Interview de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, dans le quotidien tchéque "Mlada Fronta Dnes" du 9 mai 2018, sur la construction européenne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Mlada Fronta Dnes

Texte intégral


Q - La France et l’Allemagne souhaitent soumettre d’ici le sommet de juin un projet de réforme de l’UE. A quel point avez-vous progressé dans ses préparatifs ?
Nous avons avec l’Allemagne l’objectif de présenter, au conseil européen du mois de juin, une feuille de route qui sera une vision partagée sur les grands dossiers européens. Le président de la République et la chancelière allemande ont entamé ce travail depuis déjà plusieurs semaines : sur l’Union bancaire, la capacité budgétaire de la zone euro, la sécurité en Europe, les migrations, la politique étrangère et de défense, mais aussi le numérique, l’énergie, l’innovation, autant de défis auxquels nous avons à faire face pour préparer l’avenir de l’Union européenne. Emmanuel Macron et Angela Merkel se voient très souvent, ils étaient aujourd’hui même [9 mai] ensemble à Aix-la-Chapelle. Le travail se poursuit avec pour objectif de partager en juin avec tous nos partenaires une ambition européenne commune.
Q - Le président Emmanuel Macron a déjà atténué certaines de ses visions initiales, telles que le budget commun et le ministre des finances de la zone euro. Quels autres projets allez-vous exiger dans l’accord de juin ?
La France est à l’initiative, avec l’Allemagne. Il ne s’agit pas d’exiger mais de proposer et d’entraîner. La réforme de l’Union économique et monétaire est indispensable et ce que nous proposons c’est une feuille de route permettant d’avancer par étape sur l’union bancaire et la mise en place d’une capacité budgétaire favorisant la stabilité et la convergence dans la zone Euro.
Nous sommes en train d’en discuter avec nos partenaires allemands. La chancelière Angela Merkel s’est prononcée pour un renforcement de la zone euro, ce que le contrat de coalition signé par les partis qui constituent son gouvernement exprime, mais bien sûr nous partons de positions différentes. C’est précisément ce qui fait la valeur des accords franco-allemands !
Q - Que pensez-vous des objections émises par les Etats du Nord, les Pays baltes et autres, selon lesquelles les deux plus grands Etats membres de l’UE souhaitent, à eux-seuls, décider de l’avenir de l’UE ?
Ni la France ni l’Allemagne ne veulent décider pour les autres ! La France et l’Allemagne veulent avoir un effet d’entraînement.
Il est un fait que le moteur franco-allemand a un rôle majeur à jouer dans la construction européenne. Ce n’est pas une condition suffisante, mais c’est clairement une condition nécessaire pour que l’UE avance. Historiquement lorsque nous n’avons pas été capables dans le passé de nous mettre d’accord nos autres partenaires nous l’ont reproché … Mais soyons clairs, la relation franco-allemande n’a vocation ni à l’exclusivité, ni à l’enfermement. Il faut simplement assumer notre responsabilité ensemble. Nous discutons, nous échangeons, nous proposons ensemble.
Q - Comment les changements éventuels de l’UE impacteront les Etats hors la zone euro ? Considérez-vous réalistes les craintes, selon lesquelles les Etats hors de la zone euro glisseront, dans le cadre de l’UE, de plus en plus en marge des événements ? / Ne voyez-vous pas le risque que des membres de l’Union Européenne et surtout ceux ne faisant pas partie du groupe Euro comme des pays de l’Est, puissent quitter l’Union Européenne ? ( Questions identiques regroupées)
Non, je ne partage pas ces craintes. Je pense que l’opposition entre les pays de la zone euro et les autres est artificielle. La volonté de faire avancer l’union entre les pays qui partagent l’euro n’empêche en rien d’avoir des relations très étroites avec des Etats membres qui n’ont pas rejoint la zone euro. J’en veux pour preuve la grande convergence de vues franco-tchèque sur la construction de l’Europe de la défense par exemple, ou sur les consultations citoyennes que nous lançons aujourd’hui ensemble à Prague.
Q - Le président Macron a plusieurs fois déclaré qu’il souhaite renforcer la coopération avec les pays de l’Europe centrale et orientale. L’année dernière il a rencontré les représentants de ces pays. Comment imagine-t-il cette coopération plus étroite ?
