Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé à RMC le 10 juillet 2018, sur la mise en place du Plan pour lutter contre la dépendance et l'aide aux personnes âgées dépendantes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Agnès BUZYN, bonjour.
AGNES BUZYN
Bonjour Monsieur BOURDIN.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais vous parler un peu de football, non pas vous demander votre pronostic, parce que vous ne connaissez pas le… non, non, non, mais je regardais les sponsors de la Coupe du monde, KFC, McDONALD'S, COCA-COLA, la malbouffe, quoi ! La malbouffe ! Mais ça pose problème, non, ça, pour un ministre de la Santé ?
AGNES BUZYN
Alors, oui, c'est un problème, alors, on en a échappé aux cigarettiers, ils n'ont plus le droit de faire de la publicité sur les terrains de football. Mais il nous reste encore beaucoup de travail pour lutter effectivement contre un certain nombre de lobbies. Nous avons en France ce qu'on appelle le Nutri-Score, qu'on a mis en place avec les industriels, qui est en train se de déployer sur une base volontaire, et qui va aider les personnes à se repérer lors d'achat d'alimentation dans les supermarchés….
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais là, quand on est supporter de football, on ne regarde pas ! On n'a pas le temps de regarder, on avale un peu n'importe quoi !
AGNES BUZYN
Oui, mais les gens ont l'impression, quand ils font du sport, ça va compenser, or, la malbouffe n'est pas compensée par le sport.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Emmanuel MACRON sera à Moscou, vous regrettez votre bourde avec… non ?
AGNES BUZYN
Oh, je pense que j'ai été mal comprise, et je voulais, simplement, évoquer le fait qu'il y a des temps dédiés à la communication gouvernementale, mais surtout, nous avons une ambition très, très importante pour ce Plan de lutte contre la pauvreté, avec quelques arbitrages qu'il faut encore terminer. Et je pense que le président de la République…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce n'est pas encore prêt ? Le Plan n'est pas encore…
AGNES BUZYN
Si, il est prêt ! Il est parfaitement prêt. Il y a des enjeux autour de la gouvernance du Plan, c'est…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est quoi la gouvernance du Plan, c'est-à-dire ?
AGNES BUZYN
C'est les responsabilités de chaque acteur dans les différentes mesures qui sont prises, le Plan est très beau, il a été extrêmement travaillé avec les acteurs de terrain, il a fait l'objet de nombreuses consultations, j'ai eu des rapports de groupes de travail, maintenant, nous terminons les concertations, nous terminons les quelques derniers arbitrages, ce Plan sera présenté en septembre, et je pense que ça lancera une vraie dynamique autour du défi que nous avons de lutter contre l'assignation à résidence.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc Plan présenté en septembre, avec des mesures applicables en 2019, si j'ai bien compris ?
AGNES BUZYN
De toute façon, la date de l'annonce ne change rien à l'application, il va falloir des mesures législatives, elles seront prises lors du PLF et du PLFSS à l'automne, et donc le Plan, quelle que soit la date de l'annonce, débutera le 1er janvier 2019.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Autre grande réforme dans les mois qui viennent, la réforme de la dépendance, le financement de la dépendance quelles sont les grandes lignes déjà sur lesquelles vous travaillez ?
AGNES BUZYN
Alors avant de…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Concernant la dépendance…
AGNES BUZYN
Avant de parler d'argent, je pense que l'urgence pour nous tous, toute la société, c'est de savoir quel est le modèle de société que nous voulons pour demain, pour l'insertion des personnes âgées, parce que, d'abord, toutes les personnes âgées ne sont pas dépendantes, beaucoup gardent leur autonomie jusqu'à la fin, mais elles ont quand même besoin de services, elles ont besoin aussi d'une société inclusive, dans la rue, dans le logement. Et donc la première étape, avant de parler du financement, ça va être de définir quels vont être les besoins de la société demain, quand nous aurons 5 millions de personnes âgées de plus de 85 ans en France. Et donc nous allons d'abord définir le modèle, et ensuite, la deuxième étape, ça sera de savoir quel financement et quelles méthodes de financement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Nouvelle branche de la Sécurité sociale ?
