Interview de M. Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF à Europe 1 le 16 décembre 2001, sur la réforme de l'assurance chômage, la situation économique, la Refondation sociale et la part des dépenses publiques dans le budget de l'Etat.

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Média : Europe 1

Texte intégral

FLORENCE BELKACEM : Denis Kessler, bonjour, et bienvenu en " Deuxième chance ". Vous êtes le vice-président délégué du MEDEF, le Mouvement des entreprises de France, dirigé par Ernest-Antoine Seillière et à ce titre vous êtes donc le numéro 2 du patronat français. Pour nos auditeurs qui ne vous connaîtraient pas encore, je dirai que vous êtes une bête de concours, ancien de HEC, professeur agrégé de sciences sociales et titulaire d'un DEA de philosophie entre autres, avec ensuite une brillante carrière dans le secteur des assurances. Je rappelle la règle de l'émission " Deuxième chance ", vous êtes là Denis Kessler pour éclaircir des propos qui ont pu sembler ambigus ou donner cours à une mauvaise interprétation. Ma première question concerne la réunion qui s'est tenue il y a deux jours, vendredi 14 décembre, au siège du MEDEF et à laquelle vous avez participé. Les partenaires sociaux, dont le MEDEF, ont majoritairement entériné une deuxième baisse des cotisations patronales et salariales du régime d'assurance-chômage et lors de cette réunion vous avez déclaré : " cette baisse est la bienvenue car elle bénéficie à l'ensemble des salariés et des entreprises ". Alors ce matin, est-ce que vous confirmez vos propos ?
DENIS KESSLER : Absolument. Vous savez que les partenaires sociaux ont fait une extraordinaire réforme de l'assurance-chômage. Ca a été longuement négocié, c'est sans doute une des plus importantes réformes de ces cinq dernières années, il y avait deux volets à cette réforme. Il y avait d'abord comment améliorer l'aide aux demandeurs d'emploi en leur proposant par exemple davantage de formation, des bilans de compétences, en les aidant dans la recherche d'un emploi. Tout ceci est en train d'être mis en place à l'avantage des demandeurs d'emploi. Et puis il y avait un autre volet qui était comment faire en sorte de baisser les cotisations pour à la fois les entreprises et les salariés. Alors nous mettons en uvre cette baisse de cotisations au 1er janvier prochain. Ca représente quand même 4,4 milliards de francs, 2,2 milliards de francs pour les salariés, 2,2 milliards de francs pour les entreprises et ce sont l'ensemble des 15,5 millions de salariés du secteur privé qui vont donc bénéficier tout au long de l'année 2002 de cette cotisation plus faible.
FLORENCE BELKACEM : Bon alors, excusez-moi est-ce que vous pouvez nous expliquer un mystère quand même, Denis Kessler ? Cela fait 6 mois que le chômage augmente et que donc l'Unedic a plus de chômeurs à soutenir. Mais vous, au MEDEF, vous venez de voter une deuxième et bientôt une troisième baisse des cotisations chômage, ce qui signifie quand même moins d'argent dans les caisses de l'Unedic et là on se dit : mais quand même il n'y a pas un bug ?
DENIS KESSLER : Il n'y pas de bug pour la raison simple, c'est que nous gérons le régime d'assurance-chômage avec en tête le respect de l'équilibre financier. Or comment parvenons-nous à baisser les cotisations ? Simplement en utilisant les réserves qui ont été accumulées pendant l'année 1999, surtout l'an 2000 et l'an 2001, ces réserves ont été constituées justement pour permettre de baisser aujourd'hui les cotisations et mettre en uvre également cette politique nouvelle en faveur des demandeurs d'emploi.
FLORENCE BELKACEM : Mais je voudrais quand même qu'on reste sur les chiffres. Les deux syndicats qui n'ont pas signé l'accord de réduction des cotisations chômage, FO et la CGT, soulignent que les 28 milliards de francs d'excédents de l'assurance-chômage en 2001 sont déjà engloutis en 2002 par le déficit et les remboursements prévus. Donc pour eux il était quand même beaucoup trop tôt pour envisager une baisse des cotisations.
DENIS KESSLER : Non, mais ça ça fait partie de la guéguerre des syndicats...
FLORENCE BELKACEM : ... C'est la réalité, aussi !
DENIS KESSLER : Non, ce n'est pas du tout la réalité...
