Interview de M. François de Rugy, ministre de la transition écologique et solidaire, avec France 2 le 22 novembre 2018, sur la contestation concernant le prix des carburants et sur la transition écologique.

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Média : France 2

Texte intégral


CAROLINE ROUX
Bonjour François de RUGY.
FRANÇOIS DE RUGY
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Alors, vous aurez peut-être un message ce soir, mais vous en avez déjà un ce matin, il est signé François BAYROU, il explique qu'une nouvelle étape de l'augmentation des taxes est prévue en janvier, il dit précisément : cela mérite que nous y réfléchissions. Est-ce que le rythme des taxes peut évoluer ? Ce n'est pas rien quand François BAYROU prend la parole pour mettre en garde le gouvernement !
FRANÇOIS DE RUGY
Vous savez, le propre des hommes d'Etat, c'est justement de prendre des décisions réfléchies, et la décision sur la taxe carbone, sur la fiscalité écologique, c'est une décision mûrement réfléchie, qui a d'ailleurs été partagée par plusieurs gouvernements, par plusieurs présidents de la République, qui a d'ailleurs été largement partagée quand on a parlé de la lutte contre le dérèglement climatique, quand on a célébré à Paris, en 2015, il y a à peine trois ans l'accord mondial sur le climat. Ensuite, il faut savoir faire preuve de cohérence et de constance dans le temps, sinon, nous n'aurons aucun résultat en matière de climat…
CAROLINE ROUX
Il faut aussi entendre, quand vous avez quelqu'un comme François BAYROU, qui est un partenaire de la majorité, quand vous avez un membre de votre gouvernement, vous le croisez tous les mercredis au Conseil des ministres, Jean-Yves LE DRIAN qui dit que le mouvement des gilets jaunes repose sur un sentiment selon lequel la transition écologique est payée davantage par certaines catégories sociales ; être un homme d'Etat, comme vous dites, c'est aussi parfois se dire : on est peut-être allé au-delà du seuil d'acceptabilité, on va y aller plus doucement ?
FRANÇOIS DE RUGY
Mais qu'est-ce que l'on fait alors ? On va rie de position, sur des sujets aussi importants que la fiscalité en fonction…
CAROLINE ROUX
On y va, mais plus doucement…
FRANÇOIS DE RUGY
Des prix du pétrole sur les marchés mondiaux ou en fonction d'un certain nombre de manifestations, ça veut dire qu'il n'y aurait plus aucune prévisibilité pour les Français, ce que nous avons voulu, c'est mettre cartes sur table, donner une trajectoire pour dire aux Français, pour dire aux particuliers, aux familles, mais aussi aux entreprises : voilà ce qui va se passer dans les années qui viennent, vous pouvez vous préparer, vous pouvez vous engager dans la transformation et en tirer d'ailleurs des bénéfices, le bénéfice que les Français peuvent en tirer, c'est de ne plus subir les hausses des prix du pétrole sur le marché mondial, c'est cela la principale cause de hausse des prix des carburants, par exemple…
CAROLINE ROUX
Ça vous agace ? François de RUGY, vous qui vous battez pour l'écologie depuis longtemps, ça vous agace ces prises de position, comme celle de François BAYROU, comme celle de Jean-Yves LE DRIAN ?
FRANÇOIS DE RUGY
En tout cas, ça ne m'empêche pas du tout de continuer à dire que ce qu'il faut, c'est agir, moi, j'ai dit quand j'ai été nommé ministre : l'Ecologie qui agit, je suis là pour faire vivre l'écologie qui agit, vous savez, les grands discours sur l'écologie…
CAROLINE ROUX
Pas l'écologie punitive aussi…
FRANÇOIS DE RUGY
Oui, et puis, les grands discours sur l'écologie, nous en avons eu, et les grands discours sur l'éveil des consciences, sur : il faut que nous transformions nos modes de vie, nos modes de production, mais si nous ne le faisons pas, si nous ne donnons pas les moyens de faire les choses avec les Français, et moi, j'entends ce que disent des personnes qui disent : c'est plus difficile pour nous, parce qu'on habite à tel endroit ou c'est plus difficile pour nous parce qu'on a tel budget, on a tels revenus, et c'est pour cela que nous avons pris des mesures d'accompagnement…
CAROLINE ROUX
Pas suffisamment…
FRANÇOIS DE RUGY
Et d'accompagnement social, d'accompagnement solidaire…
CAROLINE ROUX
Pas suffisamment, c'est ce que pense François BAYROU, pas suffisamment ?…
FRANÇOIS DE RUGY
Quand nous élargissons le chèque énergie, il y avait déjà 3,6 millions de Français qui en bénéficiaient, nous l'élargissons à 2,2 millions supplémentaires, c'est-à-dire que nous aurons 6 millions de ménages français qui en bénéficieront l'année prochaine, on augmente de 50 euros en moyenne ce chèque énergie, je crois que nous avons une préoccupation justement de solidarité.
