Interview de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec RMC le 5 septembre 2018, sur le tourisme en France et sur la question migratoire.

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Q - Bonjour Jean-Baptiste Lemoyne, vous êtes secrétaire auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, vous êtes chargé du commerce extérieur, du tourisme ; ce portefeuille, dit-on, est l'un des plus ingrats de la République. Est-ce vrai ?
R - Non bien au contraire, c'est passionnant parce que cette mission est une mission au service de l'ensemble des territoires. Vous savez, ce qui fait la France, c'est les départements, les régions, les destinations, le Pays basque qui vous est cher, la Bretagne et d'autres encore. Dans ce portefeuille, je suis chargé d'aider toutes les entreprises de ces territoires, à mieux exporter et à trouver des débouchés internationaux, et aussi, à valoriser ces territoires pour que les touristes internationaux visitent encore davantage la France. Et surtout, pour qu'ils ne visitent pas seulement Paris ou l'Île-de-France, qui sont un coeur battant mais l'ensemble des territoires français. Ce travail se fait au quotidien au contact d'hommes et de femmes qui sont eux-mêmes des passionnés de leur métier, qu'il soit chefs d'entreprises, salariés ou prestataires.
Q - Vous êtes donc le super VRP de la France, dedans et dehors, vous êtes François le Français, est-ce bien cela ?
R - En tout cas, je suis vraiment mobilisé : nous vivons aujourd'hui dans un monde où la concurrence est partout et dans tous les domaines.
Q - Qui peut faire concurrence à la France ?
R - En matière de tourisme par exemple, nos voisins espagnols poussent très forts, ils ont accueilli 83 millions de touristes internationaux en 2017, là où nous étions à 87 millions, il n'y a donc que quatre petits millions qui nous séparent. Ils mettent le paquet sur la promotion, nous ne devons donc pas nous reposer sur nos lauriers. De première destination même si nous sommes les champions du monde.
Q - Sommes-nous restés les champions du monde cet été ?
R - J'entends bien que nous le restions.
Q - Et nous le saurons quand ?
R - Nous le saurons au début du mois d'octobre. Ce que je peux vous dire, c'est que la tendance du premier semestre est très bonne : on parle d'une année 2017 qui fut un record. Par rapport à cette année record, nous sommes encore en croissance en termes d'arrivées internationales.
Q - Il faut expliquer aux gens que si vous mettez autant d'énergie à ce que l'on reste les champions du monde en termes de visites d'étrangers en France, c'est parce que cela représente énormément d'argent, le tourisme représente 34,37 milliards d'euros de recettes, est-ce bien cela ?
R - Même plus en fait. L'INSEE et la Banque de France a réévalué la méthode de comptabilisation et en 2017, le tourisme a généré 53 milliards d'euros de dépenses en France. C'est 7% de notre PIB. Cela veut dire qu'il y a beaucoup de territoires pour qui le tourisme est un moteur, et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le secteur de la restauration a créé en un an, près de 30.000 emplois.
Q - Mais ils cherchent à tour de bras !
R - Vous avez tout à fait raison, ils ont de vrais problèmes de recrutements et c'est l'un des sujets sur lesquels je me mobiliserai jusqu'à la fin de l'année, avec les professionnels, avec les partenaires sociaux que sont l'UMIH, le GNI SYNHORCAT etc., parce que nous avons là, des gisements d'emplois qui ne sont parfois pas correctement pourvus. Nous ne pouvons pas laisser faire cela, nous avons besoin de former, plus encore, nous avons besoin de former à l'excellence.
Q - Cela veut-il dire que vous allez accorder à l'UMIH, par exemple, que l'on permette de travailler aux personnes qui demande le droit d'asile ? Iriez-vous jusqu'-là ?
R - Il y a deux manières de progresser. Cette piste a été mise dans le débat public, il faut regarder tout ce que cela implique. Là aussi il y a enjeu d'accès à la formation. Je crois aussi et plus généralement qu'il faut valoriser les filières d'apprentissage car trop longtemps, ces filières ont été dépréciées.
Q - Ce n'est pas un peu, franchement, tout ce qui concerne le travail manuel en France est totalement dévaloriser.
R - Oui, c'est vrai. Vous savez, je suis un fruit de l'alternance, j'ai fait mes études en alternance et je peux vous dire que c'est très formateur et que l'apprentissage, c'est une volonté constante de Jean-Michel Blanquer, de Muriel Pénicaud, de Frédérique Vidal et du chef de l'Etat de faire en sorte qu'il y ait une nouvelle image. Ce sont essentiellement des filières qui permettent d'avoir un emploi par la suite.
Q - On voit que votre portefeuille est extrêmement large, je voudrais rester un moment sur le tourisme. Il y a eu un étrange effet coupe du monde qui a été en notre défaveur.
R - J'ai lu cela ; en effet, le mois de juillet a été mitigé dirons-nous.
Q C'est en fait le baromètre pro tourisme qui a sorti une étude, disant que le mois de juillet a été médiocre sur 80% du territoire national.