FLORENCE BELKACEM : ... Comment ça ? 28 milliards d'excédents de 2001 qui vont éponger 8 milliards de déficit en 2002 + 8 milliards à rembourser à l'Etat + 12 milliards à rembourser suite à un emprunt en 94, ça fait 28 milliards. Donc c'est pas forcément de la guéguerre, on est dans la réalité des chiffres.
DENIS KESSLER : Non, non pas du tout. Attendez, d'abord il y a six organisations qui signent cet accord : la CFDT, la CFTC, la CGC, trois organisations d'employeurs. Après la CGT, qui ne signe jamais rien, ne signe pas cet accord. Pas plus d'ailleurs que la CGT n'a signé la réforme de l'assurance-chômage. Donc la CGT ne signe pas. Dès qu'on sort de réunion paritaire, elle s'empare d'un micro pour dire que c'est scandaleux, que c'est inadmissible, que c'est la fin du monde etc. Mais enfin, attendez. Nous gérons le régime, nous gérons le régime entre partenaires sociaux responsables, nous avons, je crois, la responsabilité d'assurer l'équilibre financier, je peux vous garantir aujourd'hui que jamais, jamais le MEDEF aurait accepté une baisse des cotisations pour mettre le régime en déficit. Enfin, soyons sérieux !
FLORENCE BELKACEM : Alors concrètement qu'est-ce que vous ferez si le régime de l'Unedic redevient déficitaire en 2002 ?
DENIS KESSLER : Alors d'abord nous avons décidé la baisse des cotisations au 1er janvier 2002. Il y a dans la convention que nous avons signée, qui a été agréée par l'Etat, une seconde baisse des cotisations supposée intervenir le 1er juillet 2002. Celle-ci n'est pas décidée, elle sera décidée en juin 2002 en fonction de la situation du régime, de l'évolution du chômage et des perspectives financières. Donc nous n'avons décidé que la baisse des cotisations au 1er janvier 2002. Imaginons que nous soyons en déficit, il y a dans l'accord, parce que nous sommes responsables, une clause de sauvegarde et cette clause de sauvegarde dit que ne nous procéderions pas à cette baisse de cotisations, ou inversement d'ailleurs nous pourrions prendre toute une série de mesures pour rétablir l'équilibre financier du régime.
FLORENCE BELKACEM : D'accord. Alors pour les salariés qui nous écoutent ce matin et qui seraient un tantinet inquiets par vos mesures, est-ce que vous leur dites ce matin : s'il n'y a plus d'argent dans les caisses de l'Unedic nous ne baisserons pas les allocations chômage. Est-ce que ça, vous le dites ce matin ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, nous déciderons entre partenaires sociaux, c'est à dire entre syndicats et responsables des employeurs, vous pouvez vous imaginer que l'intention à la fois des trois syndicats qui à l'heure actuelle ont signé cette convention et qui signent cet accord de baisse des cotisations, eh bien vous pouvez vous imaginer que notre position n'est pas aujourd'hui de prendre des mesures au détriment des demandeurs d'emploi ? Enfin, ce n'est pas du tout objectif. Nous mettons en place ce que l'on appelle le PARE, le plan d'aide au retour à l'emploi. Ceci devrait permettre de diminuer la durée du chômage et de faciliter le retour à l'emploi de tous ceux qui sont à l'heure actuelle pris en charge par le régime. La montée en puissance de la mise en uvre du PARE a été retardée parce qu'on a mis quasiment un an pour obtenir l'agrément de la convention qui était bloquée par le gouvernement. Ca y est, c'est fait, c'est sur le terrain. Nous attendons les effets bénéfiques de cette nouvelle politique en faveur des demandeurs d'emploi, ce qui devrait permettre de continuer la baisse des cotisations, sans rétablir la dégressivité des allocations. Mais si jamais, parce qu'il faut être responsable, nous avions une situation économique qui allait se dégradant, si nous avions une situation dans laquelle il y avait une forte remontée du chômage, les partenaires sociaux, ce n'est pas simplement les représentants des employeurs mais c'est aussi les représentants des salariés, nous devons nous réunir autour d'une table et puis convenir ensemble des mesures de façon à faire en sorte que le régime ne connaisse pas un déficit abyssal. Quel type de mesures ? On pourrait éventuellement arrêter la baisse des cotisations, voire même augmenter les cotisations parce que nous sommes responsables.
FLORENCE BELKACEM : Ah eh bien voilà une bonne chose !
