Texte intégral
LA JOURNALISTE
Patrick COHEN, vous recevez maintenant la ministre de l'Enseignement supérieur
PATRICK COHEN
De la Recherche et de l'innovation. Bonjour Frédérique VIDAL.
FREDERIQUE VIDAL
Bonjour.
PATRICK COHEN
Ministre confrontée à l'un des plus importants mouvements de contestation à l'université depuis plus de dix ans. On va parler des blocages, mais aussi de cette réforme qui inquiète beaucoup de familles. Combien d'élèves vont-ils se retrouver en attente d'affectation dans moins d'un mois, le 22 mai ? On va aussi parler des moyens, des places qui manquent, pour une démographie qui augmente, et puis aussi de la recherche, vous êtes aussi ministre de la Recherche. D'abord, les examens reportés ici ou là, on l'a entendu dans le 8h, à cause des blocages. Tous les examens auront-ils lieu d'ici aux vacances d'été ?
FREDERIQUE VIDAL
Oui, tous les examens auront lieu, et nous sommes en lien avec l'ensemble des présidents d'université, de manière à faire en sorte qu'ils soient organisés de la manière la plus sereine possible, parfois, ils sont étalés dans le temps, et effectivement, c'est le cas à Rennes, et ça a été évoqué ce matin, parfois, ils sont en train de se terminer, ça dépend en fait des zones de vacances universitaires.
PATRICK COHEN
Parfois, ça se passe dans d'autres locaux, parfois, ça se passe avec la surveillance de la police.
FREDERIQUE VIDAL
Oui, mais ça se passe, et ça se passe bien
PATRICK COHEN
Ou à domicile, comme à Montpellier ou Nanterre ?
FREDERIQUE VIDAL
Oui, il y a aussi la possibilité d'avoir des modules qui sont validés sur la base de mémoires ou de projets.
PATRICK COHEN
Le site de Censier, Paris 3, a donc été évacué au petit matin. Vous êtes déterminé à expulser les bloqueurs partout où ils sont ou partout où ils sont minoritaires, Frédérique VIDAL ?
FREDERIQUE VIDAL
Sur le site de Censier, c'était particulier, le président a signalé tout d'abord une détérioration du système électrique jeudi. Et puis, vendredi, il y a eu des affrontements entre les étudiants ou les personnes présentes sur le site de Censier avec une personne qui a été hospitalisée. Donc là, le président a estimé que, il n'était plus en mesure d'assurer la sécurité des personnes, y compris d'ailleurs des personnes qui empêchaient le fonctionnement de l'université. Je pense qu'il faut vraiment bien comprendre que lorsque les présidents sont en situation de faire appel aux forces de l'ordre, cest qu'ils ne maîtrisent plus ce qui se passe au sein des établissements, et c'est vraiment, à ce moment-là, normal que les forces de l'ordre reviennent assurer la sécurité.
PATRICK COHEN
Donc ça pourra arriver demain aussi dans les trois universités encore complètement bloquées, à Rennes par exemple, dont on a entendu un reportage ?
FREDERIQUE VIDAL
En fait, nous sommes en liaison constante avec les présidents d'université, et c'est eux qui voient très bien lorsque l'on bascule de revendications ayant trait aux questions universitaires, à de la violence ou à des slogans qui n'ont plus rien à voir.
PATRICK COHEN
Parcoursup, Frédérique VIDAL, que va-t-il se passer le 22 mai quand les premières réponses vont tomber ? 810.000 jeunes se sont inscrits, ils ont formulé 6.300.000 voeux, et on sait maintenant que 68 % de ces voeux concernent des filières sélectives, celles dont les capacités d'accès sont limitées, il va donc y avoir beaucoup de déçus.
