Texte intégral
Monsieur le Maire,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'être parmi vous car, comme beaucoup de ceux qui ont conservé leur part d'enfance, j'ai toujours été intéressé par le théâtre forain qui nous replonge dans la magie des premières heures du théâtre où projet artistique et projet de vie étaient intimement liés ; heureux aussi que ces rencontres se déroulent à Mitry Mory, chez mon ami Jean-Pierre Bontoux, et me permettent ainsi de découvrir le lieu de résidence de la Compagnie Babylone que j'ai rencontrée cet été à Avignon dans le cadre de Hors Champs sur l'île. Je sais combien est risquée toute tentative de définition quelle qu'elle soit, mon expérience au ministère de la Culture me le confirme quotidiennement.
Pourtant, j'aimerais ici tenter d'approcher au moins ce que l'itinérance impose aujourd'hui aux pouvoirs publics : assurément la nécessité d'une réforme, non pas tant pour faire du passé table rase, bien au contraire, mais pour se trouver en mesure d'accueillir ces expressions artistiques qui doivent tant à la mobilité, à la plasticité de leurs moyens et de leur production. Je considère pour ma part que la question de l'itinérance se pose tant à ceux qui élaborent les politiques culturelles qu'aux artistes eux-mêmes.
Sédentarité institutionnelle ou processus en mouvement ? Territoire au singulier ou bien parcours ? Itinérance et institution, itinérance et permanence, itinérance et aménagement durable du territoire, itinérance et décentralisation. Je commencerai par dire qu'il y a - a priori - dans cette notion d'itinérance quelque chose d'imprévisible, d'essentiellement libre et, partant, de terriblement troublant dans l'ordre habituel de la relation des pouvoirs publics avec l'art. La décentralisation théâtrale aura été la volonté de fixer, d'établir, en région, des institutions dont les missions et les modes de fonctionnement étaient les mêmes que ceux des institutions parisiennes. Nous passions de la " figure " du militant providentiel à l'institution.
Transposition d'un modèle de production de la création et de sa représentation, la décentralisation culturelle était d'abord une aventure de l'institution culturelle. L'itinérance se revendique au contraire comme un processus, un chemin au sens étymologique, un parcours géographique mouvant, un parcours de création mobile. Là où l'usage, la pratique et la politique culturelle ont placé, l'itinérance déplace.
C'est ce déplacement qui constitue l'autre question posée aux politiques de la culture. C'est qu'en effet, s'il y a mouvement, il y a itinéraire, étape, départ. Occupation temporaire, occupation précaire de l'espace culturel et de l'espace public. Mais alors comment miser en quelque sorte sur l'itinérance pour ancrer solidement la pratique culturelle ? Pourquoi accueillir et comment accueillir ce qui demain tournera ailleurs dans un autre " pays ", dans une autre intercommunalité ?
Ce sont ces questions qui cette année traversent vos discussions. Le lien pourrait être en quelque sorte virtuel, avec la mise en place d'un centre de ressources sur l'itinérance, une sorte de plate-forme de mise en commun d'expériences et d'analyses.
C'est un premier pas que vous avez entrepris. Mais comment traiter l'itinérance en tant que responsable d'un territoire ? Le sujet n'est pas facile et lorsque vous évoquez, par exemple, la simplification des procédures de contractualisation et de financement, vous touchez là à ce que sont nos pesanteurs dans ce " ni institutions, ni labels "...
Ces questions que je me plais à évoquer ainsi se rapprochent beaucoup de celles auxquelles nous nous sommes attelés à propos là encore de ces moments ou processus de création que nous appelons parfois " espaces intermédiaires ", faute une fois encore de parvenir à une définition telle qu'elle permettrait une appellation univoque. Comme vous le savez, à partir des conclusions du rapport de Fabrice Lextrait, j'ai ouvert un vaste chantier pour mieux appréhender et accompagner les projets comme les vôtres qui aujourd'hui posent de manière originale et singulière la question des conditions de production et donc de réception de l'acte artistique.
