Interview de M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’Etat, porte-parole du Gouvernement, à Europe 1 le 6 juillet 2018, sur le report de l'annonce plan anti-pauvreté à l'automne et la convocation du Parlement en congrès à Versailles.

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Média : Europe 1

Texte intégral

PATRICK COHEN
Bonjour Benjamin GRIVEAUX.
BENJAMIN GRIVEAUX
Bonjour.
PATRICK COHEN
Expliquez-nous d'avoir ce qui se passe avec ce plan anti-pauvreté dont vous nous parlez depuis des mois, annoncé en mai, puis en juin, puis en juillet et puis vous nous dites… enfin c'est Agnès BUZYN qu'il le dit : non, en juillet il y a le football, ce sera en septembre. Quelle est la raison de ce report ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Je ne répondrai pas la petite polémique sur la question du football, si quelqu'un peu sérieusement penser qu'on reporte un plan aussi important en raison d'un match de football, c'est qu'il est dans la polémique, c'est une chose trop sérieuse.
PATRICK COHEN
Agnès BUZYN semblait le penser sérieusement.
BENJAMIN GRIVEAUX
Le président de la République… le président de la République veut en faire un temps important à la rentrée. Ce qui est important de dire, c'est qu'au fond le plus important pour les gens au-delà des commentaires de nos oppositions diverses et variées, c'est le temps de la mise en oeuvre, le temps de la mise en oeuvre ce sera au 1er janvier 2019 comme prévu. Pourquoi on prend du temps sur ce plan pauvreté ? Parce qu'il y a en France 9 millions de pauvres, 3 millions d'enfants qui vivent sous le seuil de pauvreté, c'est 1 enfant sur 5, on a un peu plus de 4 millions de personnes mal logées, on a 10 ans d'espérance de vie de moins quand on est un ouvrier que quand on est un cadre. Et donc ce n'est pas simplement de la mesure d'ajustement, du saupoudrage pour gérer tel sujet ou tel autre, c'est un plan qui est global, qui attaque la pauvreté non pas simplement les symptômes mais qui attaque la pauvreté à la racine.
PATRICK COHEN
Les inégalités à la racine, c'est ce que vous nous disiez dans une tribune au Parisien.
BENJAMIN GRIVEAUX
L'objectif… l'objectif…
PATRICK COHEN
En pensant j'imagine que les mesures allaient être annoncées façon imminente.
BENJAMIN GRIVEAUX
Oui, mais c'est important d'inverser la logique, parce qu'il est évidemment important de poursuivre la lutte contre la pauvreté lorsque celle-ci s'est déclarée, lorsque les gens sont tombés dans la précarité. Mais l'objectif c'est aussi d'empêcher que ceux-là tombent dans la précarité. Et je vais vous dire, la bonne politique sociale c'est évidemment de réparer mais c'est aussi de prévenir. Et comment on fait ? Ce que fait Jean-Michel BLANQUER – et là on a les premiers résultats – parce que j'entends de gens qui disent « on ne voit pas la jambe sociale, on ne voit pas les résultats, les premiers résultats sont tombés sur le dédoublement des classes. Quand on est 12 gamins par classe au lieu de 25, ça a été fait dès la rentrée 2017. Les enseignants, ce n'est pas nous qui le disons, les enseignants disent que les résultats à la fin de cette année scolaire sont spectaculaires. Ces gamins-là…
PATRICK COHEN
Tout ça ne nous…
BENJAMIN GRIVEAUX
Mais attendez, la logique de la chose, ces gamins-là ne seront pas des décrocheurs scolaires dans 10 ou 15 ans et, donc, ne devront pas être accompagnés par des aides sociales, par des politiques sociales.
PATRICK COHEN
J'ai compris la logique, ce que je ne comprends pas…
BENJAMIN GRIVEAUX
Donc on voit bien que la politique sociale…
PATRICK COHEN
C'est le calendrier et le report du calendrier. Vous avez sur la table 110 propositions depuis la mi-mars, c'est une concertation, les associations étaient pressées de déposer leurs idées. Et donc qu'est-ce qui coince ?
