Interview de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec RMC le 1er juin 2018, sur la décision des Etats-Unis de taxer les exportations d'acier et d'aluminium provenant de l'Union européenne.

Prononcé le 1er juin 2018

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Jean-Yves LE DRIAN. Jean-Baptiste LEMOYNE, bonjour.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous ce matin. Est-ce que Donald TRUMP a déclaré la guerre commerciale à l'Europe ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je crois qu'il a déclaré la guerre commerciale, non seulement à l'Europe, mais à…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Au monde entier.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Quasiment au monde entier, exactement, puisque les taxes qu'il a décidées, sur l'acier et l'aluminium, vont frapper l'Europe, mais vont frapper aussi le Canada, le Mexique, c'est-à-dire qu'en fait il vise notamment ses trois plus gros clients, donc quelque part, moi je vous dis, la suite de l'histoire c'est quoi ? C'est qu'il se tire une balle dans le pied, parce que, qui va payer tout ça à la fin, au bout du bout ? C'est le consommateur américain, parce que vous savez, un certain nombre de taxes soit répercutées dans les prix. C'est ce qui s'est passé, vous savez, Justin TRUDEAU nous en a parlé quand il est venu à Paris, les Américains ont mis des taxes sur le bois canadien, et le bois canadien, il a continué à se vendre aux Etats-Unis, si ce n'est qu'il s'est vendu plus cher, et donc le consommateur il a acheté plus cher dans les magasins…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc il va l'acheter.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Et donc, du coup…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors quelles conséquences pour nous en Europe, pour nous Français, de cette décision de Donald TRUMP ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, pour nous, très clairement, nous avons de l'ordre de 670 millions d'euros d'exportations en acier aluminium vers les Etats-Unis, on va avoir un surcoût, un renchérissement de l'ordre de 140 millions d'euros, dont ce n'est pas rien. En même temps, nous avons en tout à 120 milliards d'échanges entre la France et les Etats-Unis, et donc, en tous les cas, face à cette décision, avec nos partenaires de l'Union européenne, eh bien nous allons prendre des mesures de réponses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
De rétorsion.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Des mesures de rééquilibrage, parce qu'il faut à la fois…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc, de rétorsion, de réponse, une réponse forte.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais bien sûr. On s'est préparé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais revenir à la réponse forte…
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
On s'est préparé, d'ailleurs. C'était important de montrer que l'Europe était unie, déterminée, et qu'elle n'allait pas se laisser dicter la loi par le shérif américain.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le shérif TRUMP.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Exactement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. On va parler de lui, on va parler des réponses, mais auparavant je voudrais quand même comprendre, je me mets à la place de l'auditeur, donc nous exportons de l'acier et de l'aluminium vers les Etats-Unis. Que font les Etats-Unis de cet acier, de cet aluminium que nous exportons là-bas ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Il est intégré dans leur production automobile, il est intégré dans la production aéronautique, il est intégré dans énormément, d'ailleurs dans des canettes aussi de boissons, par exemple, donc, vous savez aujourd'hui justement c'est bien, parce que ça permet de faire la pédagogie de la mondialisation, aujourd'hui, avec tout ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais bien sûr.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
C'est que l'on est plus, je veux dire, on est aujourd'hui dans un monde où la valeur ajoutée elle est disséminée. Vous savez, on a tous, les uns les autres, des téléphones dans nos poches. Ces téléphones, c'est marqué souvent, pour ceux qui ont une marque qui commence par un A, « design in California », donc pensé en Californie, mais…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Fabriqués en Chine.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Created in... voilà, fabriqués en Chine. Et moi j'ai d'ailleurs un scoop, c'est que tout ça se fait aussi grâce à une PME normande, qui s'appelle ELDIM, qui est près de Caen et qui justement permet de contrôler ces téléphones. Donc tout ça pour vous dire que pour faire ces téléphones, il y a des éléments qui viennent de partout dans le monde et donc on ne peut pas dire « c'est une marque américaine », etc., en fait, il y a des composants européens, il y a des composants chinois. On voit bien. Donc aujourd'hui, la complexité du monde c'est que la réponse qu'apporte Donald TRUMP est une réponse simpliste et surtout qui va se retourner contre son propre peuple, en matière d'emploi, en matière également de prix.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Emmanuel MACRON a été très grave dans sa réaction, il dit : « C'est du nationalisme, c'est du pur nationalisme, le pur nationalisme est dangereux pour l'équilibre du monde, on a vu ce que ça a donné dans les années 30 ». C'est du nationalisme ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
