Point de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur le bilan de la réunion du Groupe des Huit, notamment l'accord militaire sur le retrait des troupes serbes du Kosovo, la préparation de l'installation de la Kfor, l'éventuelle participation des Russes à la force de sécurisation du Kosovo, la prochaine désignation du représentant de l'Union européenne chargé de l'administration civile du Kosovo, Cologne le 10 juin 1999.

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Circonstance : Adoption par le Groupe des Huit à Cologne (Allemagne), le 8 juin 1999, d'un projet de résolution soumis au Conseil de sécurité de l'ONU pour un plan de paix au Kosovo

Texte intégral

C'était une très bonne chose qu'il y ait une réunion du G8 cette semaine, qui avait théoriquement à l'ordre du jour, d'ailleurs fort intéressant, les différends. C'est bien tombé parce que dans ce moment décisif de la sortie de la guerre du Kosovo, il fallait absolument qu'il y ait une coordination encore plus forte que d'habitude, une sorte de présence physique dans la même pièce de tous les instants.
Il y a eu cette réunion spéciale des ministres du G8 lundi, qui a continué mardi, mercredi et jeudi. On aura passé quatre jours presque non-stop ensemble mais c'était indispensable, parce qu'il a fallu dans cette phase aboutir, à mettre parfaitement en oeuvre cette idée de synchronisation que j'avais relancée lundi après-midi mais qui sortait après nombre de difficultés pour savoir par quoi on commençait. En travaillant ensemble, on a pu régler à plusieurs reprises, à chaud, en urgence, en quelques minutes, les problèmes qui sinon auraient pu durer des jours. Dans nos travaux, encore hier, on a fait des suspensions de séances pour que chacun de nous appelle soit son représentant à l'OTAN, soit son représentant à l'ONU, soit le négociateur de Kumanovo. On était en salle de crise.
Q - (inaudible).
R - Ce qu'il faut comprendre c'est que depuis des semaines, on savait très bien qu'au bout du compte qu'on arriverait à la solution. Vous vous rappelez que la France a les premiers jours préconisé une résolution du Conseil de sécurité. Vous vous rappelez qu'à un moment donné, - même quand on s'est mis d'accord sur les principes généraux de l'administration civile, même quand on a réglé les problèmes de la force, sa composition, son commandement, son action sur le terrain - on butait sur la séquence. On le savait depuis longtemps. On ne pouvait pas le résoudre avant, puisque certains avaient dit depuis longtemps qu'ils ne voteraient et ne discuteraient pas s'il n'y avait pas suspension. On ne pouvait pas suspendre s'il n'y avait pas retrait. Il ne pouvait pas y avoir de retrait si ce n'était pas ordonné par la résolution etc. C'était le cercle vicieux qu'il fallait rompre.
On est arrivé sur ce problème prévisible. Il valait mieux qu'on arrive sur ce problème à un moment où les ministres des Huit se rencontraient. C'est en fait la même fonction, exactement le même rôle que le Groupe de contact. Il valait mieux que cela arrive à un moment où on était disponible, ensemble et collectivement opérationnel. Alors après ce qui s'est passé, c'est que la négociation militaire de retrait a commencé mais elle a buté à la fois sur des problèmes techniques de retrait, qui ont été résolus après, et sur le refus de la partie serbe de souscrire à des principes généraux que ses militaires n'avaient pas acceptés. Cela était la question de lundi : par quel ordre prendre les choses. On a réussi à reprendre le fil de cela, à réordonner cette séquence, qui aura été au bout du compte une séquence très courte, de moins de 24 heures, pour l'ensemble de ces éléments.
Q - Presqu'une question de curiosité, c'est peut-être un détail, mais qu'est-ce qui a débloqué la négociation militaire ?
