Texte intégral
Q - Bonjour Jean-Baptiste Lemoyne, c'est finalement une séparation en douceur sur le Brexit, cela vous satisfait-il ?
R - Je veux tirer mon chapeau à Michel Barnier qui depuis 17 mois s'emploie à négocier avec la Grande-Bretagne ce texte de 585 pages. C'est un texte très technique, nous devons prendre le temps de l'expertiser mais le fait de cheminer vers un accord est une bonne chose.
Q - Avez-vous eu le temps de le lire ?
R - Pas complètement encore, nous sommes en train de regarder tout cela de près, en vue du sommet européen annoncé pour le 25 novembre, car nous devons nous assurer qu'un certain nombre d'intérêts nationaux, européens, se retrouvent bien dans cet accord.
Q - Les Britanniques ont voté le Brexit mais ils restent dans le marché européen ?
R - Ce qui a été défini pour aller au-delà de cette difficulté qui était la frontière entre l'Irlande du Nord et l'Irlande pour respecter les accords du Vendredi Saint, c'était de faire en sorte qu'il y ait désormais cette union douanière entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, ce qui implique une équité et qu'un certain nombre de règles sociales, environnementales de l'Union européenne continuent à s'appliquer au Royaume-Uni.
Q - Mais quel intérêt pour les Britanniques qui étaient favorables au Brexit ?
R - Nous sommes dans une situation transitoire jusqu'à 2020. Après le 29 mars 2019, quand le Royaume-Uni aura quitté l'Union européenne, s'enclencheront des discussions pour la relation future.
Q - Ce n'est donc pas un accord pérenne, c'est un accord qui va durer deux ans.
R - Tout à fait, nous sommes dans une situation transitoire qui pourra être renouveler une fois et qui permet de travailler à la relation future. En tout cas, cela évite le "hard Brexit", c'est-à-dire en absence d'accord. Que ce soit les citoyens britanniques ou européens, les entreprises britanniques, européennes ou françaises, ils pourront continuer d'avoir des relations les plus normales dans l'attente de cet accord de libre-échange.
Q - Ils auront un pied dedans et un pied dehors en fait ?
R - Ils seront spectateurs d'un certain nombre de choses.
Q - Mais de quoi ? D'où sortent-ils ?
R - Être membre de l'Union douanière, cela signifie que le Royaume-Uni doit appliquer la politique commerciale définie par l'Union européenne sans qu'il soit présent à la table des négociations, à partir de mars 2019.
Q - C'est la grande différence ?
R - Evidemment, ils seront un peu moins maîtres de leur politique commerciale et il est donc très important de vérifier qu'il y ait une vraie équité et surtout qu'il n'y ait pas de dumping.
Q - Il y a beaucoup de pays où les peuples sont en colère contre l'Europe, l'Italie, certains pays d'Europe centrale, ils vont se dire que le mieux est de faire comme les Britanniques, c'est-à-dire on va s'affranchir de certaines règles mais on continuera à avoir le marché pour nous.
R - Nous sommes dans une situation transitoire - le texte le précise bien - en attendant de négocier une relation future.
Q - Cette relation future sera-t-elle négociable ?
R - En termes financier par exemple, le Royaume-Uni va devoir s'acquitter d'un certain nombre de milliards vis-à-vis de l'Union européenne.
Q - Une cinquantaine ? Quand l'enveloppe sera-t-elle payée ?
R - Votre question était de dire que beaucoup de pays pourraient être tenté d'aller vers un exit. Regardez les choses, de nombreux Britanniques se mordent les doigts aujourd'hui. Il y a eu une campagne à l'époque qui a véhiculé nombre de vérités et de contrevérités, et un certain nombre de leader de l'exit se sont cachés, une fois le vote acquis. Les pays ou les peuples qui seraient tentés par l'exit doivent comprendre que dans la mondialisation telle qu'elle est, redevenir un confetti ce n'est pas être fort. Aujourd'hui, être fort, c'est exercer notre souveraineté nationale à travers une souveraineté européenne affirmée.
Q - Quand l'enveloppe sera-t-elle payée ?
R - Tout cela est consigné. Nous sommes en train d'expertiser le texte, je vous dirai cela ensuite. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a un coût financier pour le Royaume-Uni, ce n'est pas indolore.
Q - Cela provoque énormément de remous en Grande-Bretagne, entre ceux qui estiment qu'il faudrait s'affranchir totalement de l'Europe, tel Boris Johnson, ancien ministre des affaires étrangères. Il y a des démissions en pagaille ; d'autres disent que si c'est pour avoir une Europe au rabais, il valait mieux rester dedans. Comme tout n'est pas encore conclu, ne craignez-vous pas que Theresa May soit victime d'une crise politique ?
R - Avec beaucoup d'engagement, Theresa May a reçu tous les membres de son Cabinet hier je crois, les deux tiers la suivent dans cette démarche, le reste ayant manifestement exprimé des réticences. Nous verrons comment tout cela se traduit aux parlements effectivement, il faut un vote du parlement européen et du parlement britannique, mais on voit bien que certains sont en embuscade pour, peut-être, essayer de faire chanceler la Première ministre.
Q - Qu'est-ce qu'une crise politique aurait pour conséquence ?