DENIS KESSLER : Non, ce n'est pas une bonne chose d'augmenter les cotisations, l'augmentation des cotisations c'est une mauvaise chose pour l'ensemble des cotisants. Donc nous allons tout faire pour éviter cette hausse des cotisations qui n'est pas à l'ordre du jour, qui n'est pas prévue, mais c'est ce que l'on appelle une clause de sauvegarde. Dans un accord dans lequel on se dit nous allons faire face à des situations diverses, si effectivement la crise économique, si nous connaissons une récession, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle, je fais des si, si, si, nous aurons une situation dans laquelle nous devrons prendre des décisions. Dans ces décisions il pourrait y avoir la hausse des cotisations, ce n'est pas à l'ordre du jour, et dans ces décisions, c'est bien clair dans l'accord que nous avons signé il y a deux ans, on pourrait temporairement rétablir la dégressivité des allocations.
FLORENCE BELKACEM : D'accord. Alors on vous a bien compris. Après l'assurance-chômage, j'aimerais que vous nous précisiez vos propos tenus jeudi dernier à Marseille sur la réforme de l'Etat. Vous avez déclaré " l'Etat doit revoir son coût et éradiquer les déficits publics par des baisses de dépenses " et vous ajoutez : " pourquoi ne pas inscrire cette règle de l'équilibre budgétaire dans notre Constitution ? " Sans être vraiment trop juridique ce matin, qu'est-ce que vous vouliez nous dire ?
DENIS KESSLER : Il n'est pas normal que la France continue d'avoir, quelle que soit la conjoncture économique, des déficits publics aussi importants que ceux qu'elle a à l'heure actuelle. Il faut se rendre compte que nous avons eu trois années de forte croissance, nous étions en haut du cycle économique et que même dans cette conjoncture extrêmement porteuse nous avons continué à avoir des déficits qui représentaient des centaines de milliards de francs. Un seul chiffre : au cours de ces cinq dernières années, on a accumulé 550 milliards de francs de dette publique supplémentaire, qui viennent s'ajouter aux 5 000 milliards de francs qui existaient. Vous vous rendez compte que cette situation n'est pas normale. Or qu'est-ce que nous disons ? Il faut absolument que la France se dote désormais d'une politique, adopte une politique et suive une politique qui conduira à équilibrer les fonds publics, c'est à dire à ne pas se mettre en déficit . Pourquoi ? Pour ( ?) les générations futures.
FLORENCE BELKACEM : Interdire les déficits publics, aucun Etat dans le monde n'a inscrit une telle disposition dans sa Constitution, la France serait l'exception...
DENIS KESSLER : ... Non, l'Espagne a décidé d'inscrire ça dans sa Constitution et donc l'Espagne a pris cette disposition. Je vous rappelle également qu'aux Etats-Unis, désormais ce n'est pas une règle constitutionnelle, c'est en tous cas une règle qu'adoptent les Etats-Unis de dégager systématiquement des excédents. Je vous rappelle également qu'en Europe, à l'heure actuelle, il y a plein d'Etats qui ont des excédents budgétaires, qui n'ont pas de déficit. Je pense par exemple aux Pays Bas, je pense à l'Irlande, je pense à l'heure actuelle au Royaume Uni, nous faisons à l'heure actuelle plutôt exception dans le monde à avoir des déficits. Je vous rappelle cette année qu'ils vont être encore de l'ordre de 220 milliards de francs. Tout ceci, ce seront les générations futures qui vont le porter.
FLORENCE BELKACEM : Alors Denis Kessler, je voudrais qu'on soit encore plus concret. Vouloir effacer un déficit de plus de 200 milliards de francs par an, c'est le montant actuel du déficit de l'Etat français, vous êtes d'accord. Mais c'est ni plus ni moins demander la suppression de plusieurs centaines de milliers d'emplois de fonctionnaires. Pourquoi est-ce que vous ne le dites pas clairement, ça ?
DENIS KESSLER : Nous le disons très clairement. On a pris la moyenne des prélèvements obligatoires de la zone euro, c'est à dire nos partenaires monétaires et on a constaté que par rapport à nos partenaires nous avions 500 milliards de francs de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires supplémentaires. Ca, c'est des choix. Mais nous ne pouvons pas durablement être dans l'Europe, avoir la même monnaie, avoir des frontières économiques qui n'existent plus et continuer à avoir des dépenses publiques nettement supérieures à celles des autres pays. Or vous allez me dire que faire ? Ca, c'est la responsabilité politique.
