Texte intégral
Q - Je profite de votre présence, Nathalie Loiseau, ministre, auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes, pour nous donner cette information au sujet d'Oleg Sentsov.
R - Oui, je comprends que le Parlement réfléchit à la possibilité de donner le prix Sakharov à Oleg Sentsov. Mais je réagis aussi à ce que disait Christiane Taubira il y a quelques minutes : le président Macron a parlé à plusieurs reprises du cas d'Oleg Sentsov avec Vladimir Poutine sans résultat malheureusement jusqu'à présent.
Q - Vous êtes en charge, notamment, pour la France des négociations du Brexit. Vous rentrez justement de Londres. Alors, avance-t-on sur ce Brexit ?
R - On avance beaucoup sur l'accord de retrait. Plus de 80% du texte de l'accord est déjà rédigé et agréé à la fois par les Britanniques et par les Européens.
Evidemment, les 20% qui restent sont les 20% les plus difficiles. En particulier sur : que faire pour que, entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande, il y ait une frontière qui ne soit pas une frontière - cela ressemble un peu à du Magritte, ce que je décris, c'est du surréalisme - mais faire en sorte qu'il puisse y avoir le respect des accords de paix d'Irlande du Nord et la capacité à protéger aussi le marché intérieur européen. Là-dessus, nous n'avançons pas encore suffisamment, mais Michel Barnier travaille en continu avec les Britanniques. On espère que cela va aboutir.
Q - La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne est fixée pour le 29 mars. On devrait quand même arriver à un accord d'ici les 18-19 octobre, c'était du moins la limite de temps, peut-être que l'on poussera un petit peu jusqu'au mois de novembre. Je vois à votre regard qu'a priori on s'annonce un peu plus tard sur un accord. Michel Barnier, le négociateur, dit "en sept à huit semaines, on devrait y arriver". Un optimisme que vous ne partagez pas vraiment quand même ?
R - Disons que nous avons perdu pas mal de temps. Maintenant, nous sommes près de la date limite fixée, puisque ce qu'il faut c'est qu'avant le 29 mars cet accord de séparation puisse être ratifié par le Parlement britannique - et là-dessus la question est : quelle majorité au Parlement britannique pour quel type d'accord ? - et par le Parlement européen. Donc, effectivement, si ce n'est pas octobre, cela doit être novembre, mais pas plus tard.
Et il faut absolument que nous arrivions à nous mettre d'accord sur ces derniers sujets. En décembre, Theresa May nous avait dit qu'elle était d'accord sur les propositions qu'on lui faisait. Elle est revenue en arrière depuis. J'espère que nous allons avancer.
Q - Vous, justement, vous avancez et vous avez l'intention de présenter au Parlement un projet de loi visant, donc, à préparer un Brexit sans accord.
R - Visant à se prémunir au cas où on n'y arriverait pas. L'essentiel de nos efforts c'est faire en sorte que cela marche. Mais notre responsabilité de dirigeants, c'est d'être capable si, le 30 mars au matin, il n'y a pas eu d'accord, de ne pas tomber des nues et de ne pas dire aux entreprises et aux citoyens européens : "On n'était pas prêts".
Effectivement, j'ai présenté au Parlement une demande d'habilitation par ordonnance à prendre toutes les mesures nécessaires au cas où il n'y aurait pas d'accord.
Q - D'ailleurs, à ce propos, vous avez dit une petite phrase hier à Londres qui a fait beaucoup de bruit dans les médias britanniques, vous avez dit : une des conséquences, par exemple, si on n'a pas trouvé d'accord le 30 mars, eh bien les Eurostar ne circuleront plus entre Paris et Londres.
R - Ça, cela dit tout sur la presse britannique et sur l'état de quasi crise de nerfs...
Q - Vous voulez leur faire peur ou c'est réel ?
R - Non, ils ont eu envie de se faire peur et ils ont eu envie de faire un gros titre aussi. Le Brexit, on ne parle que de cela, et tous les jours, si on lit la presse britannique, on s'y perd.
Ce que j'ai dit, c'est que d'abord on voulait un accord et qu'il fallait véritablement tout faire pour cela, que l'on ne pouvait pas dire " la proposition britannique ou le chaos ", que de toute manière on allait essayer d'éviter le chaos. Soit un bon accord, soit, s'il n'y a pas d'accord, se préparer chacun dans tous les Etats membres...
Q - Mais la liste des conséquences possibles doit être sans fin...
R - Sans fin, non. Mais c'est pour cela que la Commission européenne s'y prépare pour tout ce qui relève de ses compétences communautaires, et chacun des Etats de l'Union européenne s'y prépare aussi, les Allemands, les Irlandais, tous. Le but c'est évidemment que les Eurostar roulent, que les avions décollent. La presse britannique a fait du sensationnalisme, mais notre travail est d'être prêt à tous les scénarios.
Q - Vous dites quand même que, pour Theresa May, c'est quasiment une mission impossible. Et vous dites aussi qu'il est impossible d'avoir une situation gagnant-gagnant pour les deux parties ?
R - Il ne faut pas se faire d'illusions. La situation dans laquelle le Royaume-Uni aurait le partenariat de sécurité et de défense le plus étroit avec l'Union européenne, et le meilleur accès au marché unique, on sait ce que c'est, c'est la situation actuelle, c'est d'être Etat membre. À partir du moment où les Britanniques sortent, notre relation sera dégradée.
Q - Mais, eux, ils veulent un statut mieux que la Norvège encore.
R - La proposition qu'ils ont faite, c'était un petit peu les droits de la Norvège avec les obligations du Canada. Nous, nous leur disons : "vous choisissez le niveau de votre relation, et puis on équilibre les droits et les obligations. À partir de là on peut bien travailler". J'espère que nous allons y arriver.
Q - Quand vous dites qu'il ne peut pas y avoir vraiment d'accord gagnant-gagnant, cela veut dire qu'il va y avoir un perdant ?
R - Non, cela veut dire que la relation sera moins étroite qu'avant, ce que nous regrettons. Mais c'est une décision souveraine du peuple britannique, nous la respectons et nous devons faire en sorte de limiter la dégradation de notre relation.
Q - Le calendrier de ce Brexit par rapport aux élections européennes, l'enjeu est énorme ?
R - La réalité, c'est que le 29 mars 2019, le Royaume-Uni quitte l'Union européenne. Soit on se met d'accord sur toutes les conditions du départ et il y a, à ce moment-là, une période de transition qui permet de décélérer un peu la relation jusqu'à fin 2020, soit cela s'arrête net.
Oui, cela va se passer en même temps que les élections européennes, ce n'est pas forcément cela qui sera au coeur des élections européennes. Les débats que nous avons en Europe aujourd'hui, et heureusement, concernent davantage la réforme de l'Union européenne, les défis auxquels nous sommes confrontés et les réponses qu'il faut y apporter. Moi, je suis plutôt soulagée de voir que les Européens arrivent à faire deux choses en même temps : négocier sur le Brexit et réformer l'Union européenne.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2018