FREDERIQUE VIDAL
Alors, non, parce que le système a été pensé pour que les lycéens aient les choix au fur et à mesure, on n'est plus du tout dans un système quantitatif comme l'année dernière, on est dans un système qui est beaucoup plus qualitatif où les réponses arrivent au fur et à mesure, chaque fois qu'un lycéen a deux oui, il choisit lequel des deux il préfère, et puis, nous avons mis en place pour les lycéens qui n'auraient demandé que des filières sélectives, eh bien, une commission sous le pilotage des recteurs, qui va prendre contact avec les jeunes qui n'auraient fait que des demandes de filières sélectives et qui auraient des difficultés, et ça, dès le 22 mai, au lieu d'attendre le mois de septembre comme l'an dernier.
PATRICK COHEN
Les filières sélectives, on va le rappeler, ce sont les STAPS, les métiers du sport, les études de santé, les classes prépas aux grandes écoles
FREDERIQUE VIDAL
Non, les STAPS, ce n'est pas sélectif
PATRICK COHEN
Eh bien, si, les places sont limitées dans l'accès aux STAPS
FREDERIQUE VIDAL
Non, non, les STAPS ne sont pas des filières sélectives, ce sont des licences générales dans lesquelles on a rajouté justement plusieurs milliers de places, de manière à ce que, on puisse accueillir au maximum les jeunes qui veulent y aller, les filières sélectives, ce sont les classes préparatoires, les DUT, les BTS, les classes préparatoires aux écoles d'ingénieurs intégrées, voilà, tout, sauf les licences générales, globalement
PATRICK COHEN
Très bien, mais il y aura sûrement, très sûrement, des dizaines de milliers d'élèves qui le 22 mai vont avoir une réponse en attente, c'est-à-dire refusés, sauf si une place se libère.
FREDERIQUE VIDAL
Alors non, une fois de plus, il faut bien comprendre que ça, c'était la terminologie d'APB l'année dernière. Là, l'idée, c'est que tous les jours, des places se libèrent, et que tous les jours, des places arrivent. Donc en attente, ça veut simplement dire que les places vont se libérer, et c'est au fil de l'eau, ce ne sera pas une fois par mois comme c'était le cas précédemment, mais l'année dernière, avec le système APB, on avait aussi lors du premier tour d'APB énormément de lycéens qui étaient en attente et qui avaient à attendre un mois avant de savoir ce qui allait se passer.
PATRICK COHEN
Là, ce sera plus rapide ?
FREDERIQUE VIDAL
Là, en fait, tous les jours, au fur à mesure que les lycéens font leurs choix, ils libèrent
PATRICK COHEN
Oui, qui s'inquiètent Sur la base de ces voeux, est-ce que vous allez ouvrir, mettre des moyens supplémentaires et ouvrir des places supplémentaires à l'université ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, il y a déjà 19.000 places supplémentaires qui ont été financées dans les établissements avec l'ouverture de postes d'enseignants-chercheurs, l'ouverture de postes d'enseignants, le financement d'heures complémentaires, et nous l'avons rappelé la semaine dernière avec le Premier ministre, bien sûr, nous ouvrirons autant de places que nécessaire, c'est vraiment essentiel de bien comprendre que l'objectif de cette réforme, c'est de mieux accueillir tous les bacheliers dans l'Enseignement supérieur et de les y faire réussir, en aucun cas, ça n'est de les empêcher d'accéder à l'Enseignement supérieur
PATRICK COHEN
Est-ce qu'il y aura un rattrapage, il y a 30.000 étudiants supplémentaires chaque année, 230.000 depuis 2012, et les moyens n'ont pas suivi, tout le monde le dit, tous les acteurs de l'université le disent : il y a besoin d'un rattrapage de plusieurs milliards, est-ce que ce rattrapage pourrait avoir lieu, Frédérique VIDAL ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, je vous remercie de rappeler que, effectivement, depuis 2012, on voit le nombre d'étudiants augmenter dans les établissements, sans que rien ne soit fait, pour la première fois, sur le budget 2018, il y a eu 234 millions d'euros supplémentaires, ça, c'est vraiment pour accompagner la démographie, et il y a un milliard d'euros supplémentaires qui seront mis sur la durée du quinquennat pour mieux accueillir les étudiants et les aider à réussir, et là, encore, nous avons réaffirmé la semaine dernière avec le Premier ministre que nous ne commettrions pas la même erreur que les précédents gouvernements, puisque, évidemment que pour accueillir plus de jeunes dans l'Enseignement supérieur, il faut plus de moyens.