FLORENCE BELKACEM : Attendez, combien est-ce qu'il faut supprimer d'emplois et dans quels domaines ? Où est-ce que vous faites les coupes ?
DENIS KESSLER : Je constate que dans tous les pays on réduit le nombre de fonctionnaires, je constate que dans tous les pays on procède à l'heure actuelle à des diminutions des dépenses publiques de façon à pouvoir alléger les impôts, seul un pays qui continue à dépenser, qui continue à augmenter les dépenses qui est la France. Donc je demande à tous ceux qui exercent le pouvoir d'Etat, quels qu'ils soient, ceux qui souhaitent l'exercer puisque nous sommes en campagne électorale d'adopter une politique désormais qui permettra de maîtriser les dépenses publiques de façon à baisser les impôts et supprimer le déficit.
FLORENCE BELKACEM : Alors je voudrais en savoir plus. Dans quels corps de métier vous pensez qu'il faut réduire le nombre de fonctionnaires, voire supprimer ces fonctionnaires ? Dans quels corps de métier ? Est-ce que c'est chez les policiers, est-ce que c'est chez les enseignants, les militaires ?
DENIS KESSLER : Attendez, ça c'est le choix politique.
FLORENCE BELKACEM : Oui mais vous, vous qu'est-ce que vous pensez ?
DENIS KESSLER : Attendez, nous avons 5 millions de fonctionnaires en France. Quand on fait des comparaisons internationales, nous avons à peu près un quart de plus de fonctionnaires qu'en Allemagne, toutes chose égales, d'ailleurs parfois un peu plus.
FLORENCE BELKACEM : Dans les 5 millions, vous comptez ceux qui travaillent dans les hôpitaux, etc, donc la fonction publique locale.
DENIS KESSLER : Evidemment, ce que l'on appelle les trois fonctions publiques. C'est à dire les collectivités locales, la fonction publique d'Etat et la fonction publique hospitalière. C'est un problème de choix. On nous reproche de faire de la politique. Nous ne faisons pas de politique parce que le rôle d'allocation du budget c'est justement le choix politique par excellence. Si les Français sont appelés aux urnes, c'est parce qu'ils vont élire des gens dont la charge sera, la charge principale est de décider le montant des impôts et l'affectation de ces impôts dans des emplois de toutes natures, que ce soit des infrastructures, des recrutements, des salaires, des transferts. Et donc de grâce, ne me mettez pas dans la position de dire je vais me substituer aux politiques dans les choix qui doivent être faits. Je dis simplement...
FLORENCE BELKACEM : ... Mais vous avez quand même chiffré cette suppression d'emplois ?
DENIS KESSLER : Mais pourquoi voulez-vous que je chiffre cette suppression d'emplois ? Je dis la chose suivante. Lorsqu'on gère une entreprise à l'heure actuelle, on se compare aux meilleurs. C'est à dire qu'on cherche partout le concurrent qui est arrivé à mieux gérer son budget, à trouver les meilleurs produits, à faire de la recherche, du développement, de l'expansion, que sais-je encore ? Nous disons un seul message : ceux qui veulent gérer l'Etat, c'est à dire ceux et les forces politiques qui se présentent au suffrage des citoyens, eh bien nous leur disons : essayez de vous inspirer de la meilleure gestion publique que l'on peut constater dans le monde. Eh bien on s'aperçoit que plein d'Etats ont trouvé des solutions pour essayer de maîtriser les dépenses publiques, d'éradiquer le déficit et de baisser les impôts. Voilà ce que nous disons. Et très honnêtement, on a tellement d'expérience d'une bonne gestion des finances publiques, par exemple en Hollande, pour prendre ce cas-là, que nous disons que le moment est venu enfin en France de s'engager dans cette voie de réduction de la dépense publique, de suppression des déficits et de baisse des impôts.
FLORENCE BELKACEM : Retour dans " Deuxième Chance " en compagnie de Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF, le Mouvement des entreprises de France présidé par Ernest-Antoine Seillière. Denis Kessler, cette semaine viennent de tomber deux mauvais indices. L'Insee a constaté un recul de 0,7 % de la production industrielle en octobre et une quasi-stagnation de l'industrie française sur 12 mois tandis que la Banque de France prévoit une croissance de 0,1 % au premier trimestre 2002. Vous ne pensez pas que c'est de la récession ou en tous les cas ça y ressemble fort ?