R - Pour moi, ce qui bloquait et ce qui a été débloqué, c'est la question de la chronologie dont je vous parlais. L'accord militaire pouvait être totalement conclu à condition qu'il ne se substitue pas à ce qui devait être tranché par la résolution. Il y avait deux aspects dans les détails, la discussion sur le temps du retrait, les voies de sortie, les kilomètres de recul, des négociations de retrait normales, et le fait de savoir si cet accord militaire et technique de retrait à ce niveau-là, devait comporter des dispositions générales sur le statut de la future force et sur le rôle de l'OTAN dans la future force. C'était deux étapes disjointes. Il y avait les problèmes qui pouvaient être traités par les militaires de l'OTAN et Yougoslaves et il y avait une autre question qui ne pouvait être traitée qu'en réordonnant la séquence comme je l'ai dit tout à l'heure. Il nous fallait donc le vote de la résolution. C'est notre doctrine constante, à nous Français. On étaient les premiers à le dire dès le début et les Américains l'avaient finalement admis au bout de quelques jours. C'était à peu près dix jours, quelques jours, avant le Sommet de Washington mais ils l'avaient admis comme étant une option, alors que nous, nous l'avons toujours présenté comme étant une nécessité. Il est apparu à la fin qu'il y avait nécessité. Il fallait la résolution et pour la résolution, je le répète, il fallait la suspension ; pour la suspension, il fallait le retrait constaté et pour le retrait constaté, il fallait que l'accord soit passé. C'est parce qu'on a finalement trouvé la séquence que les choses ont pu se faire et sont en train de se faire maintenant comme il faut.
Q - C'est quoi les risques ?
R - Forcément des risques d'incidents en ce qui concerne la mise en oeuvre concrète du retrait. Il y a des risques d'incidents après, en rapport avec ce qui se passe immédiatement après. C'est pour cela que les tout derniers jours ont été occupés du côté de l'OTAN et du côté des Russes à parachever les préparatifs pour la KFOR. Le risque serait le vide de sécurité. C'est ce qui se passerait dans un Kosovo, évacué par les forces yougoslaves, et où la KFOR ne serait pas en mesure de venir tout de suite remplir son objet. Nos efforts et ceux des militaires ont porté ces derniers jours là dessus en priorité. Alors après, il ne s'agit pas de risques, il s'agit de problèmes et de responsabilités que nous avons. Là on change complètement de politique, la mise en oeuvre du plan, la mise en oeuvre de la solution. Nous passons à un autre rôle qui est celui de bâtisseur de la paix.
Q - Où en est-on précisément ?
R - On en est au moment où les frappes ont été suspendues. M. Solana a annoncé la suspension, le Conseil de sécurité va se réunir, je crois dans une demi-heure, donc le vote est imminent et l'entrée de la KFOR, je pense, c'est demain matin, tôt demain matin. On aura le retrait échelonné sur 11 jours. On a réussi à bâtir cette fameuse séquence synchronisée. On n'a pas pu aller jusqu'à la simultanéité parce qu'il y avait quand même des implications d'enchaînements. On a réussi à bâtir une séquence sur à peu près 24 heures.
Q - Joschka Fischer disait hier soir que finalement la paix était plus dangereuse que la guerre.
R - Ce que je comprends de cette formule, c'est qu'il ne faut pas relâcher l'effort et qu'il ne faut pas considérer que le problème est réglé. Nous avons une ambition qui est très grande, un Kosovo libre, pacifique où les différentes communautés cohabitent en paix, une Yougoslavie que l'on voudrait voir elle-même démocratique et pacifique et des Balkans qu'on voudrait voir globalement en sécurité, démocratiques et en train de se développer sur le plan économique. Ce sont des programmes qui doivent s'emboîter les uns dans les autres de façon logique, ce sont d'immenses chantiers.
C'est donc très important de dire au moment où nous sommes en train d'atteindre notre objectif, dans des conditions qui montrent que nous avons eu raison depuis l'origine de nous engager comme on l'a fait, - politiquement, diplomatiquement, militairement et puis à nouveau diplomatiquement - d'éviter un relâchement de l'énergie qui serait immédiatement dangereux. Il faut absolument éviter aussi une forte baisse dans cette coordination.
Ce qui a été très frappant sur le plan technique, de la politique étrangère, des relations internationales, c'est cette extraordinaire coordination qui nous a permis de traiter sans arrêt les éventuelles divergences à la source, de faire en sorte qu'elles ne se développent pas et que l'unité d'action et l'objectif soient constamment rétablis, réaffirmés, mis en oeuvre.
