Texte intégral
DANIEL BILALIAN
Bonsoir. Avec Pierre GIACOMETTI, directeur général d'IPSOS, nous recevons, ce soir, François BAYROU. Monsieur BAYROU, bonsoir !
FRANÇOIS BAYROU, PRESIDENT DE L'UDF
Bonsoir !
DANIEL BILALIAN
Avec tout de suite un premier sondage IPSOS / BFM pour LE JOURNAL DU DIMANCHE, à l'occasion des 25 ans du RPR, selon vous c'est la question posée, selon vous est-il important qu'un parti politique représente les idées gaullistes ? 45 % pensent que oui, 40 % pensent que non. Est-ce que la persistance du RPR en tant que tel est quelque chose qui génère l'union de la droite, selon vous Monsieur BAYROU ?
FRANÇOIS BAYROU
Absolument pas. L'union, ça se fait entre gens différents, qui acceptent leurs différence, qui les assument, à la condition que ces différences soient des différences sur le fond, qu'on parle d'idées qu'on parle de projets, qu'on essaye de voir de quelle manière chacun peut rendre service aux Français, à leurs débats et à leurs interrogations, de répondre à leurs interrogations. Alors, vous me demandez, au fond, quel est mon jugement sur ce grand parti unique qu'on nous promet depuis vingt ans, et qui connaît un nouvel épisode. C'est exactement la même chose que depuis vingt ans, c'est-à-dire que c'est la tentative de prise de contrôle de l'ensemble de l'opposition par un seul clan. Le petit groupe ou le petit clan de ceux qui se partagent déjà les responsabilités ou les postes en cas de victoire de Jacques CHIRAC et ça n'est pas autre chose que cela. Et c'est d'ailleurs pour cela que ça ne marchera pas. La véritable question qui se pose à la France, c'est est-ce que nous avons aux interrogations et aux angoisses qui sont les siennes ? Est-ce que ces réponses sont les mêmes ou différentes ? Est-ce que nos idées nous rapprochent ou au contraire, est-ce que nous avons des idées différentes sur l'avenir ? C'est la seule question qu'on ne nous pose pas. Vous voyez bien ce qui se passe; à l'avance, on s'attribue des postes et des responsabilités, voilà ça ne marchera pas, selon moi.
DANIEL BILALIAN
Vous pensez sérieusement que le RPR n'a pas changé en vingt-cinq ans, qu'il a toujours l'intention de conserver le leader-ship qu'il a longtemps eu sur l'opposition de droite et du centre ?
FRANÇOIS BAYROU
Oui, ça n'est même pas le RPR en tant que tel. Ce qui est frappant, c'est que ce sont des guerres de clan à l'intérieur, c'est-à-dire que vous voyez bien que l'on essaye de faire disparaître les responsables actuels du RPR, pour les remplacer par d'autres, mais pour moi, ça n'a pas d'intérêt. Ce qui est intéressant, c'est de savoir où en est la France, quels sont ses problèmes, sur quels points les Français sont angoissés ou au contraire espèrent et quelle réponse on peut leur apporter. Sincèrement savoir qui occupera qui recevra des portefeuilles en 2002, ça n'a, pour les Français à mon avis, aucun intérêt.
PIERRE GIACOMETTI
Je réfléchissais, François BAYROU, finalement aux trois scénarios, allons-y, allons jusqu'à trois, au lendemain de la période avril, mai, juin, victoire de Jacques CHIRAC, défaite de Jacques CHIRAC et victoire Lionel JOSPIN et puis, envisageons-le, votre victoire à l'élection présidentielle. Dans les trois scénarios finalement, on a beaucoup de mal à imaginer que la droite française puisse en rester là. Finalement, UDF et RPR existent maintenant à peu près depuis plus de vingt ans, la société française a considérablement bougé pendant cette période-là. Dans ces trois scénarios, on voit bien - d'une manière un peu inéluctable - que pour pouvoir gouverner durablement, la droite sera conduite à se rassembler autour d'un projet. Qu'est-ce qui finalement au delà des
FRANÇOIS BAYROU
Pierre, excusez-moi, j'ai
PIERRE GIACOMETTI
Des plans, qu'est-ce qui finalement empêche idéologiquement ce rassemblement ?
