Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail à BFMTV le 9 octobre 2018, sur le remaniement ministériel et le plan sur la lutte contre la pauvreté.

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Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invitée est donc Muriel PENICAUD. Bonjour.
MURIEL PENICAUD, MINISTRE DU TRAVAIL
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Toujours ministre du Travail. Vous avez reçu l'assurance de rester au gouvernement ? Sincèrement ?
MURIEL PENICAUD
Ce n'est pas comme ça que ça se passe mais je suis au travail et on est tous au travail.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Si vous êtes là, c'est bon signe.
MURIEL PENICAUD
Ce n'est pas le sujet. Le sujet, c'est de faire avancer les sujets.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'ai vu votre agenda. On va parler des sujets évidemment mais j'ai vu votre agenda pour les prochains jours. Tout est prêt, vos déplacements, vos interventions donc vous continuez. Vous avez envie de continuer bien sûr.
MURIEL PENICAUD
On est tous au service des Français et heureusement qu'on ne se met pas dix jours en pause parce qu'il y a un changement. La semaine, j'étais toute la semaine sur le terrain pour voir, dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté, quinze expériences de terrain. Hier, j'étais à la Fédération des travaux publics. Oui, on travaille, il y a beaucoup à faire. On n'a pas fini de travailler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, vous continuez à travailler. Vous avez envie de continuer à travailler comme ministre du Travail ; c'est clair. On est bien d'accord, Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Vous savez, j'ai été DRH. Je vais vous dire : on ne postule pas pour être ministre. C'est le président de la République et le Premier ministre qui vous le demandent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça, j'ai compris, oui. Ça, j'ai compris. Nouveau gouvernement connu ce soir, c'est bien cela ?
MURIEL PENICAUD
[silence]
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais, ne me dites pas que vous ne savez pas !
MURIEL PENICAUD
C'est très bientôt.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Très bientôt ! Non, vous me faites sourire. C'est ce soir, tout le monde le sait.
MURIEL PENICAUD
[propos inaudibles]
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous aimeriez avoir un ou deux secrétaires d'Etat pour venir vous épauler ?
MURIEL PENICAUD
Non, non, mais le sujet ne se pose pas comme ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah bon ? D'accord. Bon, j'ai vu que… Enfin, Edouard PHILIPPE devient une star. Vous ne trouvez pas, non ?
MURIEL PENICAUD
Je trouve que c'est bien que le président de la République…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il est plus populaire que le président de la République.
MURIEL PENICAUD
Populaire, ce n'est pas… Encore une fois, il faut bien comprendre que tout le monde porte le même projet : le président de la République, le Premier ministre, tout le gouvernement. Après, il y a des popularités plus ou moins grandes. Le plus important, c'est quoi ? C'est d'abord la cohésion de tout le monde et je crois qu'on a vraiment une équipe présidentielle et gouvernementale très unie. Et puis, il faut qu'on réussisse parce que les Français attendent qu'on réussisse pour eux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes DRH, vous vous embaucheriez ?
MURIEL PENICAUD
Je ne suis plus DRH.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais vous l'avez été. Donc, vous vous embaucheriez ?
MURIEL PENICAUD
Qui ? Moi-même ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
MURIEL PENICAUD
On ne s'embauche pas soi-même.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais d'accord. Mais est-ce que si vous étiez… Parce que c'est un DRH finalement Edouard PHILIPPE.
MURIEL PENICAUD
Non, mais je trouve que l'expérience aussi bien de l'entreprise, que de l'insertion, que des syndicats quand on est ministre du Travail, c'est bien.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, c'est bien.
MURIEL PENICAUD
Je suis la DRH comme Jean-Michel BLANQUER est le prof et Agnès BUZYN la médecin du gouvernement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Des ministres solides en place. CGT, FO, Solidaires, UNEF qui appellent aujourd'hui à des rassemblements un peu partout en France, de la grève aussi, défilés contre la politique du gouvernement. Que leur dites-vous ?