Ils répondent à un désir d'engagement des publics qui ne souhaitent plus être seulement spectateurs mais aussi acteurs des projets artistiques et culturels. Installées dans des lieux réutilisant le patrimoine industriel ou choisissant l'itinérance, et quelquefois les deux en même temps, ces aventures nourrissent la réflexion sur la place de l'artiste dans la société et sur une action culturelle qui cherche à trouver de nouveaux développements.
J'ai toujours souhaité insister sur deux aspects : ancrage territorial dans un lieu identifié ou itinérance car je sais que dans les deux cas les enjeux de la démarche des artistes sont au fond les mêmes : pouvoir maîtriser les processus de production et de création, transformer le rapport de l'artiste aux populations en inventant d'autres modes de diffusion, interroger l'espace public, qu'il soit rural ou urbain. J'ai posé un certain nombre de jalons pour que nous puissions sortir de la tyrannie des procédures et prendre en compte la notion de projet artistique dans sa globalité et l'accompagner au cas par cas.
Ce changement d'attitude n'est pas naturel et doit s'inscrire dans une réforme plus vaste. Cela suppose au sein même de notre ministère, que nous revoyions notre approche globale du développement culturel tant d'un point de vue central que déconcentré.
Derrière la question particulière que vous posez, c'est de la réforme de l'Etat dont il s'agit et pour cela nous devons ouvrir tout grand - eu égard à ce qu'est notre histoire - le champ de l'expérimentation. Je l'ai fait pour la décentralisation avec des protocoles, il nous faut dans ce domaine aussi accepter de réviser des attitudes, des comportements, oser dire que l'Etat ne doit pas a priori imposer des normes, qu'il doit observer le réel dans son mouvement et sa diversité, être à l'écoute et comme aux premiers temps de la décentralisation, tout faire pour, encore une fois, accompagner les acteurs d'aventures stimulantes dans les meilleures conditions, ne pas écrire l'aventure à leur place mais avec eux.
Expérimenter mais aussi sensibiliser l'ensemble des acteurs culturels : Etat, collectivités, institutions, opérateurs et artistes. Je m'y emploierai très activement dans les mois qui viennent en animant dix séminaires interrégionaux regroupant élus, services déconcentrés de l'Etat, artistes et opérateurs. Un colloque en février à Marseille élargira la réflexion au niveau international.
Pour vos deuxièmes rencontres, vous avez choisi le thème et le terme de " frontières " qu'il me paraît très juste d'explorer dans toutes ses acceptions, géographiques et symboliques. Il est, en effet, nécessaire de déplacer ou de faire tomber de nombreuses frontières : frontières administratives entre les ministères, frontières entre les disciplines artistiques au sein même du ministère de la culture, frontières entre politiques culturelles territoriales, nationales et internationales, frontières historiques entre artistique, culturel, social, politique et économique.
J'aimerais en évoquer une autre qu'il faudrait rendre moins étanche entre ancrage territorial et itinérance. Pour moi, et le contenu de votre journée de demain me le confirme, l'un n'est pas antinomique de l'autre. D'une part, les compagnies itinérantes ont besoin de " bases arrières " pour répéter, se ressourcer et se protéger des intempéries hivernales, elles ont donc très souvent un lieu d'ancrage territorial.
D'autre part et cela est très intéressant, ces compagnies s'impliquent réellement dans les territoires qu'elles arpentent et ne se contentent pas de les traverser. L'empreinte qu'elles y laissent après leur passage peut être le terreau d'un développement culturel durable. C'est pourquoi de nouveaux partenariats peuvent naître avec des collectivités misant sur des résidences régulières dans des territoires où la permanence artistique est difficilement envisageable. Je serai très attentif au compte-rendu de ces secondes rencontres car je sais que demain des collectivités territoriales témoigneront de leur engagement à vos côtés.