R - Ce que je vois, c'est qu'elle a su tout au long des derniers mois, maintenir en activité et en vie un gouvernement qui avait des difficultés. Je ne préjuge pas de l'avenir au sens où il peut y avoir aussi au parlement un débat autour de l'intérêt général britannique, parce que, ne pas avoir d'accord, cela implique certainement des conséquences encore plus importantes que d'avoir un accord qui peut être jugé imparfait par certains. Mais, pas d'accord du tout, ce serait également très difficile pour eux.
Q - Qu'est-ce qu'une frontière physique aurait changé entre l'Irlande du Nord et l'Irlande du Sud ?
R - On se réfère au conflit qui les a touchés dans leur chair et le sujet majeur est celui-là.
Q - Cela a des conséquences sur la paix, mais le commerce ?
R - En matière de commerce, peut-être qu'un certain nombre de dispositifs techniques permettent de faire en sorte que les marchandises circulent bien, tout en ayant de la traçabilité. Il est important de respecter ces accords liés à la situation en Irlande et on le comprend.
Q - Les intérêts de l'Europe sont-ils préservés ?
R - Les négociateurs avaient un mandat et Michel Barnier notamment a vraiment porté les intérêts et la voix des Européens. Il y a peut-être eu parfois, des tentations britanniques de faire s'exprimer individuellement les Etats membres, tous disaient chaque fois que c'était Michel Barnier le négociateur.
Q - Les Britanniques et l'économie numérique soufrent-ils déjà de ce vote en faveur du Brexit ?
R - Indéniablement.
Q - le ressentez-vous ?
R - J'ai rencontré dernièrement des responsables français dans des entreprises multinationales, notamment britanniques, ils me signalaient qu'un certain nombre d'investissements n'étaient plus faits au Royaume-Uni, que du coup, un certain nombre de localisations de sites se faisaient sur le continent européen. La France qui a fait un certain nombre de réformes fiscales et en droit du travail devient attractive.
Q - Avons-nous beaucoup de transferts de siège d'entreprises en France? Avez-vous les chiffres ?
R - Nous avons "coiffé au poteau" la Grande-Bretagne, en matière d'attractivité, c'est une donnée très récente. La France crée plus d'usines qu'elle n'en ferme, il y a donc un momentum aussi pour la France et pour les Européens.
(...)
(Questions des internautes)
Q - Première question de Menton, Menton trouve que les Français sont minables en accueil des touristes. Vous êtes d'accord avec cela ? Que faut-il faire ? Est-ce que c'est vrai ?
R - En matière d'accueil on a fait énormément de progrès. On accueille de plus en plus de touristes asiatiques, de touristes chinois notamment. Vous allez à l'aéroport de Paris, désormais il y a des traductions dans les trois langues, français, anglais, chinois. Les professionnels souhaitent mettre l'accent sur la qualité de l'accueil, parce que nous sommes les champions du monde du tourisme : 90 millions de touristes internationaux vraisemblablement, accueillis cette année.
Q - 10 de plus que l'année dernière alors ?
R - Non, on était à 87, donc 3 de plus, mais c'est important.
On ne peut pas se reposer sur nos lauriers. Donc, oui, il faut continuer à améliorer l'accueil. Il faut continuer à améliorer également nos infrastructures, il faut investir, rénover, réhabiliter nos stations littorales et de montagne et créer de nouvelles infrastructures.
Q - Doc se plaint de l'insécurité en France et, selon lui, cela fait fuir les touristes.
R - Sur le sujet de l'insécurité, là aussi, nous avons pris le chantier à bras le corps, à l'époque, avec Gérard Collomb. On se souvient d'un certain nombre de faits divers, par exemple de touristes du sud-est asiatique, souvent, qui étaient ciblés. Sur les lieux emblématiques, on a déployé des effectifs qui permettent de juguler cela. D'ailleurs, il y a eu moins de plaintes enregistrées de la part de ces touristes internationaux. Je pense que nous sommes sur le bon chemin.
Q - Il y a moins de plaintes ?
R - Exactement, sur les sites touristiques et sur ces clientèles qui étaient visées. C'est un travail qui se continue au quotidien et merci aux forces de sécurité pour ce qu'elles font.
Q - Antimac demande ce que vous faites, vous, pour réduire le déficit du commerce extérieur, 33,5 milliards d'euros.
R - Déjà, ce que nous faisons, avec Jean-Yves Le Drian, c'est que l'on monte cette équipe de France de l'export. C'est pour augmenter nos exportations, et quand on augmente nos exportations - +5% cette année -, cela veut dire qu'on peut réduire le déficit, pour autant que les Français n'achètent pas plus à l'étranger.
Q - Ce qui est le cas.
R - Ce qui peut être le cas. C'est là où l'on voit aussi une chose, c'est que le déficit commercial baissera véritablement le jour on en finira avec la dépendance énergétique. Et on revient au sujet du carburant, parce que le jour où la France roulera à l'électrique ou aux biocarburants, colza, etc., elle n'aura plus besoin d'importer pour 20 milliards d'euros de produits énergétiques venant ailleurs. Donc, la souveraineté nationale, c'est aussi la transition écologique. (...)
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2018