DENIS KESSLER : Nous sommes en stagnation économique, nous ne sommes pas en récession économique aujourd'hui, la stagnation c'est une croissance quasi nulle qui se prolonge d'un mois à l'autre. Alors, dans le monde, il y a d'autres pays qui connaissent une situation pire puisque, comme vous le savez, le Japon est en récession, les Etats-Unis sont en récession, l'Allemagne est en récession. Donc pour le moment nous flirtons, je dis bien, avec la croissance nulle.
FLORENCE BELKACEM : Donc la France échappe à la récession, le mot récession c'est un mot tabou pour vous comme pour Lionel Jospin et ce serait bien là votre premier point commun avec Lionel Jospin ?
DENIS KESSLER : Pas du tout, je suis économiste et je regarde les chiffres. Le jour où on aura une croissance négative pendant deux trimestres consécutifs, nous pourrons dire que nous sommes en récession, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Ceci dit, je dis bien nous flirtons à l'heure actuelle avec une situation de croissance nulle, si la situation devait se dégrader nous rentrerions dans ce cas-là en récession.
FLORENCE BELKACEM : Vous êtes numéro deux du MEDEF, Denis Kessler, est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a un petit problème avec votre numéro un, Ernest-Antoine Seillière ?
DENIS KESSLER : Ah non, aucun, non.
FLORENCE BELKACEM : Ah bon ? Du tout ?
DENIS KESSLER : Ah non, absolument pas.
FLORENCE BELKACEM : Quand vous voyez dans le journal LE MONDE, daté du 8 décembre, intitulé : " Monsieur Seillière et le MEDEF vont d'échec en échec ", vous ne pensez pas quand même que c'est une façon un peu d'enfoncer votre président avant la fin de son mandat ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, c'est un article militant. En ce qui me concerne... Vous pouvez toujours avoir dans l'exercice de vos responsabilités quelqu'un qui se croit investi d'une mission noble de dire que tout ce que vous faites est faux. Je considère que tout ce qu'a fait Ernest-Antoine Seillière, de tout ce qu'a fait le MEDEF depuis 5 ans, dans ce pays, est absolument exceptionnel.
FLORENCE BELKACEM : Aucun reproche ?
DENIS KESSLER : Mais absolument pas !
FLORENCE BELKACEM : Aucun mea culpa ?
DENIS KESSLER : Absolument aucun mea culpa.
FLORENCE BELKACEM : Aucune faute ?
DENIS KESSLER : Absolument pas ! Nous avons été d'abord dans une situation difficile en raison de l'alternance et surtout de ce projet des 35 heures qui a été imposé aux entreprises françaises. Ensuite, nous avons lancé un énorme chantier de dialogue social qui s'appelle la Refondation sociale pour essayer de trouver des solutions entre partenaires sociaux à un certain nombre de difficultés bien connues. Et, à l'heure actuelle, nous sommes une extraordinaire force de propositions puisque nous sommes les seuls à ce jour à proposer une réforme des régimes de retraite, de la Sécurité sociale, de la formation professionnelle, une réforme des relations sociales, des relations du travail, nous proposons des réformes institutionnelles en Europe, bref nous sommes une force de propositions. Pourquoi ? Parce qu'il faut que la voix des entreprises soit prise en compte, soit entendue, soit écoutée. Par tous ceux qui aspirent à exercer le pouvoir d'Etat.
FLORENCE BELKACEM : Dites-moi, c'est la fin de l'année, on est au mois de décembre, on sent que vous vous mettez 18 sur 20, vous. Vous avez bien travaillé au MEDEF.
DENIS KESSLER : Oui, on a beaucoup travaillé en tous cas puisque quand vous regardez la somme de toutes les propositions que nous avons faites, de toutes les analyses que nous avons livrées, je trouve que ceci représente un véritable apport. C'est une démocratie vivante que nous souhaitons. La société civile doit s'exprimer. Vous semblez surprise...
FLORENCE BELKACEM : Avec toute ce que vous proposez, vous n'avez pas le sentiment quand même que les patrons sont un peu désorientés ?
DENIS KESSLER : Pas du tout, je dirais que les patrons nous soutiennent dans nos analyses. Lorsqu'on souhaite par exemple dans cet article militant que vous citez...
FLORENCE BELKACEM : ... Là vous attaquez LE MONDE, c'est bien rare chez certaines personnalités d'attaquer LE MONDE...