Cela a fonctionné depuis le début. Je ne parle pas des frappes, je parle de l'engagement diplomatique à l'origine entre les Européens, entre les Européens et les Américains, avec les Russes. Il y a eu un moment où à cause des frappes, - cela c'est interrompu, c'était évidemment dans un posture de distanciation et de protestation -, mais le travail n'a jamais été complètement coupé. Cela, c'est notre force. On n'aurait jamais atteint notre objectif si on n'avait pas pu faire cela, s'il n'y avait pas eu le Groupe de contact avant, si on avait pas, sous la forme du G8, en quelque sorte ressuscité le Groupe de contact, si on avait pas pu convaincre les Etats-Unis d'aller vers la résolution du Conseil de Sécurité, si on n'avait pas pu convaincre les Russes qu'il fallait qu'ils acceptent la référence à l'article VII et une force organisée essentiellement autour de l'OTAN. Il y a eu des compromis à faire, et ce travail et cette coordination, est une des clefs du résultat.
Alors, oui, les dirigeants allemands disent : "attention il y a encore un an de travail devant nous" et je le dis aussi. Ce travail de bâtisseur de la paix dont je parlais tout à l'heure, n'est pas une promenade de santé, c'est une page très lourde, très difficile, et là non plus, nous n'avons pas le droit de nous arrêter en route.
Q - Du côté civil, qui sera le représentant ?
R - C'est à Kofi Annan de le désigner. Nous sommes dans un processus de consultations. Je ne peux pas vous dire plus parce que c'est en cours.
Q - ...un Européen ?
R - Oui. On préférerait. On préférerait de beaucoup un ressortissant de l'Union européenne mais nous devons perfectionner le système dans nos travaux sur la résolution. Il a été mis en place un comité directeur autour du représentant du Secrétaire général, un comité directeur, qui aurait des compétences globales. Il y aura le représentant de l'Union européenne, le représentant de l'OSCE, le représentant des pays du G8. Nous devons atteindre notre objectif que la politique civile au Kosovo soit unifiée et que le représentant de l'Union européenne soit placé dans une situation où il puisse intervenir sur différents plans et pas uniquement en tant que distributeur de subventions. Vous savez que c'est une de nos obsessions que l'Union européenne ne soit pas considérée que comme un guichet. C'est vraiment quelque chose que l'on veut justement dépasser.
Q - Mais l'effort doit tout de même être supporté par les Européens.
R - L'effort sera supporté par tous ceux qui voudront y participer. J'espère qu'il n'y a pas seulement les Européens qui vont avoir à coeur de participer à la suite. Nous, Européens, nous sommes prêts à faire un effort, mais en terme de rôle nous ne voulons pas que l'Union européenne, à travers son représentant dans ce comité directeur ou la personnalité qui doit être nommée par Kofi Annan, soit considérée comme celle qui donne des chèques pour la reconstruction. C'est beaucoup plus global ce dans quoi on s'est engagé.
Q - Il va y avoir quelqu'un qui va chapeauter. En fait, on va avoir cinq personnes, un chef et un représentant de l'OSCE ?
R - Il faut d'abord rappeler qu'il y a l'administration civile et il y a la force. Déjà on va établir entre eux, - si on tire toutes les leçons du passé, notamment de l'affaire de la Bosnie -, des relations étroites, la meilleure possible, pour qu'il y ait une seule et même politique dans le Kosovo de demain sous notre contrôle. Après, du côté civil, il faut pouvoir faire travailler ensemble les différents pays ou organisations. Il faut avoir une vision globale. Il s'agit de faire travailler ensemble tous ceux qui peuvent mettre en oeuvre le volet civil.
Q - Et comment la partie civile et la partie militaire vont-elles travailler ensemble ?
R - Cela sera à ce représentant du Secrétaire général et au général commandant la Force d'en décider. On ne va pas le leur dicter à leur place. On ne leur dit pas combien de fois par jour il faut qu'ils se voient. On leur dit qu'ils doivent travailler ensemble.
Q - Tout le monde sera à Pristina, le civil aussi sera à Pristina ?
R - Certainement, oui. Où voulez-vous qu'il soit ? Vous voulez dire, est-ce qu'il sera sur place ? Oui, il faut qu'il soit sur place.