FRANÇOIS BAYROU
J'ai une différence avec vous, nous avons pris le pouvoir trois fois en vingt ans et trois fois en vingt ans, nous l'avons perdu en moins de deux ans, pourquoi ? Pas du tout à cause des partis et de leur organisation, mais parce que notre méthode de gouvernement, notre manière d'être, les mots que nous utilisons pour nous adresser aux Français ne sont pas les bons, et ce qu'ont rejeté les Français, ce n'est pas du tout le fait qu'il y ait RPR, UDF, pas du tout, les Français ont rejeté ce qu'ils ont ressenti comme de l'indifférence, de la technocratie triomphante, une incapacité à comprendre le monde dans lequel on vivait et leurs sentiments. Et ceci ne se changera pas avec un parti, voilà la première observation que je voulais faire. La deuxième observation est celle-ci, s'il doit y avoir une nouvelle architecture de l'opposition, de la droite et du centre, en tout cas ça ne se fera pas par un clan qui l'impose aux responsables des autres partis, ça ne se fera pas comme ça. Ou bien ça se fera de bonne foi, ou bien ça ne se fera pas. Et pour l'instant, vous le voyez bien, il ne s'agit pas du tout d'une conversation, je suis responsable élu à des majorités respectables, je crois, par la famille politique que je préside, jamais je n'ai reçu un appel, un coup de fil de quelqu'un qui me dirait, " Ecoutez, mettons-nous autour de la table, et de bonne foi essayons d'imaginer ce que l'avenir pourra être ", jamais. Il s'agit d'une tentative de prise de contrôle par une petite équipe, un petit clan pour lui-même, de ce que sont les sensibilités de l'opposition, Philippe SEGUIN l'a dit avec beaucoup de force. Voilà, ça ne marchera pas comme ça, parce que les femmes et les hommes, qui sont engagés en politique, sont des femmes et des hommes qui mettent le meilleur de ce qu'ils sont, de leurs convictions, de leur foi, de leur militantisme. Ça ne se décrètera pas de cette manière-là, en tout cas je le crois.
DANIEL BILALIAN
François BAYROU, merci, le débat est engagé. On se retrouve tout de suite après les informations.
// PAUSE //
François BAYROU, je reviens à peu près à la même question, sous une autre forme, avec la deuxième question du sondage IPSOS / BFM / JDD, question posée : êtes-vous favorable, tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt opposé ou tout à fait opposé à la création d'une formation politique unique regroupant les partis de l'opposition parlementaire, UDF RPR et Démocratie libérale, après l'élection présidentielle de 2002. Est-ce que ça ne voudrait pas dire, quand on regarde les réponses, favorable 55 %, 77 pour les sympathisants de l'UDF, 84 % pour les sympathisants du RPR, est-ce que ça ne veut pas dire finalement qu'ils ne désirent qu'un seul candidat de l'opposition ?
FRANÇOIS BAYROU
Je crois exactement le contraire. Je pense que si Pierre GIACOMETTI interrogeait les Français pour leur demander, " Voulez-vous plusieurs choix ou un seul choix ? ", ils diraient plusieurs choix et ils ont bien raison, parce que ceux qui trouvent que ça marche très bien en France depuis vingt ans, ceux qui pensent que chaque fois que la droite ou le centre ont pris le pouvoir, que l'opposition est devenue majorité, les choses ont été merveilleuses, qu'on a convaincu les Français et qu'on les a entraînés, vraiment ceux-là il est normal qu'ils soient dans votre les autres, ceux qui pensent qu'on a un problème avec le pays depuis vingt ans, que nous n'avons pas pour l'instant trouver les réponses aux problèmes qu'ils se posent et qu'il faut les trouver d'urgence - si on veut que l'opposition l'emporte - et qu'on ne les trouvera pas dans le sillon mille fois creusé qu'on connaît bien, qu'il va falloir d'autres propositions et d'autres choix, ceux-là ils veulent la diversité et ils ont bien raison de la vouloir. La diversité, ou en tout cas cette offre nouvelle, c'est la condition de la victoire et il n'y en a pas d'autre.
PIERRE GIACOMETTI
François BAYROU a raison, d'ailleurs, quand on se souvient de la dernière élection présidentielle, ils étaient même majoritaires, ceux qui pensaient au sein de l'électorat RPR qu'il fallait laisser le premier tour faire la différence entre Edouard BALLADUR et Jacques CHIRAC. La diversité, comme vous le disiez, n'est pas contradictoire avec cet espèce d'éternelle envie d'union que les électeurs de l'opposition expriment et là aussi, pas de contradiction véritable entre cette volonté-là et l'idée que, au sein de cette opposition, figurent toutes les sensibilités. Dans tout ça, il y a effectivement
FRANÇOIS BAYROU
Attendez, non, non
PIERRE GIACOMETTI
Apparence de contradiction
FRANÇOIS BAYROU
Non, non, non, non
PIERRE GIACOMETTI
Et en réalité, une assez grande complémentarité de point de vue, là-dessus.
