aujourd'hui...
Q - Oui mais quels sont les signaux qui montrent que vous pourriez arriver à faire ça ?
R - Aujourd'hui partout en Europe, les partis traditionnels sont à la peine, regardez ce qui s'est passé en Italie, le Parti démocratique, le parti Forza Italia qui étaient - je dirais- les partis héritiers d'une certaine tradition politique italienne, ont fait leurs plus mauvais score depuis de nombreuses années. Les Italiens sont allés voter pour un parti antisystème, le Mouvement 5 étoiles, et un parti extrémiste, la Ligue. Pourquoi ? Parce qu'ils étaient déçus de l'action ou de l'inaction de l'Union européenne. Qu'est-ce qu'ils ont dit les Italiens...
Q - Du coup la République en Marche...
R - Ils ont dit " il n'y a pas assez d'Europe ".
Q - Du coup, vous vous rapprochez de qui en Italie ?
R - Aujourd'hui, la question n'est pas là, la question c'est de bâtir un programme, de choisir des candidats, d'avoir une tête de liste, d'être crédible, de gagner le maximum de voix là où nous sommes... malheureusement il n'y a pas de liste transnationale, c'est un projet que nous avions porté, ce projet s'est heurté au conservatisme des vieux partis européens représentés au Parlement européen. Nous allons lancer une liste nationale française, nous verrons quel est notre score, évidemment nous ferons le maximum pour avoir le meilleur score possible et nous verrons qui a envie de discuter avec nous.
Q - Madame la Ministre justement, vous parliez de... vous venez de critiquer les eurodéputés pour leur conservatisme, et moi je ne comprends pas bien...
R - Pas tous.
Q - Je ne comprends pas bien l'attitude du président Macron. Les eurodéputés depuis la précédente élection avaient choisi un système qui s'appelle le Spitzenkandidat, c'est-à-dire le candidat désigné par la liste qui est arrivée... le regroupement, la coalition qui arrive en tête sera président de la Commission automatiquement, ce qui fait que les Européens peuvent savoir qui ils vont élire à la Commission européenne. C'est quand même assez démocratique, mais la France n'en voulait pas de ce système, pourquoi ?
R - Alors je vais vous dire, ce n'est pas la France qui n'en voulait pas, c'est l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement qui se sont réunis en février, dans un sommet dédié précisément à ces questions institutionnelles, et qui se sont contentés de relire et de rappeler les traités. Il n'y a aucune automaticité dans les traités, les traités disent simplement que le Conseil européen, donc les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne désignent le président de la Commission en " tenant compte du résultat des élections européennes ". C'est évidemment ce que nous allons faire et ce président désigné devra recueillir la confiance du Parlement européen. Est-ce que vous croyez vraiment, quand vous regardez le paysage politique chez la plupart de nos partenaires, la France fait exception ? En France le président, le gouvernement s'appuie sur une vaste majorité, sur un parti majoritaire. Regardez partout ailleurs autour de nous, à commencer par l'Allemagne, est-ce que vous croyez vraiment qu'être le parti qui arrive en tête, ça vous garantit la possibilité de créer des consensus, aussi bien sur le plan national que sur le plan européen ? Ce n'est vrai à peu près qu'en France en Europe.
Q - Poursuivons cet entretien, en septembre dernier le président français Emmanuel Macron présentait à la Sorbonne ses propositions pour ce qu'il appelle une refondation de l'Europe. Il a parlé de renforcement de la zone euro, de créer un super ministre... enfin de nommer un super ministre de l'économie et des finances de l'Eurozone, la création d'un budget de la zone euro ; et puis d'un renforcement du couple franco-allemand avec un nouveau traité de l'Elysée. On a un peu l'impression que toutes ces mesures ont fait un peu flop, on n'en entend plus parler, qu'est-ce qui se passe...
R - Je suis justement là pour vous en parler parce qu'il se passe beaucoup de choses. Il se passe que fin décembre, quelque chose dont on parlait depuis des décennies sans en voir la couleur est né, c'est l'embryon de l'Europe de la défense. 25 sur 27 Etats membres ont décidé de se réunir ensemble pour coopérer en matière de défense. Et dans l'environnement international que nous venons de décrire, enfin les Européens ont compris que leur autonomie stratégique était une nécessité. Et le Parlement européen est en train de voter un fonds européen de défense. Ça aussi ça n'était jamais arrivé. Ce qui s'est passé aussi depuis un an, c'est que quand moi j'ai pris mes fonctions, on a commencé à parler - nous Français - de la nécessité de faire en sorte que les grands acteurs du numérique paient leur écot, paient l'impôt normal, équitable au sein de l'Union européenne. Jusque-là c'était un non-sujet, aujourd'hui il y a une proposition de la Commission européenne qui propose que les grands acteurs du numérique paient 3 % du chiffre d'affaires qu'ils réalisent en Europe.