Q - Le budget, a-t-on évoqué des chiffres ?
R - Non, je n'ai aucun chiffre.
Q - Un ordre de grandeur ?
R - Non, mais ce que vous citez comme chiffre, ce sont des évaluations de destruction, mais c'est fait à la louche. On ne peut pas travailler sur les chiffres qui circulent. Il faut que les gens rentrent, que l'on évalue la situation, l'état des dégâts et puis après il faut distinguer entre ce qui est de la reconstruction pure et simple et du développement. En tout cas, je pense que l'on va reconstruire les choses comme elles étaient, mais souvent en reconstruisant, on améliore. Je vous conseille la prudence.
Q - Vous avez fait une évaluation des destructions, un diagnostic dans le reste de la Yougoslavie ?
R - Même chose, il y a des chiffres qui circulent sur le nombre de raffineries, d'aéroports, sur le nombre de ponts. Pour le reste, je ne dirai rien parce que je ne suis pas assez sûr. Il vaut mieux être prudent quand on ne sait pas. D'abord il y a une évaluation à faire de l'état de l'économie yougoslave qui était déjà mauvais avant, mauvais à cause des sanctions qu'il avait fallu leur appliquer depuis des années pour les raisons que l'on sait et même si les sanctions sont souvent tournées, elles ont quand même un effet. Alors mauvais état, à cela s'ajoute les semaines de frappe, les conséquences directes et indirectes, il vaut mieux attendre quelque temps pour faire des bilans sérieux.
Q - Là aussi il y aura une équipe d'évaluation ?
R - Non, quand je vous parlais d'équipe d'évaluation, c'est le travail normal de l'administration civile au Kosovo. Je pense qu'une fois les frappes terminées, même si elles sont de source yougoslave, en les recoupant, en vérifiant, les organisations internationales spécialisées compétentes qui savent lire à travers les lignes, arriveront à une évaluation correcte de la situation. On n'en est pas là. Ce qui est très important aujourd'hui, c'est que notre séquence se déroule comme un mécanisme d'horlogerie et que très vite on soit à pied d'oeuvre pour commencer le travail suivant et réunir les conditions qui vont permettre aux réfugiés de rentrer.
R - L'implication des Russes dans la force militaire ?
R - L'implication des Russes dans la force est en train d'être discutée. Elle a été beaucoup discutée tous ces derniers temps sans que cela soit entièrement conclu. Elle est discutée actuellement entre Talbott et les autorités russes. L'information circule entre les Américains et l'ensemble des pays occidentaux participant à la force jusqu'à ce qu'on arrive à un schéma d'accord. Vous savez qu'on veut éviter qu'il y ait un secteur russe en tant que tel.
La question sur le plan civil, - ce n'est pas un problème géographique -, c'est faire en sorte que toutes les organisations travaillent bien ensemble au lieu de se concurrencer. La question sur le plan militaire, c'est faire en sorte que malgré l'inévitable répartition sur le terrain des uns et des autres parce qu'on ne peut pas mettre tout le monde au même endroit, ni n'importe qui n'importe où, il faut absolument arriver à une seule politique de la force au Kosovo. On ne veut pas la politique du secteur américain ou du secteur russe. On travaille là dessus, pour qu'il y ait une approche globale, synthétique, depuis plusieurs semaines déjà. Mais cela reste à boucler. Ce qui nous a empêché de boucler c'est que les Russes ne savent pas encore aujourd'hui ce qu'ils peuvent mettre ou pas et cela a des conséquences.
Mais enfin je considère qu'il n'y a aucun obstacle de principe, il n'y a plus de blocage. Ce sont des questions de négociations techniques de mise en oeuvre. Les blocages, les verrous ont sauté. Le verrou de Belgrade a sauté quand il y a eu l'acceptation. Les questions qui sont restées entre les Occidentaux et les Russes ont sauté lundi et mardi quand on a fini la mise au point de la résolution. Tout le reste en découle. Le reste est compliqué bien sûr, et je suis le premier à dire tous les jours que "le diable est dans le détail". Mais si vous voulez retenir les dates-clés, c'est cela.
Q - Avec Milosevic, on en est où ?
