Déclaration de M. Edouard Philippe, Premier ministre, sur la prise de risque et l'audace en matière de projets artistiques et culturels, à Paris le 29 juin 2018.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Remise du Prix de l'Audace artistique et culturelle 2018, à l'hôtel de Matignon le 29 juin 2018

Texte intégral

« Monsieur le président,
Monsieur, Madame les ministres,
Mesdames et Messieurs.
Il y a quelques mois, le président Marc Ladreit de Lacharrière est venu me voir dans mon bureau, mon bureau est juste au-dessus, à l’étage.
Et il m’a dit « voilà une fondation qui fait un travail formidable, avec des gens formidables, avec des élèves formidables, avec des projets formidables, et donc il faudrait les accueillir ici à Matignon pour qu’on puisse remettre les prix ici à Matignon ».
Alors je lui dis c’est formidable ! Après il m’a dit « ce qui serait bien c’est qu’on puisse inviter tous les élèves qui depuis le début, ont bénéficié de l’action de la formation.
Alors je dis c’est formidable ! Il y en a combien ? «trente-cinq mille ».
Ouh ! Et donc on a décidé de faire quelque chose d’un peu plus restreint, un petit peu plus réduit, simplement avec ceux qui, cette année notamment, pas tous, avaient participé à ces travaux et puis ceux évidemment à qui on remet un prix.
Et je suis très heureux de vous accueillir ici, pour ceux qui sont devant moi, dans la même salle, vous êtes dans la salle du Conseil, pendant très longtemps les Conseils des ministres se sont tenus ici, une salle très sérieuse. Mais si vous regardez bien, parce que vous avez un œil curieux, vous verrez qu’il y a quelques reproductions dans ces, dans ces trucs, qui sont en fait des illustrations des fables de la Fontaine.
Ouais regardez les, regardez les ! vous pouvez vous livrer à une forme de compétition pour savoir… (Intervention des enfants) Et bah voilà, ça marche à tous les coups, les ministres sont exactement comme vous ! Enfin étaient puisqu’évidemment maintenant il n’y a plus de Conseil des ministres ici. Et donc, il y a quelque chose d’amusant à imaginer, je vous le livre comme ça vous saurez pleins de choses.
Il y a quelque chose d’amusant à imaginer, que pendant près de 24 ans, entre 1934 et 1958, pendant que les Conseils des ministres se tenaient ici ; ceux qui les regardaient, travaillaient, prenaient des décisions, bonnes ou mauvaises, pour la France, c’était des reproductions qui nous rappelaient des fables de la Fontaines qui sont à bien des égards parmi les éléments les plus frappant de la culture française. C’était une tapisserie où l’on voit une représentation du Don Juan de Molière, bref.
C’était des œuvres qui sont extrêmement symboliques de ce qu’est la culture française.
Pour ceux qui sont dans la salle d’à côté il y a aussi pleins d’histoires, par exemple ceux qui sont dans la salle juste derrière, qui est toute jaune, et bien pendant longtemps ça a été le bureaux de Léon Blum qui en matière d’audace n’a pas été le dernier, puisque, on va continuer monsieur le président sur la leçon d’histoire, un peu anecdotique c’est vrai mais… Léon Blum était quelqu’un de très sérieux, quelqu’un de très bourgeois, quelqu’un de très juriste, qui écrivait des décisions formidable au Conseil d’Etat et puis c’était évidemment un homme politique engagé, qui a été président du conseil sous la troisième république, mais avant, de se lancer en politique il avait écrit des livres.
Et notamment il avait écrit un livre qui s’appelle « Du mariage » qui est extrêmement audacieux ! C’est pour cela que je vous en parle. Extrêmement audacieux !
Et qui, à l’époque où il a publié le livre, avait beaucoup surpris et probablement beaucoup agacé parce qu’il était très clairement en avance sur son temps.