CAROLINE ROUX
Pardon d'y revenir, mais il dit : attention avec la rupture avec le pays, ce que j'entends de ce que vous dites très clairement ce matin, c'est non, on ne bougera pas, peu importe la rupture avec le pays, comme le dit François BAYROU…
FRANÇOIS DE RUGY
De quel pays parle-t-on ?
CAROLINE ROUX
De quel pays parle-t-il ?
FRANÇOIS DE RUGY
Oui, mais justement, mais nous sommes des responsables politiques, en tout cas, moi, je le suis, et vous le savez bien, la France est diverse, la France ne se résume pas aux gilets jaunes, d'ailleurs, il y a eu des dérives graves dans le mouvement des gilets jaunes ces derniers jours, avec – il faut bien le dire –parfois, plutôt des capuches noires que des gilets jaunes, des gens qui ont forcé d'autres automobilistes à porter un gilet jaune, mais où sommes-nous, ou qui ont tenu des propos ou des agressions racistes ou homophobes, c'est inacceptable, ou qui ont cassé, vous avez vu le péage de Virsac, en Gironde, qui a été saccagé, ça, ça n'a plus rien à voir avec une revendication par rapport à la question des prix des carburants...
CAROLINE ROUX
Vous êtes d'accord pour dire qu'il faut en sortir, alors certains font des propositions, BAYROU, LE DRIAN, il y en a un autre qui a fait une proposition, c'est Laurent BERGER, il a tendu la main…
FRANÇOIS DE RUGY
Oui, et je crois qu'il faut la saisir d'ailleurs cette main tendue, parce que…
CAROLINE ROUX
Ah, eh bien, vous n'êtes pas forcément en ligne avec le Premier ministre, parce qu'on avait l'impression qu'il l'avait renvoyé dans ses 22…
FRANÇOIS DE RUGY
Laurent BERGER, il dit évidemment que ce ne sont pas les syndicats comme la CFDT qui ont lancé le mouvement des gilets jaunes, ce ne sont pas non plus les syndicats comme la CFDT qui peuvent prétendre représenter celles et ceux qui sont allés manifester sur des ronds-points ou sur des routes, mais en revanche, la CFDT est un syndicat qui a une réflexion plus globale que simplement la défense des salariés dans chaque entreprise, et qui se préoccupe de l'accompagnement économique et social de la transition écologique…
CAROLINE ROUX
Donc il faut saisir la main tendue ?
FRANÇOIS DE RUGY
De la transformation écologique, donc nous allons en effet réfléchir, travailler ensemble pour voir comment, partout en France, pas une grande conférence sociale…
CAROLINE ROUX
On ne va pas refaire un Grenelle ?
FRANÇOIS DE RUGY
Non, on ne va pas refaire un Grenelle à Paris ou dans mon ministère ou au ministère des Affaires sociales…
CAROLINE ROUX
Alors, qu'est-ce qu'on va faire ?
FRANÇOIS DE RUGY
Ce que nous voulons faire, c'est peut-être des discussions, des débats sur le terrain où toutes ses préoccupations pourront s'exprimer, mais vous savez, on verra d'ailleurs que les préoccupations des Français, elles sont diverses, elles ne sont pas toutes de la même façon, selon, encore une fois, l'endroit où on habite, les revenus que l'on a, beaucoup de Français ont déjà changé par exemple, est-ce que ces Français qui prennent le train le matin pour aller travailler ou les transports en commun, est-ce que ceux-là, on va leur dire : eh bien, finalement, l'effort que vous faites, car c'est un effort, il ne sert à rien, il faut l'abandonner…
CAROLINE ROUX
En tout cas, ce matin, on retient que vous acceptez la main tendue de Laurent BERGER pour discuter de la meilleure manière de faire cette transition écologique et d'associer l'ensemble des Français. Qu'est-ce que vous espérez du retour politique de Nicolas HULOT ce soir, sincèrement, François de RUGY, je rappelle que vous êtes son successeur ?
FRANÇOIS DE RUGY
Oui, eh bien, moi, je pense que sa voix peut être utile justement pour participer à la pédagogie, parce que je le vois tous les jours depuis que je suis nommé, évidemment qu'on n'explique jamais assez, et moi, je prends ma part, je crois que les ministres que nous sommes, nous devons toujours aller au contact direct des Français, d'ailleurs, moi, je suis allé discuter directement avec des gilets jaunes la semaine dernière, alors que j'aurais pu passer devant eux sans m'arrêter…
CAROLINE ROUX
Ça veut dire que le gouvernement a encore besoin de la parole de Nicolas HULOT, c'est ça que vous êtes en train de nous dire ?
