Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République,
Monsieur le Rapporteur de la commission des affaires européennes,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Alors que votre assemblée s'apprête à débattre du projet de loi relatif à l'élection des représentants au Parlement européen, j'aimerais rappeler ici les paroles prononcées en 1980 par Simone Veil, alors présidente du Parlement européen, devant l'Institut universitaire européen : "On ne fera pas l'Europe contre les Européens ou sans eux".
Je suis sûre que tous, ici, nous partageons cette vision et que c'est dans cet état d'esprit que s'inscrira le débat parlementaire que nous engageons aujourd'hui. Car c'est un état d'esprit constructif qui a animé le gouvernement dès l'élaboration de ce texte puisque, vous le savez, le président de la République et le Premier ministre ont consulté l'ensemble des formations politiques dans le cadre d'une démarche de co-construction législative.
Nous avons du reste poursuivi ce travail de consultation auprès des groupes parlementaires lors de la phase d'élaboration des amendements du Gouvernement, préalablement à leur dépôt. Un dialogue approfondi s'est bien entendu également noué avec votre commission des lois et en particulier son rapporteur, le député Alain Tourret, dont je voudrais saluer l'implication, l'investissement et la parfaite maîtrise du sujet. Je salue également la qualité du travail effectué à son initiative sur le projet de loi initialement déposé par le gouvernement.
Au-delà des différences d'analyse et de positionnement que les groupes politiques peuvent développer sur l'Europe et sur l'Union européenne, je crois que nous sommes tous d'accord pour affirmer que la situation actuelle, où plus d'un Français sur deux ne se déplace pas aux scrutins européens et où, dans certaines villes, l'abstention a atteint en 2014 les 70%, n'est pas satisfaisante.
Que l'on soit, en effet, pour plus ou moins d'Europe, pour une Europe fédérale ou pour le démantèlement de l'Union européenne, pour encourager l'intégration économique ou pour le retour au franc, on ne peut se satisfaire de si faibles taux de participation, qui minent la légitimité des députés européens et, finalement, affaiblissent la démocratie.
Il fallait donc agir pour inverser cette tendance, et cela dans un délai de temps court puisque, par tradition républicaine, le mode de scrutin n'est pas modifié dans les douze mois précédant une élection. C'est ce que le gouvernement entreprend avec ce projet de loi, dont la principale disposition, vous le savez, est le rétablissement d'une circonscription nationale unique.
Si le président de la République et le Premier ministre ont fait ce choix, c'est d'abord parce que le système ancien, fondé sur huit circonscriptions interrégionales, constitue un échec : depuis sa mise en oeuvre en 2003, le taux de participation est ainsi passé de 46,8% en 1999 à 42% en 2014.
Il suffit de dialoguer avec nos concitoyens sur le terrain pour comprendre que le découpage en huit circonscriptions, sans cohérence historique, politique ou administrative, a contribué à brouiller le débat entre enjeux européens, enjeux nationaux et enjeux locaux. Il était donc nécessaire de changer.
La première option était de créer treize circonscriptions correspondant aux nouvelles grandes régions. Certains d'entre vous le proposent. Si le gouvernement ne l'a pas retenue, ce n'est pas, comme on a pu l'entendre parfois, pour des raisons politiques, mais parce que, d'une part, le débat aurait certainement été perturbé par des enjeux étrangers, avec la nécessaire confrontation des idées et des projets sur l'Europe, et que, d'autre part, un tel découpage aurait, en atténuant les effets de la proportionnelle, favorisé les grands partis et ainsi fragilisé un pluralisme politique auquel nous sommes, comme tous les Français, très attachés.
Il y avait alors une seconde option : aller vers une circonscription nationale unique, un modèle qu'a déjà connu notre pays entre 1977 et 2003. C'est le choix que nous assumons. D'abord parce que cette option est soutenue par la majorité des partis politiques, et que, vous le savez, nous voulons toujours réunir le plus grand nombre autour des grands choix stratégiques qui engagent le pays. Ensuite parce que le rétablissement d'une circonscription unique nous rapproche de nos partenaires : aujourd'hui vingt-trois Etats membres de l'Union européenne sur vingt-sept votent en circonscription nationale unique.
Toutefois, ce qui a principalement motivé notre décision, c'est que nous sommes convaincus que ce mode de scrutin permettra d'intéresser davantage nos concitoyens à des élections qui sont de plus en plus décisives pour leur destin individuel comme pour leur destin collectif.
