Interview de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, avec RTL le 5 juin 2018, sur la politique d'immigration au niveau de l'Union européenne et sur la politique agricole commune dans le projet de budget communautaire.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

ELIZABETH MARTICHOUX
Bienvenue dans ce studio de RTL, Nathalie LOISEAU, bonjour.
NATHALIE LOISEAU
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Les populistes au pouvoir en Italie mettent la pression sur la politique migratoire européenne, et pendant la campagne, ils promettaient de mettre 500.000 migrants dehors, c'était un slogan ou il faut les prendre au sérieux ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, ce qu'il faut prendre au sérieux, c'est le vote des électeurs italiens, c'est-à-dire le sentiment d'abandon des électeurs italiens de la part de l'Europe, à la fois sur la crise financière, à l'époque, ça a commencé comme ça, et puis, sur la crise des migrants avec un manque de solidarité d'une partie de l'Europe, notamment l'Europe de l'Est, qui n'a pas accepté les relocalisations depuis 2015 ; c'est ce sentiment-là sur lequel les populistes ont surfé, avec des propos qui ont leurs excès, mais au fond, il y a une vraie question de solidarité de l'Europe.
ELIZABETH MARTICHOUX
L'Italie est pour les migrants, c'est vrai, une voie d'entrée, si l'Europe s'était montrée plus juste sur la répartition, elle n'aurait pas géré ça toute seule, l'Allemagne ou la Grèce d'ailleurs pensent la même chose, Nathalie LOISEAU. Ils ont raison, et, d'une certaine façon, la France a insuffisamment pris sa part, elle ?
NATHALIE LOISEAU
La France a mis du temps, mais aujourd'hui, la France prend sa part, il y a un phénomène qu'on appelle les relocalisations de ceux qui sont en besoin de protection, et à l'heure actuelle, la France prend toute sa part…
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est-à-dire, est-ce que vous avez des chiffres à nous donner ?
NATHALIE LOISEAU
C'est-à-dire, c'est 200 personnes par mois qui relèvent de la protection, c'est-à-dire dont on a des raisons de penser qu'ils auront le statut de réfugiés et qui viennent en France, mais surtout, ce que nous faisons depuis l'année dernière, c'est de travailler directement en Afrique, au Tchad, au Niger pour pouvoir interviewer les demandeurs d'asile, leur dire s'ils ont une chance d'avoir l'asile en Europe, auquel cas, on leur évite à la fois le cauchemar de la Libye et la traversée de la Méditerranée, ou s'ils sont considérés comme migrants économiques, auquel cas, on les raccompagne dans leur pays d'origine.
ELIZABETH MARTICHOUX
En réalité, le choix, le tri, pour employer un mot qui peut choquer, mais c'est la réalité, se fait à cet endroit-là, comme vous le dites. L'Allemagne en a accueilli des centaines de milliers, l'Italie – on le voit bien – est débordée par les migrants d'une certaine façon. La France a insuffisamment pris sa part par rapport à ces pays-là et par rapport à la Grèce.
NATHALIE LOISEAU
Alors, oui et non, parce que vous avez des déboutés…
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, dans un premier temps…
NATHALIE LOISEAU
Vous avez des déboutés du droit d'asile qui parfois se retrouvent en France, à la Villette, au Millénaire ou ailleurs et qui ont été déboutés en Allemagne ou ailleurs dans l'Union européenne. D'une manière générale, on ne peut traiter la question des demandes d'asile qu'au niveau européen, on harmonisant les critères, en harmonisant les procédures. Angela MERKEL, ce week-end, s'est dite favorable à une agence européenne de l'asile…
ELIZABETH MARTICHOUX
Qu'est-ce que ça changerait une agence européenne de l'asile, ça changerait quoi ?
NATHALIE LOISEAU
Le fait qu'on ait tous les mêmes critères, les mêmes procédures, les mêmes durées d'examen des demandes d'asile, ce qui évite que les passeurs jouent d'une législation par rapport à une autre ; aujourd'hui, le système dysfonctionne, les seuls qui en profitent, ce sont les trafiquants.
