Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec BFM TV le 11 septembre 2018, sur le conflit syrien.

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Q - Bonsoir Monsieur Le Drian. Le régime syrien et ses alliés s'apprêtent donc à lancer cette dernière bataille à Idlib, contrôlé par les insurgés. Que craignez-vous précisément ?
R - Bonsoir, il y a un risque de désastre humanitaire et de désastre sécuritaire, si d'aventure le régime syrien soutenu par la Russie voulait poursuivre ses intentions.
Je dis " risque humanitaire " d'abord, parce qu'il y a trois millions de personnes qui vivent dans cette zone, c'est très important. Et sur les trois millions de personnes, il y a la moitié qui sont déplacées ou réfugiées et la moitié aussi qui vivent uniquement de l'aide humanitaire.
Et puis il y a aussi un risque sécuritaire dans la mesure où dans cette zone se trouvent beaucoup de groupes djihadistes, plutôt se réclamant d'Al-Qaïda, qui sont entre 10 000 et 15 000. Ils représentent des risques pour demain, pour notre sécurité. L'attaque qui est en cours de préparation par le régime syrien, appuyé par la Russie, est extrêmement dangereuse. Au Conseil de sécurité de ce soir, la France mais aussi d'autres acteurs vont dire qu'il faut une solution politique et que la solution militaire ne sera pas une solution de paix pour la Syrie, et qu'il faut éviter ce désastre en comparaison duquel ce qui s'est passé à Alep n'est rien, rien par rapport à l'horreur que cela peut représenter. Nous sommes donc très fermes là-dessus.
Nous constatons aussi que ceux qui se portaient garants de la zone d'Idlib qui était considérée comme une zone de désescalade - je pense à l'Iran, à la Russie et à la Turquie -, se sont réunis sur ce point à Téhéran vendredi dernier et n'ont pas réussi à se mettre d'accord. Si bien qu'il y a en outre une opposition entre la Russie, avec le régime d'un côté, et la Turquie de l'autre côté qui ne souhaite pas manifestement qu'il y ait la mise en oeuvre de cette offensive.
Q - Y a-t-il un risque d'attaque chimique, et si oui, que fera la France ? Est-ce que la France pourrait engager des frappes comme en avril dernier ?
R - Il apparaît qu'il y a une espèce de préparation psychologique, par certains intervenants russes, d'une utilisation de l'arme chimique qu'ils mettraient sur le compte de groupes terroristes. En réalité, nous avons déjà affirmé, le président de la République a été très clair sur ce point, que s'il y avait usage de l'arme chimique, si cet usage était avéré, vérifié, et si cet usage avait été létal, donc entraînant la mort, il y aurait les mêmes conséquences que ce qui s'est passé en avril dernier.
Q - Donc des frappes françaises ?
R - Il y aurait les mêmes conséquences. Je vous rappelle que l'usage de l'arme chimique est une ligne rouge pour la France, en particulier dans ces circonstances.
Q - Vous dites que vous êtes opposé à cette bataille qui risque de provoquer une catastrophe humanitaire, et en même temps on a l'impression que les Occidentaux apparaissent impuissants face à la détermination de la Syrie et de ses alliés de poids, à savoir l'Iran et la Russie ?
R - L'impuissance est aujourd'hui le fait de la Russie qui refuse d'envisager la seule solution qui serait crédible pour elle sur le long terme, la solution politique. Nous avons des échanges avec la Russie sur ce point. Il est clair qu'un processus politique supposerait d'abord un cessez-le-feu, et ensuite un processus de mesures de confiance et un processus d'aide humanitaire, ce à quoi nous sommes disposés.
Si la Russie prend le risque de renoncer à ses engagements de stabilisation de la zone d'Idlib, elle prend le risque aussi de se trouver totalement seule après un désastre dont il lui reviendra d'assumer toutes les conséquences.
Q - Dans ce bastion qui résiste encore au régime syrien, il y a des combattants djihadistes, des étrangers, on parle de Français. Combien de Français seraient présents dans ce bastion ? Vous avez un chiffre ?
R - Il est vraisemblable qu'il y ait quelques dizaines de combattants français venus à la fois d'Al-Qaïda et de Daech, mais c'est un nombre très limité. L'important, c'est qu'il y a aussi beaucoup de terroristes d'autres nations, qui risquent ensuite de se trouver dispersés si l'offensive syrienne et russe se mettait en oeuvre dans les conditions que l'on imagine aujourd'hui.
Il importe donc d'éviter ce risque, il est encore temps de se protéger contre cette hypothèse et il sera aussi opportun de seconder la Turquie dans ses efforts de maintenir la population en sécurité et en particulier la population civile.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2018