En avance sur son temps par rapport aux normes sociales, et notamment en avance sur son temps par rapport à la façon dont il envisageait la place des femmes dans la société, leur liberté individuelle, leur liberté du quotidien. Donc tous cela pour vous dire qu’il y a eu à Matignon des gens extrêmement audacieux…et j’espère qu’il en a toujours. [Rires]
Oui je vous sens moins convaincus là-dessus c’est agréable merci. [Rires]
Alors sur… un petit mot peut être sur l’audace, puisque votre prix s’appelle le Prix de l’Audace.
C’est amusant cette notion d’audace, on sait à peu près tous ce que cela veut dire, on a l’impression de savoir.
Quand on dit de quelqu’un qu’il est audacieux, cela veut dire que, au fond, il prend un risque, qu’il n’a pas peur de prendre des risques, qu’il n’a pas peur de faire quelque chose.
Mais quand on y pense, l’audace, c’est une qualité exceptionnelle, parce qu’elle est indispensable à l’épanouissement des individus et indispensable à l’épanouissement d’une société. D’un groupe d’hommes et de femmes.
Elle est indispensable à l’épanouissement des individus parce que quand on vit sans audace, quand on ne prend aucun risque et bien il ne se passe rien. Et quand il ne se passe rien, c’est assez ennuyeux.
Et ça avance rarement. Et pour pouvoir faire qu’il se passe quelque chose, il faut à un moment ou à un autre dans la vie faire preuve d’audace. Vous en avez quelques exemples, dans la littérature, après tout c’est un prix culturel, on va un peu montrer qu’on a des lettres.
Vous en avez un exemple intéressant dans Proust. Proust raconte le moment où son héros doit faire preuve d’audace parce qu’il voudrait aborder des jeunes filles, il est sur la digue de Balbec et il voit des belles jeunes filles, il aimerait pouvoir les aborder, leur parler. Il faut qu’il fasse preuve d’audace. Parce s’il n’ose pas, et il sait que si il s’y prend comme un manche, ça ne va pas bien se passer.
Et donc pour se donner du courage il boit quelques verres de Porto, je ne dis pas que c’est la bonne méthode hein [Rires] ; je dis que c’est la littérature qui dit ça et ça ne se passe d’ailleurs pas très bien. L’audace des individus c’est ce qui leur permet d’être original, non pas original dans le sens ou on voudrait ne pas être comme les autres, ça, ça n’a pas beaucoup d’intérêt.
C’est ce qui leur permet de créer quelque chose pour la première fois, d’être à l’origine de quelque chose. Quand vous voulez être à l’origine de quelque chose, et c’est ce qu’il se passe quand vous faites une œuvre d’art, quand vous essayer de faire une œuvre d’art, vous êtes à l’origine, vous créer quelque chose, qui n’existait pas avant, que vous le fassiez.
Quand vous inventez une chanson, quand vous créez une statue, quand vous écrivez une histoire ou un livre, avant que vous le fassiez ça n’existe pas mais une fois que vous l’avez fait ça existe.
Vous êtes à l’origine de quelque chose et pour ça il faut de l’audace, une audace même qui est un peu folle ; il ne faut pas avoir peur d’avoir l’air ridicule, je suis sûr que parmi vous ici, il y en a pleins qui se sont dit un jour « j’aimerai bien essayer de faire ça mais… si je le fais ils vont se foutre de moi ». Je serais surpris que personne n’ai déjà pensé ça ici. Moi ça m’ai arrivé de penser ça.
Il faut se dire, avec beaucoup d’audace d’une certaine façon, que ce que l’on va créer a une forme de valeur ou d’utilité, non pas forcément une valeur marchande mais, que si on le fait ça peut être utile à quelqu’un, à quelque chose ou à soi même.
C’est pas rien du tout, ce n’est pas rien du tout. C’est donc indispensable quand on veut être un artiste, d’avoir de l’audace. Quand on reproduit de façon éternelle, quelque chose qui existe déjà, on n’est pas un artiste. On est un copieur. Quand on crée quelque chose neuf, une œuvre, on est un artiste, et donc on fait preuve d’audace.