Q - A minima qui sont retenus, est-ce que par rapport à toutes les annonces qui étaient faites...
R - Mais pas du tout...
Q - On a parlé de la création d'un gouvernement de la zone euro, toutes ces choses-là...
R - Eh bien ! Sur la zone euro, Angela Merkel s'est engagée... c'est vrai que la constitution de son gouvernement...
Q - Elle est très chahutée.
R - ..a pris beaucoup plus de temps que d'habitude, 6 mois, c'était sans précédent. Et c'est vrai que c'est en franco-allemand qu'on peut faire des propositions qui, ensuite, sont partagées avec le reste des Etats membres de l'Union européenne. Angela Merkel s'est engagée à venir sur la zone euro avec la France, avec une feuille de route commune au mois de juin. On n'a pas pu le faire au mois de mars parce que son gouvernement venait tout juste d'être constitué, quelques jours auparavant. On est en train de travailler à finaliser l'Union bancaire et là-dessus on est d'accord, on est en train de travailler sur l'Union des marchés de capitaux qui est indispensable pour qu'on puisse relancer l'investissement dans la zone euro, l'investissement qui jusqu'à présent depuis 2008 n'a pas suffisamment repris...
Q - Mais la question d'un budget...
R - ...Européen de stabilité et on travaille à ce à quoi doit servir une capacité budgétaire pour la zone euro. Il y a 3 objectifs à cette capacité budgétaire. Le premier c'est d'inciter à la convergence entre les pays de la zone euro, quand on a la même monnaie il faut que les économies convergent davantage, hors la crise les avait fait diverger...
Q - On a beaucoup de désaccords là-dessus Madame la Ministre, il y a une échéance...
R - Mais pas du tout, je vous parle du mois de juin, sur la convergence on est d'accord, sur la nécessité de renforcer l'investissement dans la zone euro on est d'accord. Là où on est encore en train de discuter, c'est sur l'utilisation d'un budget de la zone euro pour stabiliser un pays quand il entre en crise. Alors là-dessus il y a des nuances, il y a des divergences. Nous ce que nous disons, c'est qu'il vaut mieux se mettre d'accord maintenant, à un moment où on a retrouvé la croissance partout dans la zone euro, où on peut réfléchir à tête reposée ensemble en tirant les leçons de la crise précédente, parce que sinon cette nécessité d'intervenir et de consacrer un budget à la stabilisation, on la rencontrera lors de la prochaine crise dans la précipitation, ça nous coûtera beaucoup plus d'énergie et sûrement beaucoup plus d'argent, autant le faire maintenant.
Q - Madame Loiseau, on a quand même l'impression que l'espace d'Emmanuel Macron en un an, il s'est beaucoup réduit. Sa partenaire, la partenaire sur laquelle il a misé, Angela Merkel, elle a un gouvernement mais il est très fragile et très divisé sur plusieurs questions européennes...
R - Il n'est pas du tout divisé sur l'Europe. Vous prenez le contrat...
Q - Il y a eu des prises de position la semaine dernière...
R - Lisez le contrat de coalition...
Q - Contradictoires. Mais finalement...
R - Le gouvernement s'est fait sur l'Europe... non, je vous contredis complètement, désolée...
Q - À part un gouvernement allemand pas ultrasolide, vous avez quoi ? Les Pays-Bas hostiles, l'Italie qui est... les deux partis hostiles, l'Espagne...
R - Hostiles à quoi ?
Q - Hostiles à l'Europe en général et au discours de Macron en particulier.
R - Est-ce que vous avez vu l'évolution du discours du Mouvement 5 étoiles sur l'Europe, pendant la campagne et depuis le résultat des élections ?
Q - Le Mouvement 5 étoiles, il y a plein de prise de position sur l'Europe extrêmement contradictoires...
R - Qui ont beaucoup évolué, pas contradictoires, qui ont évolué dans le temps.
Q - Disons qu'il y a Di Maio mais il y a d'autres...
R - Non mais vous me dites " l'Italie est hostile ", je vous dis " regardez ce qui se passe ".
Q - Il y a d'autres tendances. Vous avez l'Europe centrale où Orban est confirmé, la Pologne qui s'installe, etc. Franchement, le paysage n'est pas très encourageant, les Pays-Bas se montrent assez réticents aux propositions de réforme sur la zone euro.
