Déclaration de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, sur la production céréalière, le maïs et les OGM, la mise sur le marché des plantes trangéniques, la PAC et l'OMC, Tours le 20 septembre 2001.

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Circonstance : Congrès de l'Association professionnelle des producteurs de maïs (AGPM) à Tours le 20 septembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Président, Cher Christophe,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
C'est avec grand plaisir que je prends la parole devant cette nouvelle édition du Congrès du Maïs. Car, éleveur dans l'âme, je n'oublie pas que je suis aussi producteur de maïs. 30 ha, cela peut vous paraître peu de chose. C'est pourtant suffisant pour que je me sente un peu des vôtres.
Maïs et société
Je suis d'autant plus content d'être avec vous aujourd'hui que le thème que vous avez choisi - l'image de l'agriculture dans l'opinion publique - me tient particulièrement à cur.
Je suis toujours frappé de voir à quel point un fossé s'est creusé entre la réalité de notre agriculture, son image dans les médias et la perception qu'en a l'opinion. Je n'ai pas l'impression de pratiquer une "agriculture industrielle" ou même "productiviste". Et d'ailleurs, je ne crois pas que beaucoup d'agriculteurs français se reconnaissent dans les portraits au vitriol qu'on peut lire dans la presse.
Alors, pourquoi un tel fossé s'est-il creusé ? Le sujet est complexe et mériterait au moins un colloque à lui tout seul. Nous avons sans doute commis des erreurs. Dans le domaine environnemental en particulier. Nous avons aussi, peut-être, tardé à nous expliquer et fait preuve de trop peu d'ouverture. Mais nos détracteurs instruisent trop souvent un procès uniquement à charge. Mesurent-ils les progrès que nous avons accomplis depuis une dizaine d'années pour faire évoluer nos pratiques dans un sens plus respectueux de l'environnement ? Se rendent-ils compte des efforts que nous réalisons pour élever sans cesse la qualité de nos produits et leur assurer une sécurité sanitaire irréprochable ? J'en doute.
Vous dîtes, à juste titre, que le maïs gagne à être connu. Je dirais que c'est toute l'agriculture française qui gagne à être connue. Car après la bataille du revenu, c'est celle de la communication qu'il est le plus urgent d'engager.
Pour remporter cette bataille, vous allez rajouter quelques cordes à votre arc médiatique : ce fameux petit livre jaune notamment. Voilà qui devrait éclairer tous ceux qui parlent du maïs à tort et à travers, le traitant de nain jaune un jour et de géant vert le lendemain. Le maïs attire tous les superlatifs. Il est temps de lui redonner une image plus conforme à la réalité, celle d'une plante nécessaire à l'équilibre de nos filières animales et végétales. Je ne cesse d'ailleurs de le répéter et de le constater sur mon exploitation : le maïs est, comme l'herbe, un excellent fourrage.
De mon côté, je souhaite donner plus d'ampleur aux actions de communication que nous menons à la FNSEA. Les fermes ouvertes, les rencontres à la ferme et les fermes pédagogiques permettent aux citadins - petits et grands - de constater, par eux-mêmes, la réalité de notre agriculture. Ces rencontres, ce sont autant de passerelles jetées entre le monde urbain et le monde rural. Multiplions-les ! N'hésitons pas à être transparents sur nos pratiques. Nous n'avons rien à cacher. Nous avons même toutes les raisons d'être fiers des progrès que nous avons accomplis.
Je souhaite également trouver, le plus vite possible, les moyens de rendre opérationnel le fonds de communication sur l'agriculture prévu par la loi d'orientation agricole. Un abondement par l'ANDA étant impossible, nous pourrions envisager de lui consacrer une partie de la cotisation fixe que versent les agriculteurs au fonds de développement. J'ai fait des propositions en ce sens au ministre de l'Agriculture. J'attends que lui aussi fasse de ce dossier une de ses priorités.