R - Je pense qu'il y a eu plusieurs facteurs, On peut être fan du ballon rond, mais cela n'empêche pas de partir en vacances. Je crois donc qu'il y a plusieurs explications. Tout d'abord, aujourd'hui l'école se termine plus tard, souvent autour du 7 juillet, et par ailleurs, pour ceux qui ne sont pas loin d'entrer dans les études supérieures, on cherche sa formation, on s'inscrit et on fait des démarches.
Q - Vous voulez dire que l'on attend les résultats de "Parcours sup" ?
R - "Parcours sup", c'est une fierté. Il y a aussi des habitudes qui changent. Les Français partent plus souvent en vacances dans l'année mais sur des périodes plus courtes. Il y a 20 ou 30 ans, juillet et août, c'était sacré du 1er juillet au 31 août, aujourd'hui on s'aperçoit que la période de gros départ est très concentrée entre le20 juillet et le 20 août. Ceci explique peut-être un mois de juillet un peu plus maussade. Le mois d'août s'annonce comme solide, et surtout, nous avons de plus en plus de belles arrière-saisons en septembre, voire même jusqu'au début du mois d'octobre.
Q - Les Français sont partis à l'étranger, et certains touristes qui étaient sur la plage ont vu arriver des embarcations remplies de migrants, alors qu'ils étaient en maillot de bain. Un choc de deux mondes qui n'ont rien en commun à part de vouloir sauver leur peau.
R - Ce sont des images que l'on a plutôt vues en Espagne mais elles sont réelles même si on ne les a pas vues en France. On se rend bien compte qu'il y a là un enjeu majeur.
Je m'occupe aussi beaucoup de politique de développement et je peux vous dire une chose : j'ai la conviction que l'Europe et l'Afrique, réussiront ensemble, ou échoueront ensemble. Il y a une telle dynamique démographique sur le continent africain que la réponse ne peut pas juste de tenter d'ériger des murs . Ce qu'il faut, c'est apporter des réponses de fonds, comme plus de solidarité au plan européen, parce que lorsqu'il n'y a pas de solidarité et qu'on laisse des pays seuls comme l'Italie ou la Grèce, on voit le résultat dans les urnes.
Il faut un travail avec tous les pays dont sont originaires ces jeunes hommes la plupart du temps, pour faire en sorte que l'on puisse les aider à développer un secteur privé et l'auto-entreprenariat. Ainsi qu'une coopération en matière de lutte contre les trafics d'êtres humains.
Q - Mais quand on est Soudanais au Darfour, vous pouvez toujours aider à développer l'entreprenariat, quand on est pourchassé et que l'on risque d'être abattu !
R - Vous mettez le doigt sur un point, c'est qu'il y a différentes catégories, même si c'est difficile d'employer ce mot. Il y a des personnes qui viennent pour une migration économique, et il y a des personnes qui viennent au titre du droit d'asile, car effectivement, elles sont persécutées, poursuivies en raison de leurs opinions politiques, religieuses ou de genre.
De ce point de vue, la France est et continuera à être au rendez-vous du droit d'asile.
Q - Pas toujours M. Lemoyne
R - Il y a un point très important, pour éviter à ces personnes éligibles au droit d'asile de faire cette traversée de la mort qu'est parfois la méditerranée, le chef de l'Etat a fait en sorte que l'on ait désormais des missions de l'OFPRA sur place, au Tchad et au Niger par exemple, pour identifier les personnes éligibles .
Q - Benoît Hamon demande : Quelle différence entre l'Italie qui refuse les bateaux qui ont récupéré les migrants et la France qui n'ouvre pas davantage ses portes ?
R - Il y a une énorme différence. La France est à l'oeuvre ; tout cet été, nous avons fait en sorte, au cas par cas, que pour les différents navires qui se sont présentés sur les côtes du Sud de l'Europe, puissent se mettre en place des mécanismes de répartition entre différents pays, pour éviter que le fardeau, la charge ne pèse que sur un seul pays. Nous avons été dans cette logique de solidarité, mais aussi d'appel à la responsabilité et la mise en place d'une réponse durable. Il faut être lucide, maintenant, c'est à l'échelle européenne que l'on gère les choses. C'est par exemple, à l'échelle européenne que l'on va renforcer Frontex qui sont ces garde-côtes.
Q - Vous m'accorderez Jean-Baptiste Lemoyne qu'il nous arrive de devoir accueillir ces bateaux selon les règles navales et de ne pas le faire. L'Aquarius aurait dû arriver en France.
R - Non. Selon les règles navales internationales que vous évoquez, l'Aquarius doit accoster dans le port le plus proche et le plus sûr.
Q - Il aurait dû accoster en France parce que le port le plus proche était français et pas espagnol !
R - Non, le port le plus proche et le plus sûr était au départ italien.
Q - Non !
R - On va prendre une carte de géographie.
Q - J'adorerai que nous ayons le temps de le faire parce que je vous assure que non. La rédaction du "Monde" pense que non, un certain nombre de rédactions qui ont fait le calcul pensent que non, vous le savez. Vous êtes bon en géographie vous qui êtes responsable du tourisme !
R - J'ai eu une très bonne note au bac, je peux vous dire que je suis assez sûr de mon fait.
Q - Jean-Baptiste Lemoyne, je vous remercie.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2018