Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé à Europe 1 le 19 avril 2018, sur la transformation de l'offre de soins à l'hôpital et les effectifs hospitaliers.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

Agnès BUZYN
Ministre des Solidarités et de la Santé
Europe 1, Patrick Cohen – 8h15
19 avril 2018
PATRICK COHEN
Bonjour Agnès BUZYN.
AGNES BUZYN
Bonjour Monsieur COHEN.
PATRICK COHEN
Beaucoup de sujets pour vous, mais on va commencer par les hôpitaux. « J'en ai assez du discours catastrophiste sur l'hôpital » disiez-vous la semaine dernière, mais si vous regardez la réalité, on a évoqué Lyon, Voiron dans le journal, est-ce que vous convenez qu'il y a des services en surchauffe, des urgences qui ne peuvent plus fonctionner, des situations réellement catastrophiques à l'hôpital ?
AGNES BUZYN
Bien sûr. Il y a une réalité hospitalière qui est difficile, notamment dans les services d'urgences, et notamment cet hiver, où les services ont été très impactés par une grosse épidémie de grippe, mais ça ne veut pas dire une généralité, il y a aussi des hôpitaux qui vont bien, heureusement, et mon objectif c'est qu'ils aillent tous bien.
PATRICK COHEN
A quelle échéance, comment et avec quelles décisions ?
AGNES BUZYN
Nous sommes en train de travailler à une vraie transformation de l'offre de soins, c'est ce que l'on a appelé « la transformation du système de santé », des annonces seront faites au mois de juin, pour une meilleure organisation territoriale. Nous avons un problème d'accès aux soins dans les territoires ruraux notamment, mais pas seulement, des urgences qui sont bousculées justement par ces difficultés d'accès aux soins, qui assurent, en fait, un service de proximité qu'elles n'ont pas à assurer. Il y a beaucoup de gens qui viennent aux urgences et qui n'ont pas réellement besoin des urgences, mais ils ne trouvent pas de médecin. Il y a aussi beaucoup de personnes âgées qui passent beaucoup de temps aux urgences, alors qu'elles pourraient être hospitalisées d'emblée dans des services de gériatrie. Donc, nous sommes en train de fluidifier cet accès à l'hôpital, et des annonces seront…
PATRICK COHEN
Vous travaillez sur l'accès à l'hôpital, mais pas sur les effectifs des personnels hospitaliers.
AGNES BUZYN
Mais parce que ce n'est pas qu'une question d'effectifs.
PATRICK COHEN
Oui, mais ça l'est aussi dans certains endroits.
AGNES BUZYN
Non, c'est une question d'effectifs si on considère que toutes les personnes qui sont aujourd'hui aux urgences sont légitimes à y être, ce qui n'est pas le cas. En fait, beaucoup de personnes qui vont aux urgences aujourd'hui, c'est parce qu'elles ne trouvent pas de médecin en ville, donc nous devons travailler sur l'accessibilité en ville.
PATRICK COHEN
Oui, mais quand les services d'urgences eux-mêmes ne peuvent plus fonctionner…
AGNES BUZYN
Oui, bien sûr, ça ne veut pas dire qu'au cas par cas il ne faille pas renforcer des services d'urgences, bien entendu.
PATRICK COHEN
Réforme du financement aussi, « l'hôpital ne doit plus fonctionner comme une entreprise », avez-vous dit en dénonçant le système de tarification à l'activité, la T2A issue de la loi Bachelot, mais en réalité on découvre que cette T2A ne sera pas supprimée, c'est ça, son poids sera nuancé ?
AGNES BUZYN
C'est-à-dire qu'on souhaiterait qu'elle représente à peu près la moitié du financement des hôpitaux, pourquoi ? Parce que c'était un financement qui incitait les professionnels à travailler plus, et donc ce n'est pas inutile par rapport à ce qui était avant, c'est-à-dire la dotation globale, où on recevait chaque année la même somme d'argent, que l'on travaille beaucoup ou pas beaucoup. Donc là ça valorise ceux qui travaillent et qui font beaucoup de consultations, par exemple, mais ça ne peut pas être l'unique critère de jugement d'un hôpital, il faut aussi faire en sorte que la valeur humaine, l'accueil, la qualité des soins, soient mieux valorisés, ce n'est pas le cas aujourd'hui.
