Déclaration de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, sur la mondialisation dans le domaine agricole et les négociations dans le cadre de l'OMC, Paris le 3 octobre 2001.

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Circonstance : Journée OMC organisée par la FNSEA à Paris le 3 octobre 2001

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Puisque me revient l'honneur de conclure cette journée, je voudrais tout d'abord vous remercier.
Remercier les différents intervenants qui se sont succédés à cette tribune et qui nous ont permis d'y voir un peu plus clair sur les enjeux de cette négociation. La situation était déjà complexe. Elle l'est devenue encore plus suite aux tragiques évènements survenus aux Etats-Unis le 11 septembre.
Merci donc à Pascal Lamy, François Huwart, François de la Guerronnière, Jean-Marie Raoult et Ralph Ichter de nous avoir fait part de leurs analyses.
Merci aussi à vous tous d'avoir répondu présent à notre invitation et d'avoir, par vos interventions, contribué à animer cette journée. Votre présence dans cette salle - présence nombreuse et je m'en réjouis - prouve tout l'intérêt que le monde agricole porte aux questions internationales.
Cette journée avait pour but d'en apprendre plus sur l'OMC. Mais elle avait aussi pour objectif de faire entendre la voix des agriculteurs français dont on négociera bientôt l'avenir, à Doha, Singapour ou Genève. Luc Guyau et Jean-Luc Duval ont déjà fait une bonne partie du travail.
Je voudrais le compléter en vous présentant la position que le Conseil de l'Agriculture Française et les Associations spécialisées de la FNSEA viennent d'adopter pour préparer ces négociations. Quatre pages que vous tenez dans les mains et qui reflètent la position unanime de toutes les forces syndicales, consulaires, mutualistes et économiques de l'agriculture française.
Position CAF sur les négociations agricoles
Notre premier message, c'est qu'à la différence de certains excités qui occupent trop souvent le devant de la scène médiatique, nous ne sommes pas des " anti-mondialistes " bornés. L'ouverture de notre économie sur le monde est devenue une réalité incontournable. La France, deuxième exportateur mondial de produits agroalimentaires et première destination touristique mondiale, ne peut l'ignorer. Cette ouverture est donc plutôt une bonne chose. Mais, comme toutes les bonnes choses, il ne faut pas en abuser.
Voilà pourquoi, nous militons pour une mondialisation maîtrisée et régulée. Une mondialisation qui préserve notre modèle agricole fondé sur le principe de la multifonctionnalité, un principe désormais reconnu de l'Islande au Japon. Une mondialisation qui respecte la spécificité du secteur agricole et son incompatibilité avec l'ultra libéralisme. Une mondialisation qui permette aux pays en développement de progresser vers l'autosuffisance alimentaire. Bref, une mondialisation au service du plus grand nombre et non des plus forts.
Notre second message est plus directement adressé à nos négociateurs.
Qu'ils gardent toujours en mémoire les efforts consentis par l'Union européenne pour respecter les accords de Marrakech. Qu'ils n'oublient jamais les lourds sacrifices demandés aux agriculteurs européens pour tenir ces engagements. Deux réformes de la PAC en moins de 10 ans, des baisses de prix dans tous les secteurs ou presque, une maîtrise généralisée de la production... Nous ne pourrons pas aller beaucoup plus loin. Ou alors, il faudra faire une croix sur le modèle agricole européen.
L'Europe aura d'autant moins de raison de faire des concessions qu'elle est, à l'école de l'OMC, le bon élève de la classe. Et de loin.
Ne nous laissons pas intimider par des pays comme les Etats-Unis qui multiplient depuis trois ans les aides d'urgence et utilisent des mécanismes déguisés - voire illégaux - d'aide à l'exportation. Ne nous laissons pas impressionner par les pays du Groupe de Cairns, coalition hétéroclite d'Etats qui confondent échange et conquête de nouveaux débouchés à tout prix. Nous avons toutes les raisons d'être offensifs à l'OMC.
Pour ce qui est de la stratégie de négociation, nous ne prétendons pas donner des cours de diplomatie mais l'expérience de Seattle prouve que quelques règles de base méritent d'être rappelées. Il serait ainsi inutile et surtout très dangereux d'accepter une déclaration sur l'agriculture qui fixerait des objectifs trop précis et nous priverait de toute marge de manuvre pour la suite des négociations.
De même, si nous considérons que les politiques agricoles forment un ensemble cohérent, ce qui - je crois - est le cas en Europe depuis plus de 40 ans, les différents volets de la négociation devront impérativement être traités simultanément. Il ne faudrait pas que, par exemple, ce qui a été obtenu en matière d'accès au marché soit en contradiction totale avec ce que nous aurons négocié sur le plan du soutien interne.