La France a des liens bilatéraux culturels et économiques très anciens et profonds avec les pays d’Europe centrale. En allant à la rencontre des pays du groupe de Višegrad dès son premier Conseil européen en juin 2017, en se rendant très tôt dans son mandat en Roumanie, en Bulgarie et à la réunion du format dit Slavkov avec la République tchèque et la Slovaquie, à Salzbourg, le Président a mis fin à une trop longue période où la France avait eu tendance à négliger ces partenaires. Et cela porte ses fruits : sur la révision de la directive sur le détachement des travailleurs nous avons trouvé un accord avec les autorités tchèques comme slovaques.
L’année 2018 permettra de donner un nouvel élan aux relations franco-tchèques avec la signature à Prague du nouveau plan d’action 2018/2022 de notre partenariat stratégique.
Cette coopération renouvelée, elle passe aussi par des contacts étroits et réguliers : je suis allée en Pologne, en Hongrie, en Slovénie, en Slovaquie… je reçois mes homologues très souvent à Paris. Aujourd’hui j’ai le plaisir de venir à Prague, à l’invitation de mon homologue Aleš Chmela?, pour lancer au côté du Premier ministre Andrej Babiš la première consultation citoyenne en République Tchèque, c’est un honneur pour moi et une manifestation de notre relation d’amitié.
Q - On prévoit que les groupements nationalistes, conservateurs et eurosceptiques vont se renforcer aux législatives européennes en mai 2019. Sera-t-il toujours possible de réformer l’UE ou bien ne fera-t-on que conserver le statu quo existant ?
La montée des populismes en Europe est un fait, mais ce n’est pas une fatalité. Ils expriment souvent des points de vue différents, de la méfiance ou au contraire de la déception vis-à-vis de l’Union européenne. Le résultat des élections en Italie, par exemple, est davantage l’illustration d’un mécontentement portant sur la gestion de la crise migratoire et de la crise financière, qu’un rejet de l’Europe elle-même.
C’est pour cela que nous ne pouvons plus traiter les questions européennes aujourd’hui comme on l’a toujours fait, « business as usual ». On ne peut pas continuer sans réformer profondément l’Union européenne parce qu’il y a des attentes fortes et des impatiences des populations.
Q - L’UE et ses institutions deviennent de plus en plus un thème abstrait pour une grande partie du public. Celui-ci ne s’intéresse plus aux événements au sein de l’UE. Que faire pour y remédier ?
Je suis convaincue que le modèle européen n’est ni abstrait ni dépassé. Il s’incarne dans des valeurs communes fortes, car l’Europe n’est pas simplement un marché unique. Ce sont des valeurs de liberté, de démocratie, une exigence commune en matière économique, diplomatique, culturelle mais aussi de respect des minorités, de liberté des consciences, d’égalité entre les hommes et les femmes, de respect pour la vie privée. Aujourd’hui cette exigence se porte aussi sur la protection de l’environnement, du climat, de la santé, dans le domaine du numérique… La protection des données personnelles, qui n’existe que dans l’UE, croyez-vous que ce soit un sujet abstrait pour les citoyens européens ? Je ne crois pas.
En revanche il existe le sentiment parmi les citoyens européens, que l’Union européenne se construit derrière des portes closes. C’est pour cela que les chefs d’Etat et de gouvernement ont lancé les consultations citoyennes, qui permettent aux citoyens d’exprimer leurs priorités, leurs attentes vis-à-vis de l’UE, le cas échéant leurs déceptions, et de faire des propositions sur les politiques européennes. Grâce à des débats partout en Europe depuis avril et jusqu’en octobre, et à une consultation numérique commune à tous lancée en 24 langues le 9 mai, ce sera l’émergence d’un vrai espace public européen : 450 millions de citoyens débattant en même temps des mêmes thèmes d’avenir.
Q - Pensez-vous que la population européenne et notamment les habitants des « nouveaux » Etats membres peuvent reprendre confiance dans l’idée d’une Europe commune ?
Si vous regardez les sondages Eurobaromètre, on voit que les pays où les taux d’adhésion au projet européen sont les plus forts sont parfois des pays de l’Est de l’Europe. La confiance est là, lorsque l’on voit les réalisations de l’Europe au quotidien, dans sa vie de tous les jours, je pense par exemple à la mobilité, la protection de l’environnement, les investissements pour le développement des régions…
Mais cela ne veut pas dire que l’Union européenne ne court aucun risque. Le Brexit nous a montré qu’un certain discours populiste savait se faire entendre en Europe. Et c’est précisément parce que le besoin de reconnecter l’Union européenne avec ses citoyens est ressenti partout que 27 Etats de l’UE ont décidé de tenir les Consultations citoyennes sur l’Europe cette année.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 mai 2018