PATRICK COHEN
Dans les EHPAD aussi ça craque, Agnès BUZYN, vous venez d'annoncer un ajustement de la réforme controversée du financement des EHPAD, bon, c'est assez technique, mais au-delà de ça, la question c'est comment financer la dépendance dont les besoins sont estimés à 12 milliards d'euros par an, c'est ça ?
AGNES BUZYN
Alors, selon évidemment les rapports on peut mettre la barre plus ou moins haute, ce n'est pas vraiment le sujet de la somme globale.
PATRICK COHEN
La question c'est à qui allez-vous demander des efforts ?
AGNES BUZYN
Non, la première question c'est quel modèle de société voulons-nous dans les 20, 30 ans qui viennent, pour accompagner le vieillissement quand nous aurons un nombre énorme de personnes de plus de 85 ans, on sera à 5 millions de personnes de plus de 85 ans en 2050, et donc quel modèle de société. Aujourd'hui on a un modèle binaire, soit en garde les gens à domicile, soit ils partent en EHPAD, et je pense qu'il faut trouver des modèles alternatifs, où les personnes choisissent à un moment d'aller dans des structures, reviennent dans des structures plus légères, donc il faut d'abord inventer les modèles, et ensuite nous allons adapter les financements à ce nouveau modèle de société que nous devons construire ensemble. Et donc j'ouvre une page blanche, qui est : quel modèle d'accompagnement du vieillissement pour les années qui viennent.
PATRICK COHEN
L'idée d'une deuxième journée de solidarité ne suffira pas ? Ça rapporterait environ 2 milliards d'euros.
AGNES BUZYN
Ça rapporte, aujourd'hui la journée de solidarité rapporte 3 milliards d'euros, entre 2 et 3 milliards…
PATRICK COHEN
Entre 2 et 3, pour la Pentecôte.
AGNES BUZYN
Absolument, c'était l'idée qui avait été trouvée par Jean-Pierre RAFFARIN à moment où, effectivement, il avait besoin de financer la dépendance. Aujourd'hui toutes les pistes de financement sont ouvertes, et c'était un exemple que j'avais cité, ça mérite d'être regardé, mais, je dirais, pas plus qu'un autre modèle de financement, et il y en a de nombreux. Donc, moi je préfère qu'on s'accorde déjà sur le modèle, ensuite qu'on détermine la somme dont nous avons besoin, que nous travaillons ensemble sur le mode de financement.
PATRICK COHEN
Autre dossier pour vous, Agnès BUZYN, sur la santé, le reste à charge zéro dans les domaines de l'optique, de la prothèse auditive et de la prothèse dentaire, c'était une promesse du président de la République Emmanuel MACRON pendant sa campagne. Où en êtes-vous ?
AGNES BUZYN
Alors, nous avons concerté beaucoup depuis le mois de novembre, avec les trois filières, c'est-à-dire les chirurgiens-dentistes, la filière optique et les audioprothésistes…
PATRICK COHEN
Ça a été compliqué avec les opticiens !
AGNES BUZYN
C'est compliqué, mais ça va se régler, j'ai bon espoir, c'est normal qu'il y ait des tensions dans des négociations, c'est le jeu je dirais. Nous avions prévu d'aboutir d'ici le mois de mai ou de juin, je pense que nous sommes bien partis pour aboutir, pour les trois filières, je l'espère, avec un calendrier de mise en oeuvre. Ce n'est pas une réforme qui va se mettre en place du jour au lendemain, nous ne pourrons pas promettre le reste à charge zéro pour la totalité des paniers de soins cette année, mais nous allons annoncer un calendrier. Alors, pourquoi ça ne peut pas se mettre en oeuvre d'emblée ? Parce que ça nécessite des rééquilibrages des filières, il faut laisser le temps aux différents métiers de ces filières de se réorganiser pour assurer cette prise en charge complète d'un panier de soins nécessaire.
PATRICK COHEN
Comment cette réforme sera-t-elle financée Agnès BUZYN ?