DENIS KESSLER : ... Non, non, attendez, en l'occurrence c'est monsieur Lemaître qui évidemment fait l'impasse dans cet article sur la formidable réforme de l'assurance-chômage, mais peu importe. Il nous oppose, ce qui est stupide, le MEDEF avec l'appel des 56 patrons concernant le projet de loi dit de modernisation sociale. C'est idiot. L'ensemble des 56 patrons participent aux activités du MEDEF et soutiennent notre action. Et donc de dire regardez, voyez cet appel, c'est bien pour montrer qu'il y a une différence entre d'un côté les grands patrons et d'autre part le MEDEF, ceci représente tout simplement cette espèce de volonté de trouver des chicayas là où il n'existe qu'unité et convergence.
FLORENCE BELKACEM : Vous êtes indémontable, Denis Kessler.
DENIS KESSLER : Je suis indémontable. J'ai des convictions et j'ai des démonstrations. Que voulez-vous ? Dans ces cas-là, vous n'allez pas à chaque fois vous faire démonter par un article, la plupart du temps, encore une fois, qui ne vise qu'une chose : c'est montrer que ça ne marche pas, que c'est compliqué, etc...
FLORENCE BELKACEM : Attendez, attendez, il y quand même des signes de grande faiblesse de votre président. Quand vendredi, Bertrand Collomb, qui est quand même l'un des plus grands patrons français, et qui est aussi devenu président de l'Association française des entreprises privées, déclare dans LE FIGARO : " je ne suis pas candidat à la présidence du MEDEF ". Cela raisonne bizarrement. Là, on se demande si la guerre de succession est déjà ouverte au sein du MEDEF.
DENIS KESSLER : Mais au contraire. Bertrand Collomb montre d'ailleurs le fait qu'il respecte Ernest-Antoine Seillière en disant qu'il n'est pas candidat...
FLORENCE BELKACEM : ... Ah bon ?
DENIS KESSLER : Eh bien, oui, évidemment...
FLORENCE BELKACEM : ... Ah, je ne l'avais pas vu comme ça...
DENIS KESSLER : ... Mais c'est exactement comme ça que je le vois. Nous connaissons très bien, et je connais très bien Bertrand Collomb. Bertrand Collomb maintenant va présider l'Afep. Il présidait l'Institut de l'Entreprise et tout ceci, ce sont, j'allais dire, diverses organisations qui appartiennent au monde des employeurs, au monde patronal. Ne les opposez pas !
FLORENCE BELKACEM : Oui, mais ce genre de petites déclarations, ça préfigure en général certaines choses, non ?
DENIS KESSLER : Le mandat d'Ernest-Antoine Seillière vient à expiration au mois de décembre 2002. Dans un an exactement. Eh bien, d'ici là, il aura à se prononcer pour savoir s'il décide de faire un second mandat qui n'est que de trois ans parce que, au patronat, c'est 5 ans plus 3 ans, et s'il décide de rempiler ou pas. D'ici là, nous avons beaucoup de travail et nous allons continuer de manière imperturbable à animer ce que l'on appelle la société civile, à animer le débat. Je trouve que c'est formidable.
FLORENC BELKACEM : Est-ce que vous souhaitez qu'Ernest-Antoine Seillière se représente ?
DENIS KESSLER : L'apport qu'il a eu pour l'ensemble des entreprises françaises est absolument formidable. Et donc, en ce qui me concerne...
FLORENCE BELKACEM : ... Donc c'est oui ?
DENIS KESSLER : ... Je souhaite qu'il poursuive son action parce que je considère que ce qu'il fait, c'est non seulement bon pour les entreprises, c'est non seulement bon pour le développement économique, mais je crois que c'est bon pour le pays.
FLORENCE BELKACEM : Il a de la chance, hein, de vous avoir, Ernest-Antoine Seillière, hein...
DENIS KESSLER : ... Oh, c'est une chance formidable...
FLORENCE BELKACEM : ... Parce que vous êtes un vrai lieutenant, hein ! Il peut vous envoyer au front, il n'y a pas problème !
DENIS KESSLER : Non, je ne suis pas un lieutenant, je suis un homme de base, je veux dire...
FLORENCE BELKACEM : ... Ah, je vous trouve vraiment d'une solidité à toute épreuve ! La déconfiture d'AOM, puis d'Air Liberté, qui s'est soldée par plusieurs milliards de pertes pour la holding d'Ernest-Antoine Seillière, c'est quand même pas la meilleure carte de visite pour le patron des patrons.