FRANÇOIS BAYROU
Pas du tout, pas du tout
PIERRE GIACOMETTI
Les électeurs de droite sont assez pragmatiques, je trouve.
DANIEL BILALIAN
N'essayons pas de faire de l'eau tiède, disons les choses comme elles sont. Nous avons, en France, des scrutins à deux tours, l'élection présidentielle, deux tours ; élections législatives à deux tours. Les scrutins à deux tours appellent au moins deux formations politiques capables de rassembler leur sensibilité au deuxième tour. Si vous n'avez qu'une seule formation - d'abord ça n'arrivera pas, je vous le dis à l'avance - s'il n'y avait qu'une seule formation, elle ferait 28-30 au premier tour et après, qu'est-ce qu'elle fait pour arriver à 50 ? Regardez excusez-moi de vous dire, la gauche, il y a quatre formations, trois ou quatre formations majeures, c'est ça qui les aide à gagner. Si vous croyez que, en donnant un coup de sifflet
PIERRE GIACOMETTI
Moi, je ne crois rien.
FRANÇOIS BAYROU
En donnant
PIERRE GIACOMETTI
C'est simplement le sentiment qu'exprime l'électorat de la droite
FRANÇOIS BAYROU
En donnant un coup de sifflet dans ses doigts
PIERRE GIACOMETTI
Depuis longtemps, d'ailleurs.
FRANÇOIS BAYROU
On va aligner tout le monde et que toutes les sensibilités, toutes les manières de penser l'avenir, par exemple les deux grandes sensibilités, celle du centre et celle de la droite, si vous croyez qu'on va rayer d'un trait de plume l'une ou l'autre, vous vous trompez. Philippe SEGUIN l'a dit pour le gaullisme, je vous le dis pour la grande sensibilité qui occupe le centre. On ne la rayera pas d'un trait de plume. Et donc, ceux qui imaginent qu'on pourrait en prendre le contrôle de l'extérieur et devenir comment dirais-je, ceux qui agitent les fils des marionnettes, ceux-là se trompent, je vous le dis à l'avance, je vous donne rendez-vous pour l'avenir. Tout à fait autre chose, ne serait qu'une discussion sur la meilleure organisation de l'opposition, ça je serais naturellement prêt à l'avoir. Mais ce serait une discussion de bonne foi et pas de mauvaise foi.
DANIEL BILALIAN
Alors François BAYROU, pas d'eau tiède, on va entrer dans le vif du sujet, vous avez été présenté pendant un moment comme le troisième homme. Pour l'instant, le troisième homme - qui se veut d'ailleurs le second, voire le premier - c'est Jean-Pierre CHEVENEMENT. Vous êtes aux antipodes, on peut dire, de Jean-Pierre CHEVENEMENT, de ses idées nationales, ses idées sur l'euro et vous, ça ne marche pas pour vous.
FRANÇOIS BAYROU
Attendez, on est à combien ? Quatre mois et demi du premier tour de l'élection présidentielle.
GIACOMETTI est là pour dire que quatre mois et demi avant le premier tour d'une élection, le moins que l'on puisse dire, c'est que les sondages ne sont pas fidèles au résultat final. Il suffit
DANIEL BILALIAN
La campagne
FRANÇOIS BAYROU
Voilà, il suffit de plonger dans ses souvenirs pour le savoir. On est devant une attente des Français. Si j'ai raison ou si mon sentiment est juste, cette attente des Français, c'est une attente de relève, c'est-à-dire un renouvellement profond du monde politique français et des responsables politiques français, de leur manière d'être et de faire. Si j'ai raison, dans les quatre mois qui viennent, je vous le dis simplement, les choses vont bouger profondément, en janvier, en février, en mars, je ne sais pas. C'est de plus en plus tard, au fur et à mesure que les élections avancent.
DANIEL BILALIAN
François BAYROU, la relève c'est une question d'âge uniquement ?
FRANCOIS BAYROU
La relève, c'est une question de style, d'état d'esprit et de manière d'être. Alors que ce soit une génération nouvelle ne nuit pas, mais ça n'est pas une question d'âge ou d'état civil, c' "est une volonté de changement, des équipes, des hommes et des manières d'être. Il y a des gens qui se trouvent très bien dans la manière dont la France est gérée depuis vingt ans, moi pas. Je suis même profondément en colère contre la manière dont la France est gérée depuis vingt ans. Je trouve qu'on vient de voir encore pendant des semaines et des semaines, cet espèce de mépris du pouvoir pour les Français, un mépris qui se change en servilité, dès l'instant que les Français descendent dans la rue
DANIEL BILALIAN
Vous parlez des gendarmes, vous parlez des
FRANÇOIS BAYROU
Je parle des gendarmes, je parle des policiers, je parle des internes, je parle des agriculteurs demain, je parle des hospitaliers
DANIEL BILALIAN
Vous n'auriez pas cédé ou vous auriez discuté avant ?
