Déclaration de M. Pierre Bérégovoy, Premier ministre, sur les échanges franco-belges et la coopération européenne, Paris le 1er décembre 1992.

Prononcé le 1er décembre 1992

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Circonstance : Déjeuner en l'honneur du roi et de la reine des Belges à Paris le 1er décembre 1992

Texte intégral


Sire, Madame,
La visite officielle des souverains belges témoigne une nouvelle fois de la vitalité des liens qui unissent nos
deux pays. De tous nos voisins européens, c'est la Belgique qui entretient avec la France les rapports les plus
denses. Certains pays font avec nous un volume de commerce plus important. Mais il n'en est aucun qui, par rapport
à sa population, ait avec la France un courant d'échanges plus intense.
Les relations entre les hommes ne sont pas moins étroites : cent cinquante mille Français résident dans votre
Royaume. Beaucoup d'autres s'y rendent chaque semaine, Bruxelles n'est-elle pas devenue, grâce notamment à son rôle
européen, une ville que les hommes politiques et les fonctionnaires français connaissent aussi bien que leur propre
capitale ? En sens inverse, plus du quart des Belges passent tout ou partie de leurs vacances en France.
Il nous appartient de faciliter et de développer davantage ces échanges en construisant les infrastructures
nécessaires. Demain le train à très grande vitesse reliera Bruxelles à Paris en moins d'une heure trente et, à
travers le territoire français et le tunnel sous la Manche, à la Grande-Bretagne. Nous espérons voir ces liaisons
nouvelles se poursuivre, au-delà de la Belgique, vers les Pays-Bas et l'Allemagne, amorçant ainsi un réseau
européen dont nos deux capitales, que rapprocheront aussi des navettes aériennes, seraient les pôles.
Il est urgent que cette grande entreprise soit menée à bien, car déjà l'encombrement des cieux européens et la
surcharge de nos aéroports ne permettent pas d'envisager que le transport aérien absorbe toute la croissance
attendue des voyages.
Le développement des infrastructures n'est cependant pas suffisant pour donner aux Européens la conscience
d'appartenir au même ensemble, d'être à travers leurs langues et leurs nations membres d'une même cité : il faut
encore que les frontières intérieures s'effacent et deviennent aussi faciles à franchir que de simples limites
administratives. C'est dans ce but qu'ont été signés les accords de Schengen.
Nous devions dans le même temps éviter que la suppression des contrôles aux frontières soit mise à profit par des
immigrants clandestins : coopération entre les polices, harmonisation des règles protégeant la vie privée,
politique commune des visas. Ce nouveau champ de la coopération européenne était nécessaire ! Il faut maintenant
que les accords de Schengen puissent entrer rapidement en vigueur, et pour cela que les ratifications nécessaires
interviennent dès que possible, comme cela a déjà été fait en France.
La coopération européenne doit aussi nous permettre de réaliser ensemble ce que chacun de nous ne serait pas
capable d'entreprendre séparément. Ainsi, l'Europe a jusqu'ici enregistré des succès particulièrement brillants
grâce à la mise en commun de ses efforts dans la conquête spatiale. La Belgique, comme la France, porte à l'espace
un grand intérêt et nous nous sommes réjouis de voir l'effort belge spectaculairement affirmé par la mission
spatiale de Dirk FRIMOUT. Mais, aujourd'hui, les Européens doivent ensemble maintenir l'effort qu'ils ont accompli
au sein de l'Agence Spatiale Européenne et qui a déjà permis la réussite non seulement technique, mais aussi
commerciale du programme Ariane. Au moment où les contraintes budgétaires amènent certains d'entre nous à douter de
la recherche spatiale, nous devons nous rappeler qu'elle a aussi un intérêt économique, direct et indirect, et que
l'Europe ne peut s'en désintéresser.
Les Européens ne peuvent pas davantage négliger leur agriculture : la plus ancienne, la plus traditionnelle des
activités économiques, elle a bénéficié de la première des politiques communes européennes et absorbe aujourd'hui
encore une part notable des ressources communautaires. Certes, le soutien accordé aux agriculteurs doit s'adapter à
l'évolution des techniques et à la situation des marchés. C'est le but de la réforme que la Communauté a adoptée au
printemps dernier. Mais nous devons aussi veiller à rester solidaires pour éviter de sacrifier l'espace rural et
ses habitants. Le gouvernement français a toujours affirmé la nécessité de développer les échanges extérieurs de la
Communauté, un des centres du commerce mondial, mais les partenaires de l'Europe ne peuvent pas attendre d'elle
davantage de concessions au détriment de ses agriculteurs les plus vulnérables. Nous sommes reconnaissants à la
Belgique d'avoir témoigné sa solidarité à la France sur ce dossier difficile.
L'achèvement de l'Union économique de l'Europe ne sera pas réalisé si elle ne comporte pas une union monétaire. La
Belgique et la France en ont depuis plusieurs années compris la nécessité. Pour nos deux pays cela a, dans un
premier temps, impliqué des efforts de rigueur pour corriger des déséquilibres souvent anciens, confortables à
court terme mais toujours pernicieux dans le long terme. Aujourd'hui, nous enregistrons, malgré les difficultés
conjoncturelles, les avantages que procurent la maîtrise de l'inflation et la compétitivité de nos industries.
Il serait profondément déraisonnable de relâcher la discipline que nous nous sommes imposée. Nous devons poursuivre
notre route vers l'Union monétaire pour que, avant la fin de ce siècle, nos concitoyens puissent commercer en
Europe dans une seule monnaie dont la valeur soit durable.
Sire, dans cette grande entreprise de l'édification européenne, la Belgique, membre fondateur a toujours figuré au
premier rang des bâtisseurs les plus enthousiastes. Je suis convaincu qu'ensemble la Belgique et la France
contribueront à faire progresser la construction d'une Europe unie. Sur la plupart des dossiers qui seront évoqués
dans deux semaines à Edimbourg nos deux pays partagent les mêmes vues et pourront, je n'en doute pas, faciliter la
recherche de solutions équilibrées. Il en va ainsi de la question du siège du Parlement européen qu'il devrait
enfin être possible de régler définitivement dans le cadre d'un accord général acceptable par tous.
Tout au long d'une histoire qui fut si souvent commune, la Belgique et la France se sont retrouvées pour défendre
les mêmes valeurs, les mêmes idéaux de paix et de justice. Ce sont les mêmes buts que nous poursuivons à travers la
construction d'une Europe unie, à laquelle votre pays apporte une contribution décisive. Je veux ici vous en
remercier au nom de la France en levant mon verre à la santé de Votre Majesté, à la santé de la Reine des Belges et
au bonheur et à la prospérité du peuple belge ami.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juillet 2018