R - On avance sur énormément de sujets, je vous en ai cité quelques-uns tout à l'heure, il y en a beaucoup d'autres. On avance sur la nécessité de créer une Agence d'innovation, pour permettre d'avoir des champions du numérique ou de l'intelligence artificielle en Europe, on avance sur les universités européennes. Je peux vous garantir que sur les propositions qui ont été faites dans le discours de la Sorbonne, il y a une dynamique très forte sur l'ensemble de ces propositions. Sur la zone euro, je vous ai décrit l'état des lieux, c'est-à-dire que sur un grand nombre de décisions de court terme, on est d'accord, ensuite on travaille sur le moyen terme. Nous, nous avons une conviction, c'est qu'on peut le faire aujourd'hui calmement, clairement à un moment où la zone euro se porte bien, ou bien on peut décider de mettre la tête dans le sable et d'attendre d'être face à une nouvelle crise pour faire ce que nous préconisons dans la précipitation.
Q - Alors Madame la Ministre, il nous reste 10 minutes pour aborder 2 gros dossiers encore, il y a le Brexit et puis l'Europe de l'Est. En ce qui concerne le Brexit, je voudrais qu'on parle si vous voulez bien de l'Irlande, parce que c'est un point important dans la mesure où la frontière aujourd'hui entre l'Irlande du Nord et le Sud, la République du Sud, c'est une des lignes de démarcation parmi les plus sensibles d'Europe. Est-ce que l'Union européenne dans ces négociations du Brexit se sent une responsabilité sur ce qui pourrait se passer en Irlande, notamment sur les tentatives qui pourraient notamment être lancées de réunification de l'Irlande, parce que Tony Blair a toujours dit : la paix n'est jamais garantie en Irlande du Nord.
R - Alors la situation aujourd'hui, je suis allée en Irlande, je suis allé à la frontière avec Irlande du Nord ou plus exactement à l'absence de frontières, parce que depuis 20 ans, depuis les accords du Vendredi Saint...
Q - En 98.
R - Qui ont mis fin à des décennies et de guerre civile en Irlande du Nord, la réalité c'est qu'il n'y a pas de frontière entre l'Irlande du Nord et la République...
Q - Est-ce que la Grande Bretagne ne sera pas tentée d'en faire une maintenant...
R - Le Royaume-Uni s'est engagé à faire en sorte qu'il n'y ait pas de frontière physique. Alors nous, nous leur avons dit " très bien, mais à partir de votre sortie de l'Union européenne, cette non-frontière devient la limite de l'Union européenne, la limite terrestre. Et donc qu'est-ce qu'on fait...
Q - C'est la seule frontière terrestre...
R - C'est la seule frontière terrestre entre le Royaume-Uni et l'Union européenne demain. Qu'est-ce qu'on fait, comment est-ce qu'on fait en sorte que les accords de paix d'Irlande du Nord soit préservés, c'est évidemment un engagement que nous avons tous pris ; comment est-ce qu'on fait pour que la circulation des biens, des marchandises, des personnes, des troupeaux parce que c'est ça l'Irlande du Nord, puissent continuer comme aujourd'hui sans porter atteinte à l'intégrité du marché unique européen. Alors on a examiné plusieurs possibilités, la première cela aurait été que le Royaume-Uni reste dans le marché unique et dans l'union douanière. Au moment où nous parlons, le Royaume-Uni a dit : non, nous en sortons. La deuxième possibilité qui avait été mise en avant par Londres, c'était trouver des arrangements technologiques, nous n'arrivons pas à voir lesquels permettraient à la fois cette libre circulation et des contrôles, des contrôles douaniers, des contrôles vétérinaires, des contrôles sanitaires pour faire en sorte qu'entrent dans le marché unique européen des produits qui correspondent à nos normes, à nos réglementations. La troisième solution c'est de faire en sorte que l'Irlande du Nord soit alignée sur la République d'Irlande et donc sur le marché unique, pour tout ce qui concerne la mise en oeuvre des accords de paix. Ça signifie quoi ? Qu'il n'y a toujours pas de contrôle entre le Nord et le Sud, mais qu'il y a des contrôles entre l'île d'Irlande et le reste du Royaume-Uni. La Première ministre britannique a accepté de considérer cette option, elle l'a accepté en décembre au moment où on s'est mis d'accord sur la première partie de la négociation. Et donc on a écrit un projet d'accord de retrait, qui comporte cette option-là et qui sera présenté au Britanniques. C'est essentiel pour nous 2 choses : maintenir l'intégrité du marché unique parce que c'est ce qui fait le ciment de l'Union européenne ; et préserver les accords de paix de l'Irlande du Nord.