Communiquer sur l'existant ne nous dispense pas de continuer à progresser. Bien au contraire. Je voudrais, à ce titre, saluer la mise au point de la "charte de production du maïs". Grâce à de telles initiatives, grâce à notre engagement résolu en faveur de l'agriculture raisonnée, c'est toute l'agriculture française qui progresse vers ce "contrat de confiance" dont parlait le Président de la République le 11 septembre 2001 au Space. C'est, pour reprendre les mots d'Alain Etchegoyen, un pas de plus vers la responsabilité positive.
OGM
Quand on parle communication, je ne peux m'empêcher de penser -avec regrets- à l'image déplorable qu'une poignée d'excités a donné de notre agriculture cet été.
Je veux parler - et vous l'avez compris - des arrachages sauvages dont les essais d'OGM ont été la cible. Et puisque vous avez été des victimes directes de ces "croisés de l'anti-tout", je voudrais ici vous exprimer mon soutien et la solidarité de toute la FNSEA. Ces destructions sont inacceptables à tous points de vue.
Inacceptables car elles compromettent nos espoirs d'en savoir bientôt plus sur les plantes transgéniques, et notamment sur leurs risques éventuels pour l'environnement et les pratiques agricoles. Inacceptables car ces arrachages témoignent d'une approche totalement rétrograde de notre agriculture qui devrait, par principe, refuser les apports de la biotechnologie.
Entraver la recherche aujourd'hui, c'est se priver de ce potentiel d'innovation. C'est forcer nos laboratoires - publics et privés - à se délocaliser. C'est se condamner, si un jour les conditions étaient réunies pour développer des cultures commerciales, à acheter nos semences à l'étranger. Aux Américains en particulier.
Ces irresponsables croient lutter contre la mondialisation et les multinationales. En réalité, ils cultivent notre dépendance à l'égard de ceux qui rêvent de mettre l'agriculture française sous leur coupe.
Il n'est certainement pas souhaitable de mettre en culture des plantes transgéniques tant que le débat sur les OGM ne sera pas apaisé et la demande au rendez-vous. C'est la position que défend l'AGPM depuis maintenant deux ans. C'est aussi la nôtre. A ce titre, je voudrais rendre hommage à votre sens des responsabilités : c'est par de tels actes ainsi que par notre engagement de longue date en faveur de l'étiquetage et de la traçabilité que nous retrouverons la confiance de nos concitoyens.
Il est cependant fondamental que la recherche puisse se poursuivre, y compris les essais en plein champ. Avec toutes les précautions nécessaires, bien entendu, afin notamment d'éviter les disséminations accidentelles. Avec le maximum de transparence, aussi, pour que nos concitoyens n'aient pas l'impression qu'on leur cache quelque chose. Mais sans distinction manichéenne entre essais éthiques et essais "productivistes", bons et mauvais OGM.
L'avenir d'un pan entier de la recherche française et européenne en dépend. Notre avenir également.
Pac et OMC
Les OGM, l'image de notre métier et de nos produits: autant de questions qui nous concernent tous et que nous ne pouvons ignorer. Cependant, si important soient-ils, ces débats franco-français ne doivent pas nous faire oublier qu'au-delà de nos frontières le monde bouge et que d'importantes échéances internationales approchent.
J'étais à Strasbourg récemment et j'y ai rencontré plusieurs responsables européens. Nicole Fontaine et Franz Fischler notamment. Tous m'ont dit combien ils étaient inquiets de voir la France aussi absente des grands débats européens.
Puisque nous avons la chance d'avoir aujourd'hui un représentant de la Commission européenne, donnons-lui la chance - et le plaisir - d'entendre la voix des agriculteurs français.
Notre message, il est simple : nous voulons bien débattre de l'évolution de la PAC mais nous ne voulons pas d'une réforme anticipée!
Les accords de Berlin ont été signés pour une durée de 6 ans. Ils doivent être respectés jusqu'en 2006. Nous sommes d'autant plus hostiles à toute précipitation que pour bon nombre des détracteurs de la PAC, réformer signifie démanteler. Or s'il y a une conclusion qu'on peut tirer des crises que nous traversons actuellement, c'est qu'à trop affaiblir nos OCM nous courrons à la catastrophe.