C'est du protectionnisme, ni plus ni moins, parce que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, enfin, le protectionnisme existait, mais là, ça va plus loin encore que le protectionnisme.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
C'est quelque part…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est dangereux ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
... America First, ça veut dire l'América seule, voilà. Et sauf que l'América seule, dans un monde ouvert comme le nôtre, ça ne peut pas marcher. Et donc en fait c'est une réponse encore une fois, de courte vue, qui peut sembler donner satisfaction, effectivement à parfois des employés, des ouvriers, qui se disent : ouh lala, mais moi mon emploi il est détruit parce qu'il y a des créations d'usines ailleurs dans le monde, etc., mais sauf que la vérité c'est que ce n'est pas ça, la bonne réponse c'est de lutter contre les vrais problèmes, les vrais problèmes ils ne sont pas en Europe, d'ailleurs, ils sont peut-être, il faut regarder du côté de la Chine, parce que il y a là des subventions massives de l'Etat, pour aider certaines filières, notamment l'acier et l'aluminium, et donc c'est là où il faut travailler avec les Chinois, travailler dans le cadre international, vous savez, il y a des organisations internationales pour ça, il y a un moment, il faut respecter le droit, il faut respecter, sinon c'est la loi de la jungle, c'est la loi du plus fort.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, alors, nous avons parlé de la réponse, Jean-Baptiste LEMOYNE, simplement de Donald TRUMP se moque de l'Europe totalement, ça ne l'intéresse pas l'Europe, on l'a vu à plusieurs reprises, malgré ses poignées de mains chaleureuses et ses embrassades avec Emmanuel MACRON, ça ne l'intéresse pas !
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui mais je crois que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quelle réponse l'Europe va-t-elle donner ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Eh bien, alors, moi je vous dis que l'Europe, en revanche, ça intéresse les Américains, parce que mettez 5 000 entreprises françaises par exemple, qui sont présentes aux Etats-Unis, il y a 500 000 emplois américains, par des entreprises françaises aux Etats-Unis, donc je pense que les Américains ça les intéresse l'Europe, eux, en revanche. Et s'agissant de la réponse, la réponse de l'Union européenne, elle va être ferme, et d'ailleurs il y avait, à travers cet événement, mais on a pu voir aussi à travers la décision que le président TRUMP a pris sur l'Iran, des tests pour l'Union européenne, des tests de souveraineté. Est-ce qu'on est capable de s'affirmer comme étant la puissance que nous sommes, parce que nous sommes la première puissance commerciale et donc on n'a pas à se laisser marcher sur les pieds.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, quelle sera la réponse de l'Europe ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Eh bien, la réponse, elle est très simple, elle est très ferme, c'est que dès le 20 juin, des mesures de rééquilibrage ou de rétorsion, si vous voulez, vont être prises. J'ai apporté d'ailleurs, parce que je ne sais que vous aimez bien la précision, la liste sur laquelle nous avons travaillé, donc il y a 6 pages de produits que nous avons présélectionnés avec la Commission européenne, pour, sur ces produits, appliquer aussi un des droits de douane supplémentaires de l'ordre de 25 % et donc dans les prochains jours, avec la commission, avec les Etats membres, nous avons ce menu de produits qui peuvent être…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez choisir certains produits…
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Exactement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
... que vous allez taxer.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Exactement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Surtaxer certains produits.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Exactement, parce que la décision américaine ne peut pas rester sans réponse, si elle reste sans réponse, ça veut dire que c'est la porte ouverte à tout, c'est la porte ouverte, encore une fois, au fait accompli, et donc nous ce que nous voulons montrer, c'est que, eh bien que face à cette décision, l'Europe elle sait répondre présente, elle sait être unie, et encore une fois, elle propose aux Etats-Unis, de travailler sur la résorption des vrais problèmes, et de ce point de vue-là, allez, on va dire qu'on a quand même un petit rayon de soleil. Hier, je présidais une des conférences ministérielles de l'OCDE, et en parallèle, se tenait une réunion entre les Etats-Unis, l'Europe et le Japon, et donc le chargé du commerce des Etats-Unis, monsieur LIGHTHIZER, a accepté de travailler, dans le cadre de l'OMC, sur le problème des surcapacités chinoises, sur le problème des droits de propriété intellectuelle, et donc on voit bien que, vous voyez qu'on maintient un dialogue, on essaie de les faire avancer sur ce qui va nous paraître la vraie réponse.