Q - Sur le Brexit, sans parler précisément de cette question irlandaise, on a l'impression... les anti-Brexit n'ont pas totalement baissé les bras, ils repartent en campagne. On a eu quand même un scandale qui est l'affaire Cambridge Analytica qui a montré que finalement, ce scrutin avait été influencé indument. Est-ce que l'idée que le Brexit ne se fasse pas est totalement hors des clous ?
R - Alors nous, notre travail aujourd'hui c'est d'écouter le gouvernement britannique qui nous parle d'une sortie le 29 mars 2019, qui n'a jamais dit autre chose. Et c'est d'organiser cette séparation de la manière la plus ordonnée possible. Ceci étant et nous l'avons toujours dit est toujours répété, si le Royaume-Uni devait changer d'avis et devait décider finalement de ne pas sortir de l'Union européenne, voire d'y revenir dans un avenir plus lointain, la porte reste toujours ouverte. Ca n'est pas l'Union européenne qui a demandé au Royaume-Uni de partir, c'est une décision souveraine que nous regrettons mais que nous respectons.
Q - Sur la Pologne. Est-ce que finalement ça n'a pas été beaucoup de bruit pour rien tout cet article 7, la Pologne a fait quelques réformes cosmétiques de sa loi sur la justice, parce que fondamentalement ça ne change rien, il y a une prise de contrôle effective des instances judiciaires par l'exécutif en Pologne. Et l'Union européenne, qui sait qu'elle ne pourra pas mettre en oeuvre l'article 7 puisque l'un de ses membres, la Hongrie de monsieur Orban s'y opposera de toute façon, vas pouvoir comme ça sauver la face en disant : bon, on a eu des réformes. Mais il n'y a pas une vaste hypocrisie dans cet épisode qui s'est joué avec la Pologne ?
R - C'est tout le contraire parce que d'abord, l'histoire n'est pas terminée. Ce qui s'est passé, à partir du moment où la Commission européenne mais aussi les Etats membres, mais aussi le conseil de l'Union européenne devant lequel la Pologne a été amenée à s'exprimer à plusieurs reprises sur ses réformes, ce qui s'est passé c'est que d'abord il y a un changement de gouvernement en Pologne avec un nouveau Premier ministre qui a repris le dialogue avec la Commission, alors qu'il n'y avait plus de dialogue entre la Pologne et la Commission. Il y a eu des propositions d'amendements à la réforme de la justice, nous les avons examinés, la Commission est en train de les examiner. Je partage votre point de vue, elles ne sont pas suffisantes, simplement la Pologne a bougé, la Pologne est partie d'une position qui consistait à dire : ce sont nos affaires intérieures, personne n'a à nous dicter ce que nous devons faire. Entre-temps changement de gouvernement, premiers amendements. Ce que nous voulons c'est poursuivre impérativement ce dialogue, le but ce n'est pas de sanctionner pour sanctionner, ça n'a pas de sens. Ce qu'on veut c'est ramener la Pologne vers la même compréhension que la nôtre de ce que sont les valeurs fondamentales de l'Union européenne. Parmi ces valeurs fondamentales, l'indépendance de la justice, elle n'est pas négociable, il ne peut pas y avoir une Europe à 2 vitesses sur le plan démocratique.
Q - Et la Hongrie ?
R - Et la Hongrie, elle est en infraction, elle est en procédure d'infraction, elle est devant la Cour de justice de l'Union européenne pour plusieurs sujets. Pour la loi sur les universités, pour la loi sur les ONG et pour son refus du d'appliquer les quotas de relocalisation de demandeurs d'asile. Et c'est à ça que sert l'Union européenne, c'est affirmer des principes et les faire respecter.
Q - Et aujourd'hui la rue conteste les résultats de l'élection. Hier, plus de 100 ?000 personnes dans la rue.
R - Il y a un débat en Hongrie, à la fois sur les conditions de l'organisation de l'élection. Alors moi j'ai regardé ce qu'on dit les observateurs de l'OSCE, qui considèrent que globalement on ne peut pas dire que les élections aient été irrégulières et qu'il y a eu des pratiques qui étaient contestables. Mais ce que j'ai surtout entendu chez certains manifestants hier c'est : démocratie, Etat de droit, Union européenne. Donc nous n'avons pas rêvé.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 avril 2018