AGNES BUZYN
Je ne veux absolument pas m'engager, le débat est totalement ouvert aujourd'hui, mais commençons par savoir quelle société nous voulons aujourd'hui, nous avons d'un côté des EHPAD, où les personnes âgées sont exclues, souvent en dehors des villes ou des villages. Et puis, le maintien à domicile coûte que coûte, le plus longtemps possible, et nous voyons bien que ça ne répond pas à la totalité des besoins. Donc on va aller vers des plateformes de services, vers des choses beaucoup plus agiles, qui permettront aux personnes qui, à un moment, par exemple, se font une fracture, de pouvoir être hébergées, et puis, de revenir à domicile ; aujourd'hui, le système est très figé, le modèle est… nous avons juste le choix entre le maintien à domicile et l'EHPAD, et je crois que la société de demain, ça sera des logements inclusifs, des plateformes de services. Et c'est cela que nous allons travailler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Agnès BUZYN, là encore, 2019, cette réforme de la dépendance, c'est ce qu'a dit le président de la République…
AGNES BUZYN
Oui, je voudrais ajouter que personne n'a jamais ont osé ouvrir ce débat, aucun gouvernement n'a osé ouvrir le débat de la dépendance, de son financement et du vieillissement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et nous aurons la réponse fin 2019, courant de l'année 2019 ?
AGNES BUZYN
Nous osons, non seulement, ouvrir le débat, mais il y aura une loi qui va permettre aux Français de se projeter dans l'avenir, d'avoir confiance dans l'avenir, de ne pas avoir peur de vieillir, de ne pas avoir peur de devenir dépendant…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc une loi avant fin 2019 ?
AGNES BUZYN
Absolument, Monsieur BOURDIN. Et je pense que nous pourrons tous en être fiers.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien, Agnès BUZYN, autre chose, et là, j'ai vu que vous avez réagi, il y a dans certains hôpitaux publics, certaines maternités, des services qui ferment, pourquoi ? Parce qu'on manque de médecins l'été, l'été, et quand on manque de médecins, que fait un hôpital, eh bien, l'hôpital appelle une agence d'intérim, et des médecins viennent, viennent remplir les vides, si je puis dire, et tenir des gardes. Mais ces médecins se font payer très cher, vous avez limité à 1.400 euros, je crois, bruts, la journée…
AGNES BUZYN
Exact. Exact. Vous vous rendez compte…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Or, à 1.400 euros, on ne trouve pas de médecins, Agnès BUZYN !
AGNES BUZYN
A 1.400 euros la journée, Monsieur BOURDIN, on parle bien d'un salaire mensuel de beaucoup de Français. Donc ce sont des médecins qui, aujourd'hui, je trouve, se présentent comme des mercenaires, on a des sociétés d'intérim qui profitent de la pénurie de médecins pour faire monter les prix. Aujourd'hui, un grand nombre d'hôpitaux sont en déficit parce qu'ils vivent avec des médecins intérimaires qui se font payer entre 2.000 et 3.000 euros la journée, ce sont des médecins qui aujourd'hui renoncent à des postes pérennes, des postes temps plein, parce qu'ils préfèrent travailler une semaine par mois en étant payé 2.000 à 3.000 euros la journée et en offrant leurs services aux différents hôpitaux. Et donc j'ai mis le holà à cette dérive, j'ai dit qu'on ne dépassait pas 1.400 euros par jour, je ne sais pas si vous vous rendez compte, par jour, et donc, il y a un bras de fer aujourd'hui, puisque ces médecins disent : ce n'est pas assez payé, donc nous…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais comment allez-vous faire parce que les hôpitaux ne trouvent pas de médecins !
