Texte intégral
Q - La France et lAllemagne souhaitent soumettre dici le sommet de juin un projet de réforme de lUE. A quel point avez-vous progressé dans ses préparatifs ?
Nous avons avec lAllemagne lobjectif de présenter, au conseil européen du mois de juin, une feuille de route qui sera une vision partagée sur les grands dossiers européens. Le président de la République et la chancelière allemande ont entamé ce travail depuis déjà plusieurs semaines : sur lUnion bancaire, la capacité budgétaire de la zone euro, la sécurité en Europe, les migrations, la politique étrangère et de défense, mais aussi le numérique, lénergie, linnovation, autant de défis auxquels nous avons à faire face pour préparer lavenir de lUnion européenne. Emmanuel Macron et Angela Merkel se voient très souvent, ils étaient aujourdhui même [9 mai] ensemble à Aix-la-Chapelle. Le travail se poursuit avec pour objectif de partager en juin avec tous nos partenaires une ambition européenne commune.
Q - Le président Emmanuel Macron a déjà atténué certaines de ses visions initiales, telles que le budget commun et le ministre des finances de la zone euro. Quels autres projets allez-vous exiger dans laccord de juin ?
La France est à linitiative, avec lAllemagne. Il ne sagit pas dexiger mais de proposer et dentraîner. La réforme de lUnion économique et monétaire est indispensable et ce que nous proposons cest une feuille de route permettant davancer par étape sur lunion bancaire et la mise en place dune capacité budgétaire favorisant la stabilité et la convergence dans la zone Euro.
Nous sommes en train den discuter avec nos partenaires allemands. La chancelière Angela Merkel sest prononcée pour un renforcement de la zone euro, ce que le contrat de coalition signé par les partis qui constituent son gouvernement exprime, mais bien sûr nous partons de positions différentes. Cest précisément ce qui fait la valeur des accords franco-allemands !
Q - Que pensez-vous des objections émises par les Etats du Nord, les Pays baltes et autres, selon lesquelles les deux plus grands Etats membres de lUE souhaitent, à eux-seuls, décider de lavenir de lUE ?
Ni la France ni lAllemagne ne veulent décider pour les autres ! La France et lAllemagne veulent avoir un effet dentraînement.
Il est un fait que le moteur franco-allemand a un rôle majeur à jouer dans la construction européenne. Ce nest pas une condition suffisante, mais cest clairement une condition nécessaire pour que lUE avance. Historiquement lorsque nous navons pas été capables dans le passé de nous mettre daccord nos autres partenaires nous lont reproché Mais soyons clairs, la relation franco-allemande na vocation ni à lexclusivité, ni à lenfermement. Il faut simplement assumer notre responsabilité ensemble. Nous discutons, nous échangeons, nous proposons ensemble.
Q - Comment les changements éventuels de lUE impacteront les Etats hors la zone euro ? Considérez-vous réalistes les craintes, selon lesquelles les Etats hors de la zone euro glisseront, dans le cadre de lUE, de plus en plus en marge des événements ? / Ne voyez-vous pas le risque que des membres de lUnion Européenne et surtout ceux ne faisant pas partie du groupe Euro comme des pays de lEst, puissent quitter lUnion Européenne ? ( Questions identiques regroupées)
Non, je ne partage pas ces craintes. Je pense que lopposition entre les pays de la zone euro et les autres est artificielle. La volonté de faire avancer lunion entre les pays qui partagent leuro nempêche en rien davoir des relations très étroites avec des Etats membres qui nont pas rejoint la zone euro. Jen veux pour preuve la grande convergence de vues franco-tchèque sur la construction de lEurope de la défense par exemple, ou sur les consultations citoyennes que nous lançons aujourdhui ensemble à Prague.
Q - Le président Macron a plusieurs fois déclaré quil souhaite renforcer la coopération avec les pays de lEurope centrale et orientale. Lannée dernière il a rencontré les représentants de ces pays. Comment imagine-t-il cette coopération plus étroite ?
La France a des liens bilatéraux culturels et économiques très anciens et profonds avec les pays dEurope centrale. En allant à la rencontre des pays du groupe de Viegrad dès son premier Conseil européen en juin 2017, en se rendant très tôt dans son mandat en Roumanie, en Bulgarie et à la réunion du format dit Slavkov avec la République tchèque et la Slovaquie, à Salzbourg, le Président a mis fin à une trop longue période où la France avait eu tendance à négliger ces partenaires. Et cela porte ses fruits : sur la révision de la directive sur le détachement des travailleurs nous avons trouvé un accord avec les autorités tchèques comme slovaques.