Pour ma part, sachez que je partage avec vous et avec tant d'autres le rêve d'un théâtre géographiquement accessible à tous et que je m'emploierai à son accomplissement.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 30 octobre 2001)
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'être parmi vous car, comme beaucoup de ceux qui ont conservé leur part d'enfance, j'ai toujours été intéressé par le théâtre forain qui nous replonge dans la magie des premières heures du théâtre où projet artistique et projet de vie étaient intimement liés ; heureux aussi que ces rencontres se déroulent à Mitry Mory, chez mon ami Jean-Pierre Bontoux, et me permettent ainsi de découvrir le lieu de résidence de la Compagnie Babylone que j'ai rencontrée cet été à Avignon dans le cadre de Hors Champs sur l'île. Je sais combien est risquée toute tentative de définition quelle qu'elle soit, mon expérience au ministère de la Culture me le confirme quotidiennement.
Pourtant, j'aimerais ici tenter d'approcher au moins ce que l'itinérance impose aujourd'hui aux pouvoirs publics : assurément la nécessité d'une réforme, non pas tant pour faire du passé table rase, bien au contraire, mais pour se trouver en mesure d'accueillir ces expressions artistiques qui doivent tant à la mobilité, à la plasticité de leurs moyens et de leur production. Je considère pour ma part que la question de l'itinérance se pose tant à ceux qui élaborent les politiques culturelles qu'aux artistes eux-mêmes.
Sédentarité institutionnelle ou processus en mouvement ? Territoire au singulier ou bien parcours ? Itinérance et institution, itinérance et permanence, itinérance et aménagement durable du territoire, itinérance et décentralisation. Je commencerai par dire qu'il y a - a priori - dans cette notion d'itinérance quelque chose d'imprévisible, d'essentiellement libre et, partant, de terriblement troublant dans l'ordre habituel de la relation des pouvoirs publics avec l'art. La décentralisation théâtrale aura été la volonté de fixer, d'établir, en région, des institutions dont les missions et les modes de fonctionnement étaient les mêmes que ceux des institutions parisiennes. Nous passions de la " figure " du militant providentiel à l'institution.
Transposition d'un modèle de production de la création et de sa représentation, la décentralisation culturelle était d'abord une aventure de l'institution culturelle. L'itinérance se revendique au contraire comme un processus, un chemin au sens étymologique, un parcours géographique mouvant, un parcours de création mobile. Là où l'usage, la pratique et la politique culturelle ont placé, l'itinérance déplace.
C'est ce déplacement qui constitue l'autre question posée aux politiques de la culture. C'est qu'en effet, s'il y a mouvement, il y a itinéraire, étape, départ. Occupation temporaire, occupation précaire de l'espace culturel et de l'espace public. Mais alors comment miser en quelque sorte sur l'itinérance pour ancrer solidement la pratique culturelle ? Pourquoi accueillir et comment accueillir ce qui demain tournera ailleurs dans un autre " pays ", dans une autre intercommunalité ?
Ce sont ces questions qui cette année traversent vos discussions. Le lien pourrait être en quelque sorte virtuel, avec la mise en place d'un centre de ressources sur l'itinérance, une sorte de plate-forme de mise en commun d'expériences et d'analyses.
C'est un premier pas que vous avez entrepris. Mais comment traiter l'itinérance en tant que responsable d'un territoire ? Le sujet n'est pas facile et lorsque vous évoquez, par exemple, la simplification des procédures de contractualisation et de financement, vous touchez là à ce que sont nos pesanteurs dans ce " ni institutions, ni labels "...
Ces questions que je me plais à évoquer ainsi se rapprochent beaucoup de celles auxquelles nous nous sommes attelés à propos là encore de ces moments ou processus de création que nous appelons parfois " espaces intermédiaires ", faute une fois encore de parvenir à une définition telle qu'elle permettrait une appellation univoque. Comme vous le savez, à partir des conclusions du rapport de Fabrice Lextrait, j'ai ouvert un vaste chantier pour mieux appréhender et accompagner les projets comme les vôtres qui aujourd'hui posent de manière originale et singulière la question des conditions de production et donc de réception de l'acte artistique.