FRANÇOIS BAYROU
J'aurais discuté avant. Si le gouvernement de la France, comme je l'entend, se met en place, alors nous aurons des systèmes qui nous permettront de repérer les problèmes, avant qu'ils ne s'expriment dans la brutalité, d'en discuter avant comme font toutes les autres démocraties qui nous entourent. La démocratie allemande, la démocratie espagnole, toutes les autres démocraties, qui nous entourent, ont les mêmes difficultés que nous, mais elles traitent les problèmes avant qu'ils ne descendent dans la rue. En France, non, ça vient de quoi ? Vous le savez bien, ça vient de la centralisation de l'Etat, ça vient du jacobinisme, ça vient de la surpuissance d'une technocratie qui ne change pas avec les alternances, qui est la même, qui a la même formation, la même manière de voir les choses, et tout cela fait du mépris pour les Français. Je ne veux plus de ce mépris.
PIERRE GIACOMETTI
On sent, effectivement de manière assez confuse pour l'instant, que les Français cherchent une alternative à ce choix qu'on leur propose entre Jacques CHIRAC et Lionel JOSPIN, les deux principaux non candidats déclarés à l'élection présidentielle, rassemblent aujourd'hui un peu moins de 50 % des intentions de vote, c'est assez peu. Il y a une très grande dispersion au-delà, donc votre diagnostic semble correspondre effectivement à une demande et d'une certaine manière, le succès de Jean-Pierre CHEVENEMENT, momentané, en est l'illustration. Mais j'y vois - alors c'est là où je voulais avoir un petit peu votre sentiment sur ce point là - on voit presque une limite dans cette idée que vous soyez le candidat de l'UDF qui renvoie pour les Français, quand même, à l'idée finalement d'une représentation assez traditionnelle de la vie politique, on est le candidat de l'UDF. Vous vous présentez sur un spectre qui prétend être beaucoup plus large et je reviens, tout à l'heure, à votre point de vue sur l'histoire de la droite, finalement la grande différence entre la droite et la gauche aujourd'hui, c'est que la gauche dans sa diversité, ce que vous disiez tout à l'heure, les Français les reconnaissent ces diversités. A droite, ils ne les reconnaissent plus parce que, d'une certaine façon, et vous l'avez dit vous-même, elles répondent à des batailles de clan et c'est pour ça que l'électeur est désorienté. Ce n'est pas moi qui suis désorienté, c'est cet électorat qui l'est et qui vous interroge sur cet espèce d'incohérence entre un discours qui consiste à montrer de la relève et le fait d'être le représentant d'un parti qui ne renvoie pas une certaine forme de modernité.
FRANÇOIS BAYROU
Modernité, écoutez prenons les éléments de la modernité, aujourd'hui, qu'est-ce que c'est la modernité aujourd'hui ? La première modernité, on va la recevoir avec le choc de l'euro, c'est que nous passons d'un ensemble national fermé à une entité plus large, dans laquelle la nation a sa place, mais qui est cette maison de l'Europe que nous sommes en train de construire ensemble. Cette modernité-là, je la revendique. Deuxièmement, nous avons comment dire, un enfermement du pouvoir sur lui-même. C'est cet archaïsme français avec lequel on vit, il faut le changer. C'est un élément de modernité majeur, je ne crois pas que ça puisse être changé par ceux qui sont en place depuis vingt ans ou plus. Troisièmement, nous avons à bâtir, ou à clarifier, ou à simplifier le pouvoir comme il est exercé en France, c'est un élément de modernité, je le revendique. Et quatrièmement, nous avons à inventer une définition nouvelle de la justice. Pour l'instant, on a cru, pendant des années et on vit comme ça depuis vingt ans, que la justice était contradictoire avec l'efficacité, avec la performance. Je crois, au contraire, que performance et justice vont de pair. Pour l'instant, personne ne propose une vision comme celle-là, en tout cas je suis sûr que c'est ce que les Français attendent. Ce sont ces quatre éléments de modernité-là dont je propose de faire un socle pour l'avenir. Voilà, parlons des idées, et pas des clans.
DANIEL BILALIAN
François BAYROU, on se retrouve après les informations.