Lannée 2018 permettra de donner un nouvel élan aux relations franco-tchèques avec la signature à Prague du nouveau plan daction 2018/2022 de notre partenariat stratégique.
Cette coopération renouvelée, elle passe aussi par des contacts étroits et réguliers : je suis allée en Pologne, en Hongrie, en Slovénie, en Slovaquie je reçois mes homologues très souvent à Paris. Aujourdhui jai le plaisir de venir à Prague, à linvitation de mon homologue Ale Chmela?, pour lancer au côté du Premier ministre Andrej Babi la première consultation citoyenne en République Tchèque, cest un honneur pour moi et une manifestation de notre relation damitié.
Q - On prévoit que les groupements nationalistes, conservateurs et eurosceptiques vont se renforcer aux législatives européennes en mai 2019. Sera-t-il toujours possible de réformer lUE ou bien ne fera-t-on que conserver le statu quo existant ?
La montée des populismes en Europe est un fait, mais ce nest pas une fatalité. Ils expriment souvent des points de vue différents, de la méfiance ou au contraire de la déception vis-à-vis de lUnion européenne. Le résultat des élections en Italie, par exemple, est davantage lillustration dun mécontentement portant sur la gestion de la crise migratoire et de la crise financière, quun rejet de lEurope elle-même.
Cest pour cela que nous ne pouvons plus traiter les questions européennes aujourdhui comme on la toujours fait, « business as usual ». On ne peut pas continuer sans réformer profondément lUnion européenne parce quil y a des attentes fortes et des impatiences des populations.
Q - LUE et ses institutions deviennent de plus en plus un thème abstrait pour une grande partie du public. Celui-ci ne sintéresse plus aux événements au sein de lUE. Que faire pour y remédier ?
Je suis convaincue que le modèle européen nest ni abstrait ni dépassé. Il sincarne dans des valeurs communes fortes, car lEurope nest pas simplement un marché unique. Ce sont des valeurs de liberté, de démocratie, une exigence commune en matière économique, diplomatique, culturelle mais aussi de respect des minorités, de liberté des consciences, dégalité entre les hommes et les femmes, de respect pour la vie privée. Aujourdhui cette exigence se porte aussi sur la protection de lenvironnement, du climat, de la santé, dans le domaine du numérique La protection des données personnelles, qui nexiste que dans lUE, croyez-vous que ce soit un sujet abstrait pour les citoyens européens ? Je ne crois pas.
En revanche il existe le sentiment parmi les citoyens européens, que lUnion européenne se construit derrière des portes closes. Cest pour cela que les chefs dEtat et de gouvernement ont lancé les consultations citoyennes, qui permettent aux citoyens dexprimer leurs priorités, leurs attentes vis-à-vis de lUE, le cas échéant leurs déceptions, et de faire des propositions sur les politiques européennes. Grâce à des débats partout en Europe depuis avril et jusquen octobre, et à une consultation numérique commune à tous lancée en 24 langues le 9 mai, ce sera lémergence dun vrai espace public européen : 450 millions de citoyens débattant en même temps des mêmes thèmes davenir.
Q - Pensez-vous que la population européenne et notamment les habitants des « nouveaux » Etats membres peuvent reprendre confiance dans lidée dune Europe commune ?
Si vous regardez les sondages Eurobaromètre, on voit que les pays où les taux dadhésion au projet européen sont les plus forts sont parfois des pays de lEst de lEurope. La confiance est là, lorsque lon voit les réalisations de lEurope au quotidien, dans sa vie de tous les jours, je pense par exemple à la mobilité, la protection de lenvironnement, les investissements pour le développement des régions
Mais cela ne veut pas dire que lUnion européenne ne court aucun risque. Le Brexit nous a montré quun certain discours populiste savait se faire entendre en Europe. Et cest précisément parce que le besoin de reconnecter lUnion européenne avec ses citoyens est ressenti partout que 27 Etats de lUE ont décidé de tenir les Consultations citoyennes sur lEurope cette année.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 mai 2018