Entretien de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, dans les "Dernières Nouvelles d'Alsace" du 7 septembre 2018, sur le siège du Parlement européen à Strasbourg, la campagne pour les élections européennes et sur la question climatique et le traité de libre échange entre l'Union européenne et le Canada.

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Média : Les Dernières Nouvelles d'Alsace

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Q - Ces derniers mois, il y a eu matière à douter du soutien d'Emmanuel Macron au siège du Parlement européen. En juin, plusieurs sources disaient aux DNA que le chef de l'Etat était prêt à l'"échanger". Depuis, les élus locaux disent attendre, selon les termes d'une motion adoptée par le conseil municipal de Strasbourg, "une parole forte et claire de la part du président de la République". Est-ce que c'est à l'ordre du jour ?
R - Il y a eu plus que des paroles, il y a eu des actes. Le président de la République est venu trois fois à Strasbourg : pour les obsèques d'Helmut Kohl, quelques mois plus tard à la Cour européenne des droits de l'Homme et en avril dernier au Parlement européen. À chaque fois sa présence réaffirme le caractère intangible de Strasbourg capitale européenne. À partir de mai prochain, la France assurera la présidence tournante du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, et il est vraisemblable qu'il y ait à nouveau un événement à Strasbourg en présence du président.
Il n'y a pas l'ombre du commencement du début de quoi que ce soit d'autre que la défense de Strasbourg capitale européenne. Notre engagement est constant. Je ne sais pas à quoi s'amusent ceux qui laissent courir des bruits disant le contraire : cela ne repose sur rien !
Q - L'un des moyens de défendre le siège serait d'installer le Parlement à temps plein à Strasbourg, au moins pendant la durée des travaux qui sont nécessaires dans ses bâtiments de Bruxelles. Roland Ries a dit ce vendredi matin " Nous sommes prêts " à cet accueil. Est-ce qu'un soutien de l'Etat est envisagé ?
R - Le Parlement doit d'abord prendre une décision claire sur la nature de ces travaux à Bruxelles (la question est de savoir si on consolide le bâtiment de Bruxelles ou si on l'abat pour le reconstruire, NDLR). Et s'il est décidé que les activités du Parlement seront transférées à Strasbourg pendant la durée des travaux, on fera évidemment tout pour le faciliter et l'accompagner.
Q - Vous défendez le fait qu'Emmanuel Macron ait décidé d'orienter la campagne pour les Européennes de mai prochain sur une opposition entre pro-européens et nationalistes. Est-ce que cet axe ne risque pas de détourner l'attention des enjeux de fond pour l'Union ?
R - Mais ce qui est en train de se passer est un enjeu de fond ! Cette tentation nationaliste en Europe est un enjeu existentiel pour l'Union européenne. La question est d'affronter ceux qui veulent détruire le projet européen. L'histoire nous a appris qu'il ne fallait laisser passer aucune attaque contre nos institutions et nos valeurs. Emmanuel Macron n'a pas choisi de mettre en scène cet affrontement. Nous constatons la montée de discours nauséabonds, et nous considérons que nous devons rassembler nos forces pour faire en sorte que le projet européen survive et fasse face à ces attaques qui viennent de l'extérieur et de l'intérieur de l'Union.
Q - Mais qu'est-ce que vous entendez par projet européen ? Pour beaucoup de citoyens de l'Union, il rime avec "ultra-libéralisme", "dumping social entre pays de l'UE"...
R - Ce que j'entends actuellement à travers les consultations citoyennes sur l'Europe - j'ai participé à 40 des 350 qui ont déjà eu lieu (et 350 seront encore organisées d'ici à la fin du mois d'octobre) - c'est que les gens ont des attentes fortes vis-à-vis de l'Europe. Souvent les Français veulent plus d'Europe, ou une Europe mieux orientée sur les questions qui les concernent, mais pas moins d'Europe. Ils parlent beaucoup d'Europe sociale - ce matin encore sur la Foire européenne on me parlait du dossier des travailleurs détachés, sur lequel nous avons obtenu des avancées.
Q - Quelles sont les thématiques que vous souhaitez défendre en priorité pendant cette campagne ?
R - Notamment celle du changement climatique. On ne peut pas traiter cette question en se limitant au niveau national. On a commencé à mettre en place la transition énergétique en Europe avec un marché unique de l'énergie qui nous permet de mieux intégrer les renouvelables et encourager leur utilisation. Il faut que l'on retravaille la question de notre souveraineté énergétique : qui nous approvisionne en énergie et avec quelles sources d'énergie ? Il faut que nos entreprises, nos industries, aient une incitation forte à transformer leur modèle.
Q - En annonçant son départ du gouvernement, Nicolas Hulot considérait que l'écologie n'est pas compatible avec le libéralisme. Est-ce que l'on peut d'un côté souhaiter, comme vous le faites, baisser les émissions de gaz à effet de serre, et de l'autre soutenir des traités européens de libre-échange qui, par exemple, facilitent l'importation dans l'UE de viande bovine du Canada ?
R - L'accord avec le Canada a été négocié pendant dix ans, cela a commencé bien avant les accords de Paris sur le climat, donc il ne pouvait pas en contenir les termes. Mais nous négocions avec le Canada pour que les enjeux climatiques soient pris en compte dans la mise en oeuvre de l'accord ; cela sera discuté au moment de la ratification du traité par les Parlements nationaux.
Et nous ne voulons pas signer de nouveaux accords commerciaux avec des pays qui ne respecteraient pas les accords de Paris, comme par exemple les Etats-Unis qui ont décidé d'en sortir.
Il y a nécessité aujourd'hui de mettre en place une taxe carbone à l'entrée dans l'Union européenne : on ne peut pas à la fois demander à nos entreprises de respecter nos normes environnementales et d'être en concurrence avec des entreprises de pays qui ne les respecteraient pas. Le marché seul ne permettra pas une évolution naturelle vers une croissance plus verte, c'est pour cela que nous souhaitons par exemple fixer un prix plancher pour le carbone. Il faut faire en sorte qu'écologie et libéralisme soient compatibles.Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2018