PATRICK COHEN
Un milliard sur la durée du quinquennat, FRANCE STRATEGIE dit qu'il en faudrait cinq ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors FRANCE STRATEGIE dit qu'il faudrait cinq milliards pour l'ensemble des activités de l'Enseignement supérieur. Là, nous mettons un milliard spécifiquement sur la première année, parce que pour nous, c'est au niveau de cette première année qu'on observe le plus d'abandons, le plus d'échecs, le plus de mises en insécurité des jeunes qui, du coup, estiment qu'ils ne sont pas faits pour faire des études, alors qu'en fait, il suffit parfois de les accompagner pour qu'ils trouvent leur place.
PATRICK COHEN
Je vais encore vous parler de moyens à propos de la Recherche, donc c'est votre autre compétence, Frédérique VIDAL, c'est vrai que VILLANI a remis fin mars un rapport pour que la France rattrape son retard en intelligence artificielle, il faut pour cela réformer, selon lui, la recherche publique, la rendre plus attractive et doubler les salaires en début de carrière, vous allez le suivre ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, évidemment, j'ai beaucoup aimé cette formule de Cédric VILLANI, doublons donc les salaires, et il y a un vrai sujet sur l'attractivité de la carrière des chercheurs en France, et il faut regarder ça sous deux angles, d'abord, la carrière des chercheurs en France reste très attractive, puisque sur tous les concours, il y a 30 % de recrutements de chercheurs internationaux sur des positions de chercheurs en France
PATRICK COHEN
Attractive par rapport à quoi ?
FREDERIQUE VIDAL
Donc ça signifie nous attirons des jeunes chercheurs internationaux de talent sur les emplois de chercheurs en France. Et ça, je pense qu'il ne faut jamais l'oublier, parce que ça signifie que, il y a un véritable tissu de la recherche extrêmement dynamique en France, maintenant, oui, effectivement, il faut faire en sorte que, notamment la progression de la carrière reconnaisse plus l'investissement qui a été fait par tous les gens qui s'engagent dans les métiers de la recherche.
PATRICK COHEN
Cédric VILLANI pointe les écarts de salaires avec les GAFA, enfin, les GAFAM, c'est-à-dire les emplois privés offerts par les grandes firmes, notamment américaines, et il ne dit pas que c'est souhaitable, il dit que c'est indispensable ce doublement minimum du salaire des chercheurs en début de carrière, aujourd'hui, le salaire d'un chercheur en début de carrière on peut le rappeler c'est combien ?
FRÉDÉRIQUE VIDAL
1.600.
PATRICK COHEN
1.600 nets, 2.000 bruts, c'est ça ?
FRÉDÉRIQUE VIDAL
Oui, c'est ça, eh bien, oui
PATRICK COHEN
Et donc, ça ne bougera pas ?
FREDERIQUE VIDAL
Non, ce n'est pas ce que je veux dire, ce que je veux dire, c'est que Cédric a absolument raison de pointer cette difficulté qu'on a spécifiquement, en plus, dans ces domaines d'intelligence artificielle, et plus généralement, Big Data, ceci dit, par rapport aux salaires des GAFAM, aucune université dans le monde n'est capable de s'aligner, même les plus grandes universités américaines. Ça veut dire qu'il faut être ingénieux et faire en sorte que les chercheurs aient envie de rester à faire de la recherche dans un milieu académique, et c'est ça qu'il faut travailler, et, bien sûr, ça passe éventuellement aussi par le salaire, mais pas seulement, parce que, si on se focalise sur le salaire, on n'arrivera pas à offrir des salaires équivalents aux GAFAM.