Alors, bien sûr, nous entendons les critiques sur la circonscription électorale unique, et certains d'entre vous s'en feront l'écho avec plaisir. L'une vise le risque de nationalisation des enjeux : mais le découpage en circonscriptions régionales nous en aurait-il préservés ? Je ne le crois pas. Une autre porte sur le risque d'éloignement entre les députés européens et la réalité des territoires.
En tant qu'élue locale, que je suis toujours, je suis attachée à ces sujets. En tant que citoyenne de l'Europe "et" élue locale, je suis depuis longtemps convaincue que la circonscription nationale est la meilleure solution. Elle est la meilleure car elle permettra de proposer aux Français des débats clairs, avec des options nettes sur la confrontation des projets européens. Elle est la meilleure car elle permettra à nos concitoyens de fonder leur vote, pour reprendre la terminologie des Lumières, sur un "choix éclairé".
Mesdames et Messieurs les Députés, le projet politique que porte le gouvernement sur l'Europe est clair. De ce choix politique découlent un certain nombre de conséquences, inscrites dans le texte. Nous les évoquerons lors de l'examen des différents articles, mais je souhaite ici m'arrêter sur les modalités de répartition du temps d'antenne lors de la campagne officielle, qui ont suscité de nombreux débats. ÿ ce propos, je tiens à rappeler quelques principes.
Contrairement à certains argumentaires rapides qui ont pu être développés sur ce sujet, il était de la responsabilité du Gouvernement de modifier le dispositif existant pour tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 31 mai dernier. Je le dis sans ambiguïté : si nous n'avions pas modifié le dispositif, nous aurions laissé perdurer un système producteur d'injustices, qui n'aurait pas manqué d'être également censuré - et cela, nous nous y refusions bien sûr.
C'est pourquoi nous avons élaboré, en responsabilité, un dispositif équilibré, reposant sur un triple mode de répartition dont la dernière fraction corrective sera mise en oeuvre par le Conseil supérieur de l'audiovisuel - CSA. C'est justement parce qu'une partie de ce dispositif est mise en oeuvre par une autorité administrative indépendante que le Gouvernement n'a pas tenu à communiquer davantage sur des simulations qui auraient évidemment été hasardeuses. Toutefois, conscient de la nécessité pour le Parlement de se prononcer en toute connaissance de cause, le gouvernement a sollicité le CSA pour disposer d'estimations qui pourraient vous être communiquées. Sous réserve d'une délibération du Conseil qui devrait intervenir prochainement, le gouvernement propose d'en informer les présidents de groupe dans les meilleurs délais.
Mesdames et Messieurs les Députés, comme vous le savez, la censure intervenue en mai dernier portait sur le dispositif applicable aux élections législatives. Le Conseil constitutionnel a décidé de reporter au 30 juin prochain les effets de cette censure : si nous ne prenons pas rapidement les mesures législatives adéquates, le risque de vide juridique est réel. C'est pourquoi le gouvernement assume d'emprunter ce vecteur législatif pour soumettre au Parlement un dispositif alternatif, dont les principes sont identiques à ceux qui ont prévalu pour la campagne officielle des élections européennes. A l'écoute des observations formulées par certains groupes de votre assemblée, le gouvernement vous soumettra plusieurs amendements qui les prennent en compte et garantissent l'équilibre entre les deux dispositifs. Mesdames et Messieurs les Députés, au-delà de ces mesures techniques, le projet de loi ouvre, conformément aux engagements pris par le président de la République devant les Français, une belle perspective : celle de l'élection de certains parlementaires européens sur des listes transnationales dans le cadre d'une circonscription européenne unique.
Comme vous le savez, à l'occasion d'un vote intervenu le 7 février dernier, le Parlement européen n'a pas retenu le principe des listes transnationales pour les prochaines élections européennes malgré un vote favorable en commission. Le gouvernement a pris acte de ce vote mais reste néanmoins très engagé dans la poursuite des négociations européennes. A l'avenir, il continuera à défendre cette idée car elle est la seule qui puisse renforcer la démocratie européenne. C'est pourquoi le gouvernement considère que ce vote ne remet nullement en cause la rédaction de l'article 7, qui revêt essentiellement une portée politique et symbolique.
Dans le même état d'esprit, le gouvernement entend poursuivre le combat pour refonder l'Europe et la rendre plus démocratique : c'est tout le sens des consultations citoyennes qui seront lancées au printemps dans toute l'Europe. C'est par l'engagement de tous que nous susciterons à nouveau l'intérêt des citoyens européens.
Tout cela ne suffira évidemment pas à résoudre toutes les difficultés de notre continent, mais je crois qu'il s'agit là d'un horizon mobilisateur qui, demain, pourrait permettre à l'Europe de sortir de l'ornière et de porter à nouveau une espérance pour le monde.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 avril 2018