L'exemple de la viande bovine (désolé d'employer ce mot là, M. Etchegoyen) et de la viticulture le démontrent amplement. Malgré deux baisses successives du prix d'intervention en moins de 10 ans, l'OCM céréales fonctionne encore correctement. N'y touchons plus et employons-nous à corriger les lacunes les plus criantes des accords de Berlin.
Parmi celles-ci, il y a les OCM viande bovine et viticole. J'en ai déjà parlé. Il y a aussi la nécessité d'un véritable plan protéine pour sauver notre secteur oléo-protéagineux. Il y a également ce fameux règlement horizontal dont notre Ministre a tiré la modulation.
S'il fallait une preuve du caractère inéquitable de ce dispositif, la campagne en céréales et oléo-protéagineux de cette année nous en offre une démonstration éclatante. Dans certaines régions, notamment celles dites intermédiaires, les intempéries risquent de réduire à néant le revenu de bon nombre d'agriculteurs. Néanmoins, parce qu'ils perçoivent des aides directes, la modulation leur sera appliquée.
Quelle injustice ! Je réclame donc, avec vous, la suspension de la modulation. Je suis même prêt à aller, rue de Varenne, démontrer à notre Ministre - preuves à l'appui - toute l'injustice de son dispositif.
En tous cas, une chose est sûre maintenant : il faut trouver une alternative à la modulation à la Française.
Au Congrès des Sables d'Olonne, nous avons proposé une dégressivité ajustable aux gains de productivité et révisable à termes rapprochés. Un dispositif qui serait européen, bien entendu, afin d'éviter les distorsions de concurrence.
L'exemple anglais fondé sur un prélèvement linéaire égal pour tous mérite également d'être étudié. Soyons force de proposition sur la modulation ! Car ce n'est sûrement pas notre Ministre qui prendra une initiative sur ce dossier-là. Ou alors ce serait pour nous proposer un nième CTE.
Après les CTE ovins, les CTE porcins, les CTE laitiers et les CTE herbagers; va-t-il nous sortir un CTE-modulation ? Il est vrai qu'il n'en est pas à une incohérence près !
Autre échéance qui approche à grand pas : le lancement d'un nouveau cycle de négociations multilatérales dans le cadre de l'OMC.
Ce cycle sera-t-il lancé à Doha ? La conférence sera-t-elle déplacée ou reportée ? Il est encore trop tôt pour le dire.
Ce qui est certain, c'est que les négociations s'ouvriront bientôt et que l'agriculture figurera en bonne place sur l'agenda.
Je ne voudrais pas avoir l'air d'accabler les Américains après la tragédie qu'ils ont vécue la semaine dernière. Il faut cependant rappeler quelques évidences à nos négociateurs : l'Union européenne a respecté scrupuleusement les engagements qu'elle avait pris à Marrakech.
De leur côté, les Etats-Unis ont multiplié les plans d'aide à leurs farmers, en contradiction totale avec les principes du Fair act. Leur marketing loan, leurs systèmes d'aide à l'exportation et leurs futures aides contra-cycliques tirent les cours mondiaux vers le bas.
Nous avons donc toutes les raisons d'être offensifs à l'OMC. Pas question d'accepter de nouvelles concessions en matière d'accès au marché. La survie de la PAC et de notre modèle agricole en dépend.
Vous dîtes que vous veillerez à ce que le maïs ne serve pas de monnaie d'échange dans la négociation. J'ai envie de dire que c'est toute notre agriculture qui ne doit pas servir de monnaie d'échange. Tout le monde parle de négociation équilibrée. D'accord, mais à condition que la négociation agricole, elle-même, soit équilibrée.
La FNSEA, les AS et l'AGPM
Comme vous le voyez, nous sommes d'accord sur l'essentiel. Quoi de plus naturel ? Entre nous la concertation est permanente et la coopération particulièrement efficace.