AGNES BUZYN
Elle va être financée en grande partie par l'Assurance maladie, une partie par les complémentaires, et puis par des redistributions de la valeur, dans le cadre de la filière, donc c'est assez compliqué, c'est pour ça que les négociations peuvent être tendues, parce que les uns et les autres risquent de voir leurs équilibres financiers un peu transformés, et c'est la raison pour laquelle il faut un peu de temps. Mais la réforme sera effective avant la fin du quinquennat, nous aurons atteint l'objectif.
PATRICK COHEN
Avant la fin du quinquennat. C'est très compliqué, on le disait tout à l'heure sur l'antenne avec Olivier SAMAIN, vous vouliez porter à 3 ans la durée minimale de renouvellement de lunettes, et finalement ça va rester à 2 ans, vous vouliez le faire au départ pour gagner un peu d'argent ?
AGNES BUZYN
Alors, ça permettait effectivement d'assurer que toutes les personnes qui auraient besoin d'un renouvellement de lunettes plus rapide, en raison d'une diminution de la vue, puissent accéder, il ne s'agissait pas de bloquer tout à 3 ans, mais bien de faire en sorte qu'on ne renouvelle tous les 3 ans que ceux qui veulent des nouvelles lunettes pour des raisons esthétiques, tous ceux qui avaient besoin de nouvelles lunettes pour des raisons médicales l'auraient eu. Bon, c'est en cours de négociation…
PATRICK COHEN
Mais ça va rester à 2 ans ?
AGNES BUZYN
Oui, on va vers 2 ans, voilà, on s'est mis d'accord.
PATRICK COHEN
Les retraites. Vous posez cette semaine les premières pierres de la réforme des retraites avec le début des consultations des partenaires sociaux, un colloque que vous ouvrez ce matin…
AGNES BUZYN
Aujourd'hui au Sénat.
PATRICK COHEN
Au Sénat, il y aura vraiment, à terme, un système unique pour remplacer la quarantaine de régimes existants, c'est ça l'objectif aussi Agnès BUZYN ?
AGNES BUZYN
Un rgime universel, universel, c'est-à-dire qu'il repose sur les mêmes principes et les mêmes droits quand on cotise 1 euro, c'était la promesse du président, et nous allons donc débuter une concertation, ça fait 6 mois que l'on discute avec les partenaires sociaux, on a beaucoup parlé, et maintenant nous mettons en place un calendrier, une méthode. Donc, dans les 3, 4 mois qui viennent nous allons travailler sur, qu'est ce qu'on entend par un régime universel, qu'est-ce qui doit être de l'ordre de la redistribution et de l'ordre de la solidarité, par exemple comment on prend en compte les droits non-contributifs pendant des périodes de chômage, de maternité, ou d'arrêt maladie, et comment on prend en compte les nouveaux enjeux sociétaux de l'égalité femmes/ hommes, donc ça, ça sera la première phase de concertation. Il y aura une deuxième phase à l'automne, sur des sujets plus spécifiques, les conditions d'ouverture des droits à la retraite, la reconnaissance des spécificités de certains métiers. Et cette concertation elle se fait en deux temps, une première rencontre avec les partenaires sociaux où on partage un constat, et une deuxième rencontre où on part sur des propositions.
PATRICK COHEN
Et à terme un même régime pour tout le monde.
AGNES BUZYN
Universel, pour tout le monde, et je crois que c'est important de rappeler que ça s'adresse absolument à tous les citoyens français.
PATRICK COHEN
Je voudrais revenir sur la situation dans les hôpitaux. Face à vous l'un de nos reporters, Matthieu BOCK, qui était, il y a quelques semaines, envoyé spécial à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe et qui a pu constater la situation absolument désastreuse du CHU de Pointe-à-Pitre.
MATTHIEU BOCK
Bonjour Madame la ministre. Il y a quelques jours encore, en effet, dans les colonnes du journal Le Monde la directrice de l'Agence régionale de santé reconnaissait une hausse de 10 morts en février par rapport à l'année dernière, et de 20 rien qu'entre le 1er et le 11 mars. Est-ce que vous, vous attribuez cette surmortalité aux dysfonctionnements constatés après cet incendie ?
