Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, avec Radio France, "Al Jazira" et "NHK" le 28 janvier 2002, sur la position européenne concernant le processus de paix au Proche-Orient et sur l’Italie et l’Union européenne.

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Circonstance : Première réunion du Conseil Affaires Générales (CAG) de la présidence espagnole les 28 et 29 janvier 2002 à Bruxelles

Média : Al Jazeera - Emission Face à Radio France - NHK - Presse étrangère - Radio France - Télévision

Texte intégral

(Interview à Radio France à Bruxelles, le 28 janvier 2002)
Q - Y aurait-il ou non des Taleban français à Guantanamo ?
R - Nous avons envoyé il y a quelques jours à Washington puis à Guantanamo, où elle est maintenant, une mission pour y voir clair, pour savoir si ces Taleban qui se disent ou que l'on dit Français sont Français, pour voir les papiers qu'ils ont, pour voir les passeports. Tout cela n'est pas tout à fait net. Dès qu'on aura des indications claires, on les donnera.
Q - S'il y a des Français à Guantanamo, qu'est-ce que vous diriez au sujet de leurs conditions de détention ?
R - Je redirai ce que nous avons déjà dit le 15 janvier au Américains. Nous demandons que tous les prisonniers, quel que soit leur statut juridique ou leur nationalité, bénéficient des garanties retenues par le droit international, notamment en ce qui concerne les conditions de leur détention. C'est un peu la démarche qui a été effectuée par les Britanniques.
Q - Sur un tout autre sujet, Arafat coincé dans son palais présidentiel. Qu'est-ce que le débat, aujourd'hui, a donné entre les quinze ministres des Affaires étrangères ?
R - Il a donné une déclaration dans laquelle les Quinze réaffirment ce qu'ils ont déjà dit à Laeken : pour éradiquer le terrorisme comme pour construire la paix, je cite notre texte, "Israël a besoin de l'Autorité palestinienne et de son président élu, Yasser Arafat, comme partenaire de négociation. Et, par conséquent, leur capacité à combattre le terrorisme ne doit pas être affaiblie". Egalement dans le texte, nous rappelons les efforts que nous demandons à l'Autorité palestinienne dans la lutte contre le terrorisme, tout ce que nous demandons au gouvernement Sharon pour avoir une politique différente. Mais sur ce point particulier, le dialogue avec l'Autorité palestinienne, nous sommes clairs.
Q - Vous êtes à des années lumière de la position des Américains ?
R - C'est vrai que ce n'est pas la même position mais les Quinze aujourd'hui se sont mis d'accord aisément. Il y a un consensus fort au sein des Quinze, comme quoi c'est une question terrible qui appelle une solution politique. Cette solution politique, c'est un Etat palestinien viable, pacifique, démocratique, qui renforcera la sécurité des Israéliens, qui est pour nous essentielle. Pour y arriver, il faudra reprendre le fil de la négociation. On l'a dit sur tous les tons. Malheureusement, les choses évoluent exactement en sens inverse. La tragédie ne cesse de s'aggraver et de terrorisme en répression, elle ne peut que s'aggraver. C'est une voie erronée. Il faudra évidemment en sortir un jour ou l'autre et nous sommes obligés de répéter toujours la même chose. Malheureusement, il n'y a pas de changement dans la situation.
Q - L'armée israélienne a détruit pour près de 20 millions d'euros d'investissements européens chez les Palestiniens. Avez-vous l'intention de présenter la facture aux Israéliens ?
R - Là aussi, à quinze, nous nous sommes mis d'accord facilement, notamment à partir d'un rapport de la Commission qui a évalué ces dégâts. Nous étions tout à fait préoccupés par ces destructions systématiques et nous avons déclaré, je cite à nouveau : "l'Union européenne invite le gouvernement d'Israël à mettre un terme à cette pratique et se réserve le droit de demander réparation dans le cadre des instances appropriées".
Q - Pour finir, on va parler de Berlusconi. M. Berlusconi est venu à Bruxelles avec sa nouvelle casquette. A-t-il obtenu gain de cause, surtout en ce qui concerne la Convention ?
R - Il est venu à Bruxelles, il a participé à tous les travaux de la séance plénière et du déjeuner. Il est beaucoup intervenu sur le Proche-Orient. En ce qui concerne la question du financement de la Convention, elle n'a pas fait l'objet d'une discussion puisque l'accord avait été obtenu avant. Et en ce qui concerne la représentation de l'Italie et de la Belgique, tout le monde a reconnu qu'en effet les conclusions de Laeken aboutissent au fait que la France en plus du président Giscard d'Estaing, l'Italie en plus de M. Amato, la Belgique en plus de M. Dehaene, ont droit chacune à un représentant.
Q - Personne n'a exprimé de réserve quant à la personnalité de M. Fini qui se décrit lui-même comme post-fasciste ?
R - La discussion n'a pas porté sur la personnalité de tel ou tel représentant de tel ou tel pays, mais sur le fait de savoir si ces pays avaient un ou deux représentants. Et après, c'est le pays concerné qui choisit son représentant.