R - Tous les dirigeants occidentaux ont dit que naturellement quand on pense "programme de développement", quand on pense avenir des Balkans, du Sud-Est de l'Europe, on pense à une Yougoslavie démocratique et pacifique. Dans l'esprit des dirigeants occidentaux, cela n'exclut pas complètement une aide qui pourrait être humanitaire. On est en train d'en parler, ce n'est pas au point dans le détail. Je vous rappelle que nous avons constamment dit qu'on ne faisait pas la guerre à la Serbie, encore moins au peuple serbe mais au régime que l'on sait. Pour l'instant on est concentré sur la question du Kosovo. C'est l'objet de cet engagement, et on est en train de rassembler toutes nos forces sur ce point. La question de savoir ce qu'on va faire par rapport à la Yougoslavie de demain, si Slobodan Milosevic est toujours président, c'est une question qui importe.
Q - (inaudible).
R - Je crois que cela à rien à voir. La réponse à la question, personne ne la détient à l'avance. Il faut poser la question à des grands spécialistes de la Serbie, à des spécialistes capables d'analyser les forces politiques. Moi j'ai ma conviction et j'ai dit ce que j'en pensais. Qu'est-ce qui est le mieux pour la Yougoslavie, qu'est ce qui peut enraciner, refonder le mieux l'avenir ? Je pense qu'il vaut mieux une sorte de rebond, une sorte de sursaut démocratique intérieur, que quelque chose qui soit d'une façon ou d'une autre imposée de l'extérieur. Donc la question c'est : est-ce que ce qui se passe maintenant est de nature à ouvrir les yeux des Serbes, leur faire comprendre à quel point cette politique menée pendant des années et des années a été tragique pour toute la région, y compris pour eux ? Je pose la question, je ne prétends pas avoir les réponses toutes faites.
Q - Cela veut dire quoi, une sorte de parenthèse serbe ou du régime en place ou en tout cas à Belgrade dans le système du Pacte de stabilité. Comment peut-on aider le peuple serbe sans aider le régime contre lequel on a fait la guerre ?
R - Précisément en affinant les distinctions. Mais je ne veux pas aller plus loin que nous le sommes aujourd'hui en fait. C'est un travail qui doit continuer en affinant la distinction entre des actions à caractère humanitaire qu'on peut accepter et puis le fait de voir la Yougoslavie bénéficier de toutes sortes de grands programmes de développement qui ne s'appliquent qu'aux Balkans. Cela c'est pour une Yougoslavie démocratique. Alors où est la limite exacte entre les deux ? C'est cela qu'il faut que nous regardions de plus près.
Q - Alors si on parle concrètement, alors, par exemple, les ponts détruits, est-ce qu'on va les reconstruire ou est-ce qu'on va attendre ?
R - Tout cela, justement, n'est pas traité, n'est pas réglé d'avance. On a cette question en tête. On a eu quelques échanges qui sont plutôt des échanges dans des dîners de travail, qu'une véritable réunion qui prend des décisions.
Q - Pour le Kosovo, c'est fixé, cela, déjà ?
R - Pour le Kosovo, naturellement, c'est plus précis. On prépare cela depuis très longtemps. Déjà avant, pendant la phase diplomatique, quand on espérait atteindre le résultat sans avoir à passer par une action militaire, on a eu le temps de réfléchir sur le statut, sur ce qu'il fallait faire au Kosovo. La question de notre attitude par rapport à la Yougoslavie est différente.
Q - Il y a deux traitements vraiment à part ?
R - Oui, ce sont deux points de vues différents. On s'est engagé sur la question du Kosovo. Tout ce qui s'est passé depuis le début de l'engagement, le Groupe de contact à l'origine, toutes les négociations, n'était pas pour une mobilisation internationale pour changer de gré ou de force le régime en Yougoslavie, même si tout le monde souhaite cette évolution, bien sûr. Mais le sujet de la mobilisation, la raison, l'urgence, c'était le Kosovo, la situation au Kosovo.
Q - Comment ouvrir les yeux des Serbes, alors ?