PATRICK COHEN
Emmanuel MACRON, pendant sa campagne, avait fixé un objectif de 3 % du PIB consacrés à la recherche
FREDERIQUE VIDAL
Oui, c'est effectivement l'objectif de ce gouvernement
PATRICK COHEN
On est à 2,25
FREDERIQUE VIDAL
Absolument, on est à 2,25 pour le moment. Il faut augmenter à la fois la part de l'investissement public, mais aussi la part de l'investissement privé pour effectivement atteindre cet objectif.
PATRICK COHEN
L'Allemagne est au-delà de 3 déjà
FREDERIQUE VIDAL
L'Allemagne a atteint les 3 % et vise les 3,5.
PATRICK COHEN
Bon, combien de créations de postes cette année dans la Recherche ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, c'est difficile de le savoir, puisque, on a ce qu'on appelle les plafonds d'emplois qui n'ont pas bougé, mais à l'intérieur de ces plafonds d'emplois, il y a, je pense, quelque chose comme 300 emplois de chercheurs au CNRS, 300 emplois de BIATSS, et puis, ensuite, ça se décline par organisme, il y a 25 organismes, 73 universités
PATRICK COHEN
D'accord. J'ai lu quelque part que c'était zéro, ce n'est pas zéro ?
FREDERIQUE VIDAL
Non, ce n'est pas zéro, là encore, il faut faire attention à ce qu'on fait dire aux chiffres, ce qui ne bouge pas, c'est le plafond d'emplois autorisés, or, l'ensemble des organismes et des universités sont largement en dessous des plafonds d'emplois.
PATRICK COHEN
Question d'Hélène JOUAN, la chef du service politique d'Europe 1.
HELENE JOUAN
Frédérique VIDAL, presque un an que vous êtes ministre de l'Enseignement supérieur, selon un sondage ODOXA, paru la semaine dernière, vous restez inconnue pour 63 % des Français. Mais vous, quel bilan personnel tirez-vous de cette première année, qu'avez-vous appris du monde politique dans lequel vous avez plongé, vous, l'ex-spécialiste de génétique moléculaire ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, d'abord, j'ai passé cette année à travailler et à porter une réforme qui, quelque part, a été imposée par le calendrier, quand je suis arrivée l'année dernière, nous étions en plein milieu du scandale d'admission post-bac, avec plus de 65.000 étudiants tirés au sort
HELENE JOUAN
Alors ça, c'était l'urgence, vous avez répondu à l'urgence
FREDERIQUE VIDAL
Il a évidemment fallu, mais pas seulement répondre à l'urgence, mais construire un système, co-construire un système qui fasse que les acteurs de ce système soient prêts eux-mêmes à le déployer. Et donc, c'est ce que nous avons fait. Ensuite, évidemment
HELENE JOUAN
Mais est-ce que vous avez trouvé ça dur de changer de milieu, de vous retrouver dans ce monde politique que vous ne connaissiez pas ?
FREDERIQUE VIDAL
Je ne me suis jamais demandé si c'était dur ou si ce n'était pas dur, je me suis fixée des objectifs, ils ont été validés par le Premier ministre et par le président. Et maintenant, je m'attèle à faire en sorte que les choses changent et s'améliorent dans l'Enseignement supérieur et la recherche, on a déjà fait beaucoup de choses
HELENE JOUAN
Donc vous êtes une ministre inconnue, mais heureuse !
FREDERIQUE VIDAL
Eh bien, je suis peut-être inconnue, mais en tout cas, moi, j'ai le sentiment de travailler pour la cause de l'Enseignement supérieur et de la recherche et de l'innovation, et c'est vraiment tout ce qui est important pour moi.
PATRICK COHEN
Merci Frédérique VIDAL d'être venue ce matin en direct au micro d'Europe
source : Service d'information du Gouvernement, le 3 mai 2018