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, mais le système dysfonctionne parce que l'Europe est divisée, il y a les pays de l'Est, du bloc de l'Est, qui sont en désaccord avec ce type de loi envisagée par l'Allemagne. Tout ça, ce ne sont que des mots, Nathalie LOISEAU…
NATHALIE LOISEAU
Non, c'est du travail aussi, qui est fait aussi pour sécuriser les frontières extérieures, mieux les contrôler. La Commission a proposé d'avoir 10.000 personnes qui viennent donner un coup de main aux pays qui sont en difficulté pour contrôler leurs frontières extérieures, ça va dans la bonne direction….
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça veut dire les aider à verrouiller davantage, ce sont des forces de police, c'est quoi ?
NATHALIE LOISEAU
Ce sont des forces de police, oui, c'est l'embryon d'une police des frontières et des côtes en Europe.
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais on a déjà Frontex…
NATHALIE LOISEAU
Oui, mais Frontex…
ELIZABETH MARTICHOUX
Ce n'est pas suffisant ?
NATHALIE LOISEAU
C'est 1.500 personnes aujourd'hui. 10.000, c'est une autre échelle, et c'est nécessaire pour les pays qui n'ont pas forcément, soit, l'expérience, soit, qui sont face à une arrivée massive de migrants, et ce que l'Italie a dit aussi, c'est qu'ils ont supporté le poids de ces contrôles, de l'accueil de ces migrants avec une solidarité européenne qui a été insuffisante…
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça veut dire quoi ? L'Italie a supporté le poids de ces contrôles, ça veut dire quoi ?
NATHALIE LOISEAU
Eh bien, ça veut dire que ça a coûté très cher à l'Italie, une Italie qui était en sortie de crise avec encore un taux de chômage très élevé. C'est tout ça qui a conduit à un vote de protestation italien, on a été trop lent pour réagir et pour donner les signaux qu'il fallait à l'Italie, ça, c'est clair.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et quand on entend Matteo SALVINI, le nouveau ministre de l'Intérieur italien, qui est aussi le chef de la Ligue, d'extrême droite, dire : les clandestins doivent faire leurs valises, la planque, c'est fini. Ça renvoie à ce que je vous disais tout à l'heure, 500.000 migrants dehors, est-ce que, ils vont le faire et comment peuvent-ils le faire ?
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, ça n'est pas réaliste, ce sont aussi des propos de quelqu'un qui sort d'une campagne électorale. Nous, nous respectons le résultat des urnes…
ELIZABETH MARTICHOUX
Ce sont des propos d'estrade.
NATHALIE LOISEAU
Ce sont des propos d'estrade, bien sûr, parce que, il y a aussi en ce moment une campagne pour des municipales à travers l'Italie, simplement…
ELIZABETH MARTICHOUX
Ils ne peuvent pas le faire, Nathalie LOISEAU, c'est ce que vous nous dites ?
NATHALIE LOISEAU
Eh bien écoutez, c'est extraordinairement compliqué, et puis, nous, ce que nous disons, nous respectons le vote des Italiens, mais nous souhaitons que chacun dans l'Union européenne respecte les valeurs que nous avons en commun, et donc travailler ensemble, faire en sorte de mieux aider les pays d'origine, là-dessus, on a commencé depuis l'année dernière, notamment avec l'ancien gouvernement italien, de stabiliser les pays de transit, tant qu'il n'y aura pas d'Etat en Libye, il n'y aura pas de Droits de L'Homme en Libye, et il y aura des cauchemars et des drames en Libye. Tout ça, on doit le faire ensemble, mais il n'y a pas de solution « cavalier seul » sur les migrants en Europe.