R - On ne peut que faire des spéculations. Peut-être que les événements des dernières semaines, des derniers mois qui sont en contradiction complète avec la propagande officielle peuvent provoquer un choc. C'est un pays où il y a tout de même une opposition, même dans la presse, le théâtre, dans la rue. Tous ceux qui y ont été le disent. Ce n'est pas un pays qui est muselé, ce n'est pas un pays dans lequel personne ne pense rien. Il y avait une situation qui était plus celle d'une hallucination nationaliste collective que celle d'une sorte de dictature classique imposant un seul mode de pensée avec des gens terrorisés ne sachant plus ce qu'ils pensent. Ce qui était frappant, c'était que l'opposition très vive, ne se portait pas là dessus. Sur le Kosovo notamment, il y avait une unanimité, à 99 %. Alors on peut penser que ce peuple, qui a montré des qualités de résistance, d'opiniâtreté, de courage et qui a serré les coudes sous les bombardements, à partir du moment où c'est fini, se pose des questions, qu'il ne pouvait pas ou ne voulait pas se poser avant. On peut le penser, on peut l'espérer. Après il y a le travail des médias, il y a le travail de l'information, la comparaison, ce qui peut venir de l'Europe, de l'Occident, ce qui peut venir du Monténégro. Il y les contacts, il faut qu'on ait une réflexion stratégique et globale sur le plus de chances précisément de faire évoluer le peuple serbe dans le bon sens.
Mais quand on parle de Balkans, c'est plus global. Cet après-midi, la réunion, ce n'est pas seulement le Kosovo et la Yougoslavie, il y a les Balkans. A cette occasion on a pris conscience qu'il fallait avoir vraiment pour le Sud-Est de l'Europe, les Balkans, une politique d'ensemble et que l'Union européenne devait en être le coeur et le moteur.
Q - (Au sujet des relations diplomatiques)
R - Ce point n'est pas tranché. C'est lui qui a rompu, je le rappelle.
Q - Et alors, il faut reprendre les relations diplomatiques ?
R - La question ne se pose pas, elle n'est pas posée pour le moment. Il faut que nous allions vite mais que l'on soit méthodique aussi : pas tout traiter en même temps sans réfléchir.
Q - (inaudible)
R - Il n'a pas rompu avec l'Italie et la Norvège, je crois, mais a rompu avec les principaux pays de l'OTAN, avec les pays les plus engagés.
Q - L'UCK, va-t-on la transformer en police ?
R - L'idée générale, c'est de dire à l'UCK, vous étiez devenu ce que vous étiez parce qu'il y avait une situation de violence et de force, nous allons créer un contexte totalement nouveau au Kosovo et nous vous invitons à vous transformer en parti politique qui pourra s'exprimer dans le cadre du futur Kosovo puisque, je le rappelle, l'administration internationale est transitoire. On n'a pas envie de faire cela ad vitam eternam. Il s'agit de gérer une situation un moment donné. On ne peut pas remettre l'administration du Kosovo à Belgrade et pas non plus aux Kosovars, qui sont dispersés, qui sont divisés, qui ont des problèmes de leadership entre Rugova, l'UCK et les autres, et même au sein de l'UCK. On est là pendant un certain temps de transition. On va encourager cette transformation qui commence par la démilitarisation.
Q - Pendant combien de temps ?
R - Le temps qu'il faudra.
Q - L'administration provisoire n'a pas été définie dans la durée ?
R - Non, ce n'est pas possible.
Q - Il en était question lundi et mardi.
R - Non. La discussion, lundi et mardi, portait sur le fait de savoir à quel moment il y avait des rendez-vous pour examiner la situation. Mais personne ne peut dire si cela va durer deux mois et demi ou cela ne va durer qu'un an, trois ans. On souhaite que cela dure le moins de temps possible. C'est pas une question de temps fixé à l'avance, c'est une question d'objectif à atteindre.
Finalement, on est revenu à un très bon schéma qui comporte un rapport régulier au Secrétaire général, puisqu'on a réussi à revenir à l'examen de l'ONU que nous souhaitions depuis le début, à la fois parce que c'est une résolution qui est au coeur de tout, qui rassemble tous les éléments de la solution, qui la solennise en fait. Parce que dans le dispositif pratique, c'est la résolution qui aura autorisé, - c'est le terme exact -, le déploiement, et c'est le Secrétaire général qui aura nommé son représentant pour l'administration civile.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juin 1999)