MURIEL PENICAUD
Moi, je n'ai rien à leur dire. Le droit syndical et le droit de grève et le droit de manifester est entier dans ce pays et c'est très bien comme ça. Par contre, je note qu'effectivement tous les syndicats n'appellent pas à manifester parce que l'organisation syndicale elle représente les salariés mais ce n'est pas forcément un combat politique contre le gouvernement. D'ailleurs, c'est ce qu'a dit Laurent BERGER hier. Donc, je pense que, voilà. Après, celles qui le souhaitent appellent à manifester. Nous verrons.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a des grandes mesures qui sont engagées, des grandes réformes. L'assurance chômage par exemple, je vous pose une question toute simple : est-ce qu'un chômeur doit accepter un emploi même si ce n'est pas dans le domaine qu'il souhaite ?
MURIEL PENICAUD
D'abord, dans les neuf dixièmes des cas, la question ne se pose pas puisqu'on cherche de l'emploi dans presque tous les secteurs. Aujourd'hui, la question est assez rare. Après, la loi prévoit depuis des années que s'il n'y a pas d'emploi dans votre secteur et qu'il y a des emplois qui correspondent à vos qualifications néanmoins près de chez vous, vous ne puissiez pas en refuser plus de deux. Ça, ça existe depuis longtemps. Ce que nous avons changé dans la loi, c'est qu'on tienne compte de la situation des personnes. Par exemple, si une femme qui a des enfants, qui est seule et qui a des problèmes d'horaires de crèche ne peut pas prendre un travail à cause de ça, elle ne doit pas évidemment être sanctionnée et voir ses indemnités diminuées. Donc il y a du traitement plus humain sur mesure mais c'est un peu normal, c'est les cotisations de tout le monde. Donc à un moment donné, s'il y a du travail qui correspond à ce que vous pouvez faire…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi y a-t-il encore tant de chômeurs en France ? On est à combien ? 9,3 % ?
MURIEL PENICAUD
9,1. On a baissé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
9,1 maintenant.
MURIEL PENICAUD
L'année dernière, on était à 9,7 %, on est à 9,1 donc on a commencé la décrue du chômage.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Seules la Grèce, l'Espagne et l'Italie font plus mal que nous.
MURIEL PENICAUD
On est la septième puissance économique du monde et on a un chômage. En plus, le chômage des jeunes est de plus de 20 %.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais pourquoi ? Pourquoi ça ne baisse pas plus vite ?
MURIEL PENICAUD
Pourquoi ça ne baisse pas plus vite ? Parce que la reprise est récente et qu'aujourd'hui, ça fait dix-douze mois que le chômage a commencé à baisser. Ça s'accélère mais c'est encore long parce qu'il y a beaucoup, beaucoup d'emplois, on en cherche partout. Hier, j'étais à la Fédération des travaux publics qui vont recruter quarante mille personnes par an. Mais il faut des qualifications dans ces domaines. On a sous-formé…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc c'est l'accompagnement des chômeurs qui est insuffisant.
MURIEL PENICAUD
C'est l'accompagnement et puis la formation. C'est pour ça que la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et le plan d'investissement compétences, on met le paquet sur les compétences. Parce que personne ne peut devenir chef cuisinier sans formation ou conduire des engins de travaux publics.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce n'est pas ce que disait le président de la République lorsqu'il conseillait à un horticulteur d'aller travailler de l'autre côté de la rue dans la restauration. Pardon mais…
MURIEL PENICAUD
Permettez-moi, monsieur BOURDIN, d'expliquer. Il y a des emplois. Aujourd'hui, on cherche beaucoup d'emplois. A Pôle emploi, les employeurs ont décrété qu'ils allaient employer plus 18 % de personnes cette année. Formidable ! Ça, c'est une formidable occasion de réduire le chômage. Enfin, il y a la croissance qui peut créer des emplois. Mais un cas sur deux, ils ont du mal à recruter. La plupart du temps, c'est parce qu'il n'y a pas la compétence. Ensuite, il y a des sujets de mobilité et puis ensuite il reste des emplois moins qualifiés qui ne demandent pas de qualification particulière sur lesquels on peut aller. Ce qui est important, c'est de ne pas être enfermé à vie et c'est pour ça que dans la loi avenir professionnel on a prévu que tout le monde ait un droit à la formation. Parce qu'on peut prendre un métier qui n'est peut-être pas tout à fait celui qu'on choisit si on n'a pas de qualification, mais il faut pouvoir se former pour avoir des métiers plus intéressants dans la suite.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'il y a des chômeurs qui attendent la fin des droits pour chercher vraiment du travail ? Franchement, ça existe ?