Le groupe "irrigation" mis en place en 1999 illustre parfaitement l'intérêt d'une telle synergie : présidé par Christophe Terrain et animé par la FNSEA, il a permis à la Profession de peser d'une voix unanime dans le bras de fer engagé avec le ministère de l'Environnement. Notamment pour nous opposer à une gestion quantitative de l'eau par les prix et rappeler que l'eau est aussi un moyen de production.
Le projet de loi qui en a résulté n'est certes pas parfait mais il est bien meilleur que les premières moutures qui nous avaient été soumises. Nous continuerons à le faire évoluer, dans le même esprit d'unité syndicale.
Autre exemple de coopération réussie : le projet de recherche sur les filières sans OGM. Lancé en novembre 1998, à l'initiative de l'AGPM et de la FNSEA, ce programme a permis de redonner un peu de rationalité à un dossier hautement passionnel. Il a notamment mis en évidence le caractère utopique du "0" OGM. Des résultats qui appuient nos demandes en faveur d'un seuil de tolérance raisonnable, en particulier pour les semences.
Bien sûr, nous avons des divergences. Comment pourrait-il en être autrement quand une organisation comme la FNSEA entend représenter toutes les productions et tous les territoires ?
Mais ce qui compte, c'est que ce qui nous rassemble reste plus fort que ce qui nous divise. Et ce qui nous rassemble - associations spécialisées, sections sociales, fédérations départementales et régionales - c'est la défense de l'agriculture française. C'est la volonté de redonner des perspectives à des agriculteurs depuis trop longtemps malmenés. Et pour cela, il n'y a qu'une voie : celle de l'union.
Mais il ne suffit pas de partager un même objectif, aussi fort soit-il, pour mener le bateau syndical à bon port. Il faut aussi de la méthode et des règles de conduite. Force est de constater que depuis quelques temps, le réseau FNSEA est malmené. Des dysfonctionnements apparaissent. Les arbitrages sont de plus en plus difficiles à rendre.
La FNSEA n'a certes pas vocation à intervenir dans tous les dossiers sectoriels. Les AS sont mieux placées qu'elle pour cela. Cependant, derrière la plupart des sujets "sectoriels" se cachent des problèmes transversaux. Et là, il faut un maximum de coordination. Vous savez d'ailleurs parfaitement le faire au sein de la filière maïs.
Nous avons entrepris, depuis trois ans, de resserrer les mailles du réseau FNSEA. Une réflexion - dite stratégique - a été conduite. Elle a débouché sur des propositions lors de journées nationales organisées les 5 et 6 juillet 2001. Propositions que les secrétaires généraux sont actuellement en train de transformer en plan d'action. L'objectif est de mener à bien un certain nombre de réformes d'ici le Congrès de l'année prochaine. Sans précipitation mais avec détermination et pragmatisme. Vous qui avez accompli votre mutation en devenant Maiz'Europ l'année dernière savez de quoi je parle.
Conclusion
Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Comme le maïs gagne à être connu, je me suis un peu renseigné sur sa biologie et son histoire. J'ai découvert que c'était la plante des dieux Mayas et Aztèques. Voilà qui devrait m'inspirer lors de la prochaine récolte... J'ai aussi noté que le maïs ne pourrait se perpétuer sans l'homme. Ainsi, maïs et maïsiculteurs partagent une vraie communauté d'intérêts. L'un ne pourrait vivre sans l'autre et vice versa. Je connaissais la relation entre l'éleveur et sa bête mais pas celle entre l'agriculteur et son pied de maïs...
Au-delà de la boutade, ce que je sais c'est que derrière chaque produit se cache un producteur et sous chaque producteur un morceau de territoire. Puissent nos concitoyens, si attachés aux produits qu'ils consomment et aux territoires qu'ils habitent, toujours se rappeler qu'entre les deux, il y a des hommes et des femmes. Nous, les agriculteurs.
Je vous remercie.
(source http://www.fnsea.fr, le 26 septembre 2001)