(Source http://www.udf.org, le 18 décembre 2001)
Bonsoir. Avec Pierre GIACOMETTI, directeur général d'IPSOS, nous recevons, ce soir, François BAYROU. Monsieur BAYROU, bonsoir !
FRANÇOIS BAYROU, PRESIDENT DE L'UDF
Bonsoir !
DANIEL BILALIAN
Avec tout de suite un premier sondage IPSOS / BFM pour LE JOURNAL DU DIMANCHE, à l'occasion des 25 ans du RPR, selon vous c'est la question posée, selon vous est-il important qu'un parti politique représente les idées gaullistes ? 45 % pensent que oui, 40 % pensent que non. Est-ce que la persistance du RPR en tant que tel est quelque chose qui génère l'union de la droite, selon vous Monsieur BAYROU ?
FRANÇOIS BAYROU
Absolument pas. L'union, ça se fait entre gens différents, qui acceptent leurs différence, qui les assument, à la condition que ces différences soient des différences sur le fond, qu'on parle d'idées qu'on parle de projets, qu'on essaye de voir de quelle manière chacun peut rendre service aux Français, à leurs débats et à leurs interrogations, de répondre à leurs interrogations. Alors, vous me demandez, au fond, quel est mon jugement sur ce grand parti unique qu'on nous promet depuis vingt ans, et qui connaît un nouvel épisode. C'est exactement la même chose que depuis vingt ans, c'est-à-dire que c'est la tentative de prise de contrôle de l'ensemble de l'opposition par un seul clan. Le petit groupe ou le petit clan de ceux qui se partagent déjà les responsabilités ou les postes en cas de victoire de Jacques CHIRAC et ça n'est pas autre chose que cela. Et c'est d'ailleurs pour cela que ça ne marchera pas. La véritable question qui se pose à la France, c'est est-ce que nous avons aux interrogations et aux angoisses qui sont les siennes ? Est-ce que ces réponses sont les mêmes ou différentes ? Est-ce que nos idées nous rapprochent ou au contraire, est-ce que nous avons des idées différentes sur l'avenir ? C'est la seule question qu'on ne nous pose pas. Vous voyez bien ce qui se passe; à l'avance, on s'attribue des postes et des responsabilités, voilà ça ne marchera pas, selon moi.
DANIEL BILALIAN
Vous pensez sérieusement que le RPR n'a pas changé en vingt-cinq ans, qu'il a toujours l'intention de conserver le leader-ship qu'il a longtemps eu sur l'opposition de droite et du centre ?
FRANÇOIS BAYROU
Oui, ça n'est même pas le RPR en tant que tel. Ce qui est frappant, c'est que ce sont des guerres de clan à l'intérieur, c'est-à-dire que vous voyez bien que l'on essaye de faire disparaître les responsables actuels du RPR, pour les remplacer par d'autres, mais pour moi, ça n'a pas d'intérêt. Ce qui est intéressant, c'est de savoir où en est la France, quels sont ses problèmes, sur quels points les Français sont angoissés ou au contraire espèrent et quelle réponse on peut leur apporter. Sincèrement savoir qui occupera qui recevra des portefeuilles en 2002, ça n'a, pour les Français à mon avis, aucun intérêt.
PIERRE GIACOMETTI
Je réfléchissais, François BAYROU, finalement aux trois scénarios, allons-y, allons jusqu'à trois, au lendemain de la période avril, mai, juin, victoire de Jacques CHIRAC, défaite de Jacques CHIRAC et victoire Lionel JOSPIN et puis, envisageons-le, votre victoire à l'élection présidentielle. Dans les trois scénarios finalement, on a beaucoup de mal à imaginer que la droite française puisse en rester là. Finalement, UDF et RPR existent maintenant à peu près depuis plus de vingt ans, la société française a considérablement bougé pendant cette période-là. Dans ces trois scénarios, on voit bien - d'une manière un peu inéluctable - que pour pouvoir gouverner durablement, la droite sera conduite à se rassembler autour d'un projet. Qu'est-ce qui finalement au delà des
FRANÇOIS BAYROU
Pierre, excusez-moi, j'ai
PIERRE GIACOMETTI
Des plans, qu'est-ce qui finalement empêche idéologiquement ce rassemblement ?