MURIEL PENICAUD
Je pense que le problème, ce n'est pas les personnes, c'est les règles. Les règles de l'assurance chômage qui sont définies par les partenaires sociaux, patronat et syndicats, dans le cadre d'un cadrage désormais fixé par l'Etat mais c'est eux qui définissent les règles. Elles ont des effets positifs et puis parfois elles ont des effets qui n'étaient pas voulus…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Négatifs.
MURIEL PENICAUD
Négatifs et qui n'étaient pas voulus.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Lesquels ? Quels effets négatifs ?
MURIEL PENICAUD
Aujourd'hui, c'est pour ça que nous avons demandé aux partenaires sociaux de renégocier la convention de l'assurance chômage, on a un excès de ce qu'on appelle les contrats courts. Aujourd'hui, neuf personnes sur dix… Non, neuf offres d'emploi sur dix, c'est un CDD ou un intérim. On est entré dans un excès de précarisation.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Exact. Et parfois de moins d'un mois et même d'une journée parfois.
MURIEL PENICAUD
Un tiers des CDD, c'est un jour ou moins. Donc la situation, c'est quoi ? C'est des personnes qui sont à l'assurance chômage et on les appelle en leur disant : « Venez demain. » Moi, ce n'est pas mon image du marché du travail, ce n'est pas le monde du travail qu'on a envie de bâtir qu'autant de salariés soient dans cette situation. Pour ça, il faut changer les règles.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors quelles règles voulez-vous changer ? Parce que le MEDEF s'oppose à toute pénalité infligée aux entreprises.
MURIEL PENICAUD
Les règles, ce sont les partenaires sociaux qui vont définir comment. Mais ce qu'on leur dit, c'est qu'il faut regarder cet excès de contrats courts, il y a deux angles à regarder. Il y a des règles qui font qu'il y a des demandeurs d'emploi qui ont plus intérêt à rester demandeur d'emploi qu'à travailler. Il faut que le travail paye, il faut que les règles incitent au retour à l'emploi. Mais il y a aussi des employeurs qui, en termes de gestion de ressources humaines, ont j'allais dire exagéré avec le système et donc les uns et les autres doivent discuter.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors quelles mesures recommandez-vous et allez-vous prendre ? Quelles mesures ?
MURIEL PENICAUD
Alors je respecte trop la démocratie sociale pour faire les réponses à la place des partenaires sociaux. Par contre, dans le document de cadrage on leur dit : « Regardez ce sujet, apportez une réponse » et donc ils auront quatre mois pour le faire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'était une promesse du président de la République me semble-t-il ?
MURIEL PENICAUD
Dans le document de cadrage, il y a la responsabilisation des entreprises sur l'excès de contrats courts.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais comment est-ce que vous responsabilisez les entreprises sur l'excès de contrats courts ?
MURIEL PENICAUD
Il y a deux solutions. Soit les partenaires sociaux trouvent une solution, ils la négocient et l'Etat va agréer leur accord. Soit ils n'en trouvent pas et nous prendrons nos responsabilités.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et quelles responsabilités pourriez-vous prendre ? Il y a deux solutions, il y a plusieurs solutions même.
MURIEL PENICAUD
Il y a plusieurs solutions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Par exemple, augmenter les cotisations patronales pour les entreprises qui emploient trop de contrats courts, non ?
MURIEL PENICAUD
Non, ce n'est pas le contrat le sujet. C'est les entreprises qui remettent tout le temps les mêmes personnes au chômage. Sept CDD sur dix, c'est ceux qu'ils remettent toujours au chômage.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous pourriez pénaliser les entreprises qui utilisent trop de contrats courts ?
MURIEL PENICAUD
Le contrat court parfois, c'est le tremplin pour le CDI. Ce n'est pas le contrat court lui-même mais les entreprises qui en permanence remettent les mêmes personnes au chômage. Quand vous embauchez sept fois de suite la même personne…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc un malus.
MURIEL PENICAUD
Un malus et un bonus pour d'autres.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le malus-bonus, vous y tenez.
