Interview de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, à "Ouest France" le 26 novembre 2018, sur l'accord concernant le Brexit.

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Média : Ouest France

Texte intégral

Q - Theresa May affirmait dimanche que le Royaume-Uni va retrouver sa pleine souveraineté sur ses eaux territoriales. Cela signifie-t-il que les pêcheurs français n'y auront plus accès ?
R - L'accord qui a été approuvé dimanche par les Vingt-Sept, c'est l'accord de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. C'est un bon accord, même si par définition une séparation est une mauvaise nouvelle. Il prévoit une période de transition, qui durerait au moins jusqu'au 31 décembre 2020. Pendant cette période, le Royaume-Uni ne serait plus membre de l'UE, mais l'ensemble des réglementations qui s'appliquent aujourd'hui continueraient à s'appliquer. Les droits des pêcheurs européens de pêcher dans les eaux britanniques sont donc maintenus à l'identique jusqu'au 31 décembre 2020, au moins.
Q - Ils ne le sont pas après...
R - Pendant cette période, nous élaborerons un accord de pêche pour la relation future, qui devra permettre l'accès de nos pêcheurs aux eaux britanniques. Et ce nouvel accord de pêche est listé au rang des priorités de l'Union européenne dans sa négociation sur sa relation future avec le Royaume-Uni. C'est ce qu'ont indiqué unanimement les 27 Etats membres hier.
Q - Cet accord de pêche sera négocié avant la fin de la transition ?
R - Oui, d'ici juin 2020. Deux questions ont été indiquées explicitement comme priorités pour la suite : la question de l'alignement entre le Royaume-Uni et l'UE sur les normes environnementales, et, précisément, la pêche. Nous avons porté ces priorités, et sur la pêche en particulier avec la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, l'Espagne, le Portugal et par l'Irlande.
Mais, j'y insiste, tous les Etats membres l'ont reconnu comme priorité partagée.
Q - Mais rien n'empêchera les Britanniques de fermer la porte ?
R - Il existe deux scénarios possibles. Le premier, c'est que l'accord de retrait ne soit pas ratifié par le parlement britannique. On s'acheminerait alors vers une absence d'accord le 29 mars 2019 au soir. Dans ce cas, nous n'aurions ni période de transition, ni union douanière. Donc pas d'accès libre des produits britanniques sur le territoire européen. Et les droits de pêche pour les pêcheurs européens deviendraient caducs. Personne ne souhaite en arriver là, mais c'est une hypothèse qu'il faut garder à l'esprit pour s'y préparer.
Deuxièmement, dans l'hypothèse où l'accord de retrait est ratifié, le sujet de la pêche relèvera de la négociation sur la relation future qui commence dès le 30 mars. Dans ce cadre, les deux parties se sont engagées à conclure un accord de pêche. Il existe là aussi un risque, mais les pêcheurs français peuvent compter sur notre détermination. Et nous appliquerons la réciprocité.
Q - C'est-à-dire ?
R - Sans accord de pêche, le partenariat économique entre le Royaume-Uni et l'Union européenne ne serait pas le même. C'est un levier de négociation.
Q - Vous parlez de rétorsions douanières ?
R - C'est sur l'ensemble du partenariat économique que nous réfléchissons. À partir du moment où la pêche est une priorité, la conclusion d'un accord de libre-échange ambitieux passerait par la conclusion préalable d'un accord de pêche.
Q - Et en cas d'échec ?
R - Dans le scénario d'une absence d'accord, on pourrait en revenir à des accords bilatéraux. Mais ce n'est vraiment pas l'option la plus souhaitable.
Q - Si Westminster ne ratifie pas l'accord de retrait, que prépare le gouvernement français en cas de Brexit brutal le 29 mars prochain ?
R - Si les Britanniques dénonçaient les accords concernant la pêche, nous prendrions des mesures nationales et demanderions un accompagnement de l'Union européenne. Aucun pêcheur ne sera laissé de côté par le gouvernement.
Q - Et plus largement ?
R - D'une part, avec Jean-Yves le Drian, nous portons actuellement au parlement un projet de loi qui permettra au gouvernement de prendre par ordonnance toute une série de mesures d'urgence nécessaires, pour éviter le chaos au 30 mars prochain. Pour maintenir la circulation des personnes et des marchandises de part et d'autre de la Manche, assurer que nos ressortissants revenant du Royaume-Uni conservent leurs droits ou éviter que les Britanniques vivant en France ne se trouvent pas en difficulté, notamment.
Q - Par exemple ?
R - Il faut par exemple accélérer les procédures de manière à ce que les contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires puissent être établis, tout en assurant la fluidité de la circulation des personnes et des marchandises. Il s'agit aussi de permettre aux résidents britanniques qui sont sur le sol français de pouvoir y demeurer et avoir le temps de se retourner pour demander un statut de résident de pays tiers. Il s'agit de reconnaître les diplômes et qualifications professionnelles d'un Français qui aurait étudié ou travaillé au Royaume-Uni. Ce sont des questions très pratiques, précises, destinées à protéger nos concitoyens et nos entreprises. Nous préparons des solutions à tous ces cas concrets.
Q - On peut imaginer des queues monstrueuses le 30 mars dans les ports ou à Calais ?
R - Non, nous serons prêts. Les mesures exceptionnelles que nous prévoyons consistent à pouvoir aménager des aires de stationnement, des locaux pour effectuer les contrôles. Les douanes sont en cours de recrutement de plus de 700 agents supplémentaires. Le ministère de l'agriculture recrute des vétérinaires supplémentaires. L'ensemble des ministères concernés est mobilisé, autour du Premier ministre.
Q - Theresa May peut l'emporter lors du vote britannique ?
R - Je ne commente pas la politique intérieure britannique. Nous sommes parfaitement en accord avec Mme May lorsqu'elle dit qu'il ne peut pas y avoir un autre accord de retrait que celui-ci. Par ailleurs, je voudrais dire mon admiration devant sa ténacité, son engagement. Bien sûr en faveur des intérêts de ses compatriotes, mais aussi en faveur d'une solution raisonnable qui protège les intérêts des Britanniques et des Européens.
Q - Le Brexit reste un choc, un choc historique pour l'Europe...
R - C'est une mauvaise nouvelle. C'est la preuve d'un échec. Celui des dirigeants britanniques à convaincre leurs concitoyens de l'importance du lien avec l'Union européenne et je crois qu'aujourd'hui, certains qui avaient voté en faveur du Brexit se posent des questions. Mais c'est aussi un échec de l'Union européenne qui n'a pas réussi à s'adresser aux populations et à faire voir tout ce qu'elle avait apporté depuis des décennies.
Q - Cela peut faire des émules en Europe ?
R - Au vu de ce qu'il se passe depuis 2016, je crois plutôt que c'est un repoussoir. Ceci étant, cela doit nous inciter à réformer encore davantage l'UE, à la rapprocher des populations. Que les décisions soient prises de manière plus concertée et mieux comprises.

Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 novembre 2018