FRANÇOIS BAYROU
J'ai une différence avec vous, nous avons pris le pouvoir trois fois en vingt ans et trois fois en vingt ans, nous l'avons perdu en moins de deux ans, pourquoi ? Pas du tout à cause des partis et de leur organisation, mais parce que notre méthode de gouvernement, notre manière d'être, les mots que nous utilisons pour nous adresser aux Français ne sont pas les bons, et ce qu'ont rejeté les Français, ce n'est pas du tout le fait qu'il y ait RPR, UDF, pas du tout, les Français ont rejeté ce qu'ils ont ressenti comme de l'indifférence, de la technocratie triomphante, une incapacité à comprendre le monde dans lequel on vivait et leurs sentiments. Et ceci ne se changera pas avec un parti, voilà la première observation que je voulais faire. La deuxième observation est celle-ci, s'il doit y avoir une nouvelle architecture de l'opposition, de la droite et du centre, en tout cas ça ne se fera pas par un clan qui l'impose aux responsables des autres partis, ça ne se fera pas comme ça. Ou bien ça se fera de bonne foi, ou bien ça ne se fera pas. Et pour l'instant, vous le voyez bien, il ne s'agit pas du tout d'une conversation, je suis responsable élu à des majorités respectables, je crois, par la famille politique que je préside, jamais je n'ai reçu un appel, un coup de fil de quelqu'un qui me dirait, " Ecoutez, mettons-nous autour de la table, et de bonne foi essayons d'imaginer ce que l'avenir pourra être ", jamais. Il s'agit d'une tentative de prise de contrôle par une petite équipe, un petit clan pour lui-même, de ce que sont les sensibilités de l'opposition, Philippe SEGUIN l'a dit avec beaucoup de force. Voilà, ça ne marchera pas comme ça, parce que les femmes et les hommes, qui sont engagés en politique, sont des femmes et des hommes qui mettent le meilleur de ce qu'ils sont, de leurs convictions, de leur foi, de leur militantisme. Ça ne se décrètera pas de cette manière-là, en tout cas je le crois.
DANIEL BILALIAN
François BAYROU, merci, le débat est engagé. On se retrouve tout de suite après les informations.
// PAUSE //
François BAYROU, je reviens à peu près à la même question, sous une autre forme, avec la deuxième question du sondage IPSOS / BFM / JDD, question posée : êtes-vous favorable, tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt opposé ou tout à fait opposé à la création d'une formation politique unique regroupant les partis de l'opposition parlementaire, UDF RPR et Démocratie libérale, après l'élection présidentielle de 2002. Est-ce que ça ne voudrait pas dire, quand on regarde les réponses, favorable 55 %, 77 pour les sympathisants de l'UDF, 84 % pour les sympathisants du RPR, est-ce que ça ne veut pas dire finalement qu'ils ne désirent qu'un seul candidat de l'opposition ?
FRANÇOIS BAYROU
Je crois exactement le contraire. Je pense que si Pierre GIACOMETTI interrogeait les Français pour leur demander, " Voulez-vous plusieurs choix ou un seul choix ? ", ils diraient plusieurs choix et ils ont bien raison, parce que ceux qui trouvent que ça marche très bien en France depuis vingt ans, ceux qui pensent que chaque fois que la droite ou le centre ont pris le pouvoir, que l'opposition est devenue majorité, les choses ont été merveilleuses, qu'on a convaincu les Français et qu'on les a entraînés, vraiment ceux-là il est normal qu'ils soient dans votre les autres, ceux qui pensent qu'on a un problème avec le pays depuis vingt ans, que nous n'avons pas pour l'instant trouver les réponses aux problèmes qu'ils se posent et qu'il faut les trouver d'urgence - si on veut que l'opposition l'emporte - et qu'on ne les trouvera pas dans le sillon mille fois creusé qu'on connaît bien, qu'il va falloir d'autres propositions et d'autres choix, ceux-là ils veulent la diversité et ils ont bien raison de la vouloir. La diversité, ou en tout cas cette offre nouvelle, c'est la condition de la victoire et il n'y en a pas d'autre.
PIERRE GIACOMETTI
François BAYROU a raison, d'ailleurs, quand on se souvient de la dernière élection présidentielle, ils étaient même majoritaires, ceux qui pensaient au sein de l'électorat RPR qu'il fallait laisser le premier tour faire la différence entre Edouard BALLADUR et Jacques CHIRAC. La diversité, comme vous le disiez, n'est pas contradictoire avec cet espèce d'éternelle envie d'union que les électeurs de l'opposition expriment et là aussi, pas de contradiction véritable entre cette volonté-là et l'idée que, au sein de cette opposition, figurent toutes les sensibilités. Dans tout ça, il y a effectivement
FRANÇOIS BAYROU
Attendez, non, non
PIERRE GIACOMETTI
Apparence de contradiction
FRANÇOIS BAYROU
Non, non, non, non
PIERRE GIACOMETTI
Et en réalité, une assez grande complémentarité de point de vue, là-dessus.