JEAN-JACQUES BOURDIN
... dialogue, mais pendant ce temps-là « Peu importe le dialogue », dit TRUMP. TRUMP prend ses décisions, se moque totalement de ce qui se passe ailleurs…
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Et nous prenons les nôtres. Et nous prenons les nôtres, et d'ailleurs, regardez que l'Union européenne s'est préparée, on n'est pas démuni.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais quels produits seront surtaxés ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, dans le menu que nous avons…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donnez-moi quelques produits, là, tiens.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Dans le menu que nous avons, donc tout ça, on nous allons faire les sélections, mais il y a par exemple le riz…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vois que vous avez surligné certains produits, là.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui, tout à fait, par exemple il y a le riz, il y a des jus d'orange, il y a le whisky Bourbon, il peut y avoir des vêtements, il peut y avoir de l'acier également, et puis des motos, puisque vous savez qu'ils sont producteurs de motos. Donc en fait…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les motos. Et tous les, je ne sais pas, moi, les COCA et compagnie, je donne une marque comme ça.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui, je vous ai cité certains breuvages…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Certains sodas.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Voilà, exactement, donc plutôt à nature, à base de jus d'orage, mais donc tout ça pour dire qu'on est prêt, on a fait ce recensement, on a fait ce travail, et que lorsqu'on s'attaque à l'Europe, aux intérêts européens, eh bien on nous trouve.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. J'ai une dernière question sur l'Italie. Dites-moi, en félicitant le président de la République italienne, est-ce qu'Emmanuel MACRON, après les premières décisions prises, le rejet du futur ministre de l'Economie, est-ce qu'Emmanuel MACRON n'est pas allé un peu vite ? Parce que là, aujourd'hui, ça y est, il y a un gouvernement, un gouvernement... Non ? Il n'est pas allé un peu vite ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais, écoutez, le président de la République, vous savez, il est en contact permanent avec son homologue, le président italien, et je peux vous dire que les contacts vont naturellement être pris à tous les niveaux prochainement, parce que on a besoin, on ne doit pas être dans le rejet, on ne doit pas être dans les leçons, on a besoin d'un partenaire italien, vous savez que c'est un membre fondateur de l'Union européenne, et donc…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais ça je sais ! Mais il y a un nouveau gouvernement qui ne nous plaît pas…
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Mais ce gouvernement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais, il faut l'accepter !
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Eh bien il faut travailler avec tous les gouvernements qui sont en place au niveau de l'Union européenne. Vous avez vu que parfois nous avons des nuances et des différences avec nos amis hongrois ou polonais, ça n'empêche pas de rester là encore une fois dans le dialogue, dans la conviction, et de faire cheminer les dossiers. J'ai une bonne nouvelle, regardez, on parle d'économie, eh bien l'Union européenne, elle est arrivée à se mettre d'accord, justement, avant-hier, pour enfin avoir des dispositifs pour surveiller les investissements étrangers en Europe, pour ne pas qu'on se fasse piller. Et donc on a besoin, je crois, avec tous les gouvernements en Europe, de montrer que l'Europe, elle continue à avancer et qu'elle protège, qu'elle protège ses citoyens, parce que, faute de quoi, si on ne fait pas la preuve par l'exemple…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il va falloir nous convaincre, et convaincre les citoyens.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Justement, si on ne fait pas la preuve par l'exemple, il y aura de la rébellion dans l'air, mais donc nous, on veut être concret, pragmatique et surtout efficace, c'est la marque de fabrique d'Emmanuel MACRON.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Jean-Baptiste LEMOYNE merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 juin 2018