DENIS KESSLER : Non, mais il a dit avec beaucoup de responsabilité et de dignité la semaine dernière, sur la même question, qu'il reconnaissait avoir échoué. Et je trouve...
FLORENCE BELKACEM : ... C'est un gros échec quand même...
DENIS KESSLER : ... Mais il le dit. Non seulement il le dit, mais il le reconnaît. Il a tenté de mettre en place ce que l'on appelait le second pôle aérien français. Ca n'a pas marché. Il a fait alliance avec une grande compagnie aérienne mondiale qui était Swissair, reconnue comme tout le monde comme quelque chose qui était absolument insubmersible. Rendez-vous compte : Swissair a échoué et malheureusement, Ernest-Antoine a échoué, il a perdu beaucoup d'argent. Je trouve qu'il faudrait plutôt le plaindre à l'heure actuelle que de le blâmer.
FLORENCE BELKACEM : Alors, il nous reste quelques instants et j'ai tenu aussi donc à vous inviter ce matin pour que vous nous expliquiez certains silences du MEDEF. Je prends un exemple. Récemment, la Cour d'appel de Paris vient de condamner la fine fleur de la banque française, la BNP, le Crédit Lyonnais, la Société Générale et d'autres banques, à une amende de 1 milliard de francs pour, selon le tribunal, " entente illicite sur les crédits immobiliers consentis aux ménages ". Et là, bizarrement, pas un mot du MEDEF, alors que ça concerne quand même des entreprises privées.
DENIS KESSLER : Madame Belkacem, vous êtes la seule à nous avoir dit que nous étions silencieux puisque la plupart du temps, on se plaint de l'inverse. Mais sur ce sujet...
FLORENCE BELKACEM : ... Enfin, là, on ne vous a pas entendu en tout cas...
DENIS KESSLER : ... Que ce soit clair, il n'y a aucune ambiguïté sur ce plan-là. Nous croyons dans l'économie de marché. Nous croyons fondamentalement dans la concurrence et nous considérons que toute entorse aux règles de la concurrence doit être bien entendu sanctionnée. Il n'y a aucune ambiguïté sur ce point-là. Pour que la concurrence ait des effets positifs pour les consommateurs, pour les ménages, pour l'économie, il faut que cette concurrence soit loyale, il faut que cette concurrence soit aiguisée, il faut que cette concurrence soit extrêmement forte. Donc, sans juger de ce cas particulier, si les instances compétentes considèrent qu'il y a des entorses à la concurrence, il faut que celles-ci soient sanctionnées. Il n'y a aucune ambiguïté sur ce point.
FLORENCE BELKACEM : Oui. Donc, vous pourriez presque créer une sorte d'organisme chargé de la déontologie de la libre concurrence ?
DENIS KESSLER : Il existe en France un Conseil de la concurrence, il existe en Europe également, monsieur Monti a en charge une direction pour lutter contre les entorses à la concurrence extrêmement pugnaces. Elle a d'ailleurs récemment condamné l'industrie pharmaceutique pour une entente sur les problèmes de vitamines. Nous considérons pour notre part qu'il faut absolument, je dis bien encore une fois lutter contre toutes les distorsions de concurrence, contre toutes les entorses parce que tout ceci ne va pas de soi. Il faut aussi lutter contre les monopoles, notamment lorsque les monopoles sont publics, et eux n'ont pas à suivre les règles du marché. Nous sommes pour les règles du marché pour leur application et pour leurs sanctions lorsqu'elles ne sont pas respectées.
FLORENCE BELKACEM : Il y a un peu un autre exemple du silence assourdissant du MEDEF, c'est quand les privatisations ne marchent pas. Regardez l'exemple des chemins de fer britanniques avec la faillite colossale de British Railway, entreprise privatisée quand même sous les gouvernements conservateurs anglais. Quelle est votre analyse de cet échec, vous qui défendez quand même les privatisations ?
DENIS KESSLER : L'entreprise British Railway marchait extrêmement mal avant sa privatisation. Et donc, ce n'est pas une panacée la privatisation. Après vous devez avoir le meilleur gestionnaire, vous devez avoir des gens qui font des choix, vous avez des gens qui doivent trouver des financements correspondants, etc... Donc la privatisation en soi n'est pas la solution pour dire qu'ensuite tout va bien. La seule différence entre un monopole public et l'entreprise privatisée, c'est que le monopole public survivra toujours parce que les contribuables viendront toujours renflouer les caisses. Et à chaque fois qu'il y aura des déficits, il y aura un contribuable qui sera appelé à donner son denier. En ce qui concerne l'entreprise privée, lorsqu'elle a des difficultés, eh bien malheureusement elle disparaît, c'est ça ce qu'on appelle aussi la sanction du marché. Vous me parliez de la sanction de la concurrence, et bien les gens qui sont privatisés, c'est-à-dire des hommes, des actionnaires de British Railway qui doivent effectivement se mordre les doigts d'avoir donné leur argent éventuellement à cette entreprise. Mais c'est eux qui portent la responsabilité de l'échec et ce n'est pas le contribuable.