BENJAMIN GRIVEAUX
C'est une concertation importante avec l'ensemble du monde associatif, c'est aussi un sujet de discussion avec les départements parce que vous le savez, les départements ont un rôle important à jouer sur les questions de RSA, sur les questions d'aide sociale à l'enfance. Vous avez noté que les relations avec les départements aujourd'hui sont comment dire… on discute âprement avec les départements parce qu'ils sont face à des situations financières difficiles. Et donc ce plan qui est important prenne quelques semaines supplémentaires pour que l'ensemble des acteurs, le monde associatif, les collectivités locales, l'Etat soit réellement au rendez-vous de cette bataille contre la pauvreté, franchement l'essentiel c'est que la mise en oeuvre n'a pas d'été décalée d'une seule journée, c'est ça qui sera dans la vraie vie des vrais gens.
PATRICK COHEN
Alors j'ai une autre hypothèse, c'est que peut-être êtes-vous prisonniers de vos choix budgétaires pour le dire de façon un peu provocante, après avoir fait des cadeaux aux riches, vous n'avez plus d'argent pour faire des cadeaux aux pauvres !
BENJAMIN GRIVEAUX
On n'a pas fait des cadeaux aux riches, on a permis… par exemple avec la réforme de l'ISF de faire en sorte que l'argent soit investi dans des entreprises en France qui vont fait l'emploi en France. J'en ai assez d'entendre qu'on a fait des cadeaux aux riches. Je vais vous dire, quand on divise…
PATRICK COHEN
Est-ce que vous avez des marges budgétaires pour faire de la politique sociale, c'est ça ma question ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Par deux… quand on divise par deux le nombre d'élèves par classe dans les quartiers populaires, ce n'est pas des cadeaux aux riches. Quand on transforme le plan d'investissement dans les compétences et qu'on veut former un million de personnes éloignées de l'emploi, un million 300000 jeunes qui sont décrocheurs scolaires, ce n'est pas des cadeaux aux riches. C'est bon pour le pays et une politique sociale, ça prend du temps à produire ses effets. On pourrait faire ce qui a été fait.
PATRICK COHEN
Vous en avez marre de l'entendre Benjamin GRIVEAUX, mais c'est ce que pense une grande majorité de Français. On en parlait dans le journal, vous avez eu ce décrochage brutal dans l'opinion, votre politique est jugée injuste, inefficace, elle est menée par un président qui n'est pas humble, pas proche des gens, éloigné de la vraie vie, trop sûr de son fait, tout cela est dit par 65 à 80 % des sondés. Est-ce qu'il n'y a pas un problème de gouvernance aujourd'hui ?
BENJAMIN GRIVEAUX
On ne gouverne pas le nez sur les sondages. Ce qui est difficile dans ce que nous avons entrepris, c'est que nous pourrions faire comme ça a été fait depuis 20 ans, faire plaisir à des clientèles, dire « on va vous donner un peu d'argent ici comme ça, voilà ! Le mécontentement va s'estomper ». On a été spécialiste de ça dans le quinquennat précédent, si on se dit les choses. Eh bien ! Ca n'est pas notre manière de faire, on veut transformer le pays durablement, en profondeur. Et je suis sûr d'une chose, c'est que les parents des gamins qui désormais savent lire, écrire et compter à la fin du CP, ceux-là ils savent que nous faisons une politique sociale. Et ça prend du temps de transformer ce modèle social qui a tant souffert et qui ne fonctionne pas. J'entends les impatiences, j'entends les colères, j'étais la semaine dernière… et je veux aussi dire qu'il y a des choses formidables qui se font dans le domaine social parce qu'on entend beaucoup d'âneries. Moi j'ai passé beaucoup de temps ces 2 dernières semaines à rencontrer des gens du monde de l'insertion par l'activité économique, le réseau social dans le 19ème arrondissement, eux ils ont des gens qui sont très loin de l'emploi, ils les prennent, ils ont peu d'appétence informatique, ils en sortent 70 à 80 %, parfois 90 % en insertion durable dans l'emploi. C'est comme ça qu'on va y arriver, il y a des gens qui font des choses formidables, on va amplifier les gens et on va les aider, ceux qui font des choses qui fonctionnent. Et puis il y a des choses qui ne marchent pas, celles-là on les changera.