FRANÇOIS BAYROU
Pas du tout, pas du tout
PIERRE GIACOMETTI
Les électeurs de droite sont assez pragmatiques, je trouve.
DANIEL BILALIAN
N'essayons pas de faire de l'eau tiède, disons les choses comme elles sont. Nous avons, en France, des scrutins à deux tours, l'élection présidentielle, deux tours ; élections législatives à deux tours. Les scrutins à deux tours appellent au moins deux formations politiques capables de rassembler leur sensibilité au deuxième tour. Si vous n'avez qu'une seule formation - d'abord ça n'arrivera pas, je vous le dis à l'avance - s'il n'y avait qu'une seule formation, elle ferait 28-30 au premier tour et après, qu'est-ce qu'elle fait pour arriver à 50 ? Regardez excusez-moi de vous dire, la gauche, il y a quatre formations, trois ou quatre formations majeures, c'est ça qui les aide à gagner. Si vous croyez que, en donnant un coup de sifflet
PIERRE GIACOMETTI
Moi, je ne crois rien.
FRANÇOIS BAYROU
En donnant
PIERRE GIACOMETTI
C'est simplement le sentiment qu'exprime l'électorat de la droite
FRANÇOIS BAYROU
En donnant un coup de sifflet dans ses doigts
PIERRE GIACOMETTI
Depuis longtemps, d'ailleurs.
FRANÇOIS BAYROU
On va aligner tout le monde et que toutes les sensibilités, toutes les manières de penser l'avenir, par exemple les deux grandes sensibilités, celle du centre et celle de la droite, si vous croyez qu'on va rayer d'un trait de plume l'une ou l'autre, vous vous trompez. Philippe SEGUIN l'a dit pour le gaullisme, je vous le dis pour la grande sensibilité qui occupe le centre. On ne la rayera pas d'un trait de plume. Et donc, ceux qui imaginent qu'on pourrait en prendre le contrôle de l'extérieur et devenir comment dirais-je, ceux qui agitent les fils des marionnettes, ceux-là se trompent, je vous le dis à l'avance, je vous donne rendez-vous pour l'avenir. Tout à fait autre chose, ne serait qu'une discussion sur la meilleure organisation de l'opposition, ça je serais naturellement prêt à l'avoir. Mais ce serait une discussion de bonne foi et pas de mauvaise foi.
DANIEL BILALIAN
Alors François BAYROU, pas d'eau tiède, on va entrer dans le vif du sujet, vous avez été présenté pendant un moment comme le troisième homme. Pour l'instant, le troisième homme - qui se veut d'ailleurs le second, voire le premier - c'est Jean-Pierre CHEVENEMENT. Vous êtes aux antipodes, on peut dire, de Jean-Pierre CHEVENEMENT, de ses idées nationales, ses idées sur l'euro et vous, ça ne marche pas pour vous.
FRANÇOIS BAYROU
Attendez, on est à combien ? Quatre mois et demi du premier tour de l'élection présidentielle.
GIACOMETTI est là pour dire que quatre mois et demi avant le premier tour d'une élection, le moins que l'on puisse dire, c'est que les sondages ne sont pas fidèles au résultat final. Il suffit
DANIEL BILALIAN
La campagne
FRANÇOIS BAYROU
Voilà, il suffit de plonger dans ses souvenirs pour le savoir. On est devant une attente des Français. Si j'ai raison ou si mon sentiment est juste, cette attente des Français, c'est une attente de relève, c'est-à-dire un renouvellement profond du monde politique français et des responsables politiques français, de leur manière d'être et de faire. Si j'ai raison, dans les quatre mois qui viennent, je vous le dis simplement, les choses vont bouger profondément, en janvier, en février, en mars, je ne sais pas. C'est de plus en plus tard, au fur et à mesure que les élections avancent.
DANIEL BILALIAN
François BAYROU, la relève c'est une question d'âge uniquement ?
FRANCOIS BAYROU
La relève, c'est une question de style, d'état d'esprit et de manière d'être. Alors que ce soit une génération nouvelle ne nuit pas, mais ça n'est pas une question d'âge ou d'état civil, c' "est une volonté de changement, des équipes, des hommes et des manières d'être. Il y a des gens qui se trouvent très bien dans la manière dont la France est gérée depuis vingt ans, moi pas. Je suis même profondément en colère contre la manière dont la France est gérée depuis vingt ans. Je trouve qu'on vient de voir encore pendant des semaines et des semaines, cet espèce de mépris du pouvoir pour les Français, un mépris qui se change en servilité, dès l'instant que les Français descendent dans la rue
DANIEL BILALIAN
Vous parlez des gendarmes, vous parlez des
FRANÇOIS BAYROU
Je parle des gendarmes, je parle des policiers, je parle des internes, je parle des agriculteurs demain, je parle des hospitaliers
DANIEL BILALIAN
Vous n'auriez pas cédé ou vous auriez discuté avant ?