MURIEL PENICAUD
Ou autre chose équivalent. Si les partenaires sociaux…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'est-ce que ça peut être ?
MURIEL PENICAUD
Vous savez, les règles de l'assurance chômage, il y en a deux cents. C'est très compliqué donc il y a plusieurs manières de traiter le sujet mais nous disons aux partenaires sociaux : il faut traiter le sujet de la précarité qui s'installe du côté patronal et des entreprises et des demandeurs d'emploi. Elle est mauvaise parce que c'est quoi un monde du travail où on est précaire, on ne se forme pas, on n'a pas de possibilité de carrière, il y a plus d'accidents du travail. Ce n'est pas un but dans la vie d'être précaire toute sa vie et, en même temps, c'est ça qui plombe les comptes de l'assurance chômage. Rien que les contrats courts, c'est huit milliards d'euros de déficit donc ça met à risque le système à terme.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Justement, vous dites, vous nous dites ce matin : il y aura des mesures peut-être coercitives à l'encontre des entreprises qui font signer trop de contrats courts. On est bien d'accord ?
MURIEL PENICAUD
Non. Je dis qu'il y a une négociation de l'assurance chômage qui a été demandée par l'Etat par la loi aux partenaires sociaux. Ils ont quatre mois pour trouver des solutions notamment - c'est le point principal et pas unique - à cet excès de contrats courts qui est typique de la France parce que d'autres pays ne l'ont pas. S'ils ne trouvent pas de solution, nous prendrons nos responsabilités. Il y aura plusieurs mesures dans tous les domaines.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des mesures coercitives.
MURIEL PENICAUD
Ce n'est pas des mesures coercitives, c'est des règles. Il faut que quelqu'un fixe les règles de l'assurance chômage.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais d'accord. Vous dites aux partenaires sociaux : très bien, vous négociez. Mais au bout de quatre mois, s'ils ne trouvent pas d'accord, le MEDEF ne veut pas.
MURIEL PENICAUD
Je dis juste parce que le mot coercitif, pourquoi vous ne l'utilisez pas pour les partenaires sociaux ? Soit c'est les partenaires sociaux qui définissent les règles ; c'est mon souhait, c'est ce que nous souhaitons. Soit ce sera l'Etat s'ils ne le font pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous pénaliserez les entreprises qui…
MURIEL PENICAUD
Vous ne prenez qu'un bout. On reverra le système des contrats courts dans son ensemble.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire que vous pénaliserez les entreprises. Pourquoi vous ne le dites pas ?
MURIEL PENICAUD
Parce que je dis qu'il faut que… Vous ne voyez qu'un bout.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si les partenaires sociaux ne tombent pas d'accord…
MURIEL PENICAUD
Mais il n'y a pas que ça dans la réforme de l'assurance chômage. Il faut aussi que ça incite au retour à l'emploi, il faut les deux. Il faut que les règles incitent au retour à l'emploi et responsabilisent donc sanctionnent le cas échéant ceux qui abuseraient. Voilà, les deux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc sanctionnent le cas échéant ceux qui abusent, on est bien d'accord.
MURIEL PENICAUD
Les deux. Mais il faut avoir les deux bouts de la phrase sinon on n'est pas équilibré et ça ne sera pas efficace.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est bien d'accord. Et parmi les sanctions, ça peut être par exemple cotisations à l'assurance chômage dégressives.
MURIEL PENICAUD
Il y a plusieurs solutions. Là encore il y a plusieurs solutions mais ce qui est certain…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On encourage l'entreprise à faire des efforts.
MURIEL PENICAUD
Je vais vous dire, l'entreprise qui dans le même secteur d'activité qu'une autre…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est l'objectif, encourager l'entreprise qui fait des efforts. C'est l'objectif ?
MURIEL PENICAUD
Oui, et encourager les demandeurs d'emploi qui retournent à l'emploi, les deux. Il faut que ce soit incitatif à quoi ? A l'emploi, moins d'emplois précaires et plus d'emplois. Voilà, c'est à ça que doivent servir les règles de l'assurance chômage.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Pas de dégressivité des allocations ?