C’est vrai du point de vue individuel, mais quand on y réfléchit bien, c’est vrai aussi du point de vue d’un groupe. Peut-être d’une classe, en tout cas certainement d’une société. Vous vous souvenez que les grands, enfin vous vous souvenez ou vous vous souvenez pas, mai je vais quand même vous le dire, les grands moments de l’histoire des sociétés, les moments où ils se transforment profondément, c’est toujours des moments, ou certains, et si possible le plus grand nombre d’entre eux, font preuve d’audace.
Imaginez l’audace qu’il faut pour que quelqu’un se dise euh… « En fait on va arrêter de faire des tableaux où on représente des choses ou des gens, ou des paysages ».
Mais ils vont être beaux quand même. Et surtout, ils vont créer quelque chose qu’on n’imagine pas. Imaginez l’audace qu’il faut pour quelqu’un, pour dire « je vais traverser cette mer dont on ne sait pas ce qu’il y a derrière, parce qu’il doit y avoir quelque chose derrière et j’ai l’audace d’y aller ». Imaginez l’audace qu’il faut pour se dire « on va créer quelque chose de neuf, parce que ce qu’on a aujourd’hui ne marche pas ». Un des grands révolutionnaires français, qui s’appelait Danton, il a fini avec la tête coupé… Mais quand même ! Il a fait des grandes choses.
Danton disait et c’était finalement d’une certaine façon sa devise, ou en tout cas ce qu’il espérait pour la France et pour la République française, il disait « de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ». Il faut avoir de l’audace et il faut avoir de l’audace si on a envie de créer quelque chose et ce que je trouve formidable dans ce que vous faites, dans cette formation, dans ceux que vous accompagné, c’est que vous aidez chacun de ceux qui sont ici à ne pas avoir peur d’être audacieux. Ne pas avoir peur d’aller se frotter à la création culturelle.
Ne pas avoir peur d’aller chatouiller des choses qu’on ne connaît pas, et dont parfois on vous dit qu’ils sont réservés à d’autres. Non non, d’essayer que chacun d’entre vous ici, quel que soit son âge, quel que soit son origine, quel que soit ses goûts ou ses spécialités, puisse faire preuve d’audace.
C’est formidable. C’est essentiel. C’est indispensable et c’est probablement au moins aussi important que ce que vous apprenez à l’école tous les jours.
Vous remarquerez Monsieur le Ministre que j’y vais molo, [rires], je ne dis pas que c’est plus important, je ne dis pas que c’est moins important je dis que c’est au moins aussi important.
Mais ça donne une petite idée quand même de ce que je pense hein [rires]. Bon, très bien, non c’est vraiment, extrêmement important.
Parce qu’en général, une fois qu’on a été audacieux, et qu’on a pris un risque et qu’on a créé quelque chose, on peut raisonnablement être fier. Parce qu’on l’a fait. Parce qu’on a pris le risque.
Parce que toute à l’heure il y en a certains qui sont montés sur cette estrade et qui ont dit quelque chose. Et donc on peut être fier, et c’est quand même très agréable non pas d’être fier parce qu’on penserait qu’on est meilleur que les autres ce n’est pas le cas, mais d’être fier parce qu’on a fait quelque chose. Pas parce qu’on serait quelque chose ou parce qu’on est quelqu’un, parce qu’on a fait quelque chose.
Et c’est tout ça au fond qui se joue grâce à vous, monsieur le président, c’est tout ça qui s’est joué pour peut-être les trente-cinq mille élèves qui ne sont pas tous présents aujourd’hui ici, mais qui sont présents avec nous, on va dire, ce qui est mieux parce que cela permet de diminuer les frais du cocktail monsieur le président [rires].
Mais c’est tout ça qui s’est joué et qui se joue encore et c’est formidable, donc bravo à vous tous, bravo à ceux qui vous accompagnent, je suis heureux finalement que Djamel m’ai demandé de le remplacer aujourd’hui [rires] ; c’est moins drôle que si c’est lui qui vous avait parlé mais moi ça me fait plaisir de vous dire que je suis très fier et très admiratif à la fois de ceux qui ont tenté il y a quelques années, ceux qui ont lancé ces projets, et de ce que vous avez fait avec eux depuis quelques temps. Bravo à vous » [applaudissements].
Source https://www.gouvernement.fr, le 16 août 2018