Enfin, évitons à tout prix que le calendrier agricole diffère du calendrier général. N'exposons pas notre agriculture inutilement. Ce n'est pas une monnaie d'échange pour obtenir des concessions sur tel ou tel dossier. C'est un enjeu vital pour le rayonnement de la France, de l'Europe et l'avenir de ses territoires.
Ces rappels effectués et ces quelques mises en garde faites, rentrons maintenant dans le cur de nos revendications, celles qui concernent la négociation commerciale.
Le Conseil de l'Agriculture Française demande d'abord aux autorités françaises et communautaires de faire preuve de la plus grande fermeté en matière d'accès au marché.
Baisser les tarifs douaniers n'est pas une nécessité. L'expérience prouve que cela conduit à des baisses de prix pour les producteurs dont les consommateurs ne bénéficient pas. Des baisses de prix qui sapent les fondements même de notre métier : vivre de notre production avant de vivre des aides publiques. Des baisses de prix que l'Europe serait incapable de compenser étant données les marges budgétaires dont elle dispose à l'aube d'un nouvel élargissement. Les tarifs douaniers demeurent notre meilleur rempart contre les excès du marché mondial. Pour les pays en développement, c'est souvent le seul outil disponible pour mettre en uvre une politique agricole cohérente.
Autre mécanisme qu'il faut préserver à tous prix : la clause de sauvegarde spéciale. Face aux soubresauts des cours mondiaux, l'agriculture n'a pas le temps ni les moyens d'actionner la lourde procédure de sauvegarde générale du GATT. En cas de crise, il est pourtant impératif de pouvoir maîtriser nos importations. Seule la clause de sauvegarde spéciale nous offre cette possibilité.
Enfin, rappelons-nous que l'Union européenne remplit largement ses contingents au titre de l'accès minimal. Avant de songer à de nouveaux engagements, il faudrait d'abord que nos concurrents honorent eux-mêmes leurs obligations. Ils en sont encore bien loin.
Voilà pour l'accès au marché.
En ce qui concerne le volet " soutien interne ", notre position est tout aussi ferme. Les aides de la PAC contribuent efficacement à la gestion de l'offre au niveau international et donc à la stabilisation des cours mondiaux. Il n'y a donc aucune raison de les démanteler et encore moins de supprimer la boite qui les contient. D'une façon générale, nous revendiquons le droit de définir librement notre politique agricole dans la mesure où cela n'entrave pas le commerce international. Ceci est valable pour l'Europe comme pour le reste du Monde.
Dernier volet et non des moindres - last but not least comme diraient les américains : la concurrence à l'exportation. Les restitutions européennes sont trop souvent sur la sellette. Nos concurrents nous demandent de les réduire alors qu'eux-mêmes recourent à tout un arsenal plus ou moins opaque. Il ne faudrait quand même pas que l'Europe soit punie pour sa transparence et son honnêteté ! Ce serait profondément injuste. Le CAF réclame donc une négociation équitable prenant en compte tous les dispositifs de soutien à l'exportation, de l'aide alimentaire aux crédits à l'exportation en passant par les marketing loans. Pas question de sacrifier nos restitutions sans contrepartie !
Accès au marché - soutien interne - concurrence à l'exportation. Voilà le menu des prochaines négociations. Voilà les trois fronts que nos négociateurs devront tenir en même temps. Mais ce n'est pas tout. Car au-delà de ce triptyque commercial, la négociation agricole comporte un certain nombre de préoccupations, certes " non commerciales " mais également non négligeables.
A l'heure où nos concitoyens se demandent si le modèle alimentaire français ne risque pas d'être victime d'une mondialisation synonyme de banalisation, le volet " non commercial " des négociations prend tout son sens. Le CAF demande donc la reconnaissance des indications géographiques, l'institution de normes sanitaires et phytosanitaires raisonnables, la sauvegarde des savoirs-faire traditionnels et la reconnaissance du caractère multifonctionnel de l'agriculture.
Mesdames, Messieurs,
Depuis 1989 et la chute du Mur de Berlin, on a coutume de dire que nous sommes rentrés dans un nouvel ordre international. Cette nouvelle architecture mondiale repose sur des règles et des arbitres. L'OMC et les accords de Marrakech en font partie. Ce sont d'ailleurs, sans doute, les premiers nés de cette nouvelle ère.
Nous croyons aux vertus d'une mondialisation maîtrisée et régulée où l'agriculture aura toute sa place. Les agriculteurs français et les autorités françaises et européennes peuvent donc compter sur notre vigilance active. Nous serons là pour veiller au lancement du nouveau cycle et faire en sorte que le nouvel ordre international ne se transforme pas en désordre international.
Je vous remercie.
(source http://www.fnsea.fr, le 10 octobre 2001)