MURIEL PENICAUD
Le gouvernement n'a pas mis dans le document de cadrage la dégressivité des allocations. Ce n'est pas une proposition du gouvernement. Par contre, ce qu'on dit dans le document de cadrage aux partenaires sociaux, c'est que tout le monde n'est pas égal devant le chômage. Si vous êtes cadre - aujourd'hui il n'y a presque plus de chômage des cadres, on est à moins de 4 % - dans un bassin d'emplois où il y a beaucoup d'emplois, vous n'avez aucune difficulté pour retrouver un emploi de cadre bien payé. Ce n'est pas la même situation que la personne qui est non qualifiée. Là, le taux de chômage c'est 18 %. C'est beaucoup plus difficile. Or les règles sont les mêmes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc dégressivité pour les cadres ?
MURIEL PENICAUD
Non. On dit juste aux partenaires sociaux… Aujourd'hui, les règles sont les mêmes qu'on soit qualifié, qu'on ne soit pas qualifié et que ça soit difficile ou pas de trouver un travail. Est-ce que c'est normal que les règles soient les mêmes ? On attend leur réponse.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Pas non plus de changement sur le niveau d'indemnisation ? Là, on ne touche pas ?
MURIEL PENICAUD
Sauf si les partenaires sociaux décident de le faire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La réforme des retraites, Muriel PENICAUD. Le temps de la concertation est allongé si j'ai bien compris. On est bien d'accord ?
MURIEL PENICAUD
Oui, un peu, oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La réforme sera prête en 2019.
MURIEL PENICAUD
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vous sens sur vos gardes.
MURIEL PENICAUD
Non, non, non. C'est une loi pour 2019. Je vous écoute très attentivement monsieur BOURDIN, comme toujours.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La réforme sera prête en 2019. Sera-t-elle présentée avant les élections européennes du printemps ?
MURIEL PENICAUD
Pour l'instant, où on en est ? Il y a eu plus de six mois de concertation de la première phase. Jean-Paul DELEVOYE, qui est le haut commissaire aux retraites auprès d'Agnès BUZYN, demain va donner un point d'étape là-dessus et va ouvrir la deuxième phase de concertation où on commence à parler des mécanismes. Ça, ça demande du temps. Les retraites, aujourd'hui il y a seize millions de retraités en France. Eux ne sont pas concernés mais évidemment, ça concerne tous ceux qui travaillent ou qui ne travaillent pas. Et c'est d'ailleurs un des sujets parce qu'aujourd'hui, le système est considéré par beaucoup de Français comme un peu injuste. Tout le monde a l'impression que l'autre est mieux traité parce qu'on a plein de systèmes qui sont très compliqués, qui ne sont pas égaux et c'est vrai que le système est injuste. Un des sujets dont il faudra tenir compte, c'est évidemment les carrières quand on a eu un bout de chômage. Je suis très attentive aussi au sujet des femmes. Vous savez que les femmes ont 37 % d'écart à la retraite parce qu'elles ont des écarts dans les salaires. Donc le combat que je mène avec Marlène SCHIAPPA sur l'égalité des salaires, ça aura aussi une incidence, tout se tient, et tout ça il faut un peu de temps.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais je reviens à ma question. Est-ce que la réforme sera présentée avant les élections européennes du printemps ?
MURIEL PENICAUD
On verra mais, vous savez, l'important c'est que ce soit la bonne réforme à deux mois près…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça, on est d'accord. Heureusement que ce sera une bonne réforme à vos yeux, parce que sinon…
MURIEL PENICAUD
Absolument. Comme toutes nos réformes j'espère.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'allez pas présenter une mauvaise réforme. Muriel PENICAUD, je vous dis ça parce que… Vous avez compris ma question.
MURIEL PENICAUD
Oui, j'ai compris votre question. Mais pour les Français, je vais vous dire, ce qui compte c'est le système de retraite, ce n'est pas le lien entre les deux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça, je suis bien d'accord mais pour vous, ce qui compte, c'est les européennes. C'est-à-dire que vous ne pouvez pas polluer les élections européennes avec une réforme qui est une réforme difficile à conduire, vous le savez, et qui va provoquer des réactions, vous le savez.