FRANÇOIS BAYROU
J'aurais discuté avant. Si le gouvernement de la France, comme je l'entend, se met en place, alors nous aurons des systèmes qui nous permettront de repérer les problèmes, avant qu'ils ne s'expriment dans la brutalité, d'en discuter avant comme font toutes les autres démocraties qui nous entourent. La démocratie allemande, la démocratie espagnole, toutes les autres démocraties, qui nous entourent, ont les mêmes difficultés que nous, mais elles traitent les problèmes avant qu'ils ne descendent dans la rue. En France, non, ça vient de quoi ? Vous le savez bien, ça vient de la centralisation de l'Etat, ça vient du jacobinisme, ça vient de la surpuissance d'une technocratie qui ne change pas avec les alternances, qui est la même, qui a la même formation, la même manière de voir les choses, et tout cela fait du mépris pour les Français. Je ne veux plus de ce mépris.
PIERRE GIACOMETTI
On sent, effectivement de manière assez confuse pour l'instant, que les Français cherchent une alternative à ce choix qu'on leur propose entre Jacques CHIRAC et Lionel JOSPIN, les deux principaux non candidats déclarés à l'élection présidentielle, rassemblent aujourd'hui un peu moins de 50 % des intentions de vote, c'est assez peu. Il y a une très grande dispersion au-delà, donc votre diagnostic semble correspondre effectivement à une demande et d'une certaine manière, le succès de Jean-Pierre CHEVENEMENT, momentané, en est l'illustration. Mais j'y vois - alors c'est là où je voulais avoir un petit peu votre sentiment sur ce point là - on voit presque une limite dans cette idée que vous soyez le candidat de l'UDF qui renvoie pour les Français, quand même, à l'idée finalement d'une représentation assez traditionnelle de la vie politique, on est le candidat de l'UDF. Vous vous présentez sur un spectre qui prétend être beaucoup plus large et je reviens, tout à l'heure, à votre point de vue sur l'histoire de la droite, finalement la grande différence entre la droite et la gauche aujourd'hui, c'est que la gauche dans sa diversité, ce que vous disiez tout à l'heure, les Français les reconnaissent ces diversités. A droite, ils ne les reconnaissent plus parce que, d'une certaine façon, et vous l'avez dit vous-même, elles répondent à des batailles de clan et c'est pour ça que l'électeur est désorienté. Ce n'est pas moi qui suis désorienté, c'est cet électorat qui l'est et qui vous interroge sur cet espèce d'incohérence entre un discours qui consiste à montrer de la relève et le fait d'être le représentant d'un parti qui ne renvoie pas une certaine forme de modernité.
FRANÇOIS BAYROU
Modernité, écoutez prenons les éléments de la modernité, aujourd'hui, qu'est-ce que c'est la modernité aujourd'hui ? La première modernité, on va la recevoir avec le choc de l'euro, c'est que nous passons d'un ensemble national fermé à une entité plus large, dans laquelle la nation a sa place, mais qui est cette maison de l'Europe que nous sommes en train de construire ensemble. Cette modernité-là, je la revendique. Deuxièmement, nous avons comment dire, un enfermement du pouvoir sur lui-même. C'est cet archaïsme français avec lequel on vit, il faut le changer. C'est un élément de modernité majeur, je ne crois pas que ça puisse être changé par ceux qui sont en place depuis vingt ans ou plus. Troisièmement, nous avons à bâtir, ou à clarifier, ou à simplifier le pouvoir comme il est exercé en France, c'est un élément de modernité, je le revendique. Et quatrièmement, nous avons à inventer une définition nouvelle de la justice. Pour l'instant, on a cru, pendant des années et on vit comme ça depuis vingt ans, que la justice était contradictoire avec l'efficacité, avec la performance. Je crois, au contraire, que performance et justice vont de pair. Pour l'instant, personne ne propose une vision comme celle-là, en tout cas je suis sûr que c'est ce que les Français attendent. Ce sont ces quatre éléments de modernité-là dont je propose de faire un socle pour l'avenir. Voilà, parlons des idées, et pas des clans.
DANIEL BILALIAN
François BAYROU, on se retrouve après les informations.
(Source http://www.udf.org, le 18 décembre 2001)