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est ce qu'a dit Emmanuel MACRON, aucun pays ne peut trouver de solution seule ni s'isoler. Nathalie LOISEAU, à propos de valeur, les migrants font du benchmarking en Europe, a dit Gérard COLLOMB la semaine dernière, vous aviez parlé, vous, de shopping de l'asile, vous aviez reconnu une maladresse de formulation, mais sur le fond, vous n'aviez rien renié, c'était la même idée en fait que vous avez développée, celle du ministre de l'Intérieur, enfin, oui, le ministre de l'Intérieur et vous ?
NATHALIE LOISEAU
Ce dont j'ai parlé, ce dont Gérard COLLOMB a parlé, c'est de ces différences qu'il y a au sein de l'Union européenne qui font – comme je le disais tout à l'heure – que les trafiquants en profitent, les trafiquants…
ELIZABETH MARTICHOUX
Les trafiquants, les migrants, les demandeurs d'asile aussi…
NATHALIE LOISEAU
Vous savez, les migrants sont dans des situations que personne n'envie, mais ceux qui font du bénéfice sur cette différence de systèmes d'accueil des migrants, ce sont les passeurs, on n'a pas du tout travaillé assez non plus dans la lutte contre les réseaux de passeurs en Europe, là-dessus, il faut qu'on soit beaucoup plus ferme…
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, si vous me permettez, vous refaites un peu l'histoire, ce sont bien les demandeurs d'asile qui, d'après ce que vous nous dites, le shopping de l'asile, déposent des requêtes dans plusieurs pays en fonction des qualités d'accueil, de protection sociale…
NATHALIE LOISEAU
Mais ils ne le font pas tous seuls. Les récits qui sont présentés devant l'OFPRA ou ailleurs, regardez en France, la première nationalité de demandeurs d'asile, ce sont des Albanais, c'est-à-dire des gens qui viennent d'un pays sûr, qui viennent en compagnie ou encadrés par des criminels qui souvent sont aussi des délinquants sur d'autres trafics que celui des migrants, on a retrouvé des documents, on a retrouvé des récits destinés à être présentés à l'OFPRA, tout ça, c'est organisé, ce sont des mafias, il faut qu'on soit beaucoup plus ferme vis-à-vis de ces mafias…
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc vous le rediriez de la même façon ?
NATHALIE LOISEAU
Non, parce que le terme est atroce.
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc le terme est atroce, vous le regrettez, mais la réalité…
NATHALIE LOISEAU
Absolument, je l'ai dit, mais la réalité, elle est là…
ELIZABETH MARTICHOUX
Et ça ne vous gêne pas que le Front national salue vos propos par exemple ?
NATHALIE LOISEAU
Bien sûr que ça me gêne parce qu'on n'a pas du tout les mêmes valeurs et on n'a pas du tout le même regard.
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, mais pourtant, ils disent que vous avez raison de le dire et ils vous applaudissent…
NATHALIE LOISEAU
Mais écoutez, l'opposition se sert toujours de ce qui l'arrange, et en particulier pour recréer des polémiques, je crois qu'on n'a pas le même état d'esprit, mais lutter contre les passeurs, ce gouvernement, comme l'ensemble de l'Union européenne, est déterminé à le faire.
ELIZABETH MARTICHOUX
A propos de détermination, la réduction de la PAC annoncée par Bruxelles vendredi passe mal. Baisse de 5 milliards d'aides directes environ, dit Bruxelles, qui prépare le budget des années à venir, ça veut dire qu'à partir de 2020-2021, les subventions vont chuter pour les agriculteurs français, Nathalie LOISEAU ?