MURIEL PENICAUD
Je vais le dire autrement. Les élections européennes, c'est un choix que les Français comme les autres doivent faire, quel Parlement on veut puisque les élections pour le Parlement. Est-ce qu'on veut plus d'Europe ou est-ce qu'on veut détricoter l'Europe ? Nous, on dit qu'il nous faut plus d'Europe et mieux d'Europe pour protéger y compris les Français et y compris tout le monde. Il faut que le débat porte sur l'Europe. Si le débat ce n'est pas l'Europe, on va avoir deux débats à la fois…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc on est bien d'accord. La réforme des retraites…
MURIEL PENICAUD
Avant ou après mais pas la même semaine, sinon on ne va rien comprendre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La réforme des retraites après.
MURIEL PENICAUD
En tout cas, ça ne peut pas être les mêmes semaines que la campagne…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On prend les paris ? Jamais avant.
MURIEL PENICAUD
Moi, je pense que les Français ce qu'ils attendent, c'est le contenu de la réforme des retraites. La date, c'est le sujet des politiques et des journalistes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'âge légal de départ à la retraite sera toujours de 62 ans ?
MURIEL PENICAUD
L'âge légal, le président de la République a dit qu'il ne changerait pas l'âge légal de départ à la retraite.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Mais si par exemple je prends ma retraite à 63 ou 64 ou 65, est-ce qu'elle sera majorée ?
MURIEL PENICAUD
C'est déjà le cas aujourd'hui, on peut prendre sa retraite plus tard.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, on peut prendre sa retraite plus tard.
MURIEL PENICAUD
La grande idée de la réforme des retraites, il y a une idée qui a été clairement annoncée par le président de la République depuis le début, c'est de passer à un système par points, c'est-à-dire que tout euro cotisé ouvre à des droits similaires. Parce que c'est vrai que selon que vous êtes dans tel ou tel régime, les mêmes euros ne donnent pas du tout les mêmes droits, en sachant qu'on ne cotise par sa retraite. Je crois que ça, c'est important de comprendre. Aujourd'hui, c'est ceux qui travaillent qui cotisent en travaillant pour ceux qui prennent la retraite aujourd'hui. Mais il faut quand même que le système soit plus juste. Ça, c'est le système le plus important. Après comment dans le système de points ça fonctionne, on compte les bonifications, et caetera ? Tout ça, c'est des choses qui vont être discutées avec les partenaires sociaux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Muriel PENICAUD, je veux dire par-là qu'ARRCO AGIRC, les retraites complémentaires, à partir du 1er janvier la retraite complémentaire à taux plein sera prise à 63 ans et non pas 62 ans.
MURIEL PENICAUD
AGIRC ARRCO c'est décidé par les partenaires sociaux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, d'accord. Alors est-ce qu'on peut faire la même chose pour la retraite de la Sécurité sociale ?
MURIEL PENICAUD
C'est marrant parce que vous entrez dans ce sujet par un biais qui est l'âge alors qu'on a dit qu'on ne changeait pas l'âge légal. Le sujet des retraites, c'est quoi ? C'est qu'aujourd'hui on a un système injuste qui couvre mal certains et il faut qu'il marche dans trente ans, dans quarante ans notre système. Là, ce n'est pas une réforme dont les effets vont être immédiats mais, par contre, ils vont être très longs dans la durée. Donc il faut d'abord mettre tout à plat…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si j'ai bien compris, je vais avoir une liberté de choix. Je vais être encore plus concret, Muriel PENICAUD. Je vais avoir une liberté de choix. Si je pense que j'ai assez de droits, je peux prendre ma retraite à 62 ans. On est bien d'accord ?
MURIEL PENICAUD
Alors aujourd'hui, il est beaucoup trop tôt honnêtement pour parler des modalités puisqu'on n'a pas commencé à en parler. Jean-Paul DELEVOYE va commencer cette concertation sur les modalités avec les partenaires sociaux. Pour l'instant, on est au stade d'abord du diagnostic partagé. Vous savez, il y a plus de 46 examens alors avant de toucher, il faut être sûr que tous les partenaires ont bien compris ce dont il s'agit.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et si je travaille plus longtemps, ma pension sera plus importante ?