PATRICK COHEN
Vous n'êtes pas troublé Benjamin GRIVEAUX par ces éléments d'image que je viens de citer, par le comportement…
BENJAMIN GRIVEAUX
Moi, je suis troublé par les gens qui sont sous le seuil de pauvreté depuis très longtemps dans notre pays. Moi je suis troublé par les gens qui n'ont pas de boulot, je suis troublé par les jeunes à qui on dit à 16 ou 17 ans « tu n'as pas d'avenir », c'est ça qui me trouble, ce n'est pas les sondages. Si on est troublé par les sondages, très sincèrement il faut aller faire autre chose…
PATRICK COHEN
Je ne parle pas des sondages de popularité, je parle de la façon dont cette politique aujourd'hui est perçue par une majorité de Français, injuste et plus nouveau encore, inefficace, elle est injuste, c'est le cas depuis plusieurs mois…
BENJAMIN GRIVEAUX
Vous savez, réparer le pays prendra plus d'une année, plus d'une année…
PATRICK COHEN
Donc les résultats devront attendre.
BENJAMIN GRIVEAUX
L'état du pays, l'état dans lequel nous l'avons trouvé socialement, économiquement, politiquement, moralement, financièrement mérite sans doute un peu plus qu'une seule année. Et nous avons des éléments tangibles qui ont été mises en oeuvre, qui prendront du temps à produire leurs effets. Mais je suis certain d'une chose, c'est que quand la PME qui a besoin d'avoir un jeune apprenti se dira au mois de novembre ou au mois de janvier « j'aimerais bien pouvoir commencer la période d'apprentissage », elle pourra le faire, elle ne pouvait pas le faire auparavant ; et qu'on mettra enfin plus d'argent sur la formation des gens qui sont les plus éloignés de l'emploi, les chômeurs et les ouvriers plutôt que de mettre de l'argent sur les cadres. Je me dis que les ouvriers et les chômeurs se diront que nous avons fait une bonne politique sociale.
PATRICK COHEN
Emmanuel MACRON s'exprimera lundi devant le Congrès à Versailles, il ne fera pas le plein, il y a plusieurs députés Les Insoumis, quelques députés de droite aussi qui ont dit qu'ils n'iraient pas à ce Congrès et même au moins un député de La République En Marche - Paul MOLAC - qui dit : « je ne comprends pas, le président s'exprime régulièrement, on l'entend régulièrement, il fait passer des messages, je ne comprends pas l'utilité de congrès », est-ce que pour Paul MOLAC et pour les autres vous pouvez expliquer l'utilité pour le président de la République de s'adresser aux députés et sénateurs réunis à Versailles ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Quand on est un parlementaire on est dépositaire d'un morceau de la souveraineté de la Nation, on est un représentant de la Nation et quand le président de la République s'adresse à la représentation nationale la plus élémentaire des courtoisies - et on peut être en désaccord total et d'ailleurs beaucoup de députés de la France Insoumise ou des Républicains font entendre leur désaccord total à longueur d'onde - la moindre des courtoisies la plus élémentaires c'est de se rendre au Congrès et de l'écouter. Pourquoi ? Pourquoi ?
PATRICK COHEN
Lesquels députés expliquent que la courtoisie ce serait que le président puisse écouter les retours et les réponses des députés, ce qui ne permet pas aujourd'hui la Constitution.
BENJAMIN GRIVEAUX
Mais il les entend, non la Constitution ne permet pas ça…
PATRICK COHEN
Effectivement.