NATHALIE LOISEAU
Pas du tout, c'est une proposition de la Commission, et c'est une proposition que nous n'acceptons pas, et nous l'avons dit dès le début, dès le 2 mai, quand il y a eu, si j'ose dire, le brouillon de budget pour 2021-2027 proposé par la Commission, le budget, il est adopté par le Conseil, c'est-à-dire par tous les Etats membres à l'unanimité, et voté par le Parlement européen. Le Parlement européen a déjà dit que ce qui était prévu pour la PAC n'était pas acceptable, nous-mêmes, nous avons dit la même chose. Donc ce projet ne passera pas.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il ne passera pas. On se souvient, Nathalie LOISEAU, par exemple, d'un Jacques CHIRAC, bon, c'était l'ancien monde, mais enfin, après tout, les agriculteurs s'en souviennent bien, qui s'imposait à Bruxelles, qui disait : pas touche à la PAC…
NATHALIE LOISEAU
C'est ce que nous avons dit…
ELIZABETH MARTICHOUX
Je veux dire, tout le monde avait compris. Est-ce que vous, vous ne l'avez pas dit… vous avez accepté à un moment l'idée de réformer la PAC…
NATHALIE LOISEAU
Pas du tout…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous avez dit… ah mais, si, à un moment, vous avez ouvert la porte…
NATHALIE LOISEAU
Eh bien, réformer la PAC…
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous ne le payez pas aujourd'hui ?
NATHALIE LOISEAU
Pas du tout. Réformer la PAC, ça veut dire la rendre plus efficace pour les agriculteurs, les agriculteurs eux-mêmes le demandent, et nous avons passé beaucoup de temps à les écouter et à voir quels étaient leurs besoins, mais ça ne veut pas dire sacrifier la PAC. Et là-dessus, dès le 2 mai, Stéphane TRAVERT et moi-même, on a été très clairs, très fermes, tout le monde sait où est notre position et nous sommes loin d'être isolés.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça va durer longtemps ces négociations de la PAC ?
NATHALIE LOISEAU
Vous savez, les négociations du budget européen, en général, pour 2021 à 2027, la Commission voudrait que tout soit bouclé avant les élections européennes, je pense que ça n'est pas possible…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous préféreriez que ça traîne jusqu'à la fin des élections européennes, c'est-à-dire…
NATHALIE LOISEAU
Personne n'a envie que ça traîne…
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, ça ne vous arrangerait pas que ça traîne un peu ?
NATHALIE LOISEAU
Pas du tout, mais, au contraire, mais je pense aussi qu'il faut que les électeurs, notamment les électeurs français, aient leur mot à dire sur les prochaines priorités du budget européen, c'est à ça que servent les élections européennes.
ELIZABETH MARTICHOUX
L'idée, ce serait d'arriver en position de force après les élections européennes pour avoir un moyen de pression…
NATHALIE LOISEAU
Mais nous sommes en position de force aujourd'hui, parce que…
ELIZABETH MARTICHOUX
Encore plus !
NATHALIE LOISEAU
Aujourd'hui comme demain, le budget doit être adopté à l'unanimité, et dans cette forme-là, nous ne l'adopterions pas.
ELIZABETH MARTICHOUX
Serez-vous candidate aux élections européennes, Nathalie LOISEAU ?
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, il ne faut jamais insulter l'avenir, mais aujourd'hui, je suis ministre des Affaires européennes, et pleinement…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous pourriez l'être ?
NATHALIE LOISEAU
Ce que j'aime, c'est les responsabilités, du coup, j'aime bien les fonctions qui m'ont été confiées à l'heure actuelle…
ELIZABETH MARTICHOUX
Et vous aimeriez bien vous frotter à une élection après tout ?
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, je ne me suis pas encore posé la question.
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais pourquoi pas ?
NATHALIE LOISEAU
Il ne faut jamais insulter l'avenir.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci Nathalie LOISEAU d'avoir été avec nous ce matin sur RTL.
YVES CALVI
Frontex, c'est 1.500 personnes. La Commission propose une force d'appoint de 10.000 policiers pour aider les pays européens à leurs frontières et sur le renvoi des 500.00 migrants annoncé par le gouvernement italien. Ce sont des propos d'estrade, vient de nous dire la ministre des Affaires européennes. Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 juin 2018