MURIEL PENICAUD
Pas forcément. Ce n'est pas forcément lié à la durée puisque le nombre de points ce n'est pas que la durée. C'est aussi combien vous cotisez.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas forcément mais peut-être.
MURIEL PENICAUD
C'est beaucoup trop tôt. Ce n'est pas une esquive, c'est juste que c'est trop tôt dans le process. Voilà, on en parlera bientôt.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le télétravail, c'est un succès ?
MURIEL PENICAUD
Le télétravail, c'est un succès, je disais, j'ai été DRH, j'avais vu à quel point les salariés souhaitaient pouvoir travailler en télétravail, et aujourd'hui, la technologie le permet. Et donc dans les ordonnances, on a créé le droit au télétravail, c'est-à-dire qu'un salarié peut décider d'aller au travail, et il faut que ça soit l'employeur qui dise : ça n'est pas possible, bon, dans votre métier, je vous l'accorde, ça n'est pas très facile pour la partie émission, par contre, la préparation, elle peut se faire en télétravail, voilà. Et il y a énormément de métiers, on estime à peu près à 60 %, où on peut faire du télétravail. Ce qui est intéressant, c'est que, il y a exactement un an, les ordonnances étaient publiées, et depuis, il y a un accroissement, parce qu'il y a plus de 700 accords dans les entreprises, parce que les salariés s'en saisissent, et la bonne nouvelle, c'est que c'est bon pour l'écologie, parce qu'on fait moins de transport, c'est bon pour l'équilibre vie professionnelle/vie personnelle, et puis, je dis aussi aux entreprises : il se trouve que c'est bon pour la productivité aussi, parce que quand on est concentré, on est efficace. En plus, on crée de plus en plus d'espaces partagés pour ne pas être seul, donc il y a aussi la convivialité, parce que c'est important dans le travail. Je crois que, voilà, on est dans un des pays qui était un peu en retard sur le télétravail, on est en train de rattraper notre retard. Et puis, je crois qu'il y a... vous savez, il y a eu un sondage récemment qui disait que 60 % des salariés espéraient travailler en télétravail. Donc ça fait partie des formes modernes du travail, cette souplesse et cette flexibilité, au bénéfice de chacun.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Muriel PENICAUD, je vous écoute depuis tout à l'heure, bon, vous êtes très convaincante, moi, vous êtes très optimiste, j'ai l'impression, non ?
MURIEL PENICAUD
Ah oui, oui, oui…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes très optimiste malgré tout ce qui se dit, tout ce qu'on entend…
MURIEL PENICAUD
Mais je crois qu'on en a sous le pied en France…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Malgré l'anxiété des Français, malgré…
MURIEL PENICAUD
Moi, je ne suis pas optimiste sur la situation dont on a hérité, et encore, celle actuelle, mais tous les jours, vous savez, je sillonne la France, je vois des gens formidables, et je sais qu'on en a sous le pied. Et la semaine dernière, j'étais…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, c'est vrai qu'il y en a, c'est vrai que des Français sont formidables…
MURIEL PENICAUD
... Permettre aux plus vulnérables d'accéder à l'emploi, alors, il y a de l'emploi, mais vous savez, quand vous êtes chômeur de longue durée, vous avez frappé à 50 portes, vous vous dites : je n'y arriverai jamais. On baisse les bras. Je le comprends. Là, aujourd'hui, on va... grâce au plan pauvreté, je vais pouvoir augmenter toutes les structures qui permettent ce qu'on appelle le pied à l'étrier, c'est les écoles de production pour les jeunes décrocheurs, ou les EPID, c'est les entreprises d'insertion. J'ai vu des entrepreneurs qui s'impliquent, des associations…
JEAN-JACQUES BOURDIN
A condition que vous ayez les moyens d'aider, parce que…
MURIEL PENICAUD
J'ai absolument les moyens d'aider...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que votre budget…
MURIEL PENICAUD
Ah, non, non, mais j'ai, tout ce qui est compétences et insertion, j'ai un budget en forte augmentation là-dessus, et moi, j'ai confiance, pourquoi, parce que je vois sur le terrain plein de gens qui ont envie d'être solidaires, qui ont envie d'entreprendre, et c'est avec ça qu'on va réussir la France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Muriel PENICAUD.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 octobre 2018