FLORENCE BELKACEM : Il nous reste à peu près deux minutes. Est-ce que vous pouvez nous dire quels sont les services publics qui ne devraient pas être privés ?
DENIS KESSLER : Tout ce qui est régalien. C'est-à-dire tout ce qui appartient vraiment, j'allais dire, à l'essence même de l'Etat.
FLORENCE BELKACEM : C'est-à-dire, pour les gens qui nous écoutent et qui ne savent pas...
DENIS KESSLER : ... Evidemment l'armée...
FLORENCE BELKACEM : ... Ah l'armée !
DENIS KESSLER : Evidemment la police...
FLORENCE BELKACEM : ... La police...
DENIS KESSLER : ... Bien entendu les services de l'administration centrale. On a parlé des services de la concurrence. Bien entendu, on peut considérer que l'Education peut continuer, l'Education notamment primaire, à être un service public. Tout ceci ne nous pose pas de problème. Ce que nous souhaitons, c'est que dans toutes les missions de l'Etat, on distingue bien ce qui est régalien, c'est-à-dire ce qui correspond à ce qu'on attend d'un Etat moderne, mais tout ce qui n'appartient pas à la sphère régalienne, eh bien soit confiée...
FLORENCE BELKACEM : ... C'est-à-dire...
DENIS KESSLER : ... à des entreprises dont c'est la responsabilité. Oh mais il y a quantité de choses à l'heure actuelle où l'Etat s'occupe de chose dont il ne devrait pas s'occuper.
FLORENCE BELKACEM : Et dans l'Education Nationale, monsieur Kessler ?
DENIS KESSLER : Oh, dans l'Education Nationale, c'est vraiment un sujet qui mériterait une seconde chance supplémentaire parce que c'est un problème qui suppose, pour moi, que c'est un problème clé. Je vais vous dire très honnêtement, on ne peut pas laisser l'Education Nationale comme ça. Quand vous regardez le taux de chômage à l'heure actuelle, les moins de 25 ans c'est un taux de chômage de 17 %. Ce qui signifie que l'Education Nationale, à l'heure actuelle, ne fonctionne pas comme elle le devrait. C'est ça mon problème, ce n'est pas simplement que l'Etat fasse moins, j'aimerai que l'Etat fasse plus, fasse davantage. Il faut que l'Etat fasse ce qu'il doit faire dans le domaine de la sécurité, dans le domaine de l'éducation. Et je constate, à l'heure actuelle, que malheureusement lorsque ça dysfonctionne, c'est la société tout entière et les entreprises qui en supportent le poids.
FLORENCE BELKACEM : Il nous reste vraiment très très peu de secondes. Je voudrais terminer par deux questions plus personnelles. Vous qui êtes un spécialiste des systèmes d'assurance et des courbes de longévité, vous vous donnez quelle espérance de vie ?
DENIS KESSLER : La mienne ? Alors attendez, j'ai 49 ans, normalement l'espérance de vie devrait me conduire à 85 ans mais tout ceci dépend quand même de Dieu.
FLORENCE BELKACEM : Tout ceci dépend de Dieu, hein ? Donc on ne sait pas ?
DENIS KESSLER : Tout ceci dépend de Dieu. Normalement l'espérance de vie devrait me conduire à 85 ans si on croit dans l'espérance de vie, ce qu'on appelle dynamique et prospective, tout ceci dépend de Dieu.
FLORENCE BELKACEM : Et alors vous êtes quand même un latiniste, un vrai latiniste. Est-ce que vous êtes capable de me dire quelques mots en latin, là, ce matin, pour dire au revoir aux auditeurs ?
DENIS KESSLER : Oui, alléluia.
FLORENCE BELKACEM : Merci Denis Kessler. Et quant à moi je vous retrouve la semaine prochaine pour une deuxième nouvelle chance. Bonne journée à tous.
(Source http://www.medef.fr, le 20 décembre 2001)