Ils répondent à un désir d'engagement des publics qui ne souhaitent plus être seulement spectateurs mais aussi acteurs des projets artistiques et culturels. Installées dans des lieux réutilisant le patrimoine industriel ou choisissant l'itinérance, et quelquefois les deux en même temps, ces aventures nourrissent la réflexion sur la place de l'artiste dans la société et sur une action culturelle qui cherche à trouver de nouveaux développements.
J'ai toujours souhaité insister sur deux aspects : ancrage territorial dans un lieu identifié ou itinérance car je sais que dans les deux cas les enjeux de la démarche des artistes sont au fond les mêmes : pouvoir maîtriser les processus de production et de création, transformer le rapport de l'artiste aux populations en inventant d'autres modes de diffusion, interroger l'espace public, qu'il soit rural ou urbain. J'ai posé un certain nombre de jalons pour que nous puissions sortir de la tyrannie des procédures et prendre en compte la notion de projet artistique dans sa globalité et l'accompagner au cas par cas.
Ce changement d'attitude n'est pas naturel et doit s'inscrire dans une réforme plus vaste. Cela suppose au sein même de notre ministère, que nous revoyions notre approche globale du développement culturel tant d'un point de vue central que déconcentré.
Derrière la question particulière que vous posez, c'est de la réforme de l'Etat dont il s'agit et pour cela nous devons ouvrir tout grand - eu égard à ce qu'est notre histoire - le champ de l'expérimentation. Je l'ai fait pour la décentralisation avec des protocoles, il nous faut dans ce domaine aussi accepter de réviser des attitudes, des comportements, oser dire que l'Etat ne doit pas a priori imposer des normes, qu'il doit observer le réel dans son mouvement et sa diversité, être à l'écoute et comme aux premiers temps de la décentralisation, tout faire pour, encore une fois, accompagner les acteurs d'aventures stimulantes dans les meilleures conditions, ne pas écrire l'aventure à leur place mais avec eux.
Expérimenter mais aussi sensibiliser l'ensemble des acteurs culturels : Etat, collectivités, institutions, opérateurs et artistes. Je m'y emploierai très activement dans les mois qui viennent en animant dix séminaires interrégionaux regroupant élus, services déconcentrés de l'Etat, artistes et opérateurs. Un colloque en février à Marseille élargira la réflexion au niveau international.
Pour vos deuxièmes rencontres, vous avez choisi le thème et le terme de " frontières " qu'il me paraît très juste d'explorer dans toutes ses acceptions, géographiques et symboliques. Il est, en effet, nécessaire de déplacer ou de faire tomber de nombreuses frontières : frontières administratives entre les ministères, frontières entre les disciplines artistiques au sein même du ministère de la culture, frontières entre politiques culturelles territoriales, nationales et internationales, frontières historiques entre artistique, culturel, social, politique et économique.
J'aimerais en évoquer une autre qu'il faudrait rendre moins étanche entre ancrage territorial et itinérance. Pour moi, et le contenu de votre journée de demain me le confirme, l'un n'est pas antinomique de l'autre. D'une part, les compagnies itinérantes ont besoin de " bases arrières " pour répéter, se ressourcer et se protéger des intempéries hivernales, elles ont donc très souvent un lieu d'ancrage territorial.
D'autre part et cela est très intéressant, ces compagnies s'impliquent réellement dans les territoires qu'elles arpentent et ne se contentent pas de les traverser. L'empreinte qu'elles y laissent après leur passage peut être le terreau d'un développement culturel durable. C'est pourquoi de nouveaux partenariats peuvent naître avec des collectivités misant sur des résidences régulières dans des territoires où la permanence artistique est difficilement envisageable. Je serai très attentif au compte-rendu de ces secondes rencontres car je sais que demain des collectivités territoriales témoigneront de leur engagement à vos côtés.
Pour ma part, sachez que je partage avec vous et avec tant d'autres le rêve d'un théâtre géographiquement accessible à tous et que je m'emploierai à son accomplissement.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 30 octobre 2001)