BENJAMIN GRIVEAUX
Je vous le confirme.
PATRICK COHEN
Mais c'est bizarre cette communication à sens unique.
BENJAMIN GRIVEAUX
Mais ce n'est pas de la communication c'est l'expression de l'horizon qui est poursuivi, du pourquoi des choses. Le rôle du président de la République - et c'est la raison pour laquelle dans cette campagne présidentielle sans doute les Français ont-ils entendu différemment Emmanuel MACRON des autres candidats - c'est qu'il était vraisemblablement le seul à dire pourquoi nous faisons les choses que... pourquoi nous portons de tels projets, où nous allons ensemble, quel est le cap, quel est l'horizon, c'est ça le rendez-vous de lundi, c'est de pouvoir remettre en perspective et je crois que c'est un temps important pour le débat politique qui bien souvent s'attache trop à l'écume des choses, aux détails, aux petits tweets, aux bons mots... là, on va pouvoir s'intéresser à l'horizon et au cap fixé par le président de la République, je regrette que des parlementaires considèrent que c'est inutile de s'y rendre.
PATRICK COHEN
Il fixera un cap, il donnera des éléments éventuellement sur les plans qui ont été retardés, le Plan Pauvreté, le Plan Hôpital aussi qui devait aussi être rendus publics cette semaine-ci ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Mais vous savez à nouveau l'objectif c'est de redonner le cap et l'horizon, je ne connais pas moi qui travaille le discours qui sera prononcé lundi et le président de la République aime les travailler jusqu'au dernier moment et il y mettra sa patte évidemment très personnelle.
PATRICK COHEN
Benjamin GRIVEAUX, contre la maire de Paris Anne HIDALGO vous ne retenez plus vos coups et ne cachez plus vos ambitions en vue des prochaines Municipales, ce qui pour l'équipe en place pose un problème démocratique, est-ce qu'on peut être en même temps prétendant à la mairie de Paris et porte-parole du gouvernement ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Mais je suis surtout député de Paris. Je comprends l'énervement des élus proches de la maire de Paris, mais moi ce n'est pas la maire de Paris qui m'intéresse c'est ce que disent les Parisiens, c'est ce qu'ils vivent dans leur quotidien et... Voilà ! Il y a eu l'épisode Vélib', il y a Autolib', il y a des choses qui ne fonctionnent pas, il y a des choses qui fonctionnent bien et il faudra les amplifier et puis à des choses qui ne fonctionnent pas. J'ai été élu député de Paris je sais que ça les ennuie…
PATRICK COHEN
Oui, mais aujourd'hui vous êtes porte-parole du gouvernement.
BENJAMIN GRIVEAUX
Du IIIème et du Xème arrondissements de Paris, je sais que ça les ennuie, mais il n'empêche qu'en tant que député de Paris j'ai aussi je crois le droit de m'exprimer de temps en temps et en tant que Parisien, y vivant, mes enfants... et y grandissant j'ai sans doute peut-être le droit de m'exprimer de temps en temps sur le sujet, je comprends qu'ils n'aiment pas le débat et qu'ils ne sont pas habitués aux débats, mais il va falloir qu'ils s'y habituent.
PATRICK COHEN
Que ferez-vous cet après-midi à 16h ?
BENJAMIN GRIVEAUX
A 16h, écoutez c'est voilà c'est l'anniversaire de la petite fille aujourd'hui et, malgré son très jeune âge, elle m'a demandé de regarder le match de foot avec elle et donc je vais pour l'anniversaire de ma petite fille le match de foot avec mes enfants.
PATRICK COHEN
A domicile, pas dans votre bureau de ministre ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Non pas dans mon bureau parce que les enfants leur place est à la maison, pas au ministère, et puis je retournerai bosser après.
PATRICK COHEN
Très bien, merci Benjamin GRIVEAUX d'être venu au micro d'Europe 1.
BENJAMIN GRIVEAUX
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 juillet 2018