Q - Vous n'avez pas de réserves vous-même ?
R - Cette question n'a pas été discutée. Ce n'est pas le problème aujourd'hui. C'était la question de principe de un ou deux représentants et personne n'a commenté les nominations des uns par les autres.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 janvier 2002)
(Interview à la télévision "Al Jazira" à Bruxelles, le 28 janvier 2002)
Q - Sur la situation au Proche-Orient. Si vous voulez commenter, comme beaucoup de vos collègues aujourd'hui ont commenté la position américaine, ils l'ont qualifiée avec des phrases très dures.
R - Je crois que le meilleur commentaire que l'on puisse faire, c'est de vous indiquer quelle est la position des Européens aujourd'hui. Aujourd'hui, nous nous sommes mis d'accord facilement, rapidement et sans discussion difficile entre nous, pour dire que pour éradiquer le terrorisme comme pour construire la paix, Israël a besoin de l'Autorité palestinienne et de son président élu, Yasser Arafat, comme partenaire de négociation. Nous ajoutons dans ce texte, que nous venons d'adopter, que leur capacité à combattre le terrorisme ne doit pas être affaiblie. A part cela, nous avons rappelé les exigences que nous avions exprimées à Laeken, aussi bien par rapport aux autorités palestiniennes dans le combat contre le terrorisme, qu'au gouvernement Sharon pour mener une politique qui devrait être tout à fait différente de celle qui est menée aujourd'hui. Voilà la position des Quinze aujourd'hui.
Q - Dans les communiqués du Conseil européen, on a presque effacé toute différence entre résistance légale et terrorisme. Même les actes de résistance dans les territoires occupés contre les soldats, pas les civils, sont considérés comme des actes terroristes.
R - Ce n'est pas le problème dont nous avons à débattre. Nous ne sommes pas un organisme juridique ou un organisme qui doit trancher des problèmes de langage. Nous avons à nous prononcer politiquement sur le fait de savoir comment traiter la question du Proche-Orient et les Quinze, aujourd'hui, viennent de redire avec force qu'il faut une solution politique. J'ajoute que tout le monde sait à quoi doit conduire la solution politique. C'est à un Etat palestinien viable, démocratique, pacifique, qui sera la meilleure garantie de sécurité pour les Israéliens et qui en plus sera une réponse équitable à ce que demandent les Palestiniens. La position européenne est claire.
Q - Est-ce qu'il y a encore de l'espoir ?
R - On ne peut pas désespérer. On ne peut pas accepter de désespérer. Même quand la situation est épouvantable comme aujourd'hui, même quand elle s'aggrave chaque jour, même si on a le sentiment que ce sont des erreurs et des erreurs sans fin, et des erreurs stratégiques dans la façon de traiter le problème, on ne peut pas se décourager. Ce n'est pas possible, car ces peuples souffrent trop. Nous continuerons donc nos efforts.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 janvier 2002)
(Interview à la télévision japonaise NHK à Bruxelles, le 28 janvier 2002)
Q - Est-ce que la présence de M. Berlusconi a modifié le climat de travail du Conseil ?
R - Je ne peux pas dire que cela ait modifié l'atmosphère. Il y a eu évidemment une curiosité autour de sa présence, mais surtout parce que c'était la première fois qu'un président du Conseil était ministre des Affaires étrangères en même temps. Ce qui s'est observé à d'autres époques dans d'autres pays, mais cela n'était jamais arrivé dans les années récentes. C'était intéressant de voir comment se comportait un président du Conseil qui, d'habitude, est au Conseil européen avec les chefs d'Etat et de gouvernement. Chacun a eu l'impression que M. Berlusconi voulait aujourd'hui se comporter en ministre des Affaires étrangères, en dialoguant avec les autres participants, comme s'il était un ministre parmi d'autres.
Q - Est-ce que ses partenaires européens ont soulevé la question de son intérim au poste de ministre des Affaires étrangères ou de la durée du mandat ou la durée de sa fonction en tant que ministre ? Est-ce que la question a été soulevée ou pas ?
R - Non. D'ailleurs c'est une question qu'on ne pose à personne.
Q - Et cela ne pose pas un problème pour les partenaires européens ?
R - Non. C'est une structure gouvernementale. C'est aux Italiens de trancher ce problème. Dans ces réunions européennes, nous ne sommes pas là pour commenter la façon dont les autres s'organisent chez eux. Nous sommes là pour travailler ensemble.
Q - Pensez-vous que cela va occasionner un changement de politique italienne dans l'Union européenne ?
R - C'est une interrogation qui est présente dans une partie de l'opinion européenne mais, pour le moment, on ne sait pas. Aujourd'hui, sur les sujets à propos desquels M. Berlusconi s'est exprimé, les Balkans, le Proche-Orient pour prendre des exemples, il n'y a pas eu de différence entre ce qu'il a dit et ce qui était connu comme étant les positions de la diplomatie italienne.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 janvier 2002)