Entretien de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, avec "LCI", le 26 novembre 2001, sur les négociations qu'il a menées avec les autorités de l'Ouzbékistan et du Tadjikistan pour obtenir le passage de l'aide humanitaire destinée à l'Afghanistan et le stationnement des avions militaires français.

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Circonstance : Voyage de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, en Ouzbékistan et au Tadjikistan, du 22 au 25 novembre 2001

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q - Vous revenez d'une mission qui a duré un peu plus de trois jours, qui vous a mené tour à tour en Ouzbékistan, au Tadjikistan et en Iran et qui avait pour projet essentiel de coordonner l'aide en direction de l'Afghanistan. La première question que l'on peut se poser est : N'y avait-il pas une certaine confusion des genres ? Parce que, finalement, est-ce que c'était une mission humanitaire, une mission diplomatique ou une mission militaire ? Parce qu'il y avait bien sûr l'acheminement de l'aide humanitaire, le déblocage des 56 ou 58 militaires français du 21ème régiment d'infanterie de marine coincés à la frontière qui ne parviennent pas à rentrer en Afghanistan. Puis, il y a eu, aussi, à décrocher un accord de principe du Tadjikistan pour pouvoir déployer sur le sol de ce pays six Mirages 2000-D. Alors, étiez-vous militaire ou humanitaire ?
R - Il se trouve que j'appartiens au pôle diplomatique et qu'il n'est pas anormal que la diplomatie se préoccupe des dossiers, même militaires parfois. Mais il est vrai que c'était surtout sur l'action humanitaire que je me rendais dans ces pays, y compris pour parler de coopération car, si l'action humanitaire est une chose, il est important que nous préparions aussi dans la durée une relation différente avec ces pays qu'on a peut-être eu tendance un peu à négliger et qui, à cause de leur situation géopolitique, sont importants. Je suis heureux de constater que, dans ces pays, il y avait une sorte de désir de France sur un certain nombre de dossiers où notre coopération peut aider des pays qui sont d'ailleurs en difficulté eux-mêmes, pas seulement l'Afghanistan.
Q - Alors, est-ce que vous ne revenez pas sur un certain échec, si on prend les différents objets de votre mission ? On va les prendre un par un.
R - C'est bien parce que c'est une bonne occasion pour s'en expliquer.
Q - On va commencer par le militaire. Accord de principe pour déployer six Mirages 2000-D sur le territoire du Tadjikistan avec également deux avions porteurs. L'accord de principe a été obtenu. Quand est-ce qu'ils partiront ces Mirages ?
R - Il faut maintenant formaliser cet accord. C'est l'affaire du ministère de la Défense et des Affaires étrangères. Il faut que les experts s'en préoccupent mais je pense que les choses devraient aller assez vite et, en ce qui concerne le calendrier, vous comprendrez que ce soit quand même plutôt au ministre de la Défense d'annoncer l'information. Mais, pour autant, nous souhaitons, en effet, qu'ils puissent aller rapidement sur place pour participer, si nécessaire, et en concertation avec, évidemment, les Américains, à la poursuite d'une guerre qui n'est pas encore terminée car on peut craindre, notamment sous forme de guérilla, que les actions de guerre doivent se poursuivre et donc justifient que nous y participions.


Q - Quelles conditions ont posées les responsables tadjiks ?
R - Ils n'ont pas posé de conditions particulières. Ils comprennent le besoin d'un Afghanistan en paix, reconstruit. Ils considèrent que notre participation s'inscrit dans cet objectif donc il n'y a pas eu de négociations de marchandage, si c'est la question que je dois entendre.
Q - Deuxième objet de votre voyage, débloquer l'aide humanitaire. La France participe à hauteur de 20 % à l'aide de l'Union européenne. Il y a un certain nombre de stocks, de matériel sanitaire, alimentaire, qui se trouvent à la frontière, qui n'arrivent pas à passer. Où en est-on ? Apparemment, vous n'avez pas obtenu le passage.
R - Là aussi, il est important de préciser un peu les choses. D'abord, vous avez raison, ce n'est pas une question de moyens, c'est bien un problème d'acheminement. Il y a, pour faire parvenir cette aide, plusieurs voies possibles : le Tadjikistan qui est la voie déjà utilisée, qui signifie un long parcours en camion, dangereux mais qui est le moyen qu'utilise aujourd'hui le PAM pour faire parvenir l'aide alimentaire, y compris à Mazar-i-Charif. Il y a le Turkménistan, qui est une autre voie terrestre, un peu compliquée également mais possible et déjà employée. Et puis, il y a cette voie qui apparaît comme la plus facile parce qu'il y a ce fleuve Amou Daria, entre Termez et l'Afghanistan. Mais un pont important le traverse et tout de suite après, des quasi-autoroutes en terrain presque plat, donc facilement sécurisables.
Le pont est fermé depuis 1996 et les Ouzbeks ne sont pas encore disposés à le rouvrir car ils craignent que l'instabilité encore réelle en Afghanistan ne retentissent chez eux. Ils craignent des infiltrations d'islamistes armés comme ils en ont déjà connues.
Donc, je n'y allais pas pour "ouvrir ce pont", j'allais voir comment on pourrait acheminer l'aide humanitaire et en particulier le fret humanitaire français qui est là-bas depuis dimanche, puisqu'un avion s'est posé à Termez et a été déchargé. J'ai visité le port de Termez où j'ai pu constater que le fret humanitaire en question est là, protégé, sécurisé et qu'il faut encore le faire passer. Pour cela, il y a des barges qui peuvent assurer ce transport, qu'utilisent déjà les Nations unies, d'ailleurs, pour faire passer, en partie, leur propre aide humanitaire, à laquelle la France participe, je tiens à le rappeler. Chaque fois que les Nations unies transportent de l'aide humanitaire, la France a apporté sa participation. Mais il est vrai que les ONG qui doivent faire passer ce fret humanitaire n'avaient pas leur accréditation jusqu'à présent.
Je suis heureux, ayant plaidé leur cause, que ce matin, le gouvernement ouzbek ait donné l'accréditation nécessaire à ces ONG françaises qui vont donc, désormais, en concertation avec les Nations unies, pouvoir faire passer l'aide humanitaire en direction de Mazar-i-Charif où les populations, évidemment, en ont besoin. Autrement dit, ce premier résultat de mon voyage, l'accréditation des ONG françaises est déjà positif.
Deuxième résultat, et j'insiste parce que les journalistes n'ont pas très bien compris pourquoi j'étais si pressé, en passant à Termez. Ils ont obtenu ce qu'ils espéraient : l'autorisation pour les journalistes de passer en Afghanistan. C'est fait, j'ai plaidé leur cause. Cela a été obtenu dès hier.
Voilà deux résultats importants et je crois que les organisations humanitaires se sont donné les moyens, y compris de contourner cet obstacle de Termez et que l'aide humanitaire devrait être acheminée aux populations. Encore faut-il la sécuriser et c'est là que la France, en effet, continue de se proposer de participer à la sécurisation de cette aide humanitaire. C'était la question notamment de Mazar-i-Charif.
Q - Alors, on va venir à la sécurisation et à la présence des militaires. Vous dites qu'à partir de demain, grâce aux barges et à l'accréditation obtenue, l'aide humanitaire que l'on a bloquée à Termez va pourvoir passer vers Mazar-i-Charif ?
R - Elle va pouvoir commencer à passer car les barges sont tout de même un moyen de transport relativement limité. Il faut que ceci se fasse en concertation avec les Nations unies qui, elles, ont obtenu un accord global avec le gouvernement ouzbek pour ce type de transit.
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(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 novembre 2001)