AGNES BUZYN
Ecoutez, le Conseil de l'Ordre des médecins a pris position et me soutient totalement, je pense qu'à un moment, c'est indigne, nous savons aujourd'hui que les hôpitaux sont en difficulté…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire, ces médecins seront sanctionnés ?
AGNES BUZYN
Non, ils ne sont pas sanctionnés, mais je ne lèverai pas ce décret avec cette limitation, à un moment, ça suffit, on ne peut pas avoir des médecins temps plein en France qui travaillent pour 2 ou 3.000 euros par mois, et d'autres qui se font payer 2 à 3.000 euros la journée en profitant des failles du système…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais, Agnès BUZYN, les établissements ne les trouvent pas !
AGNES BUZYN
Ils vont les trouver. Je pense que ce bras-de-fer est engagé et je ne céderai pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien, autre chose, j'ai deux autres questions, la première question, la légalisation du cannabis médical, vous pourriez apaiser les souffrances de 300.000 patients, pourquoi ne pas légaliser le cannabis médical ou thérapeutique, comme on voudra ?
AGNES BUZYN
Alors, aujourd'hui, d'abord, il existe des médicaments à base de cannabis, donc ce sont bien des médicaments, c'est du cannabis médical, sous forme de gélules. Et donc aujourd'hui ces médicaments sont autorisés, mais ils sont en négociation de prix, donc lorsque le prix sera fixé, des personnes vont avoir accès à ces médicaments, c'est ce qu'on appelle le cannabis médical, après, d'autres voudraient aller vers l'autorisation d'utiliser la cigarette de cannabis comme du cannabis médical, et là, un certain nombre de recherches sont en cours dans différents pays pour savoir si vraiment ça apporte un plus par rapport au médicament en comprimés. Donc je l'ai dit d'ores et déjà au Parlement, j'attends effectivement des notes de mes services pour savoir quelle est la différence entre le cannabis en comprimés et le cannabis en cigarettes, pour savoir si nous devons aller plus loin pour légaliser le cannabis…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous pourriez légaliser ?
AGNES BUZYN
Mais médical, je veux que ce soit…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Médical, mais non, mais on est bien d'accord…
AGNES BUZYN
On n'est pas en train de parler des coffee shop…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais, on est bien d'accord…
AGNES BUZYN
Voilà, donc, voilà…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est bien d'accord. Mais vous pourriez légaliser du cannabis médical ?
AGNES BUZYN
Mais bien sûr si c'est utile à des concitoyens et que s'ils ont besoin d'un médicament sous forme de cigarettes ou de comprimés pour soulager des douleurs ou des contractures, c'est évident en tant que médecin et en tant que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
33 pays l'ont fait !
AGNES BUZYN
Absolument, c'est pour ça que je n'ai absolument pas de doctrine arrêtée sur le sujet, soit, c'est utile, nous le ferons, soit, les médicaments sous forme de comprimés suffisent, et on s'arrêtera-là.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et j'ai une dernière question, est-ce que vous allez rembourser les consultations de télémédecine ?
AGNES BUZYN
Ah bien sûr !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça y est ?
AGNES BUZYN
Ça y est, la convention est signée, la téléconsultation sera remboursée pour les médecins à partir de septembre, la télé-expertise c'est-à-dire l'expertise entre deux médecins, entre un dermatologue, par exemple, et un généraliste, le sera à partir du mois de février 2019, et à partir de septembre, la télémédecine rentrera dans le droit commun. Pour avoir vu des expérimentations, ça rend des services extraordinaires. Et je pense que quand on aura par exemple installé la télémédecine dans tous les EHPAD de France, cela permettra à des personnes âgées de ne plus avoir à se déplacer chez leur généraliste, ça fera gagner du temps médical, ça fera gagner de la sérénité dans ces établissements, et ça va rassurer tout le monde.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci beaucoup Agnès BUZYN d'être venue nous voir ce matin…
AGNES BUZYN
Merci Monsieur BOURDIN.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 juillet 2018