AGNES BUZYN
Il y a à l'évidence une très grosse difficulté liée à l'incendie du CHU de la Guadeloupe. Je rappelle pour vos auditeurs, c'est la première fois qu'un CHU brûle et qu'on évacue 700 personnes hospitalisées en quelques heures, sans mort, sans blessé, c'est extraordinaire ce qu'ont fait les personnels du CHU ce jour-là. Nous avons un CHU qui a brûlé, je crois que si on avait cela en métropole cela aurait fait la Une des journaux. Après il faut réorganiser l'offre de soins, les professionnels vont travailler avec des cliniques privées, qui ont récupéré l'activité de l'hôpital, mais elles n'étaient pas évidemment armées pour recevoir 700 malades, il a fallu réorganiser une réanimation, de la néonatalogie. Petit à petit les spécialités sont revenues dans l'hôpital, mais on s'aperçoit que l'hôpital est très très délabré, qu'il faut le remettre en état, qu'il faut le nettoyer, que ça va être très compliqué, et donc nous sommes en train de faire des propositions. C'est une situation exceptionnelle, d'une gravité effectivement exceptionnelle, et ça peut expliquer que certaines personnes aient eu des difficultés à accéder aux soins. Alors, je ne peux pas dire pour les 10 morts supplémentaires si c'est réellement lié à la situation de l'hôpital, je ne connais pas les dossiers, mais la situation de la Guadeloupe est tout à fait exceptionnelle et nous avons pris le sujet à bras-le-corps.
MATTHIEU BOCK
Est-ce qu'aujourd'hui, justement, les Guadeloupéens ont les mêmes chances d'être soignés que les autres Français ?
AGNES BUZYN
Oui, et vraiment c'est ce que nous ayons d'assurer au quotidien, avec effectivement une offre de soins qui est extrêmement perturbée. Le principal hôpital de Guadeloupe n'est pas fonctionnel aujourd'hui, en tous les cas pas dans sa totalité.
PATRICK COHEN
Un dernier mot, Agnès BUZYN, sur des propos que vous avez tenus récemment, qui ont suscité un peu de polémique dans les milieux médicaux, vous avez expliquez que l'homéopathie n'avait aucun effet, mais que les Français y étaient attachés, que ça ne faisait pas de mal, et donc qu'il fallait continuer à rembourser les produits homéopathiques. Emoi et interrogations dans le milieu médical et aussi chez ceux qui se demandent pourquoi la collectivité continue de prendre en charge des produits qui ne soignent pas.
AGNES BUZYN
Alors, l'homéopathie est remboursée comme tous les médicaments qui ont un service médical rendu faible, à 15 %. C'est-à-dire qu'il y a toute une catégorie de médicaments dont on sait que l'efficacité n'est pas très prouvée, et qu'on continue…
PATRICK COHEN
Mais là vous avez reconnu que ce n'était pas faible mais que c'était inexistant. Ça vous fait rire…
AGNES BUZYN
Oui, c'est ce que l'on appelle l'effet placebo, en tant que scientifique je considère que, effectivement, l'homéopathie ne peut pas fonctionner autrement que par effet placebo, en tous les cas rien n'a jamais été prouvé autrement. Bon, ça fait partie de tout un tas de médicaments, et si on doit se poser la question du remboursement de l'homéopathie, on doit plus généralement se poser la question du remboursement de médicaments très peu efficaces, voilà.
PATRICK COHEN
Eh bien oui ! Non, il ne faut pas le faire ?
AGNES BUZYN
Disons que ça n'a pas été la priorité depuis mon arrivée au ministère, parce que, en fait, ce qu'il faut savoir… non, mais, quand même, ce qu'il faut savoir, c'est que ça représente une somme assez réduite pour la Sécurité sociale, en fait, c'est quelques dizaines de millions d'euros, ce n'est pas non plus cela qui va permettre de faire des économies importantes par rapport aux enjeux financiers de remboursement des soins, c'est pour ça que ce n'est pas une priorité aujourd'hui.
PATRICK COHEN
Merci Agnès BUZYN, ministre des Solidarités et de la Santé, d'être venue ce matin au micro d'Europe 1 en direct.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 avril 2018