Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre de l'Europe et des affaires étrangères, bonsoir.
R - Bonsoir.
Q - Merci d'être avec nous sur RTL pour nous expliquer la position et la réaction de la France et de l'Europe à cette décision américaine d'imposer dès aujourd'hui des tarifs supplémentaires de 25% sur les importations d'acier et de 10% sur celles d'aluminium en provenance de l'Union européenne mais aussi du Canada et du Mexique. "Le nationalisme économique, c'est la guerre" avait prévenu Emmanuel Macron. Est-ce que l'on est en guerre ?
R - D'abord, ces mesures sont brutales, inacceptables, illégales. Ce sont des applications de la loi du plus fort et je dois vous dire que, pour la France mais aussi pour les pays européens, les relations internationales ce n'est pas le Far West et pourtant on a l'impression d'y être.
Donc, nous constatons une nouvelle fois une volonté des Etats-Unis de déconstruire méthodiquement l'ensemble des accords internationaux, tout le corpus juridique qui fait la vie internationale. Les Etats-Unis se replient dans un isolationnisme et renient leurs engagements, que ce soit les engagements culturels puisqu'ils se sont retirés de l'UNESCO, que ce soit les engagements sur l'environnement puisqu'ils se sont retirés des accords sur le climat, que ce soit les engagements stratégiques et sécuritaires puisqu'ils se sont retirés des accords dits "Accord de Vienne" assurant la maîtrise de la sécurité nucléaire de la part des différentes nations à l'égard de l'Iran, que ce soit même dans le financement des principales agences des Nations unies. Bref, c'est non seulement l'America first, ce qui pourrait se comprendre, l'Amérique d'abord, mais c'est de plus en plus America alone, l'Amérique seule.
Q - Cela veut dire que l'Amérique aujourd'hui n'est plus pour la France et pour l'Europe un partenaire sûr, un ami sur qui on peut compter ?
R - C'est toujours un allié. Mais c'est un allié qui prend de plus en plus de distance à l'égard des lois et des règlements qui font la vie en commun de la planète. Donc, nous leur disons : attention danger ; l'isolationnisme n'est pas une solution à long terme ni pour vous ni pour nous. On risque demain ou après-demain de rentrer dans une guerre commerciale que nous ne voulons pas, nous ne la souhaitons pas.
Q - Justement, on sait qu'Emmanuel Macron a appelé Donald Trump pour lui dire que l'Europe allait riposter de manière ferme et proportionnée. Alors, comment va riposter l'Europe ?
R - L'Union européenne est solidaire. Elle est déterminée, elle est unie pour mettre en oeuvre des contre-mesures, des mesures de sauvegarde proportionnées mais réelles en réponse à l'attitude américaine.
C'est ainsi que des mesures vont être prises dès le mois de juin, d'abord en allant devant l'Organisation mondiale du commerce pour non seulement protester mais instruire une procédure juridique contre les Etats-Unis, parce que ces mesures sont illégales au regard du droit international, et ensuite, en mettant en oeuvre des contre-mesures sur des produits américains qui vont être surtaxés à l'entrée en Europe - c'est ce que l'on appelle la liste "Motos - Bourbon", c'est-à-dire qu'il y aura dedans à la fois des motos Harley Davidson et du whisky -, et en prenant d'autres mesures aussi qui soient proportionnées et réelles et qui vont, je l'espère, faire réfléchir la partie américaine. Nous ne sommes pas tous seuls dans tout cela...
Q - L'Europe est vraiment unie ? Est-ce que vous ne craignez pas que certains, par exemple Mme Merkel en Allemagne, préfèrent réfléchir et prennent un petit peu plus de temps ?
R - Non. Ce dispositif a été voté, il a été validé et à l'unanimité. Et il va être mis en oeuvre. Parce que, vous voyez, il y a vraiment deux conceptions de l'organisation du monde qui s'affrontent. Il y a la conception du chacun pour soi, du rapport de puissance qui, selon les Américains, sert aujourd'hui les intérêts américains, nous n'en sommes pas sûrs, et ils vont peut-être s'apercevoir que ce peut être aussi désastreux pour eux. Et puis, il y a une conception, qui est développée par le président Macron, où il veut prôner un nouveau multilatéralisme, c'est-à-dire se mettre ensemble pour définir les normes de coopération et la manière de faire les échanges entre nous.
Q - Le sujet européen d'abord. Avec l'Italie et son gouvernement antisystème et puis l'Espagne qui vient de changer de Premier ministre et, on l'a dit, Angela Merkel assez fragilisée. Est-ce que les propositions d'Emmanuel Macron sur l'Europe qui doivent être examinées au prochain Conseil européen n'ont pas un peu de plomb dans l'aile aujourd'hui ?
R - Au contraire. C'est bien parce qu'il y a un désordre mondial qui s'installe qu'il convient de refonder l'Europe. Et c'est bien parce que les Italiens sont interrogatifs, on l'a vu lors de leur vote récent, sur l'Europe qui protège, l'Europe qui permette une maîtrise des migrations, l'Europe qui permette une reprise économique, c'est bien parce qu'il y a tous ces éléments qu'il est opportun aujourd'hui de reprendre les fondamentaux de l'Union européenne et de contribuer à sa refondation.
J'observe que, par exemple, la réforme du détachement des travailleurs européens a été validée alors que, lorsque le président Macron est arrivé et qu'il a pris ce dossier à bras-le-corps, on s'interrogeait sur sa capacité de réussite. C'est fait.
J'observe aussi que le fonds européen de défense, c'est-à-dire un pas essentiel pour une interopérabilité des outils de défense européen, ce fonds européen de défense que chacun disait une incertitude, il s'est mis en place.
J'observe aussi que le règlement général sur la protection des données, c'est-à-dire permettant à l'Union européenne d'édicter des normes pour protéger ses concitoyens dans ce domaine essentiel du numérique, s'est mis en oeuvre.
Bref, il y a des pierres qui se mettent les unes à côté des autres déjà, pour contribuer à reconstruire cette Europe souveraine, cette Europe qui protège.
Je crois que, aujourd'hui, face au désordre mondial, l'urgence européenne est au rendez-vous.Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 juin 2018