FRANÇOIS DE RUGY
Eh bien, en tout cas, sur cette question de la fiscalité écologique, sur la question plus générale de pourquoi nous faisons cela, pour le climat, en quoi c'est un levier d'action, parce que cela permet de faire changer les comportements, que des Français ont déjà changé de comportements, des entreprises se sont déjà engagées dans cette transformation, eh bien, je crois, en effet, que sa voix importante peut être utile.
CAROLINE ROUX
Vous l'avez trouvé trop silencieux ?
FRANÇOIS DE RUGY
Ah non, mais moi, je trouve ça tout à fait normal, il a démissionné, ce n'était pas évidemment... et j'aurais même trouvé ça plutôt gênant si dès le lendemain, il s'était empressé de commenter l'action du gouvernement dont il avait démissionné…
CAROLINE ROUX
Vous auriez une question à lui poser d'ailleurs, si vous l'aviez en face de vous ?
FRANÇOIS DE RUGY
Oh, moi, vous savez, si j'ai des échanges avec lui, je les ai en direct et en privé, je ne vais pas faire des choses par plateaux télévisés interposés, même si c'est sur la même chaîne qu'il sera ce soir…
CAROLINE ROUX
Eh bien oui, c'était une bonne occasion…
FRANÇOIS DE RUGY
Et je l'écouterai avec attention…
CAROLINE ROUX
Vous n'êtes pas du genre à claquer la porte, vous, quand vous n'êtes pas content ?
FRANÇOIS DE RUGY
Eh bien, je crois que, si vous voulez, quand on veut l'écologie qui agit, on ne se dérobe pas devant les difficultés, et moi, je vois en effet les difficultés, mais je les connais, vous savez, dans l'histoire récente, ces dernières années, on a déjà eu des difficultés de ce type…
CAROLINE ROUX
Mais vous allez avoir une difficulté…
FRANÇOIS DE RUGY
Et d'autres gouvernements ont en effet abandonné le changement, et je crois que les Français, même ceux qui sont en colère, ils nous en voudraient, et dans trois ans, ils nous sanctionneraient, s'ils disaient : quand il y a eu des difficultés, vous avez la abandonné…
CAROLINE ROUX
Alors justement, peut-être ce sera des difficultés, on verra bien, en tout cas, la loi pluriannuelle de l'énergie va être présentée dans les prochains jours par le gouvernement, elle va sceller notamment la question du nucléaire, il y a trois scénarios sur la table, vous l'avez confirmé, il y a un des scénarios qui est poussé par Bercy, qui dit que, il n'y aurait aucune fermeture des réacteurs d'ici à 2028, neuf réacteurs fermeraient d'ici à 2035n et alors là, certains tombent de l'armoire, il y aurait même la construction de quatre EPR d'ici à 2040, si ce scénario-là est validé par le gouvernement, vous pourriez accepter un scénario comme celui-ci ?
FRANÇOIS DE RUGY
Vous avez bien fait de mettre tout cela au conditionnel, et ce sont des scénarios et des documents de travail…
CAROLINE ROUX
Celui-ci ne vous convient pas, vous pouvez le dire…
FRANÇOIS DE RUGY
Ah, mais moi, j'ai déjà dit que je travaillais sur une trajectoire pour l'énergie en général, pas simplement le nucléaire, pour développer les énergies renouvelables, pour développer les économies d'énergie, qui permettront aux Français de baisser leur facture d'énergie quand les prix du pétrole augmenteront…
CAROLINE ROUX
Celui-ci ne vous convient pas, on a le droit de le dire ?
FRANÇOIS DE RUGY
Et évidemment que je crois qu'il faut que ce soit crédible, et pour être crédible, on ne repousse pas à plus tard, par exemple, la fermeture des vieux réacteurs nucléaires dont il faut programmer la trajectoire progressive, en effet, de fermeture, c'est l'intérêt de la France, et c'est l'intérêt aussi de l'entreprise EDF.
CAROLINE ROUX
Et voilà François de RUGY dans un bras de fer avec Bercy qu'on va suivre attentivement. Merci beaucoup.
FRANÇOIS DE RUGY
Ça vous plaît, ça. Bonne journée…
CAROLINE ROUX
Non, non, c'est la réalité du ministre de la Transition énergétique, vous le savez mieux que moi…
FRANÇOIS DE RUGY
C'est la réalité de la vie.
CAROLINE ROUX
C'est ça. C'est dit.
FRANÇOIS DE RUGY
Et donc de la vie politique.
CAROLINE ROUX
C'est dit. Merci beaucoup François de RUGY.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 novembre 2018